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ACCOMPAGNEMENT DE FIN DE VIE ET SIDA

ISABELLE MILLIOUD

IV. LES PERTES ET LA VERITE

Au fond, on pourrait résumer toutes ces modifications, comme des pertes, non seulement dans le sens où la personne va perdre sa vie, mais différentes pertes. La perte de l'estime de soi : souvent ce sont des personnes qui vraiment perdent l'estime d'elles-mêmes et pour qui l'aide doit viser à garder cette estime, même si elles n’ont plus qu'un tout petit corps rabougri dans un lit. Il y a la perte de son autonomie; c'est extrêmement difficile à vivre de demander toujours de l'aide, pour la moindre petite chose car on n'est plus du tout autonome. Perte des relations avec les autres, perte du statut social, de l'identité, d'un rôle, la perte d'un futur commun. Pour le patron, la perte de l’entreprise qu’il a crée : elle continuera dans le futur mais sans lui. Pour une famille, si c'est un père ou une mère de famille avec des enfants jeunes qui se prépare à s'en aller, c'est un futur commun qui n'existe plus. Il faut y réfléchir en famille parce qu'il n'y aura plus de prochains anniversaires, plus de prochain Noël, les études des enfants, le mariage des enfants, les enfants des enfants... Ce futur qui dynamisait toute l'existence, il s'estompe et disparaît…

Je voudrais juste dire quelques mots au sujet de la vérité. Il faut toujours évaluer ce que la personne est capable d'entendre et de comprendre. Il y a différentes théories au niveau médical et des médecins estiment qu’on DOIT dire la vérité. Je pense qu'on DOIT la vérité au patient mais on ne doit pas forcément la dire toujours de la même manière, parce que dire ou asséner la vérité, ça peut être une condamnation. Par contre pour le patient, demander des renseignements sur son état, sur le diagnostic, sur ses chances, et recevoir la vérité, ça c'est un cheminement précieux. Il y a donc de très grandes nuances à avoir dans la manière dont est faite l'annonce et nous nous heurtons parfois à certains médecins qui sont sûrs que c'est leur devoir de dire des choses très difficiles, sans préparation et sans mettre des gants : ils "envoient" la nouvelle, sans précaution, comme ça, mais c'est une baffe pour le patient. On récolte énormément de patients en fin de vie qui ont appris leur diagnostic et leur pronostic d'une manière que je trouve inacceptable. Il

faut donc prendre du temps pour faire savoir à un malade ce qui l'attend réellement, sans fausser la réalité, mais sans non plus asséner une nouvelle insupportable. Les patients sont fort différents les uns des autres et certains malades ne sont pas curieux, comme s'ils ne voulaient pas savoir. Il faut respecter cette attitude aussi. Iil viendra un moment où il posera des questions; il faut alors bien écouter la question et répondre de la même manière, de la bonne manière. Ce qui est important, c'est que chaque malade puisse faire son propre cheminement et d’éviter que la nouvelle ne constitue un choc, parce que s'ils reçoivent un choc, il leur faut du temps pour récupérer.

V. DE L'AIDE

L'histoire de vie du patient nous permet d'entrer dans une relation aidante et fait appel à l'écoute, maître mot dans cette relation que nous pouvons avoir avec lui. L'histoire de vie, ce n'est pas le livre qu'il écrit sur la vie, ce n’est pas un testament, c'est simplement le patient qui se raconte, qui va donner un sens à ce qu'il a vécu, à ce qu'il est en train de vivre et à la manière dont il aborde ses derniers jours; ça va aider la personne soignée à cheminer, à reconstituer sa vie. Son histoire de vie, ça n'est pas la vérité de la vie, c'est le sens qu'on lui donne, ça fait partie de sa recherche de sens. La vérité du patient ça n'est pas la vérité une, unique et révélée, c'est sa vérité, autrement dit, c'est l'importance qu'il apporte à certains faits, à certaines relations et à certains épisodes de son existence. Et pour un soignant c'est extrêmement important de bien écouter l'histoire de vie du patient, parce que se raconter, pour le patient, c'est une revalorisation de sa personne. Et se raconter, ça peut prendre des jours, c'est parfois deux mots pendant la toilette qu'on lui fait, c'est, une semaine après, un petit bout de plus sur son histoire de vie, mais c'est extrêmement précieux dans un cheminement et pour nous, c'est déterminant pour comprendre ce qu'il vit, ce qu'il vit là dans cette période très dure, par rapport à ce qu'il a vécu pendant 20, 30, 50, 80 ans.

L'accompagnement de ces personnes en fin de vie s'appelle "soins palliatifs". Les patients, ce sont des personnes qui se préoccupent de la fin de leur existence terrestre, qui savent que s’il n'y a plus de traitement curatif pour eux, il y a encore beaucoup à faire pour qu'ils aient une fin de vie confortable et digne. C’est notre rôle d'infirmier/infirmière auprès des patients et de leur entourage. Donc dans le verbe accompagner, il y a une idée de mouvement, on se joint à quelqu'un pour aller où il va, à son rythme, pas plus vite, on ne le tire nulle part, c'est nous qui allons avec lui là où il va, et pas en retrait non plus.

Du côté du soignant c'est faire connaissance, c'est mettre à plat nos préjugés, c'est être authentique, c'est se montrer ouvert par rapport à l'histoire de vie d'un

patient, parce que dans son histoire de vie, il y aura probablement des événements ou des révélations qui peuvent nous choquer, il a peut-être fait ou accompli des choses dans sa vie qui ne sont pas conformes à notre conception de la vie, à nos principes ou à notre morale. Il faut donc se montrer ouvert à l'histoire de vie du patient et aimer la vie surtout.

Accompagner c'est aller vers les membres de la famille, c'est les informer sur le diagnostic, sur les risques qu'il y a, sur ce qui peut se passer à domicile car ces personnes veulent mourir à domicile. C’est les informer sur notre manière de travailler, sur notre activité, sur notre disponibilité aussi, parce que dans le centre où je travaille il y a toujours une infirmière atteignable 24h/24h, 7 jours/7jours. C'est très important pour les familles de savoir que s'ils ont une simple question à poser à 2h du matin, une question qui génère de l'angoisse chez eux parce quelque chose va un petit peu de travers, - la perfusion ne va pas bien par exemple, la respiration qui change un peu, - pour ces petites choses élémentaires, ils doivent oser appeler, savoir qu'il n'y a jamais de questions bêtes même à 2h du matin et que l'infirmière de garde dort mieux si elle sait que l'appel qu'elle va recevoir et la conversation qu'elle va avoir rassurera le patient ou les siens. Il n'y a jamais d'appel anodin, parce que ce n'est jamais anodin une famille qui ose téléphoner pendant la nuit et c'est notre message d'informer les malades (et leurs proches) d'utiliser cette permanence de garde, dès qu'ils en ressentent le besoin.

Dans l'accompagnement il faut sonder l'attitude des familles par rapport à leur possibilité d'accompagner à domicile ; il faut être attentif à un éventuel sentiment de toute-puissance que la famille peut faire ressentir au patient du fait qu'il est accompagné chez lui ou alors un sentiment de redevance de la personne qui effectue l'accompagnement. Il y a parfois des membres de la famille ou des amis qui se sentent tellement redevables à la personne qui est en train de partir qu'ils vont trop en faire. Le patient ne va même plus pouvoir "souffler". Il faut donc prendre en compte ces éléments dès le départ et éviter cette espèce de dette morale du patient ou de l'entourage. Cette évaluation de la prise en charge doit se faire de manière très naturelle et tout en respectant le patient. Il faut reconnaître les forces présentes, coordonner les interventions, garder toujours la bonne distance avec chacun, rester dans un rôle professionnel, faire preuve de franchise, donner de l'information, prendre garde pendant tout l'accompagnement à la manière dont on répond au besoin, que ce soit un besoin du patient ou un besoin de la famille.

Entre un besoin, un désir et sa réalisation, il faut laisser un espace, il faut laisser un peu de temps. Si on anticipe tout, si on va au devant de toutes les demandes il n’y a plus de place pour des désirs. Souvent les patients peuvent entrer dans des grandes colères parce qu'ils n’ont même plus l'espace pour demander un tout petit quelque chose. Les patients peuvent être excédés par une attention trop exacerbée de leurs proches, par leur volonté de bien faire, de tout proposer. Les

patients n'ont même plus envie d'exprimer un souhait et ils en souffrent. Le désir, ça peut paraître tout bête mais le désir ça permet aussi d'avancer dans ce cheminement.