• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 6. LA VILLE EN LANGAGE

2. Le discours sur la ville

2.1. Les réflexions sur la ville.

2.1.1. Une analyse des quartiers.

« Les quartiers résidentiels des classes moyennes se multiplient au détriment d’un centre-ville qui s’est dépeuplé : les collines de

Bellevue, Clairière, Cluny1, puis [plus loin dans l’agglomération

foyalaise] à Schœlcher, Terreville, La Démarche1 etc. » (Jalabert

2007 : 183-184).

« Deux phénomènes déterminants apparaissent cependant : un schéma de forte ségrégation par quartier qui demeure fondamental, avec des zones très riches qui peuvent parfois être directement au contact de zones très pauvres. Ces différenciations sont liées à des héritages historiques […]. Un second phénomène se dégage autour de l’agglomération : le centre est déprécié par des faubourgs urbains pauvres tout particulièrement vers le sud et l’ouest de la ville, alors que le périurbain nord est plus avantagé » (op. cit. : 184).

Le regard porté sur les quartiers de la ville de Fort-de-France est celui d’un historien. Nous aurions pu choisir une autre analyse, ce qui importe ici étant la façon dont le regard est porté, plus que le regard en lui-même. L’auteur entame une description de la ville à travers le temps, en faisant apparaître les phases successives de sa construction. D’un centre nodulaire, la ville s’est étendue de toutes parts, menant ainsi à l’émergence de nouvelles zones habitées. Ces espaces appropriés le sont de façon hétérogène, puisque les populations se les appropriant le sont par essence aussi. Les écarts créés entre les différents espaces entraînent son découpage, d’abord ressenti, puis effectif. Sont alors obtenus les quartiers.

Une analyse pointilleuse, de Fort-de-France en particulier, peut difficilement ignorer les quartiers, à moins de considérer la ville comme sous-ensemble d’un méga-ensemble que serait l’île ou l’espace caribéen.

2.1.2. Un projet de cohésion sociale

Parallèlement aux multiples analyses qui peuvent en être faites, la ville fait naître des projets. L’un des derniers en cours mené par la municipalité de Fort-de-France est le Contrat Urbain de Cohésion Sociale (CUCS), sur la durée 2007-2009. Ce contrat a pour objectif d’harmoniser les quartiers de la ville en menant « une

politique de solidarité, de tranquillité publique, et de développement en direction des

quartiers de la ville qui cumulent les difficultés sociales, urbaines et économiques les plus importantes » (CUCS : objet et enjeux).

Ce qui nous interpelle là encore, ce n’est pas le projet en lui-même, mais le fait d’appréhender la ville par quartiers. Elle comprendrait principalement deux types de quartiers : les quartiers aisés, qui ne souffrent d’aucune difficulté particulière, et les quartiers dits « populaires ». La vision parcellaire de la ville est due aux représentations qu’en ont les acteurs urbains.

Ces réflexions sur la ville portent sur les quartiers : analyser les parties pour mieux appréhender le tout. Il est effectivement difficile de la saisir dans sa globalité au risque d’être imprécis, flou. Analyser la ville quartier par quartier est une façon de pouvoir reconstruire la mosaïque urbaine, en en considérant toutes ses particularités. Une des autres voies d’analyse est l’étude des discours spontanés qui abondent d’un bout à l’autre de la ville.

2.2. Les discours spontanés.

« Le premier langage qui permet de qualifier l’expérience urbaine est […] celui du poète et de l’écrivain, celui des mots et de leur rythmique » (Mongin 2005 :

32). Ces mots découlent de l’observation de la ville : ses monuments, ses transports, les objets propres à la ville (les horodateurs, par exemple), ses gens. Ces derniers, de par leur langage corporel, gestuel, linguistique, s’expriment sur la ville ou participent à faire d’elle ce qu’elle est. Ne serait-ce pas là le premier langage de la ville ? Car les discours de poètes sont raisonnés, réfléchis, rendus beaux – ne serait-ce que par leur forme –, ceux du citoyen sont spontanés, vécus. Ils donnent à voir la ville sous son aspect brut. Mongin (idem) aborde quelque peu cette idée quand il reconnaît qu’il « y

a autant de poétiques de la ville que de corps qui la parcourent et s’y aventurent ».

L’une des raisons pour lesquelles il faille accorder de l’importance à ces discours est qu’ils participent eux aussi à la mise en discours de la ville. Les ignorer serait occulter une partie de l’objet ville.

Conclusion du chapitre 6 – Entre la description de Fort-de-France et la

méthodologie d’enquête, « La ville en langage » présente rapidement ce que nous entendons par la prise en compte des langues en ville et des discours sur la ville.

Plusieurs langues cohabitent à Fort-de-France. Cette cohabitation n’est pas également répartie sur tout le territoire foyalais, puisque seuls quelques quartiers sont concernés par la coexistence de plus de deux langues, même si l’on retrouve le français et le créole dans tous les quartiers. Malgré tout, cette constatation amenait l’idée que les relations entre ces deux langues aient pu évoluer. Par conséquent, notre regard a davantage porté sur le rôle du créole, notamment dans l’intégration des migrants, avec ses portées et ses limites, cité pour exemple le milieu scolaire.

Ensuite, notre attention s’est dirigée vers la gestion de cette situation linguistique par la ville de Fort-de-France, tout en soutenant la nécessité de mener une politique linguistique adaptée à ce terrain.

Enfin, au-delà des langues proprement dite, une brève observation des discours tenus sur ce dernier, à travers des points de vue historique et politique introduit l’idée que tout discours, quel qu’il soit, participe de l’élaboration de la ville. Les discours structurent l’espace de ville.

Les questions posées en début de chapitre ne restent pas sans réponse. En effet, au sujet des rapports entre le français et le créole, dans une situation de polyglossie atypique, puisque seuls certains locuteurs migrants se trouvent confrontés à trois langues, il semblerait que le statut du créole change et qu’il devienne une langue intermédiaire, permettant parfois l’accès au français aux locuteurs non-francophones.

La Ville, à son tour, même si elle se rend compte de la présence de migrants sur son territoire, ne met pas en œuvre des projets réellement associés à cette présence. Pourtant, la considération de la richesse des apports linguistiques et culturels favoriserait l’intégration des migrants au sein de la ville et, par la même, la présenterait sous un meilleur jour. En effet, l’image de Fort-de-France gagnerait à être revalorisée, redorée.

Parallèlement à cela, de nombreuses réflexions sont engagées. Dans celles choisies ici, la ville y est perçue par quartiers entre lesquels il faudrait rétablir une certaine cohésion, malgré leurs disparités. Un florilège de pensées sur la ville de

Fort-de-France aurait pu être exposé, mais le but de cette courte présentation était d’ouvrir la voie à d’autres types de discours, moins réfléchis cette fois, qui ont eux aussi leur importance dans la mise en mots structurante de toute ville.

CONCLUSION INTERMEDIAIRE : MIGRATIONS, FORT-DE-FRANCE, DISCOURS…

Contrairement à d’autres zones du monde, la Caraïbe n’est pas une zone de fortes migrations. Pour autant, le phénomène migratoire n’y est pas moins complexe. Extracaribéens, les départs s’effectuant vers les grandes métropoles d’Europe ou d’Amérique du nord, ou intracaribéens, les populations se déplaçant des îles plus modestes vers les îles plus aisées, les flux migratoires sont une constante dans l’histoire et la géographie du bassin caribéen. La Caraïbe insulaire, aire considérée pour l’étude, comprend plusieurs langues. La juxtaposition de celles-ci ou leur cohabitation pose la question de l’enjeu sociolinguistique qu’elles peuvent représenter. En effet, l’unité linguistique peut entraîner une cohésion étatique, cohésion pour le moment absente. Cependant, la diversité linguistique n’empêche pas les échanges inter-îles.

Fort-de-France, soumise à cette diversité, à une moindre échelle certes, s’est enrichie et édifiée suite aux migrations internes et externes dont elle a fait l’objet. Les déplacements internes, des campagnes vers la ville, au début du 20ème siècle ont entraîné la création de quartiers qui composent aujourd’hui encore une partie de la mosaïque foyalaise. Les mouvements externes, anciens ou actuels, ont façonné le visage de la population au fil du temps et permis la cohabitation de plusieurs langues dans l’espace de ville. Cette coexistence modifie quelque peu la donne sociolinguistique en redéfinissant le rôle du créole, alors langue intermédiaire entre le français et les autres langues.

Cette donne n’est pas valorisée par la Ville et seuls les discours issus de réflexions sur la ville sont considérés. Mais toute forme, tout type de discours révèlent le(s) visage(s) de l’espace urbain et la façon dont ses locuteurs se l’approprient.

C/ SAISIR AU MIEUX LES DISCOURS SUR LA VILLE : UNE ENQUETE.

Discours, du latin discursus, « dérouler sa pensée » : saisir les discours reviendrait à appréhender la façon dont les individus développent leur pensée, comment ils se représentent ce qui les entourent et quel raisonnement ils adoptent. C’est cela qu’il est difficile de saisir. Une enquête permet donc de structurer ce que l’on cherche, après être entré en contact avec les individus que l’on souhaite entendre.

Quelle méthodologie a été utilisée et quelles sont les étapes de réalisation de l’enquête ? Comment a été faite la restitution des données brutes ? En quoi leur exposition reste importante ? Quelle analyse en a été réalisée ? Quelle est la substance des discours recueillis ?

Le compte-rendu du protocole d’enquête donnera une visibilité de la raison d’être de l’enquête et la façon dont elle s’est déroulée. Les questionnaires qui en découlent ont fait l’objet d’un traitement par le biais d’un logiciel, traitement dont il est fait état dans cette partie.

Deux types de données brutes sont retransmises : quelques questionnaires et deux entretiens de migrantes.

La synthèse des résultats met au jour des représentations de locuteurs des rapports entre les langues et l’espace, leur vision de l’espace de ville de Fort-de-France.