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Chapitre 2 : Revue de littérature sur le Peak Car le Peak Car

2. Les causes possibles du Peak Car

2.8. Le déclin de la mobilité automobile chez les jeunes

La baisse du taux de permis, de la motorisation et de l’usage automobile chez les jeunes est l’une des raisons de la stagnation de la mobilité automobile au niveau agrégé. Cependant, il existe de nombreuses causes influençant ce changement de tendance chez les jeunes et que l’on peut retrouver dans les différentes causes évoquées dans cette section 3.

2.8.1. Baisse du passage du permis

Au cours des dernières décennies, les jeunes adultes de nombreux pays développés ont tendance a de moins en moins passer et obtenir le permis de conduire. La baisse du passage du permis chez les jeunes a d’abord été reconnue en Suède et en Norvège où le taux de permis a chuté de plus de 10% chez les jeunes entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990. Cependant, la tendance générale à la réduction du passage du permis n'a été identifiée que récemment dans de nombreux pays et les causes sont encore à peine explorées (Delsbosc et Currie, 2013).

Sivak et Schoetle (2012) ont examiné les changements récents dans le pourcentage de personnes ayant un permis de conduire dans 15 pays en fonction de l'âge. Ils observent une baisse du pourcentage de jeunes ayant un permis de conduire et une augmentation du pourcentage de personnes âgées ayant un permis de conduire dans 8 de ces pays (Etats-Unis, Canada, Japon, Corée du Sud, Norvège, Suède, Grande Bretagne, Allemagne). L’intervalle de temps de l’analyse est différent selon les pays et dépend des sources de données qui ne sont pas harmonisées.

Kunimhof et al. (2012) mènent aussi une comparaison du taux de permis chez les jeunes dans plusieurs pays industrialisés en utilisant des pays similaires à Sivak et Schoetle (2012). Le taux de permis des jeunes est en baisse aux Etats-Unis, Norvège, Grande Bretagne, Japon, Allemagne, France. Là aussi, les intervalles d’âge et de temps diffèrent selon les pays. Néanmoins, cela permet de voir que le passage du permis diminue chez les jeunes dans de nombreux pays depuis plus d’une dizaine d’années voire même beaucoup plus dans certains pays. Delbosc et Currie (2013) qui ont regroupé les principaux travaux sur le permis chez les jeunes montrent que le taux moyen de baisse est de 0,6% par an dans les pays cités ci-dessus.

En France, la part des détenteurs du permis est aussi en baisse dans plusieurs grandes agglomérations. A Lyon, le taux de permis est en légère baisse de 2% chez les 18-24 ans entre 1995 et 2009 et stagne chez les 25-29 ans (Pantieri et al., 2014). A Grenoble, sur des données plus récentes (2002-2010), la

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tendance est plus prononcée avec une baisse des détenteurs du permis de 10% chez les hommes de 18-25 ans et de 14% chez les femmes du même âge (Licaj et al., 2014).

Une des raisons principales au non passage du permis de conduire est due au coût du permis et de la voiture en général. En Grande Bretagne, l’enquête nationale sur les déplacements de 2010 (National Travel Survey) s’est intéressée aux raisons pour lesquelles les gens choisissent de ne pas conduire. Dans les groupes d'âge les plus jeunes, les facteurs de coût restent le principal obstacle à l'apprentissage de la conduite. Parmi ceux âgés de 17 à 20 ans, 54% ont mentionné le « coût de l'apprentissage de la conduite » comme raison, 34% ont déclaré le « coût de l’assurance » et 33% le « coût de l'achat d'une voiture ». Lorsqu'on leur a demandé la raison principale, la majorité des 17-20 ans disaient « coût de l'apprentissage de la conduite » (38%). Pour la classe d’âge 21-29 ans, ce sont les mêmes raisons qui reviennent en priorité ainsi que la disponibilité des autres modes de déplacements. Noble (2005) fait aussi ce constat. En France, la fin du service militaire obligatoire pour les hommes en 1997 a eu pour effet la baisse du taux de permis chez les jeunes (Avrillier et al., 2010). En effet, le service militaire permettait souvent de passer le permis gratuitement auparavant. Une des conséquences a été la baisse de l’écart du taux de permis entre homme et femme du fait de la suppression de cette opportunité pour les hommes. La possession du permis chez les hommes a baissé et notamment pour ceux vivant en zones urbaines.

Une autre raison évoquée est liée aux « phases de la vie » (life stage) des individus. Si un jeune est étudiant ou travaille à temps partiel, il est moins probable qu'il ait un permis que s'il a un emploi à temps plein. Par exemple, Au Royaume-Uni, 58% des jeunes adultes titulaires d'un emploi à temps plein étaient titulaires d'un permis, contre 38% avec un emploi à temps partiel et 32% des étudiants (Delbosc et Currie, 2013 ; Noble, 2005). De même, les jeunes indépendants (vivants hors du cercle familial) ont plus de chance d’avoir le permis de conduire. Comme il y a eu un allongement de la durée des études, cela a augmenté le nombre d’étudiants et réduit l'emploi à temps plein chez les jeunes adultes. Ces causes sont susceptibles de réduire la capacité financière et le besoin de passer le permis et d’avoir une voiture (Delbosc et Currie, 2013 ; Noble, 2005).

Un autre facteur est lié à la localisation résidentielle des jeunes et à l’offre de transport. Comme évoqué dans la sous-section 2.6., il y a une tendance à la réurbanisation favorisant une meilleure accessibilité pour la population. Ce mouvement de localisation urbaine se retrouve notamment chez les jeunes qui ont plus tendance à vivre en ville ou en proche banlieue, notamment dans les villes universitaires (Davis et al., 2012 ; van der Waard et al., 2013). Dans ces zones urbaines, les jeunes sont moins susceptibles d'avoir un permis de conduire par rapport à ceux vivant dans des zones moins denses (Licaj et al., 2012 ; Noble, 2005 ; Raimond et al., 2010). Les jeunes en zone urbaine ont un recourt plus important aux modes alternatifs comme aux Etats-Unis (Davis et al., 2012) et en France (Licaj et al., 2014 ; Pantieri et al., 2014). En Grande Bretagne « circuler sans conduire » est une raison courante invoquée pour ne pas avoir de permis (Noble, 2005 ; NTS, 2010).

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Les influences comportementales (attitudes) pourraient aussi avoir un rôle, sur lequel nous reviendrons plus en détails dans la sous-section 2.10). La conscience environnementale pourrait favoriser la baisse du passage du permis et de l’usage automobile, notamment parmi les nouvelles générations, notamment celles qui ont suivi des études longues. Cependant les résultats sont assez contrastés et les études suggèrent que les attitudes environnementales sont peu susceptibles d'être un contributeur majeur à cette tendance (Delbosc et Currie, 2014)

Enfin, on peut trouver le rôle des technologies de l’information et de la communication (TIC), sur lequel on reviendra plus en détails dans la sous-section 2.9. Les communications électroniques (e-communications) avec lesquelles les nouvelles générations sont plus familières, pourraient remplacer une partie des contacts en face à face. Cependant, là aussi les travaux faisant le lien entre TIC et mobilité arrivent à des résultats assez différents, montrant que l’effet demeure encore incertain.

2.8.2. Baisse de la motorisation et de l’usage

Une autre condition préalable à la conduite est l'accès à une voiture, habituellement une voiture personnelle ou un véhicule partagé au sein du ménage. Kuhnimhof et al. (2012) se sont intéressés à la disponibilité automobile chez les jeunes. La disponibilité automobile est entendue comme la présence conjointe de la détention du permis de conduire au niveau individuel et d’une voiture au niveau du ménage. Hormis au Japon, la disponibilité automobile est en baisse chez les jeunes (20-29 ans) dans les pays France, Norvège, Royaume-Uni, Allemagne et Etats-Unis, au tournant des années 2000. La baisse après 2000 est particulièrement prononcée en Allemagne, en Norvège et en Grande-Bretagne. A noter que la baisse de la possession de voiture chez les jeunes est même en repli dès les années 1980 et 1900 en France et en Norvège. Dans la plupart des pays, la disponibilité automobile a plus décliné chez les hommes que chez les femmes. Alors que dans les années 1970 et 1980, la disponibilité automobile était beaucoup plus élevée chez les hommes, il y a eu une forte baisse de l’écart de motorisation homme/femmes du fait du rattrapage de la mobilité féminine et de la baisse de la possession automobile des hommes. De plus, l'augmentation de la disponibilité globale de voitures chez les jeunes japonais est due à la hausse continue de la disponibilité de voitures pour les jeunes femmes. En France, à Lyon entre 1995 et 2006, la part des jeunes (18-24 ans) sans voiture est en hausse (de 20% à 24% de ménages non équipés) et pour les 25-29 ans, la part passe de 12% à 19% (Pantieri et al., 2014). A Grenoble entre 2002 et 2010, le pourcentage de ménages non équipés de 16 à 34 ans augmente de 46% (passant de 11% à 16% de ménages sans voiture) (Licaj et al., 2014).

Concernant l’usage automobile, aux Etats-Unis, Davis et al. (2012) montrent que de 2001 à 2009, le nombre annuel de miles parcourus par les jeunes (16 à 34 ans) a diminué de 23%, passant de 10 300 à 7 900 miles par personne. Ils rapportent que pour ce même groupe d'âge, le nombre de déplacements est en baisse de 15% sur la période et que la portée des déplacements est en moyenne plus courte de 6% en 2009 par rapport à 2001. En regardant seulement les conducteurs âgés de 16 à 20 ans, le kilométrage annuel est tombé de 13 50 km en 2001 à 11 200 km 2009, soit une baisse de 21%. La

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mobilité automobile a seulement augmenté de 2001 à 2009 dans les groupes d’âge de plus de 65 ans. Selon eux, ce changement de tendance est durable même si la conjoncture économique venait à s’améliorer.

A Lyon, entre 1995 et 2006, le nombre de déplacements en voiture de jeunes de 18-24 a baissé de 30% et de 36% pour les 25-29 ans. A Grenoble, la baisse est de 23% chez les 16-34 ans entre 2002 et 2010 (Pantieri et al., 2014 ; Licaj et al., 2014).

En plus du permis et de la disponibilité automobile, Kuhnimhof et al. (2012) se sont intéressés à la mobilité des jeunes. La distance quotidienne moyenne de déplacements en voiture a diminué dans la plupart des pays étudiés, encore une fois surtout pour les hommes. En France, au Japon et surtout aux Etats-Unis, la diminution des déplacements en voiture a entraîné une réduction du nombre total de déplacements quotidiens des jeunes voyageurs. La baisse du nombre de voyages en voiture a été partiellement compensée en Grande-Bretagne et complétement compensée en Allemagne par une utilisation accrue de modes de transport alternatifs.

Comme l’usage automobile est la conséquence du passage du permis et de la baisse de la disponibilité automobile, on retrouve les mêmes causes qui influencent le non passage du permis de conduire : Coût de l’automobile, inutilité de posséder une voiture du fait de la localisation résidentielle, facteurs psychologiques (conscience environnementale), nouvelles technologies. En complément, Kuhnimhof et al. (2012) établissent différentes causes possibles. On trouve un report vers les autres modes de transports et des comportements plus multimodaux, notamment chez les hommes. On note l’influence des politiques publiques qui découragent l’usage de la voiture au profit des autres modes. Il y a aussi le développement significatif de l’offre de transports à longues distances alternatifs et de leurs prix abordables (Avion low-cost, TGV). Cela pourrait avoir un impact indirect sur la possession en décourageant la détention automobile car une partie de gens possèdent une voiture non pas pour leurs déplacements quotidiens de courte distance mais pour de la longue distance de façon moins régulière. Or, l’émergence sur longue distance de modes alternatifs (covoiturage,…) pourraient réduire le besoin de possession et donc d’usage de la voiture. Enfin, les auteurs abordent aussi les facteurs psychologiques et les nouvelles technologies.

En définitive, les preuves attestant du déclin du taux de permis, de la possession et de l’usage automobile chez les jeunes sont en général encore faibles et préliminaires mais elles suggèrent des causes multiples plutôt qu'une seule influence (Delbosc et Currie, 2013). On voit en effet que les causes sont diverses et se retrouvent dans les causes plus généralement évoquer pour expliquer le Peak Car.

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