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CHAPITRE 2 FONDEMENTS THÉORIQUES

2.3 La compétition entre les technologies pour le design dominant

2.3.2 Les modèles sur la compétition de technologies

Deux théories principales permettent de pour mieux comprendre la compétition des technologies en fonction de la complexité de l’innovation. La première, la théorie des facteurs technologiques et du marché de la compétition, utilise les observations faites sur la définition de standards de produits simples non-assemblés (par exemple, les transistors) (Abernathy et Utterback, 1975; 1978; Anderson et Tushman, 1990, Utterback et Suárez, 1993). La deuxième, la théorie de l’impact des actions collectives, décrit la dynamique de la compétition en fonction de l’analyse des systèmes complexes (par exemple, les ordinateurs, les systèmes de traçabilité des médicaments) (Arthur, 1989, 1996; West, 2003; Suaréz, 2004; Waguespack et Fleming, 2009).

2.3.2.1 Théorie des facteurs technologiques et du marché de la compétition

Cette théorie a tendance à décrire la compétition des technologies comme un processus cyclique des innovations technologiques dont l’objectif est la recherche d’un équilibre technologique, c’est- à -dire le design dominant (Anderson et Tushman, 1990; Utterback et Suárez, 1993; Suarez, 2004). Elle analyse les facteurs du marché qui ont un impact, lors d’une compétition technologique, sur l’émergence de ce design. Les externalités du marché ou les effets du réseau sont les facteurs identifiés (Farrell et Saloner, 1985, 1986, Katz et Shapiro, 1994; Saloner et Shepard, 1995). Ces facteurs rendent une innovation technologique plus attrayante en fonction de l’augmentation du nombre d’utilisateurs qui l’adoptent et de la quantité des applications ou produits reliés à cette technologie (Farrell et Saloner, 1985; Katz et Shapiro, 1985, 1992; Suarez, 2004; Economides et Katsamakas, 2006;). Étant donné que les externalités du réseau dépendent de la demande (les utilisateurs), la compétition entre les technologies entraînent des stratégies non-conventionnelles telles que le développement des technologies à architecture ouverte (Garud et Kumaraswamy, 1993), des licences d’utilisation gratuites (Armstrong, 2006), ou des alliances avec les compétiteurs (Katz et Shapiro, 1994), entre autres. La littérature sur les externalités du réseau donne aussi des indices à propos de la prédominance du réseau sur les caractéristiques des technologies

(Arthur, 1989; Katz et Shapiro, 1992). Ceci est le cas du standard QWERTY pour le marché des claviers où l’innovation technologique moins performante a été choisie comme le design dominant.

2.3.2.2 Théories des actions collectives sur la compétition des technologies

Un système technologique complexe est parfois constitué d’une technologie de base et de plusieurs composantes technologiques développées de façon séparée par différentes industries manufacturières (Cusumano et Gawer, 2002; Murmann et Frenken, 2006). Comme la structure et l’intégration de chacune des composantes entraînent la participation de plusieurs développeurs, la définition du design dominant dépend profondément des actions collectives entreprises par les organisations du marché. (Wade, 1996; Hargrave et Van De Ven, 2006). Ainsi, l’organisation développant le système technologique complexe doit gérer deux niveaux de compétition. D’une part, elle doit contrôler les actions des organisations qui développent la même technologie de base (Cusumano et Gawer, 2002). D’autre part, elle doit coordonner les actions des développeurs de composantes auxiliaires (Cusumano et Gawer, 2002).

Des économistes ont développé la théorie du marché à deux faces (« two-sided markets ») afin de décrire les interactions du marché dans ce contexte (Gallaugher et Wang, 2002; Parker et Van Alstyne, 2005; Economides et Katsamakas, 2006; Eisenmann et al., 2006). Selon cette théorie, la technologie de base sert comme un moyen d’intermédiation pour unifier deux groupes distincts mais complémentaires: (i) les vendeurs (“sellers”) qui produisent les composantes auxiliaires pour le système complexe et, (ii) les acheteurs (“buyers”) qui souhaitent la synergie entre les composantes auxiliaires et la technologie constituante de base (Gallaugher et Wang, 2002; Parker et Van Alstyne, 2005; Economides et Katsamakas, 2006; Eisenmann et al., 2006). La compétition dans un marché à deux faces est complexe car l’interaction entre tous ces acteurs sert comme un mécanisme de renforcement. Par exemple, l’utilité des acheteurs qui identifient les médicaments à l’aide des lecteurs de RFID s’augmente en fonction du nombre de médicaments identifiés avec des puces de RFID. Ainsi, l’organisation tenant le contrôle d’une technologie de base a tendance à développer des coalitions entre tous les acteurs du marché afin de rendre plus attrayante l’adoption de son innovation (Hargrave et Van de Ven, 2006).

Une autre théorie qui permet de comprendre la compétition de technologies dans un contexte collectif est celle développée par Teece (2007) sous le nom d’écosystème technologique (« technological ecosystem »). Selon cet auteur, il existe un écosystème composé de firmes développant des technologies de base et de firmes produisant différentes composantes auxiliaires (Cusumano et Gawer, 2002; Teece, 2007). La prise de décision des firmes développant la solution technologique est complexe. Celle qui veut définir le standard technologique doit prendre en compte plusieurs paramètres : (i) les avantages des licences libres versus les licences propriétaires, (ii) la possibilité d’alliances ou d’investissement pour développer des composantes auxiliaires et (iii), les encouragements monétaires pour motiver l’innovation

chez les firmes développant des composantes auxiliaires. Teece (2007) insiste sur le fait que seules les firmes qui peuvent gérer leur contexte et prendre l’avance sur les compétiteurs pourront réussir.

Arthur (1989, 1996) présente un modèle pour unifier les deux théories décrites dans les derniers paragraphes. Selon Arthur, une technologie n’est pas choisie en fonction de son efficacité. Le choix est plutôt réalisé en fonction d’évènements aléatoires. Cet auteur élabore un cadre pour expliquer, en outre, que chacune des technologies en compétition possède une probabilité positive de sortir vainqueur. En conséquence, le marché peut parfois être conquis par une technologie dite « inférieure » (Artur, 1996; Garud et al., 1997). Arthur décrit donc le processus de compétition en fonction de quatre caractéristiques qui sont listées dans le Tableau 2-7.

Tableau 2-7: Les caractéristiques des innovations technologiques

Phase Description

Non-prédictibilité Le choix technologique ne peut pas être prédit en fonction des connaissances sur les deux

technologies au début de la compétition.

Inflexibilité Au cours de la compétition, la tendance du choix technologique pour une des technologies

ne pourra pas être mise en cause (lock-in).

Inefficience possible Des « évènements mineurs » peuvent conduire à choisir la technologie la moins efficace. Dépendance basée

sur les faits passés

La sélection d’une technologie va dépendre de tous les évènements liés aux technologies en compétition (path-dependence).

En effet, Arthur (1989, 1996) constate que la diffusion de la technologie est un processus dynamique qui est renforcé par le simple fait d’adopter (self-reinforcing). Les rendements peuvent croître par l’usage (Arthur, 1988), par les externalités de réseau (Saloner et Shepard, 1995; Srinivasan et al., 2006; Suarez, 2004), par les rendements croissants d’information (Arthur, 1989), par l’entrée de firmes avec de nouvelles technologies (Anderson et Tushman, 1990; Zahra et Bogner, 2000) et par les interrelations technologiques (Suarez, 2004; Teece, 2007). Ces rendements croissants d’adoption peuvent être aussi motivés par les caractéristiques du contexte (Garud et al., 2002; Maguire et al., 2004). Par exemple, les technologies mobiles, tels que les cellulaires, les réseaux LAN, entre autres, ont connu une forte croissance à cause de plusieurs facteurs écnomomiques : compétition entre les acteurs, réduction des prix et services pré-payés (Beaubrun et Pierre, 2001). En outre, les caractéristiques d’une ancienne technologie peuvent influencer la définition du design dominant. Une organisation va définir les paramètres d’évaluation d’une nouvelle innovation en fonction des éléments techniques, économiques et organisationnels de celle qui a déjà été adoptée. Ces normes de sélection sont amplifiées quand la nouvelle technologie cherche à remplacer l’ancienne.

important que pendant l’ère de changements incrémentales. De la même façon, les changements technologiques sont plus rapides (Christensen et al., 1998). Dans cette ère, les organisations en compétition technologique doivent surveiller minutieusement l’environnement et agir rapidement. Elles doivent anticiper le choix des adopteurs futurs afin de privilégier la technologie qui aura la plus grande masse critique (Kats et Saphiro, 1986). Une fois la technologie choisie par un adopteur, celui-ci aura tendance à persuader les autres organisations pour qu’elles fassent le même choix (Schilling, 2002).