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Aimé, « le jeune physicien de l'Algérie »

1.3.1.4 L'expert des services civils du Gouvernement Général

Bien sûr, Georges Aimé n'est pas le seul « savant » sur le sol algérien. De nombreux militaires sont issus de l’École polytechnique. L'administration des Ponts-et-Chaussées dispose de plusieurs ingénieurs en Algérie320. Don, ingénieur en chef des Ponts et Chaussée à Alger, exécute des observations météorologiques à Alger dès 1838321. Cependant, Georges Aimé s'affirme rapidement, pendant les années 1838 et 1839, comme un expert incontournable : il participe aux travaux du jardin d'acclimatation, conduit des recherches géologiques publiées à l'Académie, collecte des données météorologiques d'autres observateurs, et intervient auprès du port d'Alger.

La bibliographie d'Aimé pour l'année 1838 révèle un certain éclectisme dans le travail322. Aimé est sollicité par l'administration civile pour les différents projets en cours et connaît plus ou moins de succès dans ces réalisations. Ainsi, il n'éprouve aucune passion pour son activité au « jardin des plantes de la colonie »323 où il est sollicité jusqu'à l'arrivée de Louis-Auguste Hardy en 1842. Il écrit : « Dernièrement, j'ai reçu de Paris des pieds de thé, de café, etc.... Ces dernières plantes végètent parfaitement324 ». Il semble plus intéressé par l'identification et l'exploitation de minerais :

Je profite du voyage d'un de mes amis M. Berbrugger archéologue distingué, qui vient de passer plusieurs années dans l'Algérie à recueillir des documents sur les antiquités,

320 Voir par exemple : Almanach royal et national pour l'an MDCCCXXXVIII, 1838, Paris, Chez A. Guyot et Scribe, p.131-132 pour la haute administration civile.

321 Moniteur Algérien, journal officiel de la colonie, 15 janvier 1846, n°731. Ce numéro est doté d'un supplément « Observations pluviométriques faites à Alger du 1er janvier 1838 au 31 décembre 1845 et résumées en trois tableaux dressés par l'ingénieur en chef du service des dessèchements de l'Algérie » de 2 feuilles, 4 pages, signées « Alger, le 31 décembre 1845, l'Ingénieur en chef du service des dessèchements, DON. »

322 Aimé Georges, 1838, « Economie rurale - Note sur les cotons cultivés en 1837, à la ferme Rahraya (Algérie). »,

Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, tVI, p.500 ; Aimé Georges, 1838, « Échantillons d'un minerai de plomb argentifère provenant de la Bouzaria, près d'Alger, minerai qui contient, dit-on, un peu de platine », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, tVII, p.246 ; Aimé Georges, 1838, « Géologie - Corail à l'état fossile conservant encore une teinte rougeâtre. Extrait d'une lettre de M. Aimé à M. Elie de Beaumont », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences, tVII, p.903.

323 Sur la vocation du jardin d'essai et ses débuts : Laribi Ghanem, Hadjadj Sofiane, 2012, « Le Jardin d'essai du Hamma : histoire d'un jardin colonial. », dans Bouchène A., Peyroulou J.-P., Siari Tengour O., Thénault S.,

Histoire…, op. cit., p.120-123.

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pour vous remettre cette lettre, ainsi qu'un échantillon de minerai de plomb sulfuré contenant environ cinq pour cent d'argent et un peu de platine. Cet échantillon provient d'une mine qu'on vient de découvrir à deux lieues environ d'Alger, dans une localité appellée [sic] la bouzaria. Comme les combustibles sont rares dans ce pays, j'ai pensé que l'occasion était très favorable pour essayer des procédés électrochimiques de M. Becquerel dans l'exploitation de ce minerai, et c'est pour obtenir votre opinion à ce sujet que je me suis empressé de mettre le minerai sous vos yeux.325

Ses cahiers de mesure conservés aux archives de l'Académie des sciences révèlent aussi des rapports d'observations antérieures à son séjour à Alger, par exemple de 1837, ou faits dans d'autres lieux que le collège326. Il est possible que ces documents aient été remis à Georges Aimé pour les besoins de sa publication dans le cadre de l'Exploration scientifique mais il ne faut pas non plus écarter la possibilité qu'ils aient été rassemblés par Aimé antérieurement. On le voit en effet, se rendre à Bône et à Constantine à l'automne 1838327.

Selon Julien Thoulet, le vrai laboratoire de Aimé fut cependant la mer Méditerranée : « Aimé saisit le parti à tirer d'un laboratoire ayant le double mérite d'être aussi vaste que peu fréquenté »328. Le premier contact avec cet espace de recherche lui est donné par l'ingénieur en chef de Ponts et Chaussés à Alger, Victor Poirel (1804-1881)329. Originaire de Lorraine, de Rosières-aux-Salines, Poirel a été formé à l’École polytechnique (X 1824) puis à l’École des Ponts et Chaussées. Il participe en 1826 à la campagne de Grèce. En 1829, il est affecté aux travaux du Port de Marseille liés à l'invasion de la Régence d'Alger. Il est nommé à Alger en 1832, où il devient en 1833 l'Ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées, directement responsable

325 LAS de Georges Aimé, Alger, à François Arago, du 4 mai 1838. Pochette de séance du 23 juillet 1838. Archives de l'Académie des sciences.

326 Dossier 1.07. Fonds 25 J Georges Aimé. Archives de l'Académie des sciences : « Observations sur la quantité de pluie tombée à Hussein Dey en 1838 et 1839 » ; relevés du pluviomètre « placé à Kouba » le 22 novembre 1838 pour l'année 1839 ; relevés météorologiques faits en février et mars 1836 à la Pépinière du Gouvernement ; relevés faits à Douera en décembre 1840 faits par Trolliet[?].

327 Lettre à Hanriot du 29 mai 1839 citée par Thoulet J., 1946, « Centenaire… », art. cit., p.36.

328 Thoulet J., 1946, « Centenaire… », art. cit., p.9.

329 Sur la carrière de Poirel, on pourra se référer à : Poirel Victor, 1866, Notice des travaux de M. V. Poirel, Saint Nicolas près Nancy, Trenel, 14p.

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de la voirie et du port. C'est là qu'il met au point la technique du bloc béton, qui le rend célèbre, avec laquelle il agrandit le port d'Alger jusqu'en 1840330, puis de 1842 à 1846331.

Dans son Mémoire sur les travaux à la mer332, Poirel loue les travaux d'Aimé333. Il publie même pour la première fois les premiers résultats, partiels, de la recherche du jeune physicien sur la mer Méditerranée. Georges Aimé a donc choisi, à nouveau, de se placer sous le patronage de la haute-administration civile de l'Algérie et il reconnaît lui-même le rôle de déclencheur que tient Poirel dans ses recherches.

Je n'aurais moi-même ni commencé ni poursuivi ce travail sans les conseils bienveillants de M. Poirel, ingénieur en chef, chargé de la construction du môle d'Alger, qui a bien voulu faire mettre à ma disposition tous les matériaux dont j'ai eu besoin dans le cours de mes expériences334.

Il n'en profite cependant pas moins pour se faire valoir auprès de l'administration du gouvernement général, du ministère de la Guerre et de l'Académie des sciences pour ces travaux. Il utilise le même dispositif stratégique de diffusion-validation que pour ses observations :

Conformément aux ordres que vous m'avez donnés de vous communiquer les divers travaux d'utilité générale que ma position me permettrait de faire, j'ai l'honneur de vous adresser un mémoire sur les Marées ou variations du niveau de la mer dans le port d’Alger, croyant que ce travail pourra jeter du jour sur plusieurs questions importantes et en particulier sur celle des dessèchements. Si comme je l'espère, Monsieur le Directeur, il obtient votre assentiment, je vous prierai de vouloir bien le présenter à Monsieur le Ministre afin qu'il puisse s'en faire rendre compte par l'Académie des sciences335.

330 Poirel Victor, 1838, « Port d'Alger. Jetée à la mer en blocs de béton. », Annales des Ponts et Chaussées, 1ière

série, 1er trimestre, p.1-19.

331 Après cette date, il quitte l'Algérie, fait une tournée d'inspection des ports français, entre 1852 et 1860. Il est chargé de la construction du port de Livourne. Admis à la retraite en 1866, il s'investit alors dans le rayonnement culturel de la ville de Nancy où il s'est installé.

332 Poirel Victor, 1841, Mémoire sur les travaux à la mer, Paris, Carilian-Goeury et Vve Dalmont, 152p XVIII planches.

333 Poirel V., 1841, Mémoire…, op. cit., p.16 et p.106-107.

334 Aimé Georges, 1842, « Recherches expérimentales sur le mouvement des vagues », Annales de chimie et de physique, 3e série t5, p.417.

335 LAS du 12 juillet 1839, Alger, de Aimé à monsieur le directeur des affaires civiles. ANOM F/80/1593 Dossier Aimé.

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Ces travaux, publiés partiellement par Poirel en 1841, sont à l'origine d'une polémique avec l'ingénieur-hydrographe Chazallon sur la découverte des causes des marées en mer Méditerranée336.

La position d'Aimé à Alger offre à la communauté scientifique un nouveau point sur le globe. Celui-ci prend un intérêt tout particulier dans la « croisade magnétique » organisée par les anglais Humphrey Lloyd, Edward Sabine et John Herschel sous l’impulsion initiale de Humboldt337. Destinée à redorer le blason de la science anglaise, cette opération se situe à la frontière entre la coopération et la rivalité entre les nations scientifiques européennes. Ce programme, promu par la Bristish Association for the Advancement of Science, avait pour objectif la collecte de données sur le champ magnétique terrestre à travers le monde. À la fin des années 1830, un immense réseau d'observatoires magnétiques se développe, s'appuyant sur la politique impériale britannique :

Au début de 1840, le système d'observatoires coloniaux commençait à prendre forme dans les formes suggérées par Lloyd, avec un coût estimé à £ 2,000 par station supportée par l'Amirauté, le War Office, et la Compagnie des Indes338.

Si la France avait été invitée à partager cet effort à partir de 1834, François Arago avait maintenu l'Observatoire de Paris hors du projet auquel il était peu favorable. Les Républicains, dont Arago se réclame, sont alors violemment anglophobes, soupçonnant notamment les Anglais d'accord secret avec Louis-Philippe pour l'évacuation d'Alger339. L'astronome français est cependant à nouveau sollicité par l'entremise de John Herschel340 en juin 1839. Celui-ci lui demande particulièrement de considérer la possibilité de créer un point d'observation à Alger341.

336 Chazallon Antoine-Marie-Remi, 1844, « Physique du GLOBE. –Sur les observations de marées faites à Alger. Lettre de M. Chazallon à M. Arago », Comptes rendus hebdomadaires de l'Académie des sciences, t.XVIII, p.438-440. Je remercie Nicolas Pouvreau, du SHOM, d'avoir attiré mon attention sur cette polémique et de m'avoir communiqué ces références.

337 Cawood John, 1979, « The Magnetic Crusade : Science and Politics in Early Victorian Britain », Isis, Vol. 70, n°4, p.492-518.

338 « By early 1840 the system of colonial observatories was beginning to take shape along the lines suggested by Lloyd, with the estimated cost of £2,000 per station borne by the Admiralty, the War Office, and the East India Company » Ibidem, p.512.

339 Darriulat Philippe, 1995, « La gauche républicaine et la conquête de l'Algérie, de la prise d'Alger à la reddition d'Abd el-Kader (1830-1847) », Revue française d'histoire d'outre-mer, t.82, n°307, p.139.

340 Pour la recherche des lettres de John Herschel relatives à Alger et Georges Aimé, nous avons utilisé le Calendar of the Correspondence of Sir John Herschel Data Base du Adler Planetarium. Le contenu des lettres y étant sommairement décrit, nous n'avons pas consulté les lettres originales dans les différents fonds où elles sont conservées sauf mention contraire.

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Des instructions sur le protocole d'observation sont envoyées à Arago le 5 juillet suivant342. Herschel relance à nouveau Arago le 30 octobre 1839, tant sur la position de l'Académie au sujet d'Alger que sur les observations nécessaires de l'Observatoire de Paris343. Elle est évoquée publiquement à l'Académie des sciences par Arago lors de la séance du lundi 25 novembre 1839344. Si la partie relative à l'Observatoire de Paris est éclipsée, la demande de Herschel sert cependant à Arago de levier public pour décrocher la décision du ministre de la Guerre quant à la promotion de Georges Aimé à Alger.

M. Arago rappelle ensuite que l'Académie s'est déjà occupée, à deux reprises différentes, du vœu renouvelé par M. Herschel. Le meilleur moyen d'y satisfaire avait paru être, de demander l’adjonction de M. Aimé à la Commission scientifique d'Afrique. La demande de l'Académie a été transmise par deux fois à M. le Ministre de la Guerre. Aucune réponse n'étant encore parvenue, M. Arago propose d'écrire de nouveau.

Début janvier 1840, Humphrey Lloyd rapporte à Herschel que si Arago n'a pas donné suite à sa demande, en revanche, Aimé a été appointé directeur d'un observatoire à Alger345. Aimé n'est pas directeur et demeure en réalité l'enseignant de physique du collège d'Alger. Cependant, son statut au sein de la communauté scientifique change à la fin de l'année 1839 puisqu'il rejoint la commission d'exploration scientifique de l'Algérie.

A l'automne 1839, Georges Aimé est un acteur important du dispositif d'expertise scientifique dont dispose le Gouvernement général, et à travers lui le ministère de la Guerre, pour la mise en exploitation de ce qui n'est plus appelé « les possessions d'Afrique du nord » mais désigné par « l'Algérie »346. Il est aussi identifié à l'Académie des sciences de Paris comme un intermédiaire précieux avec le terrain algérien. Il est à la tête d'un observatoire, d'une collection d'instruments, d'une petite équipe de collaborateurs et informateurs indigènes. Dès le mois de mai 1838 il avait confié à Arago son inquiétude de ne pas voir débuter la commission

342 LAS de John Herschel à François Arago, Slough, le 05 juillet 1839. Library of Wellcome Trust, London. Dossier 67390.1.

343 LAS de John Herschel à François Arago, Somerset House, le 30 octobre 1839. Dibner Manuscript Collection of the Smithsonian Institution, Washington, D.C. 695A.885.30.

344 Arago François, 1839, « Magnétisme terrestre », Comptes rendus des séances hebdomadaires de l'Académie des sciences, t.IX, p.702-703.

345 LAS de Humphrey Lloyd à John Herschel, Trinity College Dublin, 30 janvier 1840. Herschel Papers, Royal Society, Londres 11.273.

346 Le terme « Algérie » désigne officiellement les possessions françaises d'Afrique du Nord à partir du 14 octobre 1839. Julien C.-A., 1979, Histoire…, op. cit., p.158.

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d'exploration347, confirmant ainsi ses ambitions initiales, il n'a cependant pas longtemps à attendre, son mentor parisien arrachant sa nomination par le détour d'une opération internationale. L'installation d'un point d'observation à Alger constitue, pour Arago, un moyen d'échapper à une collaboration directe avec les Anglais tout en servant ses intérêts au ministère de la Guerre : la nomination de « son » physicien.

1.3.2 Le temps de l'Exploration scientifique de

l'Algérie

Depuis les travaux de la brigade topographique des deux premières années d'occupation, l'armée ne dispose que de peu d'éléments de connaissance systématique des territoires occupés. Les ingénieurs-géographes, désormais réunis au corps des officiers d'état-major, poursuivent les travaux de cartographie348. La poursuite de l'occupation et la colonisation de la Régence d'Alger sont cependant en débat au début du printemps 1833 devant les chambres parlementaires de France349. Dans ce contexte, lors de sa séance du 26 avril 1833, l'Académie des inscriptions et belles-lettres s'érige en conseillère du gouvernement et adopte un « rôle de tutrice scientifique » de l'expédition d'Algérie350. Fin 1833, le ministre de la Guerre décide de la préparation d'une commission scientifique mais impose sa prééminence sur « les envois scientifiques concernant le territoire dont il a la tutelle351 ». Dans une période d'incertitude politique en France et alors que l'occupation de points côtiers en Algérie demeure chaotique, la commission scientifique a du mal à prendre forme. Une tension se crée rapidement entre les instructions produites par l'Académie des inscriptions et belles-lettres et ce que l'Armée souhaite mettre en place. Le ministère de la Guerre « a des objectifs matériels, il prévoit des investigations aux applications tangibles et non des recherches fondamentales, luxe qu'il juge superflu dans les conditions

347 « PS : Depuis mon arrivée en Afrique, je n'ai plus entendu parler de la commission scientifique. Je crains beaucoup qu'elle ne s'organise point ». Extrait de LAS de Georges Aimé, Alger, à François Arago, du 4 mai 1838. Pochette de séance du 23 juillet 1838. Cette lettre encore cachetée était directement adressée à « Monsieur Arago, Secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, membre de la chambre des députés ».

348 Puillon-Blobaye, ancien de l'expédition scientifique de Morée, s'illustre tout particulièrement par son travail à Constantine en 1837 et 1838 où il détermine la position de la ville par des moyens astronomiques. LAS de Puillon-Blobaye à Pelet, directeur du Dépôt de la guerre, du 18 avril 1838. Archives du SHD. GR3 M546. Chemise « Divers Afrique ».

349 Julien C.-A., 1979, Histoire…, op. cit., p.107.

350 Dondin-Payre M., 1994, « La commission… », art. cit., p.18.

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précaires de l'occupation française352 ». Les instructions de l'Académie des inscriptions et belles-lettres sont néanmoins attendues pour mettre fin à l'anarchie des prélèvements, au « brocantage » et donner un mouvement d'ensemble sur le terrain353. Elles sont enfin publiées le 7 octobre 1836. L'Académie des sciences est sollicitée pour compléter les instructions en janvier 1837354.

Dondin-Payre évoque le rapport réciproque d'intérêt entre l'armée et les savants. C'est la garantie de l'accès au terrain, contrôlé par les militaires, pour les uns. Pour les autres, la science permet de « monumentaliser » la conquête comme l'ont montré les expériences des campagnes précédentes d’Égypte et de Morée355. Bernard Lepetit a cependant attiré notre vigilance sur les rapprochements trop évidents, même si les acteurs de l'époque les pratiquent couramment. Les campagnes d’Égypte et de Grèce participent de la recherche de la connaissance d'un passé prestigieux en opposition à un « despotisme oriental ». L'expédition scientifique d'Algérie est différente ; « dans l'élaboration d'un savoir pertinent, ce n'est plus ici un passé qu'on rappelle et se réapproprie mais bien plutôt un avenir qu'on s'efforce d'engager356 ».

L'expédition scientifique en Algérie génère une communauté socio-institutionnelle dont les contours sont tracés par Daniel Nordman357. Il décrit une dynamique des relations entre les chercheurs individuels, la Commission - qui rassemble, anime, coordonne -, le ministère de la Guerre - qui gouverne et administre l'Algérie -, la commission académique d'Algérie – qui publie et où les grandes institutions sont présentes -, et les éditeurs. Au sein de cet écosystème, Aimé, avec son observatoire d'Alger, prend place et travaille tout à la fois à la construction de savoirs et à sa propre promotion sociale au sein des institutions scientifiques et militaires.

352 Dondin-Payre M., 1994, « La commission… », art. cit., p.21.

353 Le bilan de cette « reprise en main » n'est cependant pas glorieux pour l'armée coloniale. L'archéologue Nacéra Benseddik a dressé un triste recensement des principales atteintes et destructions dont s'est rendue coupable l'armée française sur les sites antiques romains pendant la période d'occupation : Benseddik Nacéra, 2000, « L'Armée française en Algérie : “Parfois détruire, souvent construire” », dans Khanoussi Mustapha, Ruggerie Paola, Vismara Cinzia (eds), Africa Romana. Atti del XIII convegno di studio Djerba, 10-13 dicembre 1998, Vol I, Rome, Carocci, p.759-796.

354 Rappelons ici qu'au début de l'année 1837, Aimé entre en contact avec Arago et que quelques mois plus tard, il décide de son départ pour Alger. Il connaissait alors le projet d'expédition scientifique comme en atteste sa lettre de mai 1838 à Arago (voir supra).

355 Dondin-Payre M., 1994, « La commission… », art. cit., p.27.

356 Lepetit B., 1998, « Missions… », art.cit., p.99.

357 Nordman Daniel, 1998, « L'exploration scientifique de l’Algérie : le terrain et le texte. », dans Bourguet M.-N., Lepetit B., Nordman D., Sinarellis M. (eds), L'invention…, op. cit., p.78.

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1.3.2.1 Un recrutement tardif

Le 14 août 1837, le ministre de la Guerre, le général Bernard, institue une commission chargée des recherches scientifiques en Afrique358. Le général Pelet, directeur du Dépôt de la guerre, demande au ministre de « désigner M. le Colonel Bory de St Vincent comme chef de cette commission359 ». Le colonel au Corps royal d’état-major Bory de Saint-Vincent360, du Dépôt général de la guerre, est chef de la 3e section, celle des travaux historiques, et est membre de l'Académie des sciences. Il a dirigé l'expédition de Morée, dans la péninsule grecque. C'est un chef jaloux et ombrageux. Son plan de travail, présenté au ministre le mois suivant361, est pragmatique et nourri de l'expérience de Morée. La science doit être au service des besoins de la colonie. Sa position sur ce point se renforce au cours des années, et des difficultés que rencontrent les colonistes en France. Les connaissances à construire doivent servir à faciliter l'avancée des troupes et leur séjour sur les terres conquises. Elles doivent aussi permettre de créer l'attractivité du territoire pour générer un peuplement européen :

Outre que le champ est vaste, il jaillira de nos observations une multitude de données positives d'après lesquelles il ne sera plus possible de nier que l'Afrique Méditerranéenne ne soit le Pays du monde le plus avantageusement situé pour fonder