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CHAPITRE 3. FLUX LINGUISTIQUES, TEMPS ET ESPACE URBAIN …

1. Les langues en mouvement : émergence d’une notion

L’expression « flux linguistiques », loin d’être utilisée en sociolinguistique, l’est déjà dans des domaines comme la psychologie, l’économie, en traitement automatique des langues. Mais, même si elle est souvent employée dans la littérature de ces spécialités, force est de constater qu’aucun auteur n’en fait une réelle définition, voire description. Blacher (2001) en fait tout de même une suggestion de définition en assimilant les flux linguistiques aux « courants de langues » qui traversent un pays. Par « courants de langues », on peut supposer qu’il s’agit des traces, ou plus, de langues importées lors des invasions et occupations antérieures, puisque que l’auteur aborde les contacts de langues au Turkménistan. Mais la question reste donc posée car nous ne pouvons nous contenter de supposer le sens que les différents auteurs apportent à cette notion ainsi employée.

1.1. Double dimension du phénomène.

Le mouvement fluctuant des langues, un aspect des flux linguistiques, est de deux ordres : le déplacement et la diffusion. Ce que l’on entend par « langue » donne à voir plusieurs réalités. Cependant, celle qui guide cette réflexion s’énonce comme suit : « […] une langue est langue dès lors que des locuteurs la nomment telle et s’y

identifient » (Bulot 2006 : 27). Même si est abordé plus loin (p. 113) le statut qui

peut lui être attribué par tel ou tel locuteur, le présent propos n’est pas de définir structurellement une langue, notamment par opposition au dialecte ou au patois, mais plutôt de s’appuyer sur les représentations des locuteurs de ce qu’ils parlent ou de ce qu’ils perçoivent que d’autres parlent ou disent parler, sur « le fait qu’elle [la langue]

est reconnue d’abord par la communauté qui la parle, et/ou par d’autres communautés qui disent que c’est une langue différente » (Marcellesi 2003 : 28). Par

conséquent, le déplacement ou la diffusion de langues concernent, de fait, tout parler, tout système linguistique qui produira du sens et qui véhiculera des formes identitaires, qu’elles soient sociales, ethniques, etc.

1.1.1. Déplacement.

Il est bien entendu que les langues ne se déplacent pas toutes seules. Ce mouvement sera associé aux déplacements des locuteurs d’une langue donnée. Tout locuteur se déplace avec son bagage linguistique et culturel. Ainsi tout déplacement, toute migration entraîneront-ils un mouvement « invisible » des langues. L’une des conséquences des déplacements sont les contacts de langues – qui sont en fait des contacts de populations, d’individus.

Au-delà de cet aspect, des discours aussi rendent compte de ces mouvements de populations, qu’ils aient eu lieu, qu’ils soient effectifs ou que les populations désignées soient perçues comme étant en déplacement. Bulot (2009 : 17) indique comme relevant de la migrance « le discours hégémonique sur la mobilité subie ou

choisie ». Il continue en proposant de « conceptualiser la migrance comme le discours sur la forme socialement négative de la mobilité spatiale ». Qu’est-ce à

dire ? Le déplacement, du fait d’être mis en discours, appelle à catégoriser l’espace sujet à cette mobilité, voire à le stigmatiser1. Cette catégorisation de l’espace, liée à son appropriation, donnera lieu elle aussi à des discours, à une territorialisation de la migrance, « le discours sur l’appropriation de cet espace de mobilité » (idem).

1.1.2. Diffusion.

Elle relève d’un tout autre état que le déplacement. Liée aux médias, ou d’autres facteurs comme la vente de produits étrangers à travers le monde (ex. produits US incitent à connaître l’anglais), comme la culture (qui s’exporte), etc., ce type de mouvement de langues n’est pas lié aux déplacements de population, mais à un déplacement « abstrait » des langues. Calqué alors sur l’expression « flux des

1 C’est sous cet angle que sera explorée la mobilité lors de notre enquête. La mobilité y est surtout saisie comme phénomène discursif plutôt que quantitatif. L’importance est donc accordée aux discours, et non aux migrations effectives en tant que telles.

cultures » (Plantin 2006), les flux linguistiques ne sont pas forcément astreints aux flux migratoires. Il n’est alors pas besoin de populations ou communautés linguistiques en contact. Ce phénomène exclut donc les notions classiques de la sociolinguistique (urbaine ou non). Le principal réseau entraînant cela est celui d’Internet, mais le réseau du Livre, lui aussi, est un facteur de diffusion des langues. Des facteurs comme l’école ou la radio concourent à ce phénomène.

1.2. Les flux linguistiques : une place singulière dans la matrice des flux. 1.2.1. Définition.

Brièvement, nous définirons le flux linguistique comme étant un flux qui, associé aux autres types de flux, permet le déplacement ou la diffusion de langues dans un espace donné et dans une notion de temps donné (cf. les « types de temps »). Les flux de langues soutiennent toute la matrice. En effet, ils sont présents dans tout type de flux. Le flux linguistique a donc une place singulière parce qu’il est toujours associé à un autre type de flux. Il ne peut évoluer seul et tout type de flux comporte du flux linguistique.

Les flux linguistiques auront deux types d’incidences : une incidence collective et une incidence individuelle. L’incidence collective est liée aux mouvements de population et donc aux déplacements tels qu’abordés supra. Interviennent alors les notions de contacts de langues, conflits de langues, communauté linguistique, etc. puisque sont pris en compte les locuteurs en tant que groupes, groupes se mouvant.

L’incidence individuelle est liée à l’individu et à ses déplacements, mais aussi aux contacts personnels qu’il aura dans un phénomène de diffusion. Il y aura incidence sur son système linguistique propre, sur son univers de référence personnel. De plus, l’individu pourra influer « inconsciemment » sur d’autres systèmes – d’aucuns préféreront dire « spontanément ». Ce phénomène peut avoir lieu de différentes façons : au sein d’une même communauté linguistique, ou bien, entre deux individus de communautés linguistiques différentes.

1.2.2. Temps et flux : une quasi-indissociabilité.

Tout contient du temps et se situe dans le temps. Sans vouloir entrer dans des détails philosophiques, nous dirons qu’à partir du moment où nous concevons une succession d’actions, un « écoulement » de faits, la notion de temps intervient. Par conséquent, un flux, quel qu’il soit, s’effectue non seulement à un moment donné, mais aussi sur une durée. Il évoluera à des fréquences plus ou moins rapprochées. Son inscription dans le temps est donc une de ses caractéristiques intrinsèques.