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A. Typologie des règles générales relatives à l’organisation du Gouvernement

1. Les dispositions constitutionnelles

Bien qu’elle contienne peu de dispositions relatives à l’organisation du Gouvernement, la Constitution du 4 octobre 1958 demeure la « source des sources » du droit de l’organisation gouvernementale260. Aussi, à l’observation minutieuse du texte constitutionnel est-il possible de dégager une liste sommaire des règles contraignant l’organisation du Gouvernement (a) puis de faire l’inventaire des normes habilitant le Gouvernement à s’auto-organiser (b) avant de mettre en lumière les nombreux silences du constituant autorisant une grande autonomie organisationnelle au Gouvernement (c).

a) Les dispositions constitutionnelles contraignantes pour le Gouvernement en matière organisationnelle

La Constitution renferme peu de règles contraignantes en matière d’organisation gouvernementale. Cela ne signifie pas, malgré tout, que le constituant n’ait pas imaginé certaines contraintes normatives que le Gouvernement doive respecter.

Les articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) constituent d’abord deux grandes contraintes pour le Gouvernement et son administration. Le premier article permet aux citoyens de suivre la nécessité et l’emploi des dépenses publiques engagées par le Gouvernement tandis que le second pose que la société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration.

Conformément à l’article 8 de la Constitution, relatif à la nomination et à la démission du Premier ministre et du Gouvernement, les actes de naissance et de décès du Gouvernement et de ses membres sont l’apanage du président de la République.

L’article 9 C prévoit que le chef de l’État préside le Conseil des ministres, ce qui contraint le Gouvernement à recueillir son aval dans un certain nombre de domaines. Le texte de 1958 impose précisément qu’un certain nombre de décisions soient obligatoirement soumises à la délibération du Conseil des ministres (art. 13 al. 1 et al. 4 C, art. 36 C, art. 38 al. 2 C, art. 39 al. 1 C, art. 49 al. 1 et al. 3 C, art. 74-1 al. 2 C et art. 76 al. 3 C).

Les articles 19 et 22 de la Constitution rappellent respectivement que les ministres ont le devoir de contresigner certains actes du président de la République et du Premier ministre et contribuent ainsi à l’organisation de la solidarité et de l’efficacité de l’action gouvernementale.

260 L’on a même pu dire qu’elle avait instauré un « déséquilibre normatif en faveur du Gouvernement (P. AVRIL & J. GICQUEL, Droit parlementaire, op. cit., p. 12).

De même, s’il n’y a pas, à proprement parler, de statut constitutionnel des membres du Gouvernement clairement institutionnalisé, les articles 23, 25 al. 2, 53-2, 57 et 71-1 al. 4 C ainsi que le titre X de la Constitution (articles 68-1 à 68-3 C) définissent un régime d’incompatibilité261 et de responsabilité pénale pour ceux-ci.

En outre, dans son travail légistique, le Gouvernement rencontre un certain nombre d’obligations comme celles posées par exemple aux articles 34 C (domaines exclusifs de la loi262), aux articles 39 al. 2 C (consultation du Conseil d’Etat), 70 C (consultation du Conseil économique, social et environnemental), 74 C (consultation des collectivités d’outre-mer), 77 C (consultation des assemblées délibérantes de Nouvelle Calédonie), ou 88-4 C (transmission au Parlement de certains textes de l’UE).

Enfin, la Constitution prescrit que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent au Gouvernement (art. 62 al. 3 C), de même que l’action du Gouvernement est contrôlée par le Parlement (art. 24 al. 1 C), Gouvernement qui est responsable devant l’Assemblée nationale (Art. 20 et 49 C). Autant dire que l’ordre gouvernemental intérieur est dans le collimateur du Parlement et que l’Assemblée nationale a les moyens de faire démissionner un Gouvernement (art. 50 C) pour des questions relatives à cet ordre intérieur. De surcroît, le législateur intervient quelque peu dans la réglementation de l’ordre interne du Gouvernement.

Au-delà de ces prescriptions constitutionnelles, plusieurs normes contribuent à l’érection d’un pouvoir d’auto-organisation du Gouvernement. L’autonomie organisationnelle du Gouvernement est en effet le résultat d’une chaîne d’habilitations constitutionnelles plus ou moins explicites.

b) Les dispositions constitutionnelles habilitant le Gouvernement en matière organisationnelle

La première grande source d’habilitation est l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) qui, en posant le principe de la séparation des pouvoirs, permet d’affirmer que le Gouvernement dispose nécessairement de pouvoirs propres263, comme l’illustrent de nombreuses décisions jurisprudentielles découlant de ce principe264.

261 Un membre du Gouvernement ne peut exercer un mandat parlementaire, être fonctionnaire ou exercer une activité de représentation professionnelle à caractère national ou une activité professionnelle (art. 23 C), être membre du Conseil constitutionnel (art. 57 C) ou Défenseur des droits (Art. 71-1 al. 4C). Sur ce point, cf. infra Partie 1, Titre 1, Chapitre 2, Section 1.

262 Plusieurs dispositions sont de nature à limiter la marge d’action intérieure du Gouvernement : au titre de l’article 34 C, seule la loi peut déterminer le statut des magistrats, le statut des fonctionnaires, l’organisation de la Défense nationale ou le montant des ressources et des charges de l’État.

263 Sachant que « la séparation des pouvoirs n’a jamais été entendue par le Conseil constitutionnel comme purement institutionnelle (…) mais comme une garantie du citoyen, du justiciable » (T. RENOUX & M. DE VILLIERS, Code constitutionnel, loc. cit). Or, dans une décision QPC, le Conseil a rappelé que « le principe de

La deuxième grande source résulte de la combinaison des articles 20 et 21 de la Constitution. L’article 20 prévoit que « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation » et qu’il dispose à cette fin « de l’administration et de la force armée ». Quant à l’article 21 C, il habilite le Premier ministre à diriger l’action du Gouvernement, à assumer la responsabilité de la Défense nationale, à assurer l’exécution des lois, à exercer le pouvoir réglementaire ainsi que le pouvoir de nomination à certains emplois civils et militaires, sachant qu’il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres. Enfin, cet article envisage que, le cas échéant, le Premier ministre puisse suppléer le président de la République dans la présidence des conseils et des comités de défense prévus à l’article 15 C.

Une dernière norme est existentielle pour le droit de l’organisation gouvernementale : l’article 37 alinéa 1 C qui octroie au Gouvernement un pouvoir réglementaire autonome dans certaines matières et qui sert de fondement, comme nous le verrons, à de nombreux décrets régissant l’organisation de l’administration gouvernementale.

Sur ces quelques fondements, mais également en raison de nombreux vides constitutionnels, le Gouvernement peut imaginer tous les moyens organiques, fonctionnels et procéduraux nécessaires à l’efficacité de son action.

c) Les nombreux silences du texte constitutionnel en matière organisationnelle

La Constitution est relativement silencieuse au sujet de l’organisation politique et administrative du Gouvernement.

 Les silences de la Constitution en matière d’organisation politique du Gouvernement Tout d’abord, la Constitution ne régit ni la composition, ni la structure gouvernementale, pas même la question des attributions des membres du Gouvernement. Certes, comme il a déjà été relevé, le texte constitutionnel évoque à diverses reprises les « ministres », les « membres du Gouvernement » ou le « ministre de la Justice », mais reste totalement mutique quant à la composition et à la structure exactes du Gouvernement, lesquelles sont laissées à la co-discrétion du chef de l’État et du Premier ministre. Quant aux

la séparation des pouvoirs s’applique à l’égard du président de la République et du Gouvernement » (Cons. const., n°2011-192 QPC du 10 novembre 2011, Mme Ekaterina B., épouse et autres (Secret défense), Rec. p. 528).

attributions des membres du Gouvernement, elles ne figurent pas non plus dans la Constitution265 mais sont définies par voie réglementaire.

Ensuite, la Constitution reste silencieuse sur de nombreux aspects du statut des membres du Gouvernement. Bien que cette question soit l’un des rares domaines où la Constitution pose des règles contraignantes, les Premiers ministres successifs ont dû poser eux-mêmes de multiples règles pour compléter les droits et devoirs de leurs ministres et secrétaires d’État.

Enfin, la Constitution est pour le moins vaporeuse s’agissant du régime juridique des organes de délibération politiques du Gouvernement, à commencer par le Conseil des ministres. L’article 9 C évoque l’existence d’un Conseil des ministres présidé par le chef de l’État, sans aucune autre précision sur l’organisation de ce Conseil, laquelle est complètement laissée à la discrétion de l’Exécutif266. Mieux, la Constitution ne comprend aucune règle concernant les Conseils ministériels, les Comités interministériels ainsi que les réunions ministérielles, lesquels sont pourtant les organes de délibération politiques du Gouvernement. En conséquence, les modalités de leur création, de leur structuration comme leurs fonctions ont dû été définies par le pouvoir réglementaire et la pratique et la coutume gouvernementales. Tel est également le cas de nombreux organes administratifs du Gouvernement.

 Les silences de la Constitution en matière d’organisation administrative du Gouvernement

La Constitution ne contient aucune règle concernant la structuration, la composition, la nomination, le statut et les fonctions des cabinets ministériels et de leurs membres, lesquels apparaissent pourtant comme la première composante organique de l’administration gouvernementale.

Par ailleurs, la Constitution ne comporte aucune disposition relative à la création, la structuration et les fonctions des administrations d’état-major chargées de la coordination du travail gouvernemental tels que, par exemple, le Secrétariat général du Gouvernement (SGG), le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) ou le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Du reste, elle ne fait pas davantage mention des réunions interministérielles qui représentent pourtant le « mode le plus courant du travail

265

À l’exception du contreseing des articles 19 et 22 C et de la participation du ministre de la Justice au Conseil supérieur de la magistrature qui est prévue à l’article 65 C.

266 Si la Constitution impose qu’un certain nombre de dispositions soient prises en Conseil des ministres (Art. 13 al. 1 et al. 4 C, art. 36 C, art. 38 al. 2 C, art. 39 al. 1 C, art. 49 al. 1 et al. 3 C, 74-1 al. 2 C et art. 76 al. 3 C), les grandes fonctions du Conseil des ministres ont été définies par la coutume gouvernementale.

gouvernemental »267. Ces services du Premier ministre « du premier cercle »268

et ces organes de délibération, indissociables de l’organisation gouvernementale, sont en réalité régis par les précédents gouvernementaux et/ou par voie réglementaire.

De même, la Constitution ne comprend aucune disposition régissant la création, la structuration et les fonctions des administrations centrales alors que l’article 2 du décret du 1er juillet 1992 dispose qu’elles « participent à l’élaboration des projets de loi et de décret et préparent et mettent en œuvre les décisions du Gouvernement et de chacun des ministres »269. Dans ce domaine, l’autonomie organisationnelle du Gouvernement est donc totale.

Il est tout à fait conséquent que la Constitution reste silencieuse sur ces aspects car elle n’a pas vocation à tout prévoir. Une bonne Constitution doit rester courte. D’ailleurs, les constitutions étrangères sont également relativement silencieuses au sujet de l’organisation administrative de leur appareil gouvernemental. Or, il est intéressant de faire constater l’absence de dispositions constitutionnelles dans ce domaine pour mettre en lumière les espaces d’autonomie qui ont pu être laissés au Gouvernement afin qu’il puisse s’organiser. Face à de tels vides juridiques, il a dû façonner de manière autonome son propre droit organisationnel à chaque fois que le législateur restait également muet.