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vers l'Algérie

2.2.1.3 Les parrains Pélissier et Vaillant

A la comète de 1861

Bel astre voyageur, hôte qui nous arrives

Des profondeurs du ciel et qu’on n’attendait pas, Où vas-tu ? Quel dessein pousse vers nous tes pas761 ?

Au début de l'été 1861, une comète lumineuse et de grande ampleur traverse les cieux762. Cette apparition marque les esprits, la comète étant visible à l’œil nu. Si elle inspire la poétesse Louise Ackermann, elle est aussi à l'origine d'un échange épistolaire entre les maréchaux Vaillant et Pélissier.

La comète est venue surprendre tout le monde à Paris comme à Alger, mieux encore dans la grande ville que dans votre résidence, attendu notre supériorité en latitude. Nos propres astronomes ont été bafoués763.

La découverte a été tellement subite dans l'hémisphère nord que Vaillant narre à son vieux compagnon d'arme Pélissier que son propre cocher a vu la comète au même moment que Goldschmidt de l'observatoire de Paris. À Alger aussi Bulard est pris au dépourvu et la presse s'en étonne.

La comète dont notre dernier numéro a signalé l'apparition sur notre ville continue d'étaler, chaque soir, sa longue chevelure. Nous regrettons d'autant plus de ne compter aucun astronome parmi nos rédacteurs que l'absence de renseignements venant de l'Observatoire d'Alger nous place dans l'impossibilité de dire les motifs de la course irrégulière de cette comète, d'expliquer la cause du retard qu'elle met chaque soir à paraître et de la déclivité de son mouvement764.

761 Ackermann Louise, 1893, Poésies. Premières poésies. Poésies philosophiques, Paris, Alphonse Lemerre, p.59, (4e ed).

762 La comète C/1861J1 ou Comète Tebbutt fut une des comètes les plus lumineuses du XIXe siècle. Sur sa découverte par l’astronome amateur australien John Tebbutt et la controverse qui s’en suivit, voir : Orchiston W., 1998, « Illuminating incidents in antipodean astronomy : John Tebbutt and the great comet of 1861 », Irish Astronomical Journal, 25(2), p.167-178.

763 LAS de Vaillant, ministre de la Maison de l'Empereur, Palais du Louvre, le 8 juillet 1861, à Pélissier, Gouverneur général de l'Algérie. 235AP/4 : papiers Maréchal Pélissier. Archives Nationales.

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Quand Vaillant évoque « nos astronomes », deux lectures peuvent être faites de cette désignation. Elle peut signifier les astronomes travaillant pour l’État, ou en France, et le « nos » a alors une dimension nationaliste. Mais ce possessif peut aussi être entendu dans le sens où les deux maréchaux considèrent que ces savants sont peu ou prou à leur service. Le ministre Vaillant est à l'Académie des sciences, au Bureau des longitudes et s'entretient régulièrement avec Le Verrier. Le gouverneur général Pélissier considère Bulard comme un de ses faire-valoir, alors qu'il vient tout juste d'obtenir le principe de la gestion directe de l'observatoire depuis le mois de juin.

Dès l'apparition de la comète dans le ciel algérois, Pélissier a commandé un rapport à « son » astronome. Bulard s'exécute le 2 juillet 1861 :

En réponse à la demande que Son Excellence a bien voulu m'adresser au sujet de la belle comète qui vient nous visiter. J'ai l'honneur de lui adresser les observations qui ont été faites à l'Observatoire765.

Son observation, faisant suite à une analyse des conditions d'observation et à une description de la morphologie de l'astre à l’œil nu, est la mesure de la position de la comète le 1er juillet 1861 lors de son passage au méridien. Pélissier envoie cette mesure à Vaillant qui lui répond : « je vais montrer vos observations766 » à Le Verrier.

Bulard fera preuve pendant tout l'été 1861 de beaucoup de servilité vis-à-vis de son autoritaire parrain. Dans son rapport du 2 juillet, se plaignant de la précarité de son installation, il propose au Gouverneur général de venir placer son télescope de 33 centimètres dans le jardin du palais et de lui transmettre des bulletins réguliers de l'évolution de l'astre. Il conclut :

J'attendrai que Son Excellence m'ait fait savoir son désir et je me trouverai heureux de pouvoir être à sa disposition767.

Au début du mois d'août, Pélissier demande urgemment à Bulard un rapport complet sur le mouvement de la comète.

Lorsque Son Excellence m'a fait l'honneur hier soir de me demander une note sur la Comète, je n'ai pas pris au sérieux l'heure de 4 heures du matin, parce qu'il était

765 LAS de Bulard Charles, « astronome de l'Observatoire d'Alger », le 2 juillet 1861, à M. le Maréchal Pélissier, Gouverneur Général. 235AP/4 : papiers Maréchal Pélissier. Archives Nationales.

766 LAS de Vaillant, ministre de la Maison de l'Empereur, Palais du Louvre, le 8 juillet 1861, à Pélissier, Gouverneur général de l'Algérie. 235AP/4 : papiers Maréchal Pélissier. Archives Nationales.

767 LAS de Bulard Charles, « astronome de l'Observatoire d'Alger », le 2 juillet 1861, à M. le Maréchal Pélissier, Gouverneur Général. 235AP/4 : papiers Maréchal Pélissier. Archives Nationales.

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impossible de faire le travail. Mais en quittant hier soir Son Excellence m'ayant donné jusqu'à 6 heures du matin, j'ai pu faire un travail un peu plus considérable et mieux soigné768.

L'astronome travaille toute la nuit à dresser des cartes des champs stellaires traversés par la comète et à dessiner l'aspect de sa chevelure à différentes époques769. Un ensemble de six planches à l'encre et à la peinture sont conservées dans les papiers du maréchal Pélissier aux Archives Nationales770. [Illustration 8 : La comète de 1861, observations de Bulard pour le Gouverneur général Pélissier] Une note adjointe aux planches commente l'évolution de l'astre et sa position aux différentes dates.

En 1862, Pélissier et Vaillant sont à nouveau en relation pour annoncer au monde la découverte par Bulard d'une nouvelle comète.

Une dépêche télégraphique datée d'Alger, le 2 août 1862, quatre heures vingt-cinq minutes du soir, et envoyée par le gouverneur général maréchal duc de Malakoff au maréchal Vaillant, membre de l'Institut, porte que la veille, à neuf heures cinquante-cinq minutes du soir, M. Bulard a découvert une comète dans la constellation Girafe par six heures d'ascension droite et 17 degrés de distance polaire nord. Dans le chercheur, cette comète présente un noyau assez considérable avec une queue très transparente771.

Vaillant s'assure que la découverte « française » de la comète soit portée au crédit de l'observatoire d'Alger772.

Lorsque Bulard présente tardivement ses observations astronomiques de l'éclipse de l'été 1860 à la séance de l'Académie des sciences du 16 septembre 1861, son mémoire s'achève par un hommage à son protecteur :

Qu'il me soit permis en terminant d'exprimer ici ma gratitude pour la protection que M. le Maréchal Pélissier a bien, voulu accorder à mes travaux ; sous son puissant

768 LAS de Charles Bulard, Observatoire d'Alger, à M. le Maréchal, Gouverneur Général, Alger le 6 août 1861. 235AP/4 : papiers Maréchal Pélissier. Archives Nationales.

769 Aspects pour le 12 juillet, 13 juillet, 28 juillet, 2 août, 5 août et positions comparées du 6 juillet et du 5 août 1861.

770 235AP/4 : papiers Maréchal Pélissier. Archives Nationales.

771 Anonyme, 1862, « Faits divers », Journal des Débats politiques et littéraires, Mardi 5 août 1862, p.2.

772 Bulard Charles, 1862, « Astronomie – Observations de la comète II de 1862 faites à Alger. Étude physique de la planète Mars. », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, tLV, p.879-881.

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patronage j'espère mettre à profit la sérénité du ciel africain ; et rendre quelques services à plusieurs branches de l'astronomie773.

Ce mémoire est confié à une commission académique bienveillante à l'égard de Bulard composée de Babinet, Faye et Delaunay, opposants notoires à l'action de Le Verrier et qui sont les relais de ses travaux à l'Académie.

Un autre relais des travaux de Bulard à Paris est le maréchal Vaillant. Depuis son entrée à l'Académie des sciences en 1853, le maréchal y présente des notes et mémoires de savants « algériens » comme Millon, Hardy, Le Mulier ou Bulard774. Les thèmes de ces travaux sont assez variés : vers à soie, culture du coton, maladie de la vigne, tremblement de terre ou comètes. En décembre 1862, Bulard s'adresse à lui, par l'intermédiaire de Pélissier, pour présenter ses travaux devant l'Académie :

Si vous voulez bien me faire l'honneur de les examiner je vous prierais également de les présenter à l'Institut ou de les faire présenter. Monsieur Le Verrier avec qui nous sommes toujours en bonnes relations, s'y intéresserait peut-être davantage s'il les présentait lui-même. Votre Excellence fera à cet égard comme Elle jugera convenable775.

Il utilise aussi cette correspondance pour rappeler au ministre l'état de sa situation, en attente de la construction d'un observatoire. Vaillant présente finalement lui-même les observations de l'astronome algérois devant l'assemblée savante776.

Bulard travaille d'arrache-pied et dans de mauvaises conditions pour satisfaire la curiosité cométaire du maréchal gouverneur de l'Algérie. Mais l'astronome bénéficie néanmoins de la bienveillance de Pélissier pour « son » astronome. Dès le mois de mai 1861, le Gouverneur général de l'Algérie a demandé au ministre Rouland, alors toujours responsable de l'observatoire d'Alger, le titre de directeur pour Bulard.

Quant à Mr Bulard, je demande pour lui le titre de Directeur avec un traitement de 4 000 fr, qui me paraît indispensable pour qu'il puisse vivre honorablement et d'une

773 Bulard Charles, 1861, « Astronomie. Eclipse totale de soleil du 18 juillet 1860, observée à Lambessa, province de Constantine », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, tL.III, p.512.

774 Voir la liste des présentations de Vaillant devant l'Académie dans : Académie des sciences, 1870, Table générale des comptes rendus des séances de l'Académie des sciences (Tomes XXXII à LXI – 6 janvier 1851 à 30 décembre 1865), Paris, Gauthier-Villars, p.587-590.

775 LAS du 2 décembre 1862 de Bulard, Observatoire d'Alger, à Maréchal Vaillant, ministre de la Maison de l'Empereur. Pochette de séance du 15 décembre 1862. Archives de l'Académie des sciences.

776 Vaillant Maréchal, 1862, « M. le Maréchal Vaillant présente un Mémoire de M. Bulard », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, tLV, p.879.

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manière conforme à sa position. Je le considère comme un savant plein de zèle, ne demandant pas mieux que demander utilement son activité au profit de la science777.

L'Instruction publique renonçant finalement à la « station » d'Alger, le Gouverneur général promeut lui-même « son » astronome, au grand regret du recteur Delacroix.

J'ai dû conclure de toutes ces circonstances que Mr le Gouverneur Général exerçant ici des pouvoirs ministériels, avait abrogé l'arrêté pris par le Ministre de l'Algérie le 18 avril 1859, et nommé Mr Bulard Directeur de l'Observatoire.

Quoique le bulletin officiel des actes du Gouvernement n'ait pas fait mention jusqu'ici de cette décision, je crois que Votre Excellence peut la considérer comme prise778.

Ce titre, s'il est discuté au sein de l'administration de l'Instruction publique, ne passe pas inaperçu auprès des relais parisiens de l'observateur d'Alger comme témoignent les louanges de l'abbé Moigno dans Cosmos :

Maintenant qu'il est nommé directeur titulaire de l'observatoire d'Alger avec de beaux instruments et des appointements honorables, il pourra suivre avec succès sa noble vocation et devenir le Raphaël des cieux779.

En rejoignant la tutelle du gouvernement général de l'Algérie, Bulard bénéficie d'une amélioration de son statut administratif et d'un meilleur traitement. Il se trouve néanmoins traité comme un serviteur par Pélissier. L'articulation militaire Pélissier-Vaillant permet à Bulard d'accéder à la publication aux Comptes rendus de l'Académie des sciences.

En quittant l'Instruction publique, l'astronome d'Alger a définitivement coupé avec Le Verrier. Si Bulard feint, dans ses contacts avec Vaillant, une relation normale avec le directeur de l'observatoire de Paris, son réseau académique et ses soutiens parisiens sont des opposants désormais affichés à l'action du maître de l'astronomie française. De nouveau, les sciences de l’observatoire en Algérie sont entre les mains des militaires.

777 LAS n°1209 du 13 mai 1861 du Gouverneur général maréchal Pélissier au ministre de l’Instruction publique. Archives Nationales F17/20303/A. Dossier biographique Bulard.

778 LAS du 18/08/1861 du recteur Delacroix de l'Académie d'Alger au ministre de l’Instruction publique Rouland. Archives Nationales F17/20303/A. Dossier biographique Bulard.

779 Moigno Abbé François, 1861, « Académie des sciences. Séance du lundi 16 septembre 1861 », Cosmos, t19, p.330.

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2.2.2 Pratiquer l'astronomie physique sous