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B. Typologie des règles dégagées par le Gouvernement lui-même pour régir son organisation

6. Les pratiques, coutumes et conventions de la Constitution

Le droit positif ne comprend pas que le droit écrit mais également un ensemble de pratiques non écrites ou « codifiées » contenu dans des textes dont la portée normative est variable. Ainsi en va-t-il du droit constitutionnel positif qui ne se limite pas au droit de la Constitution571 mais à la « Constitution réelle »572 dont « les principaux acteurs politiques » sont « les membres de l’Exécutif (Président et Gouvernement) et le Parlement »573.

Les pratiques représentent en effet une source fondamentale du droit en général et du droit constitutionnel institutionnel en particulier. Elles peuvent naître, soit de la nécessité d’interpréter la norme (pratique secundum legem), soit en l’absence de toute norme (pratique

praeter legem), soit, enfin, en violation de la norme574 (pratique contra legem)575.

applicable aux demandes d’avis adressées par les ministres au Conseil d’État, B.O.S.P.M. n°97/4 p. 5-6 ; Circulaire n°4487-SG du 18 avril 1997 relative à la procédure applicable aux décrets en Conseil d’État, B.O.S.P.M. n°97/2 p. 3-4 ; Circulaire n°4466-SG du 21 février 1997 relative aux transmissions officielles de documents par le Gouvernement au Parlement, B.O.S.P.M. n°97/1 p. 3-4 ; Circulaire n°3841/SG du 1er avril 1993 relative à l’organisation du travail gouvernemental, B.O.S.P.M. n°93/2 p. 3-8). De même, les bulletins officiels publient de nombreux arrêtés d’organisation de l’administration centrale (Cf. par ex. : Arrêté du 23 mai 2006, Attributions de fonctions à l’administration centrale du ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (MENESR), B.O. spécial n°4 du 4 juin 2006, p.36-63).

570

SECRÉTARIAT GÉNERAL DU GOUVERNEMENT & CONSEIL D’ÉTAT, op. cit., fiche 2.1.5.

571 Autrement dit, il existe à la fois la Constitution formelle (The Law of the Constitution) et la Constitution matérielle (Constitutionnal Law). Sur ce point, cf. spéc. : P. AVRIL, « La Constitution : Lazare ou Janus ? », in

Écrits de théorie constitutionnelle et de droit politique, op. cit., p. 237.

572 O. BEAUD, « Le droit constitutionnel par-delà le texte constitutionnel et la jurisprudence constitutionnelle »,

op. cit., p. 11.

573 Idem, p. 4.

574 La question d’une pratique violant une norme fait débat entre normativistes et réalistes. Si une telle pratique doit être théoriquement sanctionnée juridiquement, ce n’est pas toujours le cas. Il se peut en effet que, par exemple, des violations du texte constitutionnel créent des précédents qui nourrissent le droit positif (Qu’on en juge : l’article 8 C prévoit que le Premier ministre remet, de son propre au chef, sa démission au Président alors que dans la pratique, on sait qu’il n’en est rien. Formellement, d’aucuns diront que le texte est respecté puisque le Premier ministre remet sa démission au Président ; or, il remet toujours sa démission à la demande du chef de l’État). Certains auteurs, à l’image des professeurs Avril ou Pactet ont d’ailleurs tenté de montrer que les violations de la Constitution sont devenues progressivement une partie du droit positif. À ce sujet, ce dernier évoque les hypothèses de « pathologies constitutionnelles », de « dérives extra-constitutionnelles » ou de « suspension de la charte fondamentale » (P. PACTET, « Réflexions sur le droit constitutionnel et son enseignement », RDP, 2010, n°1, p. 163. Sur ce point, cf. également : B. CHANTEBOUT, « À propos de l’ineffectivité de la Constitution sous la Ve République », Politeia, n°4, 2003). Or, si la sanction juridique est absente, de telles violations seront usuellement sanctionnées sur le terrain politique en ce sens que le droit constitutionnel fait cohabiter deux systèmes de sanction concurrents : la sanction juridictionnelle et la sanction

Faute de textes, ce sont en effet parfois les institutions qui créent elles-mêmes le droit576 par leurs pratiques ainsi que le démontra Maurice Hauriou577. Autrement dit, une partie du droit positif peut ne pas découler de règles formelles mais résulter de simples éléments factuels578.

En droit constitutionnel, cette lex imperfecta peut s’incarner à la fois dans de simples pratiques ou usages (b), dans des coutumes (c), voire dans des conventions de la Constitution (d). Commençons par définir chacun de ces concepts (a).

a) Pratiques, coutumes et conventions de la Constitution : essai de définition

Comme l’explique le professeur Denis Baranger, « les faiblesses des présentations classiques de la coutume, des pratiques constitutionnelles, des conventions de la constitution, etc. ne signifient nullement qu’il n’est pas important de se pencher sur ces concepts en tant qu’ils sont capables de capter quelque chose du phénomène politique, ou des réalités sociales, et cela d’une manière opératoire d’un point de vue juridique »579. Or, que recouvre précisément chacun de ces termes ?

- Les pratiques ou usages représentent une habitude « que le droit accepte – mais n’impose pas – car elle existe depuis longtemps »580. Le terme « pratique » est globalement substituable avec le terme « usage » lequel « exige la répétition d’attitudes identiques pendant un temps prolongé et sans que d’autres soient faites en

politique (sur le terrain de la responsabilité politique). Hans Kelsen a lui-même admis que « l’absence de sanction juridictionnelle ne prive pas la constitution de toute normativité et qu’il existe aussi la sanction de la responsabilité politique » (P. AVRIL, Les Conventions de la constitution : normes non écrites du droit politique,

op. cit., p. 153). Pour une étude complète de cette question, cf. spéc. : F. SAVONITTO, Les discours

constitutionnels sur « la violation de la Constitution » sous la Ve République, LDGJ, Bibliothèque

constitutionnelle et de science politique, t. 141, 2013, 590 p.

575 En droit constitutionnel, l’on aurait également pu écrire: secundum constitutionem, praeter constitutionem et

contra constitutionem.

576 En droit parlementaire, l’exemple des questions d’actualité au Gouvernement, pratique introduite en 1974, est topique.

577

Cf. spéc. : M. HAURIOU, Aux sources du droit. Le pouvoir, l’ordre et la liberté, Bibliothèque de philosophie politique et juridique, Centre de philosophie politique et juridique, URA-CNRS, 1986, p. 97-98 & p. 128.

578 Nous adhérons à l’idée qu’« il faut dépasser la dichotomie trop simple entre le droit et le fait, selon laquelle le texte de la constitution et les dispositions d’application qui le prolongent formeraient exclusivement le droit, tandis que le fait, en l’occurrence, renverrait à la politique, c’est-à-dire au comportement des acteurs » (P. AVRIL, « Le cadre et le tableau », in Écrits de théorie constitutionnelle et de droit politique, Editions Panthéon Assas, Introuvables, 2010, p. 152). Las « le préjugé du droit écrit est si fort que l’existence de telles règles est généralement niée. Il règne sur beaucoup d’auteurs comme un principe de légitimité du droit écrit qui exclut à leurs yeux le caractère juridique de toute règle non écrite. Tout ce qui n’est pas écrit tombe, à les croire, dans le domaine du fait ou de la politique, et ne saurait être regardé comme une règle de droit » (R. CAPITANT, « Le droit constitutionnel non écrit », in Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur

de François Gény, Librairie Sirey, Paris, 1934, t.3, p. 2).

579 D. BARANGER, « Normativisme et droit politique face aux changements constitutionnels informels. À propos de l’ouvrage de Manon Altwegg-Boussac », op. cit., p. 2.

580 F. LUCHAIRE, « De la méthode en droit constitutionnel », in François Luchaire, un républicain au service

sens contraire ; il doit consister en pratiques de la vie courante, ayant acquis, par leur répétition non contredite, une continuité et une constance qui en attestent la fermeté. Par ailleurs, l’usage doit avoir un certain degré de généralité ; il doit être observé par la quasi-unanimité des sujets de droit »581 mais peut être remis en cause assez facilement.

- Les coutumes supposent « la conviction chez ceux qui pratiquent l’usage qu’ils agissent en vertu d’une règle obligatoire de droit objectif »582

. Autrement dit, elles ont un caractère obligatoire supérieur et il est donc beaucoup plus difficile de les remettre en cause. Ainsi rappelons que, pour être en présence d’une coutume, la doctrine s’accorde à penser qu’il faut réunir un élément objectif et un élément subjectif. Le premier serait un élément matériel (une pratique répétée) tandis que le second serait la réunion de l’opinio juris (la conviction que la pratique répétée constitue une règle de droit), de l’opinio necessitatis (la conviction que la règle est obligatoire) et de l’opinio

communis (l’acceptation commune ou sociale de la règle).

- Jugeant que la coutume constitutionnelle n’est pas un concept efficace pour rendre compte du droit positif constitutionnel, le professeur Avril a fondé la notion française de conventions de la Constitution583, s’inscrivant notamment dans le sillage des travaux de Dicey (1885), Capitant (1934) et Jennings (1938). Cette théorie est fondée sur l’idée que « la Constitution se réalise par la confrontation ou la coopération des pouvoirs publics, sous le contrôle occasionnel du Conseil constitutionnel dans les cas où il est à la fois compétent et saisi, et, en dernière instance, sous l’arbitrage du suffrage universel »584. Ainsi, le professeur Avril définit-il « les conventions comme des règles non écrites portant sur la manière dont les pouvoirs juridiques attribués par la Constitution doivent être exercés, conformément aux principes et convictions politiques actuellement reconnus »585.

S’agissant du droit de l’organisation du Gouvernement, il semblerait586 que l’on soit essentiellement en présence à la fois de « pratiques » et de « coutumes gouvernementales », l’ajout de l’adjectif « gouvernemental » étant justifié par le fait que ce sont les Gouvernements qui, au fil de l’histoire, ont été à l’origine des règles posées. Il s’agit alors de

581 J. CHEVALLIER, « La coutume et le droit constitutionnel français », RDP, 1970, p. 1377.

582 Ibidem.

583

P. AVRIL, Les Conventions de la constitution : normes non écrites du droit politique, op. cit., p. 12.

584 Idem, p. 8

585 P. AVRIL, « Les Conventions de la Constitution », RFDC, 1993, p. 333.

586 L’utilisation du conditionnel est justifiée par le fait qu’il ne s’agit à ce stade que d’une hypothèse appelant une étude approfondie pour être vérifiée.

« pratiques gouvernementales » lorsque les acteurs gouvernementaux, à commencer par le Premier ministre, peuvent facilement remettre en cause les précédents qui ont eu cours jusque-là et davantage de « coutumes gouvernementales », lorsque ces mêmes acteurs peuvent difficilement transformer l’existant organisationnel ou alors, de manière très marginale.

De son côté, la théorie des conventions de la Constitution du professeur Avril semble moins intéresser les questions d’organisation gouvernementale que le partage du pouvoir gouvernemental, c’est-à-dire aux règles naissant des rapports de forces politiques entre institutions concurrentes587 et « aux pratiques divergentes du texte constitutionnel »588. Au surplus, pour être séduisante, la théorie des conventions demeure extrêmement complexe d’utilisation faute de critères unanimement reconnus par la doctrine pour la rendre opératoire589.

Par voie de conséquence, à ce stade de la réflexion, sans écarter totalement la « notion carrefour »590 de « conventions de la Constitution », les concepts de « coutumes gouvernementales » et de « pratiques gouvernementales » sont plus adaptées pour rendre compte et caractériser l’empirisme organisationnel du Gouvernement.

Au terme de notre analyse, nous avons pu identifier huit grands domaines régis par des pratiques et des coutumes gouvernementales tandis que trois cas spécifiques nous semblent davantage entrer dans la catégorie des Conventions de la Constitution. Cet inventaire n’est probablement pas exhaustif et demeure inévitablement subjectif tant il est malaisé de faire le départ entre ce qui relève de la pratique, de la coutume ou des Conventions de la Constitution.

587 Autrement dit, les Conventions « s’analysent en dernier ressort comme une restriction, parce que toute attribution effective d’un droit nouveau au profit d’un organe signifie la restriction du pouvoir discrétionnaire d’un autre » (O. BEAUD, « Les conventions de la Constitution », Droits, 1986, n°3, p. 126).

588 O. BEAUD, « Le droit constitutionnel par-delà le texte constitutionnel et la jurisprudence constitutionnelle »,

op. cit., p. 20.

589 Le recours au « test de Jennings » que recommande Pierre Avril pour reconnaître l’existence de telles conventions (in P. AVRIL, Les Conventions de la constitution : normes non écrites du droit politique, Paris, PUF, Coll. Léviathan, 1997, p. 143) est difficile à appréhender méthodologiquement. Comme l’explique un auteur, « en dépit des recherches effectuées sur le sujet, leur dénombrement s’avère aussi difficile qu’incertain », ces conventions étant « inclassables » et n’ayant jamais été mentionnées par une quelconque juridiction française (F. LEMAIRE, « Les Conventions de la Constitution dans le système juridique français », RFDC, n°35, p. 472). Pierre Avril le reconnaît d’ailleurs lui-même : « Parmi les réserves qu’est susceptible d’inspirer la réception des conventions par la doctrine française figurent l’imprécision des règles de ce type et le risque d’arbitraire qui s’attacherait à la qualification : n’est-il pas tentant de baptiser ‘‘conventions de la Constitution’’ toutes sortes de pratiques, d’usages, de traditions ou d’habitudes, et de faire entrer sous ce pavillon une marchandise hétéroclite ? » (Idem, p. 118). En effet, il est regrettable « que la liste exhaustive des conventions acceptées comme telles par l'auteur ne nous soit pas fournie et que la question de la validité du test de Jennings ne soit pas davantage débattue » (C. BIDEGARAY, « Pierre Avril à la recherche des ‘’conventions de la Constitution’’ »,

RFSP,1998, n°5, p. 669). D’ailleurs, le professeur Beaud s’interroge également sur ce qu’il convient de ranger

ou non parmi ces conventions à l’image de la jurisprudence Bérégovoy-Balladur (Cf. O. BEAUD, « Le droit constitutionnel par-delà le texte constitutionnel et la jurisprudence constitutionnelle », loc. cit.).

À défaut d’être parfaite, une telle grille de lecture constitue un point de départ synthétique et analytique indispensable pour penser le droit gouvernemental.

b) Les principaux domaines organisationnels régis par des pratiques gouvernementales

Les pratiques gouvernementales, souvent créées en raison de vides constitutionnels, législatifs et jurisprudentiels, sont probablement l’une des expressions les plus abouties de ce que l’on qualifiera plus avant, d’ « autonomie organisationnelle du Gouvernement » en ce qu’à travers elles, le Gouvernement décide de se lier lui-même par des règles dont il choisit discrétionnairement la durée de vie.

Ces pratiques gouvernementales concernent principalement quatre champs organisationnels :

- l’organisation des organes de délibération du Gouvernement autres que le

Conseil des ministres, à l’image des réunions interministérielles, lesquels procèdent

davantage des pratiques que de la coutume en ce que leur plasticité organisationnelle est bien plus importante, le Premier ministre pouvant remettre en cause les modes opératoires les organisant là où les rites du Conseil des ministres sont plus profondément ancrés dans l’histoire constitutionnelle et où l’ascendant organisationnel du président de la République est manifeste ;

- l’organisation d’une partie du statut des membres du Gouvernement, dont la variation autour des jurisprudences « Bérégovoy-Balladur » et de la « doctrine Jospin » constitue les meilleures illustrations591

;

- l’organisation des intérims ministériels qui, en l’absence de dispositions constitutionnelles, a fait l’objet d’une organisation par la voie de pratiques gouvernementales n’ayant pas accédé au rang de coutumes592 ;

- l’organisation du travail gouvernemental, laquelle répond à de nombreuses règles procédurales inventées au gré des pratiques et qui ont été détaillées petit à petit par voie de circulaires, en particulier à partir des années 1980 mais qui ont tendance à être modifiées très régulièrement.

Si les pratiques gouvernementales s’inscrivent dans l’histoire courte ou récente du Gouvernement, les coutumes ressortissent d’une histoire plus lointaine, plus enracinée.

591 Cf. infra Partie 1, Titre 1, Chapitre 1, Section 1, §2, B.

c) Les principaux domaines organisationnels régis par des coutumes gouvernementales

Au fil de l’histoire française, en particulier sous les Républiques précédant 1958, la coutume a façonné principalement quatre domaines organisationnels :

- l’organisation de la structure et de la hiérarchie gouvernementale ainsi que la

définition d’une partie des fonctions des membres du Gouvernement, lesquelles se

sont progressivement sédimentées au cours de l’Histoire de France et ce, dès l’Ancien Régime593

;

- l’organisation du Conseil des ministres, héritier du Comité des ministres qui préparait le Conseil du Roi sous l’Ancien Régime et dont les principaux rites actuellement en vigueur ont été initiés sous la Ve République par la pratique du général de Gaulle594

;

- l’organisation des cabinets ministériels595, lesquels sont nés à l’époque du Consulat sous la forme de « secrétariats intimes » ou « secrétariats particuliers » mais dont l’organisation actuelle a été inspirée par un décret de 1948 progressivement tombé en désuétude pour laisser place à une organisation coutumière, modifiée seulement à la marge596

;

- l’organisation du secrétariat général du Gouvernement, dont la naissance coïncide avec celle de la présidence du Conseil597, présente également un caractère coutumier598.

593

Cf. infra Partie 1, Titre 2, Chapitre 1 & 2. Faut-il rappeler que la fonction de « président du Conseil » s’est développée de manière coutumière avant d’être consacrée par le constituant de 1958 ? De même, sait-on que Richelieu ou Mazarin portaient le titre de « ministre principal » mais que le titre de « ministre » a été créé officiellement par la loi du 25 mai 1791 en remplacement du titre attribué coutumièrement de secrétaire d’État du Roi ?

594 Cf. infra Partie 1, Titre 1, Chapitre 1, Section 2, §1.

595 L’organisation des cabinets ministériels relève des pratiques gouvernementales alors que les cabinets en tant que tels s’apparentent à des institutions coutumières.

596 Cf. infra Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 1.

597 Cf. infra Partie 2, Titre 1, Chapitre 1, Section 2.

598 Sur ce point, cf. spéc. : F. BONINI, L’histoire d’une institution coutumière : le secrétariat général du

d) Les rares domaines organisationnels régis par des conventions de la Constitution

À lire le professeur Avril, trois cas peuvent être rangés dans la catégorie des conventions de la Constitution s’agissant de l’organisation gouvernementale :

- la convention consistant pour le Premier ministre à rendre sa démission au

président de la République si celui-ci la lui demande. « En l’espèce on peut

mentionner la démission de M. Debré le 14 avril 1962 qui constitue un précédent d’autant plus significatif qu’elle donna lieu à la publication au Journal officiel du 16 de la lettre du Premier ministre et de la réponse du Président de la République »599. Autrement dit, en période de concordance des majorités, en dépit de l’article 8 al. 1 C, le Premier ministre est obligé de remettre sa démission dès lors que le Président lui retire sa confiance600. Michel Jobert a même révélé que le général de Gaulle exigeait de ses Premiers ministres qu’ils lui remettent au moment de leur nomination, une lettre de démission en blanc, non datée, de sorte qu’il puisse les révoquer à tout moment601

; - la convention obligeant le président de la République à nommer comme Premier

ministre, en période de cohabitation, le chef désigné par la nouvelle majorité parlementaire602

;

- la convention permettant au président de la République d’arrêter l’ordre du jour

du Conseil des ministres. « Le règlement de 1947 toujours en vigueur prévoit que le

projet d’ordre du jour est préparé à Matignon, puis soumis au chef de l’État qui l’arrête en tant qu’il préside le Conseil ; avant 1958, il s’agissait d’une formalité, le Président pouvant simplement formuler un avis sur le projet qu’il était appelé à ratifier, désormais il décide du contenu, d’ailleurs préalablement arrêté en concertation entre le secrétaire général du Gouvernement et celui de la présidence. Juridiquement, rien n’est changé, mais les rapports sont inversés au fond, puisque c’est l’activité normative du Gouvernement qui est ainsi contrôlée par l’Élysée : projets de loi, décrets en conseil des ministres, nominations aux emplois supérieurs ne peuvent aboutir qu’avec l’accord – et souvent à l’initiative – du chef de l’État. En d’autres

599

P. AVRIL, « Application de la notion de convention de la Constitution », in Écrits de théorie

constitutionnelle et de droit politique, op. cit., p. 99 & 106.

600 Sur ce point, cf. spéc. : B. MATHIEU & M. VERPEAUX, « 1962-1992-2002 : pour une périodisation institutionnelle », RFDC, 2002, n°53, p. 38-39.

601

Dans un article à la revue Pouvoirs, il a en effet écrit : « Je tenais de Georges Pompidou que le général de Gaulle s’était prémuni contre une telle surprise en demandant à ses premiers ministres une lettre de démission non datée » (M. JOBERT, « Le partage du pouvoir exécutif », Pouvoirs, 1978, n°4, p. 9).

602 Sur le « code de la cohabitation », cf. P. AVRIL, « Dérogation à la dérogation », in Écrits de théorie

termes, sous des formes inchangées, la fixation de l’ordre du jour est devenue, par convention, l’un des instruments majeurs du gouvernement présidentiel »603. Si les conventions de la Constitution ne concernent pas directement les questions organisationnelles, cette troisième convention de la Constitution est tout à fait fondamentale s’agissant de l’organisation du Gouvernement sous la Ve République car elle conduit à un partage de l’autonomie organisationnelle du Gouvernement avec le chef de l’État.

L’autonomie organisationnelle du Gouvernement, voilà bien l’hypothèse qui nous interpelle ici…

*

Au regard de ces coutumes, pratiques et conventions mais également en considération des autres règles qu’il dégage pour s’ordonnancer et dont nous venons de réaliser le