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À l’évidence, l’autonomie constitue moins « une force absolue » qu’« une certaine liberté de faire certaines choses »622, l’autonomie d’une institution et du droit régissant celle-ci ne pouvant qu’être relative, c’est-à-dire forte (1), moyenne (2) ou faible (3), sans quoi l’on parlerait d’indépendance et non plus d’autonomie.

1. L’autonomie forte : la pleine autonomie organisationnelle

Il y a « pleine autonomie » lorsque le Gouvernement décide lui-même de son organisation, ce qui est le cas dans trois hypothèses :

- La pleine autonomie conférée explicitement par la Constitution, la loi et/ou la

jurisprudence. D’une part, il s’agit des cas où des droits organisationnels précis ont

été reconnus au Gouvernement par le constituant623, par le législateur624 et par les juges625 pour régir et/ou protéger son organisation et son fonctionnement internes. D’autre part, il s’agit des cas où des habilitations constitutionnelles626

, législatives627 et/ou jurisprudentielles628 générales confèrent un plein pouvoir d’auto-organisation au Gouvernement, ce dernier étant habilité à s’organiser de manière autonome.

- La pleine autonomie résultant du caractère vague ou incomplet de la

Constitution, de la loi et/ou de la jurisprudence. Il s’agit des cas où il existe des

habilitations constitutionnelles629, législatives630 et/ou jurisprudentielles631 très imprécises desquelles le Gouvernement peut inférer qu’il dispose d’un plein pouvoir organisationnel dans un domaine particulier. Autrement dit, la Constitution, la loi et/ou la jurisprudence restent vagues ou incomplètes (droit secundum legem) si bien que le Gouvernement peut créer son propre droit creatio ex materia pour s’organiser

622 R. HERTZOG, « L’autonomie en droit : trop de sens, trop peu de signification ? », op. cit., p. 458.

623 Cf. par ex. : Article 21 C.

624

Cf. par ex. : Article 6-2° de la loi du 17 juillet 1978 qui dispose que ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte « au secret des délibérations du Gouvernement ».

625 Cf. par ex. : Actes de gouvernement.

626

Cf. par ex. : Article 37 C.

627 Cf. par ex. : LOLF.

628 Cf. par ex. : Principe de séparation des pouvoirs.

629 Cf. par ex. : Article 20 C.

630

Cf. par ex. : Exposé des motifs de la loi du 24 novembre 1945 reconnaissant le principe selon lequel il appartient au pouvoir réglementaire de fixer l’organisation des ministères.

631 Cf. par ex. : Reconnaissance par le Conseil constitutionnel du fait que le Gouvernement dispose « d’un domaine qui lui est réservé (…) dans les conditions de sa propre organisation et de son fonctionnement interne » (Cons. const., n°82-142 DC précitée).

par voie réglementaire ou non écrite (c’est-à-dire par le biais de pratiques, coutumes ou conventions).

- La pleine autonomie résultant du silence de la Constitution, de la loi et/ou de la

jurisprudence. Il s’agit des cas où il n’existe aucune habilitation constitutionnelle,

législative et/ou jurisprudentielle, ce qui permet au Gouvernement de mettre en œuvre

ex nihilo certaines dispositions réglementaires ou certaines pratiques (devenant parfois

au fil du temps de véritables coutumes) pour régir certains domaines de son organisation et son fonctionnement internes632. Autrement dit, la Constitution, la loi et/ou la jurisprudence ne prévoient rien dans un domaine particulier, demeurent totalement silencieuses (droit praeter legem), ce qui autorise le Gouvernement à s’auto-organiser par voie réglementaire ou non écrite.

Dans certains domaines organisationnels, la Constitution, la loi, la jurisprudence ou le droit non écrit contraignent le Gouvernement à partager son autonomie avec le chef de l’État, qui est l’institution politique placée au sommet du pouvoir exécutif français

2. L’autonomie moyenne : l’autonomie organisationnelle partagée

Il y a autonomie partagée chaque fois que des dispositions constitutionnelles, législatives, jurisprudentielles et/ou des coutumes prévoient que les membres du Gouvernement, en particulier le Premier ministre, doivent partager leurs prérogatives organisationnelles avec le Président de la République, c’est-à-dire codécider avec lui, étant entendu que cette codécision tourne tantôt à l’avantage du Gouvernement, tantôt à l’avantage du Chef de l’État, tout spécialement en fonction de la configuration politico-institutionnelle.

Juridiquement, l’autonomie organisationnelle partagée se manifeste principalement dans les quatre cas suivants :

- Le cas des décrets en Conseil des ministres portant sur des matières relatives à

l’organisation du Gouvernement (ex : décrets d’attributions des ministres ou décrets

de nomination des hauts fonctionnaires). Formellement, au titre de la jurisprudence

Meyet633 (CE, Ass., 10 septembre 1992), il s’agit de décrets du président de la

République. Or, matériellement ces décrets sont préparés, contresignés et exécutés par le Premier ministre et/ou le ou les ministre(s) responsable(s).

632 Cf. par ex. : l’absence de règle constitutionnelle, législative ou jurisprudentielle en matière de structuration du Gouvernement. Par ailleurs, sur les silences constitutionnels et législatifs, cf. supra §2, A, 1, c & 2, c.

- Le cas des décrets individuels signés par le président de la République et contresignés par le Premier ministre, en particulier les décrets de nomination (ex : décrets de composition du Gouvernement634 ou décrets d’intérims ministériels). De tels décrets peuvent également parfois être contresignés par le ou les ministre(s) responsable(s) (ex : décret de nomination d’un haut fonctionnaire ne devant pas être pris en Conseil des ministres635). En revanche, les décrets simples du Président intervenant en matière réglementaire, en dehors des cas énumérés dans la Constitution, sont considérés comme des décrets du Premier ministre selon une jurisprudence constante (CE, 27 avril 1962, Sicard)636.

- Le cas des pratiques, coutumes et conventions liées à l’organisation du

Gouvernement et imposées par le président de la République. Sous la Ve

République, le chef de l’État, du fait de sa prééminence politique, a profondément influencé l’organisation politique du Gouvernement. L’exemple le plus évident concerne l’organisation des Conseils se tenant à l’Élysée, à commencer par le Conseil des ministres.

Si le constituant, le législateur et le juge partagent parfois l’autonomie organisationnelle, il arrive qu’ils ne s’inscrivent pas uniquement dans une logique d’habilitation mais aussi dans une logique de prescription organisationnelle. En d’autres termes, certains domaines organisationnels sont très contraints par des normes extérieures. Pour autant, dans les marges, malgré les contraintes imposées, le Gouvernement parvient parfois encore à sécréter son propre droit organisationnel.

3. L’autonomie faible : l’autonomie organisationnelle résiduelle

Il y autonomie résiduelle chaque fois que la Constitution, la loi et/ou la jurisprudence posent des contraintes, des devoirs ou des tempéraments importants à l’autonomie organisationnelle du Gouvernement mais qu’en dépit de ces prescriptions, le Gouvernement

634 Qui peuvent porter sur la démission d’un ministre (Cf. par ex. : Décret du 19 mars 2013 relatif à la composition du Gouvernement, J.O. du 20 mars 2013).

635 L’article 13 al. 3 C et l’ordonnance du 28 novembre 1958 (Ordonnance n°58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État, J.O. du 29 novembre 1958, p. 10687) mentionnent les emplois ou fonctions devant faire l’objet d’une nomination en Conseil des ministres, un décret simple du président de la République étant suffisant pour les autres. Par exemple, « les inspecteurs généraux de l’éducation nationale sont nommés par décret du Président de la République pris sur proposition du ministre chargé de l’éducation nationale, après avis de la commission consultative » (Article 7 du décret n°89-833 du 9 novembre 1989, J.O. du 14 novembre 1989, p. 14121).

parvient à créer son propre droit organisationnel dans les interstices laissés vides par le constituant, le législateur ou le juge.

L’autonomie résiduelle a droit de cité dans divers domaines. Elle concerne d’abord le statut des membres du Gouvernement, lequel est régi par de nombreuses prescriptions supraréglementaires que le Premier ministre a pu ou dû compléter lorsque cela s’avérait nécessaire637. L’autonomie résiduelle se manifeste ensuite dans la définition des fonctions du Conseil des ministres qui sont déterminées essentiellement par le constituant, le législateur et le juge, mais qui sont par ailleurs définies de manière résiduelle par le règlement intérieur du 3 février 1947 et la coutume gouvernementale qui en a résulté. Cette autonomie faible se retrouve également dans la définition des responsabilités communes à tous les membres du Gouvernement en matière de défense, lesquelles sont fixées par la loi conformément notamment à l’article 34 al. 3 C mais largement précisées par voie réglementaire. Enfin, dans les interstices législatifs du droit de la fonction publique, le Gouvernement parvient parfois à fixer lui-même certaines règles organisationnelles, en particulier en matière de rémunération de ses collaborateurs administratifs.

Au total, au regard de cette grille de lecture des différents degrés d’autonomie, il apparaît que la liberté organisationnelle du Gouvernement est graduelle : suivant les domaines, elle peut être pleine, partagée comme résiduelle. Mais, dans toutes ces hypothèses, il est possible d’affirmer que le Gouvernement dispose néanmoins d’un véritable pouvoir d’auto-organisation.