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Les limites de la rationalit´ e et les biais cognitifs de la d´ ecision

3.3 Conclusion partielle

4.1.3 Les limites de la rationalit´ e et les biais cognitifs de la d´ ecision

Un comportement, une d´ecision est g´en´eralement consid´er´e comme rationnel pour celui qui l’adopte (?). La th´eorie de la d´ecision a longtemps ´et´e limit´ee aux approches de d´ecision dites ”rationnelles” notamment en univers risqu´e avant une remise en cause progressive.

La d´ecision rationnelle

L’`ere de la rationalit´e La vision math´ematique de l’aide `a la d´ecision reste aujourd’hui encore tr`es pr´esente. Pour un math´ematicien, l’analyse d´ecisionnelle n’est qu’une branche des probabilit´es appliqu´ee `a la prise de d´ecision (Woo, 1999). Les m´ethodes d’aide `a la d´ecision ont cependant ´evolu´e en un demi-si`ecle (Tsoukias, 2006). Dans les ann´ees 1950, l’aide `a la d´ecision se limite `a la recherche op´erationnelle (programmation lin´eaire, puis programmation non lin´eaire et dynamique) associ´ee au concept de ”d´ecision rationnelle” : le principe provient d’approches ´

economiques bas´ees sur l’optimisation sous contraintes d’une fonction objectif. Cette approche est d´evelopp´ee par von Neumann and Morgenstern (1944) puis Savage (1954) pour prendre en compte les cons´equences incertaines et risqu´ees des d´ecisions. Le mod`ele (de maximisation) d’utilit´e esp´er´ee pour la d´ecision dans l’incertain est ainsi le premier `a recevoir une justification axiomatique en termes de loteries probabilis´ees (von Neumann and Morgenstern, 1944) et en termes de pr´ef´erences entre actes (Savage, 1954). Les travaux suivants ont fini de poser les bases de la th´eorie classique de la d´ecision en proposant des fonctions ”objectif” d´ependant de plusieurs crit`eres dans les cas certains puis risqu´es et incertains (Debreu, 1954; Luce and Tukey, 1964; Tribus, 1974; Keeney and Raiffa, 1976).

La remise en cause de la rationalit´e En situation r´eelle, le d´ecideur n’adopte pas le comportement rationnel consistant `a choisir la solution qui maximise l’esp´erance d’utilit´e de son gain : les motivations ob´eissent `a une autre rationalit´e dite limit´ee. La mise en ´evidence de paradoxes logiques, conceptuels et empiriques1 ont conduit `a ´etablir le caract`ere limit´e de la rationalit´e d´ecisionnelle (Walliser, 1995). Une contribution essentielle est due aux travaux d’Herbert Simon dans les ann´ees 1950 qui ´etablit qu’un mod`ele de d´ecision n’existe pas ind´epen- damment du d´ecideur. Le mod`ele de rationalit´e doit ˆetre recherch´e dans le processus de d´ecision et pas `a l’ext´erieur. La rationalit´e externe est compatible avec un mod`ele d’optimisation mais pas avec un mod`ele d´efini de mani`ere subjective. D’un point de vue pratique, selon H. Simon, cela se traduit par les analyses suivantes2 :

– les d´ecideurs n’ont jamais une id´ee tr`es claire de leur probl`eme ;

– les probl`emes de d´ecision se pr´esentent souvent comme la recherche de compromis ; – la solution d’un probl`eme est soumise `a des contraintes temporelles et de ressources dis-

ponibles.

D’autres travaux d’´economistes (Allais, Ellsberg) mais aussi de psychologues (Kahnemahn, Tversky, Slovic) confirmeront cette rationalit´e limit´ee. Une synth`ese compl`ete de l’´evolution de la th´eorie de la d´ecision peut ˆetre trouv´ee dans (Tsoukias, 2006; Raufaste and Hilton, 2006; Pomerol, 2006) et en annexe E.3, p. 350)).

Les biais cognitifs

L’expertise des risques naturels, consid´er´ee comme un processus de d´ecision est susceptible d’ˆetre victime des biais psychologiques classiques ´etudi´es dans le cadre d’approches cognitives de la d´ecision humaine (Pomerol, 2006) (Raufaste and Hilton, 2006) et rappel´es ci-dessous :

– l’effet de la pr´esentation correspond `a l’aversion de choix risqu´es dans la zone de gains et une recherche de choix risqu´es dans la zone de perte mise en ´evidence dans la th´eorie des perspectives (Kahneman and Tversky, 1979) (voir annexe D.3, p. 342) ;

– l’effet de certitude est quant `a lui un comportement attest´e. Le choix certain d’un gain fix´e `

a l’avance est toujours pr´ef´er´e `a une loterie qui rapporte plus d’argent avec une probabilit´e 1− ε et rien avec la probabilit´e ε ;

– la sur-confiance correspond `a une surestimation de ses connaissances ou une sous-estimation de son incertitude. La plupart du temps

”les sujets sous-estiment ce qu’ils ne savent pas ; – l’illusion du contrˆole du risque : les faibles probabilit´es sont mal appr´eci´ees par les humains.

10−3 semble ˆetre la limite au-del`a de laquelle le risque est pris en compte. En dessous de cette valeur, le risque est accept´e s’il s’accompagne de l’id´ee du contrˆole (une attention particuli`ere permettrait d’´eviter le risque) ;

– l’effet de cadrage attribue une pr´ef´erence injustifi´ee `a une option en fonction des caract´e- ristiques superficielles ou de la pr´esentation du probl`eme (voir annexe D.4, p. 344) ; – le frame effect correspond `a un effet m´emoire selon lequel on h´esite `a reproduire une bonne

d´ecision quand elle correspond `a une exp´erience d´esagr´eable dans le pass´e ;

– l’effet de r´ecup´eration fait accorder plus de poids aux ´ev´enements les plus r´ecents ; – l’ancrage de repr´esentation accorde une probabilit´e plus forte aux ´ev´enements qu’on se

repr´esente plus facilement ;

– l’ancrage narratif accorde un poids excessif aux sc´enarios qui sont bien d´ecrits.

La confiance dans l’affect, d´efini comme un concept associ´e `a la notion de bien et de mal, de bon et de mauvais, est un autre m´ecanisme cognitif complexe qui aide `a r´epondre rapidement et concr`etement dans de nombreux contextes de d´ecision. Dans d’autres situations, l’affect conduit par contre `a juger les probabilit´es et les cons´equences d’actions de mani`ere p´enalisante (Slovic,

1. voir annexe D.5, p. 344 2. (Tsoukias, 2006)

2006).

Enfin, un dernier comportement concerne l’effet de groupe et les erreurs pouvant en r´esulter. Parmi les causes principales figurent l’exc`es de confiance, des gradients d’autorit´e dans le groupe, un d´eficit de communication et . . . un exc`es de courtoisie professionnelle (qui temp`ere la remise en cause d’un coll`egue) (Sasou and Reason, 1999).

L’expertise des risques naturels est concern´ee par ces biais d´efavorables dans leur ensemble. Parmi cette liste de biais cognitifs, seule l’aversion pour le risque dans le gain peut ˆetre consid´er´ee comme un aspect positif du comportement humain, dans la mesure o`u elle entraˆıne une attitude prudente. Tous les autres biais et comportements sont `a ´eviter et `a surveiller, l’un des plus dangereux ´etant celui de l’illusion du contrˆole du risque. Malgr´e tous ses d´efauts, le processus de d´ecision humaine conserve cependant sa sup´eriorit´e sur n’importe quel syst`eme de d´ecision artificiel (Raufaste and Hilton, 2006). L’expertise des risques naturels n’a pas moins de raison que toute autre activit´e humaine d’´echapper `a ces travers. Les connaˆıtre est d´ej`a un moyen de limiter les cons´equences d´efavorables. Expliciter les avis, contradictoires ou consensuels, argumenter et d´ecrire les d´ecisions sont des garanties pour identifier les d´erives.