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Une autonomie partagée résultant de l’inconsistance de la Constitution et du silence de la loi

L’AUTONOMIE VARIABLE DU GOUVERNEMENT EN MATIÈRE ORGANIQUE

B. Une autonomie partagée résultant de l’inconsistance de la Constitution et du silence de la loi

« Le Président de la République et son Premier ministre sont entièrement libres de leurs choix, aucune contrainte juridique ne venant limiter cette prérogative, traduction de la doctrine gaulliste de l’indépendance de l’Exécutif »688. Sous la Ve

République, aucun texte ne fixe en effet la structure gouvernementale si bien que, sous réserve qu’il soit exercé en

sont souvent rétrocédés par la majorité au Gouvernement, ce qui laisse supposer que les limites juridiques peuvent s’effacer devant les nécessités politiques et qu’elles ne sont parfois que des barrières de papier.

681 Sur cette question, cf. spéc. : P. JAN (Dir.), Le Gouvernement de la Cinquième République, op. cit., p. 14-15 & J.-É. GICQUEL, « Gouvernement », Fascicule du JurisClasseur administratif, 4 janvier 2012, §8.

682 Article 183 de la Constitution portugaise du 2 avril 1976 : « Le Gouvernement est composé du Premier ministre, des ministres et des secrétaires et des sous-secrétaires d’État ».

683 Article 44-1 de la Constitution du 17 février 1983 : « Les ministères sont institués par décret royal. Ils sont placés sous la direction d’un ministre ». L’article 46 dispose par ailleurs que « Des secrétaires d’État peuvent être nommés et révoqués, par décret royal ».

684

Article 154 de la Constitution du 2 avril 1997 : « Le Président de la République désigne le Président du Conseil des ministres qui propose les membres du Conseil des ministres ».

685 Article 60 de la Constitution du 1er mars 2000 & Article 68 : « Le gouvernement comprend des ministères en nombre suffisant (…). Le nombre maximum de ministères et les principes généraux relatifs à leur constitution sont fixés dans une loi ».

686 Article 77 de la Constitution du 17 octobre 1868 : « Le Grand-Duc nomme et révoque les membres du Gouvernement ». Or, on est ici dans un cas un peu intermédiaire. Si l’article 76 dispose que « le Grand-Duc règle l’organisation de son Gouvernement », il précise en même temps que le Gouvernement « est composé de trois membres au moins ». Il est pire contrainte.

687 Article 1er de la Constitution du 28 février 1974 : « Le Gouvernement se compose du Premier ministre (Staatsminister) et des autres ministres ».

commun par le Président et le Premier ministre, « ce pouvoir est inconditionnel »689 (1). Tout au plus l’article 8 C pose-t-il les modalités de nomination du Gouvernement (2).

1. L’absence de dispositions juridiques spécifiques fixant la structure gouvernementale

Sans nul doute l’organisation gouvernementale dépend-elle totalement « du bon vouloir »690 du chef de l’État et du Premier ministre. En l’absence d’obligations constitutionnelles et législatives règne « une certaine anarchie dans la structure gouvernementale »691.

L’inconsistance et le silence des textes sont manifestes : les modalités de composition du Gouvernement ne sont nullement mentionnées ni à l’article 34 C ni dans une quelconque loi organique, les seules obligations explicites consistant à nommer un Premier ministre à la tête du Gouvernement (Art. 8, al. 1 C), un ministre en charge de la Justice (Art. 65, al. 8 et 9 C) et un ministre des Finances qui dispose d’un « statut quasi-constitutionnel »692 (Art. 38 de la LOLF)693.

D’un point de vue politique cependant, il va sans dire que la formation d’un Gouvernement doit être en adéquation avec la majorité siégeant à l’Assemblée nationale. Quand bien même, sous la Ve République, le Gouvernement existe juridiquement dès sa nomination sans avoir besoin d’une investiture ou d’un vote de confiance694

, le Président et le Premier ministre doivent en effet toujours constituer une équipe qui puisse recueillir le soutien durable de l’Assemblée nationale.

689

G. CARCASSONNE, La Constitution, loc. cit. En effet, « la structure du Gouvernement dépend, en droit positif, du décret du Président de la République contresigné par le Premier ministre » (O. GOHIN, Droit

constitutionnel, loc. cit.).

690 J.-L. QUERMONNE, L’appareil administratif de l’État, op. cit., p. 55.

691 M. LASCOMBE & X. VANDENDRIESSCHE, « La réforme de l’Etat, réforme du Gouvernement ? », loc.

cit. Sur les incohérences de la structure gouvernementale, cf. également : M. LASCOMBE, Le droit

constitutionnel de la Ve République, 12e éd., L’Harmattan, Logiques juridiques, 2012, p. 101.

692 J. GICQUEL, « Le ministre des Finances dans le cadre de la réforme des finances publiques », in M. BOUVIER (Dir.), Réforme des finances publiques, démocratie et bonne gouvernance, Actes de la Première université de printemps des finances publiques, LGDJ, 2004, p. 47. En effet, « bien que la Constitution de 1958 ne fasse pas allusion au ministre des Finances dans ses différents articles, l’article 37 de l’ordonnance de 1959 puis l’article 38 de la loi organique de 2001 ont précisé que le ministre des Finances est chargé, sous l’autorité du Premier ministre, de préparer le projet de loi de finances » (A. BAUDU, Contribution à l’étude des pouvoirs

budgétaires du Parlement en France, Éclairage historique et perspectives d’évolution, Dalloz, Bibliothèque

parlementaire et constitutionnelle, 2010, p. 325).

693 Il faut toutefois souligner que les parties législatives des codes en vigueur font souvent mention de certains portefeuilles ministériels en posant par exemple que « le ministre chagé de « l’éducation » ou « de la défense » doivent prendre telle ou telle mesure. Sur ce point, cf. infra Partie 1, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §2.

694 Il s’agit ici d’une manifestation du « parlementarisme négatif » défini par le professeur Le Divellec (in A. LE DIVELLEC, « Vers la fin du « parlementarisme négatif » à la française ? Une problématique introductive à l’étude de la réforme constitutionnelle de 2008-2009 », Jus Politicum, n°6, 2011).

En vérité, la seule base juridique relative à la confection du Gouvernement doit être recherchée dans le laconique article 8 de la Constitution, qui traite strictement de la question de la nomination du Gouvernement.

2. Une base juridique fondatrice pour la composition du Gouvernement : l’article 8 al. 2 de la Constitution

La liberté du duo exécutif en matière d’agencement du Gouvernement procède de l’article 8 al. 2 C en vertu duquel le président nomme les membres du Gouvernement sur la proposition du Premier ministre695.

Ce texte est si elliptique que le chef de l’État et le Premier ministre peuvent composer le Gouvernement de manière absolument discrétionnaire. Mieux, le décret présidentiel de nomination des membres du Gouvernement est considéré comme un acte de gouvernement (CE, 16 septembre 2005, Hoffer)696, de même qu’il conduit à l’entrée en fonction immédiate des membres du Gouvernement sans attendre sa publication au journal officiel (Cons. Const., 6 septembre 2000, Hauchemaille)697.

Cela étant, il s’agit ici d’une autonomie partagée. En effet, la latitude organisationnelle du Gouvernement fait l’objet d’une subtile partition entre le chef de l’État et le Premier ministre, ce dernier se voyant reconnaître une certaine marge d’autonomie, variable selon la configuration politico-institutionnelle.

C. La marge d’autonomie variable du Premier ministre résultant de son « pouvoir de proposition » tiré de l’article 8 al. 2 de la Constitution

Juridiquement, l’autonomie dans la composition du Gouvernement est partagée entre le président de la République et le Premier ministre pour deux raisons. D’une part, la nomination d’un Gouvernement s’apparente à une procédure de codécision dans laquelle « le Premier ministre propose et le président dispose »698. D’autre part, la nomination des membres du Gouvernement, autres que le Premier ministre, ne fait pas partie des pouvoirs

695

« Cette catégorie de décrets permet de faire connaître la structure gouvernementale retenue par le président de la République et le Premier ministre » (T. RENOUX & M. de VILLIERS (Dir.), Code constitutionnel, op. cit., p. 519).

696

CE, 16 septembre 2005, Hoffer, Rec. p. 691.

697 Cons. Const., n°2000-26 REF du 6 septembre 2000 précitée. Monsieur Hauchemaille soutenait que deux ministres (MM. Vaillant et Paul) n’étaient pas encore nommés officiellement le 31 août 2000 et qu’ils avaient pourtant contresigné un décret. Le Conseil constitutionnel répondit que la nomination de MM. Vaillant et Paul avait produit ses effets dès la signature du décret présidentiel de nomination (le 29 août) et qu’ils exerçaient donc régulièrement leurs fonctions ministérielles le 31 août 2000 (Dans le même sens, cf. également : Cons. Const., n°2002-19 ELEC du 22 mai 2002 précitée ; CE, 29 janvier 1965, Sieur Mollaret et Syndicat national des

médecins, chirurgiens et spécialistes des hôpitaux publics, Rec. p. 61 ; CE, 10 janvier 1958, Deville, Rec. p. 27).

propres du chef de l’État qui est donc obligé de recueillir le contreseing du chef du Gouvernement au bas du décret de composition du Gouvernement pour que celui-ci ne soit pas entaché d’inconstitutionnalité.

Politiquement, la marge d’autonomie du Premier ministre dans la mise en place d’un nouveau Gouvernement est proportionnelle à la configuration constitutionnelle :

En période de concordance des majorités, le Président participe souvent activement à la composition du Gouvernement et dispose même parfois des moyens politiques d’imposer au Premier ministre une très grande partie de l’équipe ministérielle699

, comme a encore pu le révéler la récente formule de Manuel Valls - « Le président vous a choisi »700 - à l’endroit de Bernard Cazeneuve. Néanmoins, une forte autonomie du Premier ministre n’est pas exclue à l’image de ce qui s’est produit pour la constitution des Gouvernements Fillon ou Ayrault ces dernières années701.

Lors d’une cohabitation, l’autonomie du Premier ministre tourne presque à l’indépendance, l’article 8 al. 2 C retrouvant sa pleine portée juridique et le Président n’ayant vraiment son mot à dire qu’en ce qui concerne les nominations régaliennes relevant de son présumé « domaine réservé »702. Qu’on en juge : « mon degré d’autonomie dans la constitution du Gouvernement, témoigne Lionel Jospin, a été total, sauf sur deux postes que sont le poste de ministre des affaires étrangères et le poste de ministre de la défense où, conformément au pouvoir du président de la République, son accord était nécessaire. J’ai soumis à Jacques Chirac deux noms :

699 Ce premier moment de la vie du couple exécutif est généralement un bon indicateur de la volonté d’émancipation ou du comportement de sujétion du résident de Matignon. « De l’importance des choix que lui impose le président de la République va dépendre le rôle réel qu’il pourra jouer en particulier lorsqu’il lui appartiendra d’arbitrer les conflits entre ministres. C’est sans doute dans le rôle joué par le Premier ministre dans la composition du Gouvernement que l’on peut le plus facilement déduire si le Chef du Gouvernement est destiné à jouer un rôle par la suite » (M. LASCOMBE, Le droit constitutionnel de la Ve République, op. cit.,

p. 102). Pour autant, cette assertion ne s’est pas toujours vérifiée. Si Michel Rocard s’est vu ordonner la nomination de nombreux ministres à des postes clés par le Président Mitterrand, il est parvenu par la suite à imposer sa marque politique dans de nombreux domaines « délaissés » par le chef de l’État (Pour s’en convaincre, cf. spéc. : J.-P. HUCHON, Jours tranquilles à Matignon, Grasset, 1993, chapitres II et III).

700

Cf. Le Figaro du 2 avril 2014.

701

François Fillon a tenu à préciser que : « contrairement à ce que les gens pensent, il y a plus de membres du gouvernement correspondant à des propositions que j’ai faites ou à des choix que j’ai défendus que ce qui est écrit ici ou là. Nous n’avons pas eu de sujet de désaccord. C’est-à-dire que le président de la République ne m’a imposé personne dont je n’aurais pas voulu » (R. BACQUÉ, L’enfer de Matignon, Albin Michel, 2008, p. 55). Un témoignage d’Alain Vidalies, ancien ministre chargé des relations avec le Parlement du Gouvernement Ayrault, illustre l’autonomie dont a pu disposer le Premier ministre d’alors : « Il se trouve que je connaissais depuis longtemps Jean-Marc Ayrault et c’est lui qui m’a téléphoné pour me faire cette proposition » d’entrer au Gouvernement (Cf. B. MATHIEU & A. DELCAMP, « Le ministre chargé des relations avec le Parlement »,

op. cit., p. 345).

702 Sur ce point, cf. spéc. : G. CARCASSONNE, « Le Premier ministre et le domaine dit réservé », Pouvoirs, 1997, n°83, p. 65-74.

Hubert Védrine pour les affaires étrangères. Il m’a immédiatement donné son accord. Il m’a demandé un petit délai pour se renseigner sur Alain Richard, qu’il connaissait moins bien et que je voulais nommer au ministère de la Défense. Mais lors de notre deuxième rencontre, il m’a également donné son accord »703

.

Au vrai, en traitant de la confection du Gouvernement par prétérition, l’article 8 C laisse une grande marge de manœuvre au Premier ministre qui peut proposer au Président l’architecture gouvernementale qui lui semble la plus adéquate. C’est en effet « au Premier ministre et à lui seul704, mais en accord avec le président de la République dans tous les cas, y compris en période de cohabitation, qu’il appartient de définir la structure – d’ailleurs, évolutive – du Gouvernement »705.

§2 – Une autonomie se manifestant dans la construction de l’architecture