• Aucun résultat trouvé

Aimé, « le jeune physicien de l'Algérie »

1.3.1.2 Le collège d'Alger et son observatoire

Le collège d'Alger, a été créé quelques années après le débarquement et la prise d'Alger. Il est le cœur du dispositif civil pour le développement de l'instruction publique et des sciences dans les territoires conquis.

L'institution fut créée le 25 avril 1835 pour l'enseignement secondaire à Alger. Le local initial était situé rue des Trois-Couleurs mais en 1838, l'année où Aimé arrive, il est transféré vers Bab

284 Julien C.-A., 1979, Histoire…, op. cit., p.136.

285 Franque Alfred, 1844, Lois de l'Algérie du 5 juillet 1830 (occupation d'Alger) au 1er janvier 1841, Paris, Corréard, p.390-392.

71

Azoun287, dans une ancienne caserne de janissaires288, Dar el Inguechairiya en arabe. Cette caserne, située près de la sortie sud de la ville, au bord de la mer, était dans une zone marchande très animée de la ville. Un manuscrit de Devoulx publié en 2003289, décrit les lieux. Édité par Bedredine Belkadi et Mustapha Ben Hamouche, architectes de l’École polytechnique d'architecture et d'urbanisme d'Alger (EPAU), ce manuscrit unique est conservé à la Bibliothèque nationale d'Algérie. Il fut préparé à la fin du XIXe siècle par Albert Devoulx. Celui-ci espérait postuler au prix de l'Académie algérienne dans le cadre de l'encouragement des recherches historiques relatives à l'érudition archéologique. Joseph Marie Albert Devoulx était conservateur des archives arabes au sein de l'administration des Domaines à Alger290. Né à Marseille le 10 mai 1826, fils d'un colon installé vers 1830, Devoulx est arabophone et passionné de l'histoire d'Alger, sur laquelle il a beaucoup publié jusqu'à sa mort le 17 novembre 1876. Le manuscrit contient 570 pages, format A3, avec dessins, photographies, plans... Une partie du contenu fut publiée dans la Revue africaine sans figure. La partie aujourd'hui considérée comme la plus importante de ce manuscrit est celle consacrée à la ville ottomane précédant l'invasion française, dont Devoulx assiste à la destruction. Ce document est une source incontournable pour les noms de rues, les forts, les palais, les portes, avant et en 1830.

Le collège d'Alger est un établissement qui possède une longue façade sur une des rues principales d'Alger et une cour intérieure.

Les indigènes l'appelaient Dar el Inguechairiya Bab-Azzoun (la caserne des janissaires de la porte d'Azzoun), parce qu'elle touchait presque à cette issue de la ville. On la nommait aussi mais rarement et familièrement, Dar el Lebendjia (la maison des buveurs de petit lait) (...). Sa façade principale, d'un développement de 29,90 mètres, et percée de fenêtres grillées, donnait sur la voie de communication aboutissant à la porte d'Azzoun et était occupée au rez-de-chaussée par des boutiques appartenant à des particuliers. Au-dessus de la porte d'entrée, placée dans cette façade, qui regarde l'Ouest, se trouvait une inscription, turque d'après Berbrugger 291.

287 Melia Jean, 1950, L’Épopée intellectuelle de l'Algérie. Histoire de l'Université d'Alger, Alger, La maison des livres, p.22.

288 Les janissaires sont des soldats de l'infanterie ou miliciens ottomans d'origine diverses.

289 Devoulx A., 2003, El Djazaïr…, op. cit.

290 Les informations biographiques sont extraites de son acte de mariage du 3 février 1852. Registre des mariages Alger 1852 Acte n°18. ANOM.

291 Devoulx A., 2003, El Djazaïr…, op. cit., p.262 ; une description moins précise mais plus vivante, et conforme à celle de Devoulx, est donnée par Julien-Olivier Thoulet (1843-1936), « le patriarche de l'océanographie

72

Berbrugger écrit en 1858 que cette caserne, la plus grande d'Alger, « fut d'abord un hôpital militaire, puis le collège avec la Bibliothèque et le Musée de la ville. Elle se trouve aujourd'hui exclusivement occupée par le Lycée292 ». Une dédicace, inscrite dans la pierre au-dessus de l'entrée, a été enlevée et emportée en France par le premier directeur du collège. Elle indiquait une date de construction de l'édifice de 1551 (JC) ou 958 (H) par le Pacha Abou Mohammed Haçan. La surface au sol de l'établissement était de 1560 m². Le rez-de-chaussée était composé d'une cour rectangulaire d'environ 20m sur 30m bordée d'arcades ; les arcades étaient ogivales et supportées par des colonnes rondes en pierres renforcées à chacun des 4 angles par des piliers en maçonneries. Les anciennes chambres des janissaires y étaient obscures, humides et privées d'air. On accédait au 1er étage par un escalier disposé au milieu de la façade ouest. Cet étage présentait la même disposition architecturale mais « ici l'air et le jour abondaient »293. Sur la gauche de l'escalier se trouvait le bureau du proviseur. Au bout de l'aile à droite, prenait place le cabinet de physique et l'observatoire créé par Georges Aimé.

Georges Aimé participe le 7 août 1838 à la première distribution solennelle des prix du collège, présidée par Lepescheux, inspecteur de l'Enseignement et ancien précepteur des enfants du duc de Rovigo, Gouverneur Général de l'Algérie.

Dès son installation, Aimé s'est doté d'un laboratoire de mesures météorologiques et géophysiques, établi à ses frais. Il en fait état auprès du ministre de la Guerre.

J'ai l'honneur de vous faire savoir que depuis mon installation au Collège d'Alger, comme Professeur de Mathématiques, j'ai fait venir à mes propres frais des instruments de Physique de Paris, qui m'ont permis de commencer, il y a environ trois semaines, un cours de Physique aux élèves du Collège. Ces instruments, et quelques autres que j'ai fait confectionner à Alger, m'ont aussi facilité les moyens d'établir dans la maison du Collège, un observatoire où je prends les observations six fois par jour. Si par suite de mon organisation, vous pensez que je puis faire partie de la Commission scientifique que vous avez l'intention d'envoyer en Afrique, soyez persuadé, Monsieur le Ministre,

française », né à Alger, ancien élève du Collège et auteur de l'hagiographie d'Aimé que publia l'Institut océanographique de Monaco à l'occasion du centenaire de la disparition du savant : Thoulet J., 1946, « Centenaire… », art. cit., p.8.

292 Berbrugger Adrien, 1858, « Les casernes de janissaires à Alger », Revue africaine, t.3, p.132-138.

73

que par mon zèle et mon activité, je remplirai ma mission aussi fidèlement que qui que ce soit(...)294.

La création de l'observatoire semble avoir été une des priorités de Aimé lors de son installation, ainsi il écrit en août 1838 « Mon observatoire s'organise de jour en jour »295. Il détaille :

J'ai organisé aussi, il y a trois mois [c'est-à-dire mai 1838], un pluviomètre et un cadran solaire dont l'aiguille a 3 pieds et demi de longueur ; une girouette dont l'axe descend dans la salle d'observation et y donne la direction du vent. Dans ce moment, je m'occupe de construire un paratonnerre et des conducteurs pour indiquer dans l'observatoire les divers états de l'électricité atmosphérique296.

Aimé indique dans son cahier de mesure que le pluviomètre est placé à 29,5 mètres au-dessus de la mer297. Ce « pluviomètre du Collège », algérien, car construit par Aimé, a fait l'objet d'une normalisation : une table de correspondance « volume mesuré - hauteur normalisée » est contrecollée sur la couverture du cahier de mesure d'Aimé. Cette hauteur normalisée indique que les ambitions de Aimé ne sont pas locales, qu'il souhaite transmettre ses mesures à la communauté scientifique. Pour passer du local à l'universel, Georges Aimé a donc mesuré les caractéristiques de son pluviomètre puis calculé les transformations à introduire sur les observations.

1.3.1.3 Les premiers travaux d'Aimé

Les premières observations météorologiques datent du 22 janvier 1838. Elles sont consignées dans un cahier, type livre de compte, cahier manuscrit d'environ 30x20cm conservé aux archives de l'Académie des sciences, titré « Observations météorologiques recueillies au Collège d'Alger pendant l'année 1838 par Monsieur Aimé professeur de physique »298.

294 ANOM F80/1593 : LAS du 17 mars 1838, Alger, de G. Aimé au Ministre de la Guerre.

295 Lettre de Aimé à Hanriot du 16 août 1838. Thoulet J., 1946, « Centenaire… », art. cit., p.36.

296Ibidem.

297 Archives de l'Académie des sciences. Fonds G. Aimé 25J. Cahier de mesure 25J1.08 : « Observations sur la météorologie de l'Algérie. 1840 » p5.

298 Ce cahier de synthèse des mesures est conservé dans la pochette de séance du 8 juillet 1839, aux Archives de l'Académie des sciences. On peut cependant trouver les mesures dans des cahiers originaux spécifiques dans le fonds 25 J Georges Aimé aux Archives de l'Académie des sciences (« Année 1838 : Hauteur barométriques réduites à zéro de temp. - Alger » dossier 1.07, « Alger. Maxima et minima des températures, 1838 » dossier 3.01, « Alger. Températures de l'air, 1838 » dossier 4.01, …).

74

Dans les premiers jours, Aimé relève 5 observations quotidiennes (8 heures, 12 heures, 2 heures, 4 heures, 8heures). Il enregistre le quartier de la lune, la date, l'heure, la hauteur barométrique, la température de la salle, la température de la terrasse au nord, l'état du ciel, la direction du vent, l'état de l'hygromètre, l'état de la mer, la couleur de la mer. Sa technique de travail évolue et ses standards d'observation évoluent lentement au cours des semaines. Il réagit à son terrain d'étude et aux instruments de mesure qui deviennent disponibles. Ainsi, à partir du 9 mars 1838, la pluviométrie est mesurée en centimètres cubes alors que jusque-là seule une indication qualitative, pluie ou absence, était fournie. Le 16 avril 1838, il ajoute la température minimum dans la salle et à partir du 26 novembre 1838, il mesure l'hygrométrie sur la terrasse.

Aimé détaille la position géographique d'où il observe « Alger Longitude 0°44'10'' orientale Latitude 36°47'20''nord » à la première page et présente plus loin son instrumentation, selon les standards alors en cours à l'observatoire de Paris et dans d'autres observatoires européens.

Ce journal renferme des observations barométriques faites avec un baromètre de Bunten, qui a été essayé à l'observatoire de Paris et qui porte le numéro 13. Les thermomètres et les hygromètres qui ont servi ont été vérifiés aussi. Ils sont du même fabricant. Tous les thermomètres sont gradués avec la division centigrade.

Ce cahier d'observation s'achève à la date du 22 janvier 1839. Il comprend donc exactement une année d'observation continue au cours de laquelle moins d'une cinquantaine de mesures sont manquantes (soit environ 2,5%). Ces premiers travaux sont faits avec une instrumentation simple amenée de Paris - comme baromètres, thermomètres et hygromètres de Bunten - ou réalisée sur place - comme le cadran solaire, le pluviomètre, la girouette et le dispositif destiné à la mesure de l'électricité atmosphérique. Les instruments parisiens ont été comparés à ceux de l'Observatoire de Paris. Ceci n'implique pas nécessairement le passage de Aimé dans ce lieu avant son départ. Les constructeurs d'instruments effectuent cette tâche avant la vente pour qualifier leur production, l'observatoire participant à la définition de la culture de précision au XIXe siècle299.

Aimé fait alors entrer sa production dans un long circuit de validation scientifique mais aussi de gratification sociale et académique. Il adresse son cahier d'observation au directeur civil

299 Voir tout particulièrement la partie « A Science of Precision », pp8-12 de l'introduction de : Aubin D., Bigg C., Sibum H. O. (eds), 2010, The Heavens…, op. cit.

75

d'Alger qui le transmet avec une lettre d'Aimé du 9 juin 1839 au ministre de la Guerre à Paris300. Le 3 juillet 1839, le ministre de la Guerre l'envoie au Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences.

Monsieur, j'ai l'honneur de vous adresser ci-joint la copie d'un journal d'observations météorologiques que vient de me faire parvenir M. Aimé, professeur de Physique au collège d'Alger. Il m'a paru que ce document serait de nature à intéresser l'Académie des sciences et je vous prie de vouloir bien le soumettre à son examen301.

L’Académie des sciences en accuse réception en séance du 8 juillet 1839302 et transmet le cahier à l'astronome Bouvard de l'Observatoire de Paris le 17 juillet 1839. Enfin, ces données traitées, et conjuguées à des observations plus tardives, sont rendues publiques dans la séance du 10 janvier 1842 par l’astronome Laugier qui donne lecture d'un tableau des températures à Alger déduites des « observations assidues de M. Aimé »303 pour les années 1838 à 1841. La position isolée de Aimé en Algérie pourrait être rapprochée de celle des savants travaillant dans les provinces françaises dans la première moitié du XIXe siècle. Le travail des savants locaux dans les sciences naturelles est parfois récompensé par une gratification parisienne - publication, citation. Ils faisaient alors fonction d'interfaces entre les maîtres parisiens et les communautés locales304. Cependant, à la différence de ses confrères provinciaux, Aimé a connu une activité de recherche parisienne et a accès, par sa correspondance, au sommet de la hiérarchie de l'administration de la science vers 1840 : le Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Ce lien est direct comme l'indiquent les correspondances des pochettes de séance conservées dans les archives, ou articulé par le ministre de la Guerre, ce qui lui confère une validation politique supplémentaire.

300 LAS du 5 juin 1839, Alger, de Aimé au Ministre de la Guerre. ANOM. F/80/1593 Dossier biographique Aimé, membre de la commission scientifique pour l'exploration de l'Algérie.

301 Minute de lettre du 3 juillet 1839, Paris, du Ministre de la Guerre au Secrétaire Perpétuel de l'Académie des sciences. ANOM F80/1593 Dossier biographique Aimé, membre de la commission scientifique pour l'exploration de l'Algérie. La lettre originale reçue à l'Académie des sciences est conservée dans la pochette de séance du 8 juillet 1839, Archives de l'Académie des sciences.

302 Aimé Georges, 1839, « Météorologie - Observations recueillies au Collège d'Alger », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, t.IX, p.87.

303 Laugier Paul Auguste Ernest, 1842, « Température moyenne d’Alger déduite des températures maxima et minima observées journellement par M. Aimé (calculs de M. Laugier) », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, t.XIV, p.72-73.

76

Georges Aimé souligne la solitude dans laquelle il se trouve au début de son séjour dans l'introduction de ses travaux de la série de l'Exploration scientifique de l'Algérie :

Malheureusement j'étais seul : toutefois j'ai tâché de me multiplier autant que mes forces le permettaient ; souvent même, grâce au concours obligeant de quelques observateurs que j'avais formés, je suis parvenu à entretenir pendant plusieurs jours une série continue d'observations faites de cinq minutes en cinq minutes305.

Ce sentiment est corroboré par la presse de l'époque :

Il eut fallu pouvoir disposer de trois ou quatre aides comme les directeurs des observatoires anglais. Mais M. Aimé n'avait pas à faire à la libéralité britannique : il était et resta seul, et ce ne fut qu'aux dépens de sa santé qu'il put faire face à un pareil travail306.

Quelques collaborateurs « indigènes européens », c'est-à-dire descendants d'européens arrivés en Algérie avant l'invasion française de 1830, participent aux mesures. Deux personnes sont citées par Aimé.

Le premier est Trèves Abraham Vita dit Adolphe qui avait 13 ans en 1839. Adolphe Trèves est élève du collège d'Alger. Aimé le désigne élève responsable du cabinet de physique et chimie, et en fait son collaborateur. Trèves déclare à Thoulet avoir participé à la réduction des observations météorologiques, aux expéditions de mesures en mer, aux observations magnétiques - déclinaison et inclinaison - et avoir fait un peu d'astronomie - étoiles filantes307. Il est né à Nice le 17 avril 1826, dans le royaume de Sardaigne à l'époque308. Son père, Michaël - ou Michel Louis - né à Nice, était un juif venu en Algérie avant l'invasion française309. Celui-ci décède à 55 ans, le 31 décembre 1838 pendant le séjour de Georges Aimé qui est son locataire au 22 rue Akermimouth, près du haut du jardin Maringo, dans la médina. Ce sont d'ailleurs ses deux pensionnaires, Georges Aimé et Pierre Julien de la Tour, professeurs au collège d'Alger, qui déclarent sa mort à l'officier d’état civil de la mairie d'Alger310. Trèves devient employé aux

305 Aimé Georges, 1846, Observations sur le magnétisme terrestre Exploration scientifique de l'Algérie pendant les années 1840, 1841, 1842 publiée par ordre du Gouvernement et avec le concours d'une Commission académique. Physique générale II, Paris Imprimerie nationale, 229p. Citation extraite de la préface.

306 L'Akhbar du 27 mai 1846. Thoulet J., 1946, « Centenaire… », art. cit., p.43.

307 Lettre de Trèves à Thoulet du 7 février 1913. Thoulet J., 1946, « Centenaire… », art. cit., p.41.

308 Adolphe Trèves est nationalisé français en 1848. Naturalisation n° : 36719. Date d'ouverture du dossier : 1848/11/18 Cote : BB/11/585 Numéro du dossier : 628 X5 [Centre Historique des Archives nationales]

309 Il fut désigné 9ième courtier de commerce officiellement reconnu à Alger par l'arrêté du 4 décembre 1833 de l'Intendant général (Franque Alfred, 1844, Lois de l'Algérie du 5 juillet 1830 (occupation d'Alger) au 1er janvier 1841, Paris, Corréard, p152). La mère de Adolphe Trèves est Conqui Léa, dite aussi Adèle, née à Nice.

77

travaux hydrauliques du port d'Alger. Il vécut avec sa mère, dans une dépendance du Bordj-Ras-el-Moul, à l'amirauté du port d'Alger, jusque vers 1880311, et finit sa carrière sous-ingénieur. Il a 3 enfants hors mariage avec Rouza bent Hadj Hammoude de 30 ans sa cadette entre 1885 et 1889, puis à nouveau 5 enfants entre 1891 et 1898, avec Néfissa bent Ali ben Saadi ben el Oumas, née à Alger en 1873, avec laquelle il se marie le 22 octobre 1895. En 1914, à 87 ans, il rencontre Julien Thoulet, lui raconte sa vie aux côtés de Georges Aimé et lui remet quelques objets qui rejoignent les collections de l'Institut Océanographique312. Il décède en 1916.

Le second de ces aides est Enos Welsford, âgé de 15 ans en 1839. Celui-ci est le fils aîné du consul anglais de Oran entre 1827 et 1833, Nathaniel Welsford313. Enos est né en 1824, à Exeter. Plus âgé qu'Adolphe Trèves, on ne connait actuellement pas quel fut son rôle auprès de Aimé314. Un pêcheur arabe fait aussi partie de l'équipe de collaborateurs à laquelle Aimé a recours. Son identité n'est donnée par aucune source consultée. Il est en cela assez représentatif des collaborateurs indigènes mobilisés par les Français et au sujet desquels Blais parle « d'anonymat généralisé, qui reste la règle dans les premières années de la conquête315 ». Cette règle n'est cependant pas spécifique à la situation coloniale. Bourguet, dans sa présentation de l'activité naturaliste de Ramond de Carbonnières dans les Pyrénées françaises de la fin du XVIIIe siècle, observe une attitude comparable du savant vis-à-vis de ses informateurs locaux316. Rarement évoqués, les guides pyrénéens sont tout au plus des faire-valoir pour Ramond.

En plus des collaborateurs, Aimé fait appel à des informateurs indigènes, et développe un réseau comme il l'écrit à François Arago quelques mois après son arrivée à Alger :

311 Devoulx A., 2003, El Djazaïr…, op. cit., p.119 et p.121.

312 « (...) M. Trèves, heureux de cette détermination, consentit alors à me remettre pour le Musée Océanographique de Monaco quelques reliques du Maître : un appareil à déclenchement sous-marin, une petite drague, un thermomètre et divers autres objets fabriqués par lui ainsi qu'une photographie du buste. » Thoulet J., 1946, « Centenaire… », art. cit., p.28. Aimé habitant chez les Trèves, c'est vraisemblablement là que les instruments étaient restés à sa mort. Il semble qu'un de ses instruments pour mesurer les courants soit conservé au Musée de la Marine à Paris, Thoulet l'y ayant vu avant 1898 (Thoulet J., 1946, « Centenaire… », art. cit., p.20).

313 Nathaniel Welsford est né à Exeter. Il fut propriétaire à Oran, n°14 rue d'Orléans, décédé le 25/07/1846 à 62 ans à Oran et est l'époux de Mary Plimsaul (ANOM. Registre d'État civil Décès Oran 1846. Acte n°512). Sa propriété de 5020m² à Oran est vendue par ses héritiers en 1846 (Moniteur Algérien, 20 novembre 1846, n°791, p5 « Publications légales »).

314 Il se marie à Marie Hélène Laurence Baudel de Vaudrecourt (née en 1823) et semble avoir fait sa vie dans la colonie où ses deux filles naquirent : Mary Amélie en 1849 à Oran, Yasmina Jane Elisabeth en 1855 à Bône. En 1855, il est établi à Bône, rue Tabarca, où il est représentant de la Compagnie du télégraphe sous-marin.

315 Blais H., 2007, « Les enquêtes… », art. cit., p.174.

78

Depuis mon installation dans ce pays, j'ai cherché à me mettre en rapport avec les indigènes. J'y ai réussi sans peine. Au moyen de quelques expériences électriques, j'y suis facilement parvenu. [Barré : "je me suis fait une sorte de réputation de sorcier"]. Plusieurs Maures sont maintenant tout disposés à me rendre service. Ils m'ont déjà apporté plusieurs minerais qu'ils avaient trouvés dans le petit atlas. (...) Je compte dans quinze ou vingt jours vous envoyer de ces divers échantillons avec tous les renseignements que je pourrai recueillir à leur sujet. Je vous enverrai aussi un manuscrit arabe composé par un Couloughli qui a été jusqu'à la prise de Constantine premier secrétaire d'Ackmet. Ce manuscrit confirme [?] des questions [?] de Géométrie et d'Astronomie. Il pourra servir à donner une idée du mérite actuel des arabes pour