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4.4.1 Principes retenus

L’aide multicrit`eres `a la d´ecision r´epond par nature `a l’objectif d’aide `a la d´ecision mais cor- respond `a la forme et `a l’esprit de la d´emarche d’expertise. La co-construction et la formulation des probl`emes reposent sur une forte interaction entre les analystes, les experts et les d´ecideurs. Cette approche est donc retenue pour deux raisons. Elle permet d’une part d’aider `a la d´eci- sion de mani`ere interne `a l’expertise mais aussi, d’autre part, d’´etablir un lien entre l’expertise ”technique” et les utilisateurs dans le cadre de d´ecisions de gestion ”int´egr´ee”. Les m´ethodes multicrit`eres apportent une contribution `a la probl´ematique de recherche mais pr´esentent aussi des manques par rapport aux objectifs.

La tra¸cabilit´e est assur´ee au travers de la formulation du probl`eme de d´ecision et l’expli- citation des pr´ef´erences formalisent des avis et permettent de tracer les modes de raisonnement, la nature des donn´ees utilis´ees. Elles constituent en ce sens un outil pour assurer la tra¸cabilit´e des hypoth`eses.

L’approche descriptive est conforme aux analyses conduites dans le contexte de l’ex- pertise sur son volet technique. Les concepts manipul´es sont connus et peuvent ˆetre d´ecrits par les experts. La m´ethode d’analyse hi´erarchique multicrit`eres (AHP ) correspond `a cette logique et propose une m´ethodologie analytique de d´ecomposition d’un probl`eme de d´ecision en sous- crit`eres. Elle pr´esente des proximit´es ´evidentes avec les m´ethodes de mod´elisation conceptuelle de l’information et les approches syst´emiques. Elle apparaˆıt comme une m´ethode intuitive proche des diagrammes cause-effet, pour formaliser naturellement les probl`emes de d´ecision. Elle est donc retenue en tant que support conceptuel pour formuler le probl`eme de d´ecision.

Les m´ethodes d’agr´egation totale (de type M AU T , AHP ) ne permettent pas de re- pr´esenter des structures de pr´ef´erence impliquant une incomparabilit´e et la non-transitivit´e des pr´ef´erences. Elles sont cependant retenues en premi`ere approche pour deux raisons :

– Pour exploiter les outils empiriques existants (somme pond´er´ee et ses variantes), les m´e- thodes d’agr´egation totales se rapprochent le plus des outils empiriques d’aide `a la d´e- cision existants. Bas´ees sur des structures de pr´ef´erence de type pr´e-ordres totaux, elles produisent une ´evaluation sous forme d’un crit`ere unique et permettent de r´epondre aux probl´ematiques de choix, de tri et de rangement. Elles autorisent une application s´equen- tielle de la m´ethode.

– Elles ´etablissent et reposent sur une liaison explicite, certes criticable mais aussi tout `a fait effective, entre les crit`eres et une d´ecision. Les fonctions d’utilit´e ou leurs ´equivalents sont des ´el´ements importants et localis´es dans la d´emarche pour expliciter les choix des experts et assurer la tra¸cabilit´e de la d´ecision. Les fonctions d’utilit´e transforment des crit`eres initiaux dans une mˆeme ´echelle pour autoriser leur agr´egation. Leur ´elaboration n´ecessite un effort cognitif important de la part des analystes pour d´efinir des pr´ef´erences

pour et entre tous les crit`eres. Les poids utilis´es dans les m´ethodes ´el´ementaires n´ecessitent d’ˆetre r´eellement consid´er´es comme des taux de substitution. Les approches bas´ees sur la th´eorie de l’utilit´e multi-attribut exploitent en majorit´e des loteries qui sont connues pour introduire des biais de la part des utilisateurs et qui ne seront pas utilis´ees dans la suite. La m´ethode d’explicitation des poids et de valuation des alternatives utilis´ee dans le cadre de l’analyse multicrit`eres hi´erarchique (AHP ) est une alternative permettant d’int´egrer une forme de flou dans l’´evaluation qui sera exploit´ee dans les d´eveloppements.

Bien que la notion de risque sous-tende toute la probl´ematique, nous abordons, en premi`ere approche, le probl`eme de d´ecision dans un univers certain. La d´ecision n’est pas ´evalu´ee par rapport `a des cons´equences incertaines relatives aux ´evaluations. L’objectif reste donc de prendre en compte et de faire ´etat de l’imperfection de l’information au niveau de l’´evaluation des crit`eres de la d´ecision.

4.4.2 Deux enjeux de d´eveloppement

Deux enjeux de d´eveloppement ´emergent pour r´epondre `a la probl´ematique et aux objectifs13. Le premier enjeu concerne le diagnostic, la restructuration de mod`eles de d´ecision existants et l’analyse de la pertinence des m´ethodes d’aide multicrit`eres `a la d´ecision dans le cadre de l’expertise. Le second enjeu porte sur la repr´esentation, le traitement et la prise en compte de l’imperfection de l’information ´evalu´ee dans les d´ecisions au travers des m´ethodes d’aide multicrit`eres (Fig. 4.14).

Figure 4.14 – Contributions des approches multicrit`eres aux objectifs de la th`ese

Enjeu n°1 : Diagnostic, pertinence et adaptation des m´ethodes Ce premier enjeu concerne le diagnostic et la reconfiguration de probl`emes de d´ecision structur´es hi´erarchique- ment. Pour r´eutiliser des mod`eles d’aide `a la d´ecision existants, ´etudier l’applicabilit´e des m´e- thodes d’aide multicrit`eres dans le cadre d’approches qualitatives d’analyse de risque mais aussi de structurer le probl`eme de d´ecision sous une forme compatible avec un processus de fusion d’information, l’enjeu est de :

– fournir un cadre de structuration et de diagnostic des mod`eles existants permettant no- tamment d’analyser les structures de pr´ef´erences et de reformuler les mod`eles existants sous de multiples formes hi´erarchiques.

– mesurer l’ad´equation et la contribution des m´ethodes d’aide multicrit`eres `a la combinaison qualitative des composantes du risque.

Les m´ethodes peuvent ˆetre jug´ees pertinentes si leurs principes et modes d’agr´egation per- mettent de repr´esenter les structures de pr´ef´erences rencontr´ees et d’aider les d´ecisions `a prendre dans le cadre de l’expertise des risques naturels. Il s’agit notamment de v´erifier si les m´ethodes empiriques existantes, principalement bas´ees sur des principes d’agr´egation par somme pond´er´ee, sont adapt´ees au probl`emes de d´ecision rencontr´es. Dans ces approches, la mauvaise interpr´e- tation des poids, qui sont en fait des taux de substitution, est assez fr´equente. Le recours aux utilit´es additives n´ecessite de respecter les principes d’ind´ependance pr´ef´erentielle des crit`eres. L’enjeu est donc de v´erifier si des structures de pr´ef´erences implicites servant `a ´evaluer le risque par le biais de tableau croisant les composantes du risque tels que l’al´ea et la vuln´erabilit´e peuvent exploiter les r´esultats de ces m´ethodes d’inspiration multicrit`eres pour produire une ´

evaluation. Il s’agira par exemple, `a partir d’une ´evaluation multicrit`eres d’un site expos´e, de retrouver les classements utilis´es de mani`ere empirique et non trac´ee dans le cadre des approches de caract´erisation du risque. Ceci n´ecessitera de valider l’utilisation de valeurs d’utilit´e affect´ees `

a l’al´ea et `a la vuln´erabilit´e et le principe d’utilit´e additive. Cette approche sera d´evelopp´ee dans le chapitre 7 (Fig. 4.15).

Figure 4.15 – Le diagnostic et la reconfiguration de mod`eles de d´ecision est un premier d´eve- loppement de la th`ese

Prise en compte de l’imperfection de l’information dans la d´ecision Un objectif du travail (objectif n°4) concerne la prise en compte de l’imperfection de l’information dans le pro- cessus de d´ecision. Dans leur forme originale, l’imperfection de l’´evaluation des crit`eres n’est pas prise en compte de mani`ere native par les m´ethodes d’aide multicrit`eres `a la d´ecision. Elles permettent de d´ecrire un processus de d´ecision en agr´egeant des avis sur des crit`eres h´et´ero- g`enes mais sans prendre en compte des ´evaluations incertaines, impr´ecises, conflictuelles de ces crit`eres. Il existe cependant des m´ethodes qui associent l’aide multicrit`eres `a la d´ecision et des repr´esentations de l’imperfection de l’information. Une analyse bibliographique sera d´evelopp´ee sur cet aspect dans le chapitre 6 apr`es avoir pr´esent´e au chapitre 5 les th´eories formelles de l’incertain utilis´ees dans ces approches mixtes. A ce stade, dans le contexte de l’expertise des risques naturels, int´egrer l’incertitude et plus g´en´eralement l’imperfection associ´ee `a l’informa- tion utilis´ee dans le cadre des m´ethodes multicrit`eres servant `a ´evaluer le risque reste donc un enjeu.

Les approches th´eoriques pour

l’information imparfaite et

paradoxale

L’origine des ”nouvelles” th´eories de l’incertain

Une th´eorie de manipulation de l’incertitude totalement op´erationnelle doit (Klir and Smith, 2001) :

– proposer une repr´esentation math´ematique ;

– d´evelopper un proc´ed´e de calcul pour manipuler (propager) l’incertitude ; – mesurer l’incertitude de fa¸con explicite ;

– proposer une m´ethodologie pratique de mise en œuvre des concepts.

Il existe plusieurs cadres th´eoriques pour repr´esenter et traiter l’information incertaine et impr´ecise et d´ecider dans un contexte d’incertitude ou de risque.

La th´eorie des probabilit´es constitue le cadre classique et historique. Elle a longtemps ´et´e consid´er´ee comme l’unique moyen pour mesurer et prendre en compte l’incertitude. Largement utilis´ee, y compris dans le contexte des risques naturels, la notion de probabilit´e n’est pas, `a la base, adapt´ee pour repr´esenter une vision subjective de l’information et des incertitudes d’ordre psychologique telle que la fiabilit´e d’un informateur (Bouchon-Meunier, 1995).

D’autres th´eories plus r´ecentes1, issues des travaux dans le domaine de l’intelligence artifi- cielle, sont apparues au cours de la seconde moiti´e du XX`eme si`ecle2 et permettent de mieux prendre en compte les informations vagues, incertaines, impr´ecises et paradoxales entre les diff´e- rentes sources. Il s’agit notamment des th´eories des ensembles flous, des possibilit´es et des fonc- tions de croyance au travers de la th´eorie classique de Dempster-Shafer (DST ) et de la th´eorie de Dezert-Smarandache (DSmT ) d´evelopp´ee plus r´ecemment. Ces diff´erents cadres th´eoriques, peuvent ˆetre utilis´es pour repr´esenter la connaissance dans les cas d’information imparfaite.

Ce chapitre d´ecrit les principes m´ethodologiques, les convergences et l’int´erˆet de ces th´eories dans la perspective d’application `a notre probl´ematique d’expertise associant d´ecision, sources multiples et information imparfaite.

5.1

Les probabilit´es

Les approches mises en œuvre dans le cadre de la gestion des risques pour manipuler et caract´eriser l’incertitude, s’inscrivent majoritairement dans le cadre probabiliste avec des d´eve-

1. qualifi´ees de ”nouvelles” th´eories de l’incertain 2. voir historique des th´eories en annexe F.1, p. 351

loppements r´ecents dans la perspective bay´esienne (Meunier et al., 2004) (Eckert et al., 2008a). Seuls les principes g´en´eraux sont rappel´es3.

5.1.1 Principes de base

Un espace probabilis´e est un triplet not´e (Ω,A, P ) avec Ω l’ensemble de tous les r´esultats possibles, A l’ensemble de tous les ´ev´enements auxquels on peut attribuer une probabilit´e et

P la mesure de la probabilit´e dont les valeurs sont comprises entre 0 et 1. Une probabilit´e P est une fonction qui associe `a un ´ev`enement A, un nombre r´eel compris entre 0 et 1. Soit un espace probabilisable (Ω,A), l’ application P : A −→ R, d´efinie sur l’ensemble des ´ev´enements associ´es `a l’espace fondamental Ω est une mesure de probabilit´e si elle satisfait les trois axiomes suivants :

∀A ∈ A, 0 ≤ P (A) ≤ 1. Les probabilit´es sont toujours positives et inf´erieures ou ´egales `a 1 ;

– P (´ev´enement certain) = 1. Ω repr´esente un ´ev´enement certain ;

– A∩ B = ∅ =⇒ P (A ∪ B) = P (A) + P (B). Si deux ´ev´enements sont disjoints ou incompa- tibles, leurs probabilit´es s’ajoutent ;

Soit un ´ev´enement A∈ Ω et son compl´ementaire not´e A. La connaissance de la probabilit´e de A d´efinit compl`etement celle de son contraire A soit P (A) = 1− P (A).

5.1.2 Les limites des probabilit´es

Les probabilit´es sont parfois distingu´ees en probabilit´es objectives et subjectives. Une proba- bilit´e objective r´esulte d’observations des r´ealisations d’un ´ev´enement (approche fr´equentiste). Une probabilit´e peut correspondre `a deux contextes : il peut s’agir d’une probabilit´e a priori donn´ee par un d´ecideur avant observation dans l’optique d’une mise `a jour ult´erieure (approche bay´esienne) ou d’une probabilit´e sans base objective (Pomerol, 2006). Les probabilit´es pr´esentent certaines limites pour repr´esenter l’information incertaine. Les probabilit´es constituent un for- malisme puissant et rigoureux voire id´eal (O’Hagan and Oakley, 2004) qui reste difficile `a mettre en œuvre quand l’information se r´ef`ere `a des ph´enom`enes non clairement reproductibles `a l’iden- tique (t´emoignages, ´elections). Les probabilit´es sont alors subjectives et repr´esentent plus des degr´es de confiance dans ce qu’un agent per¸coit comme ´ev´enement pertinent pour le probl`eme abord´e. Cette vision subjective des probabilit´es ont ´et´e introduite par De Finetti (de Finetti, 1937)4 sans toutefois permettre de justifier l’additivit´e des probabilit´es.

Pour certains, les probabilit´es peuvent prendre en compte les diff´erentes formes d’incertitude de l’information (O’Hagan and Oakley, 2004). D’un autre cˆot´e, la th´eorie des probabilit´es n’est pas la mieux adapt´ee pour repr´esenter l’incertitude par ignorance ou ´epist´emique (Sentz and Ferson, 2002)5. Les probabilit´es ne permettent pas de diff´erencier une conclusion issue d’un ´etat de croyance incertain d’une conclusion issue d’un ´etat d’ignorance (Lardon, 2004). Plusieurs difficult´es ont ´et´e identifi´ees (Dubois et Prade, 2006)6 :

– L’usage unique d’une probabilit´e unique comme outil de repr´esentation de l’incertitude ne permet pas de faire la diff´erence entre l’information incompl`ete sur une situation et le cas o`u la situation est r´eellement al´eatoire. Sans savoir si un d´e est pip´e, postuler une distribution uniforme sur les faces du d´e ne correspond qu’`a un principe de sym´etrie et pas `a la connaissance r´eelle du d´e ;

– La r´ealit´e peut ˆetre repr´esent´ee sous des r´ef´erentiels diff´erents selon les observateurs : l’un distinguera des situations qui seront ignor´ees par un autre. Il sera alors difficile de repr´e-

3. voir en annexes F.4 (p. 360) et D (p. 341) pour des d´efinitions compl`etes 4. voir aussi une perspective ´epist´emiologique (Morini, 2007)

5. p.8− 10 6. p.129

senter des ´etats de connaissance compatibles entre eux par des distributions de probabilit´e uniques sur chaque ´el´ement des r´ef´erentiels. L’exemple suivant est adapt´e (d’apr`es (Sha- fer, 1976)) au cas des crues torrentielles. On imagine l’existence de lave torrentielle sur un bassin versant torrentiel. L’agent ne sait pas s’il y en a ou pas. l repr´esente l’affirma- tion de l’existence d’une crue de type lave torrentielle et¬l son contraire. En l’absence de connaissances, un premier observateur propose le r´ef´erentiel S1 ={l, ¬l} avec une distri-

bution de probabilit´e P1(l) = P1(¬l) = 12. Un autre individu va vouloir distinguer le cas

de lave torrentielle de type granulaire (lg) ou boueuse (lb) et proposera un autre r´ef´eren- tiel S1 = {lg, lb, ¬l} avec une distribution P2(lg) = P2(lb) = P2(¬l) = 13. l repr´esente la

disjonction (union) de lg et lb. On a donc P2(lg∪lb) = 23 et P1(l) = 12. Les distributions de

probabilit´e P1 et P2 sont incompatibles alors qu’elles sont suppos´ees repr´esenter la mˆeme

r´ealit´e.