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CHAPITRE 2 FONDEMENTS THÉORIQUES

2.2 L’évolution des technologies

2.2.3 L’évolution des technologies marquée par les discontinuités technologiques

Anderson et Tushman (1990) ont conceptualisé le changement technologique comme un processus évolutif de variation, de sélection technologique et de rétention marqué par des discontinuités technologiques. Il s’agit d’un cycle dans lequel des ruptures technologiques et la définition d’un design dominant sont les points de transition entre les ères de fermentation (era of ferment) et les ères de modifications incrémentales (Anderson et Tushman, 1990; Hargadon et Douglas, 2001; Garud et Karnoe, 2010; Navis et Glynn, 2010: 441). Tandis que Anderson and Tushman (1990) ont illustré cette trajectoire technologique en quatre phases : rupture technologique, ère de fermentation, définition du design dominant et ère de modifications incrémentales (voir Figure 2-3), Suarez (2004) l’a conceptualisé en fonction de cinq phases : développement (R&D), faisabilité, création du nouveau marché, bataille pour la dominance et post-dominance. Pour ce dernier chercheur, chaque phase est caractérisée par le cycle de vie de la technologie et les possibles dynamiques qui rendent une solution plus dominante ou pertinente. D’après le modèle de Tushman and Rosenkopf (1992), l’évolution technologique est constituée par des variations de processus socioculturels, la sélection d’un standard pour l’industrie et le perfectionnement de la solution technologique choisie. Cette variation est le produit de ruptures et/ou du progrès technologique qui conduisent l’industrie à une phase d’incertitude et de compétition technologique pour atteindre le design dominant pour l’industrie. La technologie passe à une autre phase quand l’industrie choisit entre toutes les solutions un design dominant aux niveaux social, politique, organisationnel et, parfois, technique (la performance ou supériorité technique n’étant pas obligatoire) entre toutes les solutions. Ce design représente donc la maturité technologique et l’acceptation de la solution technologique par les différents joueurs de l’industrie. Ce standard évolue tout au long de la phase de changement incrémental jusqu’à l’apparition d’une nouvelle rupture et/ou d’un nouveau progrès technologique (Teece, 2000, Anderson et Tushman, 1990).

Figure 2-3: La trajectoire des technologies (Tushman and Rosenkopf, 1992)

Ce modèle de trajectoires technologiques peut être employé pour analyser le cycle de différents produits et processus, soit d’un seul composant d’un produit, soit d’un sous-système d’une technologie complexe ou bien de l’ensemble d’un système ou processus complexes. Tushman and Rosenkopf (1992) et Rosenkopf et Tushman (1995) ont défini un cadre pour classer les produits en fonction de leur complexité : produits non-assemblés (des éléments non séparables), produits simples assemblés (différents sous-systèmes qui sont assemblés pour définir un produit) et systèmes assemblés (un seul sous-système lié avec d’autres interfaces ou systèmes technologiques). Les produits sont des ensembles d’éléments interdépendants avec une fonctionnalité de base. Ces ensembles sont reliés entre eux par des connexions physiques et des interfaces (Henderson et Clark, 1990), alors que les systèmes assemblés sont constitués de systèmes fermés et ouvertes. Étant donné que l’évolution technologique peut se présenter sur un ou tous les éléments d’un système, l’interdépendance entre les différents éléments du système et du sous-système rend plus complexe les processus d’adoption d’un design dominant.

Les trajectoires technologiques et, surtout, la définition du design dominant dépendent fortement du dynamisme des acteurs de l’industrie (producteurs, usagers, fournisseurs, associations, gouvernements). Chaque acteur construit sa propre vision de la technologie ou bien son propre cadre technologique. Ces acteurs développent aussi des cadres de référence pour différentier la nouvelle technologique de celles déjà adoptées. Ce cadre leur permet de comprendre comment la technologie peut être utilisée et de définir des paramètres d’évaluation (Acha, 2004). Les cadres technologiques peuvent varier d’un joueur à l’autre et leur définition dépend du contexte de chaque joueur incluant ses expériences passées ou l’influence des

associations dont il fait partie (Kaplan et Henderson, 2005). Kaplan et Tripsas (2008) ont proposé un modèle cognitif pour expliquer l’influence des différents cadres de référence technologique sur l’évolution des technologies. Dans l’ère de fermentation, les variations sont les résultats de la non-conciliation de différents cadres de référence. Chaque joueur a sa propre appréciation de la technologie et des besoins à accomplir. Une conciliation entre ces différents cadres est établie afin d’atteindre un cadre collectif. Ainsi, l’industrie atteint un design dominant. Les changements incrémentaux sur ce design proviennent de la liaison entre le cadre de référence collectif de l’industrie et la structure de chaque organisation. La Figure 2-4 montre le modèle d’influences des cadres technologiques sur la trajectoire technologique.

Figure 2-4: Le modèle cognitif de la trajectoire des technologies (Kaplas et Tripsas, 2008)

Ce modèle cognitif tient compte de différents niveaux décisionnels entre les acteurs de l’industrie (usagers, producteurs, distributeurs, hôpitaux, associations) qui interagissent entre eux afin de définir un cadre collectif (1). La définition d’un consensus peut être longue et conflictuelle car elle va dépendre des backgrounds de chaque acteur et du degré d’incertitude de la technologie. Le cadre collectif est construit et diffusé pendant l’ère de fermentation pour être ensuite consolidé à la naissance du design dominant. Pendant l’ère des modifications incrémentales, le cadre collectif est structuré en fonction du progrès technologique et, finalement, il est éliminé dès l’apparition d’une rupture technologique. Les cadres technologiques individuels ont une influence sur la trajectoire technologique. En fonction de ces cadres, les acteurs vont influencer l’investissement et le développement de la technologie (3). Le progrès de la compréhension de la technologie va dépendre des actions entreprises par les différents acteurs de l’industrie. Réciproquement, la maturité de la technologie va permettre de diminuer le degré d’incertitude

des différents groupes décisionnels de l’industrie (4). L’interaction réciproque entre les cadres individuels et le cadre collectif ainsi qu’avec la trajectoire technologique permet de résoudre le paradigme des cadres technologiques compétitifs et des solutions technologiques compétitives (1+2+3+4). En effet, la trajectoire technologique finit par avoir une influence sur le cadre collectif.