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Chapitre 2 : Revue de littérature sur le Peak Car le Peak Car

2. Les causes possibles du Peak Car

2.1. Les précurseurs au débat : l’idée de saturation

On trouve plusieurs travaux précurseurs au débat sur le Peak Car qui mettent en avant une saturation possible de la mobilité automobile. Mais les causes amenant à ce plafonnement sont très différentes : le besoin de motorisation et d’usage est limité, le report vers des modes plus rapides et la décroissance de l’utilité marginale des déplacements.

2.1.1. Un seuil du besoin de motorisation et d’usage

De façon générale, les modèles de prévision du trafic reposent souvent sur l’hypothèse implicite de croissance infinie de la mobilité et ne prévoient pas de plafonnement à venir. Cependant, ces modèles tendent à surestimer la demande future. Goodwin (2012) montre l’exemple de la Grande Bretagne (Graphique 8) où on observe très clairement une tendance systématique au cours du temps à surestimer les tendances de long terme de l’usage automobile dans les modèles de prévision de trafic.

Graphique 8 - Comparaison des prévisions du Department for Transport (département exécutif du gouvernement britannique chargé des transports) avec la croissance du trafic observé

Source : Goodwin (2012)

Ces modèles, que ce soit dans leurs prévisions hautes ou basses, prévoient à chaque fois une hausse importante du trafic automobile. Or, la courbe réelle de la mobilité automobile montre nettement un plafonnement qui s’opère avec le temps. Le même type de tendance se retrouve aussi en Nouvelle-Zélande où les prévisions projettent une hausse continue du trafic routier alors que la circulation automobile tend à se stabiliser (Curran, 2014). Il y a donc une certaine saturation de l’usage automobile dont les prévisions gouvernementales britanniques ou néozélandaises ne rendent pas compte.

Pourtant, il existe des travaux précurseurs, notamment en Grande-Bretagne qui abordent directement la question de la saturation de la motorisation et de l’usage automobile. Cette intuition vient de l’idée

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qu’il existe un seuil « naturel » qui correspond au besoin de possession de voiture et d’usage. A partir du moment où tout le monde a une voiture, il n’y a pas besoin d’en posséder davantage, ce qui crée donc à terme une saturation. De même pour les déplacements, le besoin est limité ; une fois ce besoin satisfait la demande devrait tendre à se stabiliser. L’estimation de ces seuils passait principalement par l’estimation de formes fonctionnelles sigmoïdes.

L’idée de la saturation dans les prévisions de trafic remonte aux années 1950 et 1960 avec notamment les travaux de J. Tanner en Grande Bretagne. Un niveau de saturation été estimé en utilisant le temps comme variable indépendante. La vitesse de convergence vers le seuil et le niveau de saturation étaient aussi influencés par les revenus ou le prix des carburants. Dans les années 1970, Tulpule (1973) a réalisé des prévisions de long terme de la motorisation et du kilométrage en Grande Bretagne de 1974 à 2010 en utilisant une sigmoïde comme forme fonctionnelle. Ces projections se révèlent exactes et très proches des valeurs prises au cours du temps. Cependant, cela ne voulait pas dire que les hypothèses, méthodes et paramètres utilisés étaient tous exacts et des erreurs compensées pouvaient amener à des prévisions justes. Jugée critiquable, la méthode a été abandonnée à la fin des années 1980 car elle ne tenait que peu compte des déterminants de la mobilité et cette forme fonctionnelle contraignaient l’impact des différents facteurs explicatifs. En effet, cette méthode est tirée d’analyse de série temporelle et non directement d’une analyse économétrique.

Plus récemment, Gargett dans un rapport pour le BITRE (2012) a lui aussi estimé des seuils de saturation spécifiques dans 25 pays occidentaux à l’aide d’une spécification sigmoïde en incluant des variables économiques (revenu et prix du carburant). En France, quelques travaux ont estimé des seuils de saturation pour la motorisation et l’usage en utilisant une forme fonctionnelle de type Chapman-Richards. Ils distinguent entre autre la population selon le niveau de vie et incluent le prix des carburants comme facteurs explicatifs (Collet et al., 2012 ; Grimal et al., 2013).

2.1.2. Report de la demande vers des modes de plus en plus rapides

L’idée de saturation de la motorisation et de l’usage peut aussi émerger de visions différentes et notamment être liée au budget temps de déplacement. Pour Schafer et Victor (2000), il y a une forte élasticité de la distance totale parcourue, tout mode confondu, par rapport au revenu, c’est-à-dire que la distance augmente avec la hausse du revenu. Comme le revenu augmente au cours du temps, la distance de déplacements augmentera elle aussi. Cependant, le temps total de déplacement est stable, autour d’une heure par jour et par personne (Zahavi et al., 1980). Les individus voulant continuer à augmenter leurs déplacements, cela conduit à un transfert des modes les plus lents vers les plus rapides, d’abord des modes lents (à pied notamment) vers la voiture, puis de la voiture vers les transports ferrés plus rapides et l’avion afin de pouvoir compenser la stabilité du budget temps de déplacements. La voiture a déjà supplanté les transports en commun et la marche comme mode dominant. Selon les auteurs, il en sera de même pour l’avion qui est plus rapide. Ce mode remplacera la voiture pour un grand nombre de déplacements et l’usage automobile se stabilisera et déclinera par

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la suite. Ils suggèrent un pic d’usage individuel en Amérique du Nord autour de 2010 et une baisse dans les pays de l’OCDE dans leur ensemble. De plus, cette prédiction a été faite avant la stagnation et la baisse du trafic automobile. Bien que cette prévision soit controversée, elle s’appuie beaucoup sur la prévision d’une forte hausse du trafic aérien.

Comme on peut le constater dans le cas de la France sur le Graphique 9, l’utilisation des modes a évolué au cours du temps passant des chevaux aux chemins de fer (tramway) puis à la voiture et aux bus. Les modes de plus en plus rapides ont donc remplacé les plus lents avec le temps. On remarque aussi que de nouveaux modes plus rapides arrivent récemment : l’aérien et le TGV. Ces modes sont en train de pénétrer le marché et leur utilisation est en forte hausse et pourrait supplanter à terme l’automobile, du moins pour les déplacements longue distance. En effet, la demande de transport aérien est loin d’être arrivée à saturation et n’est pas concernée par le Peak Travel. Le transport aérien a été le seul mode à continuer à progresser lors de la crise à partir de 2008 (Crozet et Lopez-Ruiz, 2013).

Graphique 9 - Historique de la distance moyenne quotidienne parcourue par personne selon les modes en France

Source : Marchetti (1994)

2.1.3. L’utilité marginale des déplacements est décroissante

Metz (2010) lie aussi la saturation des déplacements automobile à la stabilité du budget temps de déplacements. Selon lui, le nombre de destinations possibles pouvant être atteintes augmente avec la hausse de la distance parcourue ce qui fait augmenter l’utilité. Cependant, la hausse de l’utilité augmente de moins en moins vite à mesure que l’on s’éloigne des destinations les plus proches. De plus, comme le budget temps de déplacement est constant (Zahavi et al., 1980), il y a une résistance à se déplacer de plus en plus loin car une destination plus lointaine entraîne un temps de déplacement plus long. L’élasticité-revenu positive diminue à cause de la contrainte de temps de déplacement. La

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distance totale de déplacements tend donc à saturer et la distance totale de déplacements automobile aussi. Autrement dit, la saturation de la demande pour les déplacements quotidiens est due à l’utilité marginale décroissante des déplacements additionnels couplée à un budget-temps stable ce qui tend à limiter l’attractivité de nouveaux déplacements ou des déplacements plus lointains. En effet, si l’on a un supermarché à proximité, augmenter la distance de déplacements permettra d’atteindre d’autres supermarchés, ce qui fera augmenter l’utilité mais de moins en moins car on a déjà un ou plusieurs supermarchés à proximité ; donc se déplacer de plus en plus loin pour un nouveau supermarché est de moins en moins intéressant et entraîne un coût de temps de déplacement de plus en plus important. D’où une stabilité des déplacements en voiture qui finit par être atteinte.

2.2. Décorrélation entre la croissance de la mobilité et la croissance des