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1.3.3.1 Un hôtel à Paris, une chaire à Alger

Comme ses collègues de la commission d'exploration scientifique de l'Algérie, le « membre résident » Aimé est invité à rejoindre Paris pour rédiger les mémoires consécutifs à sa mission. Le professeur de physique du collège d'Alger doit donc quitter son poste. En janvier 1843,

441 Carpine-Lancre J., 2004, « Georges Aimé… », art. cit., p.72.

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Fellmann du 1er bureau des affaires de l'Algérie au ministère de la Guerre, en charge des affaires politiques et civiles, propose à son ministre un séjour de 3 mois de Aimé à Paris pour les besoins de la Commission443. Il suggère son remplacement par Muller, professeur de mathématiques élémentaires au collège d'Alger. En effet, les travaux et absences de Aimé pèsent sur le fonctionnement du collège et une solution définitive est souhaitée :

M. l'Inspecteur Général des études Artaud, dans son rapport sur le Collège d'Alger, a proposé à Monsieur le Maréchal de remplacer M. Aimé comme professeur au Collège et de lui confier un cours public de physique et de chimie appropriée aux besoins de la localité et qui serait beaucoup mieux dans les aptitudes de ce jeune professeur, plein de savoir et de mérite, que la classe dont il a été chargé jusqu'à ce jour. (...)Il est un des membres les plus laborieux, les plus dévoués et les plus utiles de cette réunion savante444.

Cette proposition de mission à Paris est approuvée par le chef de la division des Affaires de l'Algérie au ministère, l'Intendant militaire Melcion d'Arc :

Je viens d'avoir une très longue conférence avec M. le Baron de Walkemar [Secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres] sur la Commission scientifique. Il m'a dit qu'une lettre très pressante de la Commission académique, adressée à Monsieur le Maréchal, mettait la plus grande insistance à ce que M. Aimé dont les travaux sont presque uniques, fut mandé promptement à Paris. La proposition ci-dessus en réalise le meilleur moyen445.

Le séjour parisien de Georges Aimé débute au printemps 1843, début mars probablement, et s'étend jusqu'en juillet 1846. Il loge rue Corneille à l'hôtel du même nom où il met en forme ses résultats, publie articles et ouvrages de synthèse et traite les mesures nouvelles qui remontent du terrain algérien par le canal du ministre de la Guerre.

Ce programme de publication, destiné à rationaliser l'occupation par les Français de l'Algérie, est annoncé à l'Académie des sciences, dans sa séance du 3 juillet 1843, par le chef de l'expédition lui-même, l'académicien colonel Bory de Saint-Vincent :

443 Rapport n°362 du 12 janvier 1843, Paris, le Chef du 1er Bureau Ministère de la Guerre au Ministre. ANOM F80/1593.

444Ibidem.

445 Cette annotation manuscrite en bas de page a été ajoutée par l'intendant militaire sur le document précédemment cité.

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Aucune région au monde ne fut plus maladroitement vantée ou dénigrée avec moins de mesure que cette partie de l'Afrique devenue française, mais de laquelle, après treize ans d'occupation, si peu de personnes en France se donnent la peine d'acquérir des notions exactes, même entre celles à qui leur position semblerait devoir interdire d'en déraisonner.

Il est temps d'esquisser au moins un portrait des lieux, en cherchant les traits propres à établir la ressemblance dans les observations de ceux des membres de la Commission exploratrice qui s'occupèrent consciencieusement des sciences physiques et naturelles. Ce n'est que d'après l'exposition complète des matériaux qu'ils rassemblèrent, que se doivent poser les bases sur lesquelles il soit possible d'édifier solidement quand il s'agit de colonisation446.

En plus de constituer une base de connaissances fiables sur ce territoire, Bory espère aussi donner un discours de contre-propagande à opposer aux anti-colonistes. Aimé devait rester à Paris trois mois selon la demande initiale au ministre. Un délai supplémentaire de 6 mois est demandé en octobre 1844, puis en avril 1845, par le Secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Le travail du physicien était encore inachevé mais constituait « un des principaux ornements de la publication ». Enfin, Aimé lui-même demande un nouveau prolongement le 31 mars 1846 qui lui est accordée par le ministre pour un mois supplémentaire afin de suivre l'impression du 3e volume de ses travaux, le mémoire sur le magnétisme447.

Sa situation administrative doit cependant être clarifiée. Professeur de physique au collège d'Alger, il n'enseigne plus depuis de longs mois et n'est même plus à Alger. En avril 1843, le directeur Fellmann 1er bureau du ministère de la Guerre a trouvé une solution administrative qu'il expose au ministre. S'appuyant sur le rapport de l'Inspecteur général Artaud, il fait état du manque de qualités pédagogiques du professeur de Physique avec ses jeunes élèves, dont il a du mal à tenir les classes. Il souligne cependant qu'il est indispensable de retenir ce jeune savant « d'un mérite hors ligne qui depuis cinq ans fait à Alger une série d'observations météorologiques d'une haute importance pour la connaissance du climat et de ses variations »448. Il appuie sa proposition en rappelant au ministre qu'en outre Aimé est engagé

446 Bory de Saint-Vincent Jean-Baptiste, 1843, « BOTANIQUE. Sur la flore d'Algérie », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, t.XVII, p.19-26.

447 Aimé G., 1846, Observations…, op cit.

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dans une coopération internationale avec les Anglais. Il convient de créer une chaire de physique et de chimie d'enseignement pour les adultes à Alger. Fellmann assure le ministre que le directeur de l'Intérieur et le Maréchal Gouverneur général ont donné leur accord. Le successeur d'Aimé a été nommé au collège. Le cours serait donné dans la bibliothèque du collège où est déjà installée la chaire d'arabe de Bresnier et un salaire de 3600f annuel sera versé à Aimé à ce titre. Le jour même, le 12 avril 1843, le ministre décide la création de la chaire de physique et de chimie appliquée à Alger et le 15 avril, Aimé en est désigné titulaire. Paris informe Alger le 22 avril 1843 de cette création449. Aimé est désormais avec une situation administrative et un salaire qui lui permettent sereinement de poursuivre son travail à Paris où il est installé depuis un mois.

La chaire est supprimée en 1848 lorsque le ministère de la Guerre cède la gestion des affaires d'enseignement sur le terrain algérien au ministère de l'Instruction publique450. Une note de situation de l'Instruction publique, datant de 1848, rédigée au Ministère de la guerre précise cependant que « on avait créé à Alger une chaire de physique et de chimie ; mais elle a été supprimée sans avoir jamais existé de fait451 ».

1.3.3.2 Aimé et le premier réseau météorologique algérien

Si la marine et les directeurs de ports s'occupent de faire des relevés météorologiques dès le début de la conquête, la météorologie revêt rapidement un caractère stratégique au plus haut niveau de l’État dans l'effort de colonisation de l'Algérie. Des événements climatiques ont, au début de l'occupation, révélé la fragilité de la position des armées françaises. Ainsi, en 1832, un note manuscrite anonyme au ministre de la Guerre rapporte :

6 au 16 mars : les orages et les pluies extraordinaires, qui ont duré presque sans interruption pendant plusieurs mois [hiver 1831-1832], ont mis une grande partie de la Mitidja sous l'eau et rendu les chemins impraticables. Ces pluies ont suspendu pendant quelques tems [sic] l'arrivage des subsistances à Alger et interrompu presque toutes les

449 Minute manuscrite de lettre du 22 avril 1843, Paris, ministre de la Guerre au Directeur de l'Intérieur à Alger. ANOM F80/1855.

450 Décret du 30 mai 1848.

451 Note manuscrite « Ministère de la Guerre. République française ». La note précise que « L'Instruction publique en Algérie relève du Ministère de la Guerre. » Cette note n'est pas signée, ni datée. Sa rédaction a dû être cependant exécutée, d'après les précédents éléments, entre fin février et fin mai 1848. ANOM F80/1857.

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communications avec l'intérieur du pays. Un bâtiment de commerce a été jeté sur la côte. L'équipage a été sauvé par un détachement de la Légion Etrangère452.

L'administration des ponts et chaussées participe à cette tâche et leur ingénieur relève à partir de janvier 1838 les hauteurs pluviométriques. Il produit des tableaux de moyennes mensuelles, jour et nuit, qu'il remet au Gouverneur général453. Les ponts et chaussées ont la charge de l'assèchement de la région algéroise, la plaine de la Mitidja, vaste zone comprise entre le littoral et les contreforts de l'atlas blidéen, destinée à nourrir Alger. Leurs observations ne sont donc pas désintéressées. Aimé, dès son arrivée à Alger, débute dans son observatoire des relevés météorologiques à son tour. Il les communique à Arago régulièrement dès lors.

Pendant l'année 1840, Georges Aimé engage une réflexion sur la dynamique du système atmosphérique comme son cahier de laboratoire en témoigne : « il est important de comparer les observations barométriques de Marseille, celles de Toulon avec celles d'Alger. Noter avec soin quand soufflent les vents du Nord dans ces parages ou bien ceux du sud »454. Il raisonne en géographe : les mouvements Nord-Sud imposent la comparaison des observations barométriques avec Marseille et Toulon, les mouvements Est-Ouest imposent la création de stations d'observation sur la côte algérienne. Ponctuellement, il partage même ses observations avec celles faites à Gibraltar à la Garrison Library455. Ce choix n'est-il pas aussi le reflet des premières théories de météorologie dynamique456 ?

Aimé sait que l'administration des ponts et chaussées peut lui fournir les données marseillaises. Il collabore aussi avec le directeur de l'observatoire de Marseille, Benjamin Valz puisqu'il dispose des observations de ce dernier, entre janvier 1837 et août 1844457. Il reçoit aussi les observations de son collègue du collège de Toulon.

Les stations algériennes sont créées avec les moyens de la Commission d'exploration scientifique de l'Algérie. Des lots de thermomètres et baromètres sont livrés dans ce cadre début

452 Archives du SHD. GR1H12-3 Note manuscrite du 24 avril 1832.

453 Voir les 4 tableaux de l'ingénieur des ponts et chaussées Don, sur la hauteur de pluie à Alger entre 1838 et 1843. ANOM F80/1602 : observations météorologiques.

454 Livre 1.08 « Observations sur la météorologie de l'Algérie 1840 ». Fonds Georges Aimé 25J. Archives de l'Académie des sciences.

455 25J37.01 : Observations barométriques à Gibraltar en 1842 « Barometrical Observations taken at the Garrison Library at Gibraltar during the month of June 1842 » - Fonds Aimé – Archives de l'Académie des sciences.

456 Fabien Locher considère les cartes d'Adolphe Quetelet de 1851 comme « l'acte de naissance de la météorologie dynamique ». Locher F., 2008, Le savant…, op. cit., p.26-27.

457 Fonds Aimé - 25J.39 « Papiers laissés par M Aimé entre les mains de M. Lacroix » - Archives de l'Académie des sciences.

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décembre 1839 à Alger458. Ils sont tous comparés au baromètre de l'observatoire d'Aimé avant leur envoi comme l'indique le cahier de laboratoire de ce dernier459. Le premier inventaire des stations algériennes créées est dressé par Aimé dans un de ses cahiers de mesures dont nous tirons le tableau suivant460 :

Station Correspondant Date d'établissement Remarques Oran Aucour, ingénieur des

ponts et chaussées

Deux baromètres, deux thermomètres et un hygromètre

Bône M. Laborie, ingénieur des ponts et chaussées

30 avril 1840 Baromètre

Philippeville M. Niellé (ou Miellé) pharmacien

a reçu un thermomètre - Aimé souhaite finalement le confier à la direction des ponts et chaussées

La Calle Commandant de la Ville Cherchell Commandant Cavaignac461

ou le médecin du bataillon

Envoyé le 28 avril 1840 et les observations ont commencé le 2 ou le 3 mai

Baromètre

Constantine Capitaine de Neveu Mostaganem Capitaine Abinal chef du

génie

A reçu une lettre le 9 mai 1840

Bougie M. Brosselard, secrétaire du commissariat civil

1 juin 1940 Baromètre a été ensuite donné à la direction de l'artillerie. Un thermomètre et deux pluviomètres ont été ajoutés.

Le choix des points de mesure n'a pu être fait que sur place, en fonction des combats, des places occupées et des opérateurs disponibles. À l'exception de Constantine, toutes les stations sont des ports. Lors de sa création, ce réseau s'appuie essentiellement sur les ingénieurs des

458 Voir supra.

459 Livre 1.08 « Observations sur la météorologie de l'Algérie 1840 ». Fonds Georges Aimé 25J. Archives de l'Académie des sciences.

460 Livre 1.08 « Observations sur la météorologie de l'Algérie 1840 ». Fonds Georges Aimé 25J. Archives de l'Académie des sciences.

461 Cavaignac (1802-1857), X 1820, qui fut pendant quelques mois Gouverneur général de l'Algérie, puis succéda à Arago comme Président du Conseil en 1848, et candidat malheureux à l'élection présidentielle de la Deuxième République.

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et-chaussées : 4 des 6 ingénieurs présents en Algérie en 1840 sont directement impliqués en considérant le travail de Poirel et Don à Alger462. Des officiers ont aussi été sollicités pour installer le baromètre dans leur place de commandement. Au début de l'été 1840, le réseau côtier est donc opérationnel et les mesures sont envoyées régulièrement à Aimé.

Les instructions d'observations sont celles de la Société Royale de Londres. La Commission d'exploration se charge de donner : « 1° le temps d'observation, 2° la destination des instruments qui doivent être observés, 3° la correction de ces observations, 4° la forme à donner à ces registres de manière à disposer des résultats sous un jour de vue commode et facilitant la comparaison »463. La commission, à travers Georges Aimé, agit donc en régulatrice et garante de l'homogénéité des mesures.