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A. Essai de définition de l’autonomie organisationnelle du Gouvernement

2. Les détenteurs de l’autonomie organisationnelle du Gouvernement

En recourant à l’expression « autonomie du Gouvernement », une difficulté s’invite à la table de l’analyse. Est-ce bien le Gouvernement en tant qu’organe collectif qui est autonome ou s’agit-il davantage d’une autonomie de chacun de ses organes ?

Interrogé par Alexandre Bonduelle, Michel Rocard a apporté un élément de réponse intéressant : « Quant à l’idée d’un droit gouvernemental, avance-t-il, le terme me paraît excessif à défaut d’être tout à fait inexact. Ce droit, s’il existait, aurait une source unique en la personne du Premier ministre »614.

Est-ce à dire que l’autonomie gouvernementale se résume et s’épuise en la personne du chef du Gouvernement ? Rien n’est moins sûr.

À la réflexion, au plan théorique, il se trouve que l’autonomie gouvernementale est toujours le fait du Gouvernement entendu collectivement, en tant qu’organe collégial615 et solidaire616. Autrement dit, quel que soit l’organe gouvernemental qui opère, il dispose toujours de l’autonomie en ce qu’il est une composante organique du Gouvernement et en tant qu’il agit au nom du Gouvernement, ce dernier étant toujours in fine le bénéficiaire de l’autonomie.

Or, le Gouvernement « possède des compétences politiques mais pas de véritable pouvoir juridique de décision : c’est le Premier ministre, ou les ministres, seuls ou à plusieurs,

614 M. ROCARD, Lettre à M. Alexandre Bonduelle du 18 février 1992, in A. BONDUELLE, op. cit., p. 275.

615

L’article 20, al. 1 et al. 2 C ne dispose-t-il pas que c’est le Gouvernement – entendu collectivement – qui détermine et conduit la politique de la Nation et qui dispose de l’administration et de la force armée ?

616 L’article 49 C n’exige-t-il pas une délibération du Conseil des ministres avant tout engagement de la responsabilité du Gouvernement par le Premier ministre ? De même, l’article 22 C n’exige-t-il pas que les actes du Premier ministre soient signés par les ministres chargés de leur exécution ?

qui signent les actes juridiques et en sont donc les auteurs, mais jamais le gouvernement en tant que tel »617.

Dans la pratique, l’autonomie pour régir l’organisation gouvernementale est d’abord exercée par le Premier ministre en sa qualité de chef du Gouvernement, de chef de sa propre administration et de titulaire du pouvoir réglementaire de droit commun (a). De même, l’autonomie organisationnelle peut parfois être confiée aux ministres lorsqu’ils agissent en tant que chefs de leur cabinet ministériel et de leur administration618 (b). Elle peut aussi être déléguée à certains collaborateurs du Gouvernement pour ce qui concerne l’organisation des services dont ils ont la charge619 (c).

a) L’autonomie organisationnelle du Premier ministre

Le Premier ministre est l’organe gouvernemental qui dispose de l’autonomie la plus importante, en particulier au titre des articles 8, 21 et 37 de la Constitution. Il participe à la composition du Gouvernement ; il intervient dans la création et la structuration des organes de délibération gouvernementale ; il concourt à la définition du statut des membres du Gouvernement ; il contribue à la définition des fonctions des membres du Gouvernement et des organes de délibération gouvernementaux ; il définit les effectifs des cabinets ministériels, a autorité sur son propre cabinet et régit les bureaux des cabinets ministériels ; il a autorité pour créer une grande partie des structures chargées de la coordination gouvernementale et des administrations centrales de même qu’il nomme de nombreux collaborateurs de l’administration gouvernementale.

En clair, « toutes les compétences attribuées collectivement au Gouvernement (…) ne s’exercent qu’autant que son chef y participe ou au moins ne s’y oppose pas (…). Ainsi, même lorsqu’il n’est pas explicitement cité, le Premier ministre dans la Constitution, comme Dieu dans le monde selon Kierkegaard, est présent partout incognito »620.

Or, si le Premier ministre dirige le Gouvernement, « il ne le résume pas, et sa signature ne peut remplacer celle d’un ministre »621

.

617 B. MATHIEU, M. VERPEAUX & F. CHALTIEL, Droit constitutionnel, PUF, 2004, p. 422.

618

Cf. spéc. : CE, 7 février 1936, Jamart, Rec. p. 172.

619 Cf. spéc. :CE, 13 novembre 1992, Syndicat national des ingénieurs des études et de l’exploitation de

l’aviation civile et Union syndicale de l’aviation civile C.G.T., Rec., p. 966.

620 G. CARCASSONNE, La Constitution, op. cit., p.127.

b) L’autonomie organisationnelle des autres membres du Gouvernement

Les membres du Gouvernement sont autonomes à plusieurs égards : dans la composition de leurs cabinets ministériels ; dans la fixation de la rémunération des membres des cabinets ministériels et, en partie, dans l’organisation détaillée de leur administration centrale comme dans sa direction.

Qui plus est, le Premier ministre a besoin de leurs contreseings pour un certain nombre de décrets à vocation organisationnelle.

c) L’autonomie organisationnelle des collaborateurs du Gouvernement bénéficiant d’une délégation de signature

Les directeurs de cabinet ministériel, le Secrétaire général du Gouvernement, le Secrétaire général aux affaires européennes, les secrétaires généraux de ministères, les directeurs d’administration centrale, les chefs de service, bref, tous les organes bénéficiant d’une délégation de signature de la part d’un membre du Gouvernement, disposent d’une relative autonomie dans l’organisation de leurs services ou pour mener à bien les missions qui leurs sont dévolues.

Qu’il s’agisse du Premier ministre, des autres membres du Gouvernement ou des membres de l’administration gouvernementale, tous agissent de manière solidaire, « au nom du Gouvernement » qui, au sens constitutionnel, est seul habilité à déterminer et conduire la politique de la Nation (Art. 20 C) et à répondre de ses actes devant la représentation nationale (Art. 20 al. 3, 49 et 50 C).

Ainsi, s’il y a lieu de distinguer analytiquement les différents titulaires de l’autonomie organisationnelle gouvernementale, c’est bien toujours de « l’autonomie organisationnelle du Gouvernement », entendu au sens collectif, dont il s’agit au final.

Aussi, pour vérifier l’hypothèse de l’autonomie organisationnelle gouvernementale est-il nécessaire à présent de proposer une grille de lecture des différents degrés d’autonomie car, comme le dit l’adage, « l’autonomie ne se définit pas ; elle se mesure ».