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Les Intellectualistes

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 50-61)

1 re partie : Étude générale sur la magie et la pensée magique

I. Conceptions anthropologiques de la magie

1- Les Intellectualistes

La magie a d’abord été abordée de l’extérieur, comme une pratique lointaine pour l’observateur, qui cherche à la circonscrire en la mettant en rapport avec des modes de penser et des catégories appartenant à des savants positivistes et occidentaux, définis comme l’étalon de la rationalité. D’une certaine façon, le « primitif » 2 naïf mais honnête intellectuellement, croyant à la possibilité d’agir sur le monde par des techniques magiques constitue une figure de l’autre radical par rapport à l’anthropologue qui étudie sa société, au point que le tenant de ces conceptions rétives à l’explication rationnelle semble souvent relégué aux limites du

1. Pour un exposé détaillé et critique des principales théories explicatives de la magie, montrant commet les sciences humaines construisent leurs objets, voir P. SANCHEZ, La Rationalité des croyances magiques, Genève, 2007, passim.

2. Utilisant ce terme, nous ne faisons que reprendre la terminologie qui avait cours à l’époque chez les auteurs que nous étudions, souvent pétris d’idéologie évolutionniste. Notre recherche tendra d’ailleurs à montrer que le

« primitif » n’est pas aussi primitif que l’ont pensé les premiers anthropologues. Nous renvoyons également aux critiques formulées au sujet de l’utilisation de ce terme par O. LEROY, La Raison primitive. Essai de réfutation de la théorie du prélogisme, Paris, 1927, pp. 16-24.

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monde de la faune 3. Face à l’étrangeté de la magie, l’anthropologue essaie de comprendre pourquoi l’intervention de forces occultes dans le monde paraît être aussi évidente pour le primitif que le caractère naturel du fonctionnement du même monde l’est pour l’anthropologue : il avance alors des lois psychologiques censées expliquer pourquoi le primitif croit à la possibilité de voir se produire ou de réaliser soi-même des phénomènes contredisant les lois de la nature. L’approche intellectualiste pèche évidemment par sa systématisation et son essentialisation de ses objets d’étude, pensant en somme dégager une vision du primitif idéal, indépendant de sa société d’origine, ce qui est une conséquence somme toute logique de son évolutionnisme, puisqu’il fallait bien trouver un pendant originel à l’Occidental civilisé et détenteur de la science positive.

a) Les précurseurs : E. B. Tylor, A. Lang et le principe d’association d’idées

À la fin du XIXe siècle, E. B. Tylor place la croyance au cœur de son analyse de la magie. Il est cependant un des premiers à reconnaître que la magie n’est pas simplement un art frauduleux et fallacieux mais constitue un système de pensée complexe, bien que le magicien soit souvent un être habile, sachant tenir un discours ambigu et trouver des explications convaincantes lorsque sa magie échoue, comme évoquer l’intervention d’une magie hostile plus puissante ou la survenue d’un mal plus grand sans l’intervention du sorcier, expliquant ainsi comment la croyance en cet art perdure bien que les faits la démentent régulièrement 4. Malgré cette capacité à inventer des raisons justifiant les échecs de sa pratique, Tylor estime que le magicien est sincèrement convaincu de ses pouvoirs et surtout, se croit dépositaire de connaissances objectives sur le fonctionnement du monde 5 :

La science occulte aurait été simplement conçue à des fins de tromperie, de pures absurdités auraient fait l’affaire pour cela, alors que ce que nous trouvons est une pseudoscience élaborée et systématique. Elle est en fait un système de philosophie sincère mais fallacieux, développé par l’intellect humain par des procédés demeurant dans une grande mesure intelligibles à nos propres esprits, et elle avait ainsi une véritable base fixe dans le monde.

3. Sur le dénigrement systématique des conceptions magiques des primitifs par les prédécesseurs immédiats des Intellectualistes, voir P. SANCHEZ, op. cit., pp. 24-38.

4. E. B. TYLOR, Primitive Culture, 6e éd., London, 1920 [1=1871], I, pp. 134 sq. Les mêmes positions seront défendues par J. G. FRAZER, Le Rameau d’or, tome I, Le Roi magicien dans la société primitive (1890), trad.

française, Paris, 1981, p. 138.

5. E. B. TYLOR, op. cit., p. 134 : « Had occult science been simply framed for purposes of deception, mere nonsense would have answered the purpose, whereas, what we find is an elaborate and systematic pseudo-science. It is, in fact, a sincere but fallacious system of philosophy, evolved by the human intellect by processes still in great measure intelligible to our own minds, and it had thus an original standing-ground in the world. »

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A. Lang ira encore plus loin en considérant que, du point de vue animiste du primitif, la magie est scientifique puisqu’elle cherche à rendre le monde intelligible, tout en comportant une dimension religieuse puisqu’elle fait appel à des forces surnaturelles 6 : en raison de sa connaissance limitée des causes physiques, le primitif serait amené à imaginer des interventions surnaturelles et en raison de sa crédulité, il pense même qu’il est possible d’en faire l’expérience, la nature étant pour lui animée 7. Cette approche consacre deux thèmes qui seront souvent débattus lorsqu’il s’agira d’expliquer ce qu’est la magie : d’une part, son rapport à la science et à la religion et d’autre part, sa dimension explicative à partir d’une causalité imparfaite qu’elle introduit.

Par conséquent pour ces auteurs, il ne fait aucun doute que ceux qui recourent la magie le font car ils croient résolument que les rituels accomplis peuvent avoir une influence réelle et tangible sur le monde matériel, conformément à leurs désirs 8. Ensuite, regarder la magie comme une science, même embryonnaire, conduit à projeter sur elle une forme de positivité : à l’instar des sciences qui cherchent à mettre en évidence les lois nécessaires de la nature, la magie doit aussi révéler une sorte de nécessité, surnaturelle. En d’autres termes, le primitif invente la magie car il ne connaît pas la physique avec ses lois naturelles. Par une analogie implicite, on en déduit que celui-ci doit obligatoirement adhérer à la magie, de la même manière que l’Occidental adhère à la science car la magie est posée comme étant une forme de science. Ainsi, le discours tenu par les anthropologues les conduit naturellement à attribuer certaines croyances aux peuples qu’ils étudient, puisque, par définition selon eux, seule la science rend compte adéquatement des phénomènes naturels. Le problème est que la science conçoit des raisonnements argumentés et rationnels, visant à l’universalité et persuasifs, construits selon une méthode, vérifiés par l’expérience, alors que la seconde en est incapable, tout simplement parce que ce n’est pas son objet car elle n’a pas de vocation explicative, contrairement à ce que pensent Tylor et ses disciples, ou du moins de façon très sommaire et sans prétendre à aucune certitude et encore moins à l’universalité. Dès lors que l’on demande à la magie des résultats qu’elle n’est pas susceptible de produire par nature, celle-ci finit logiquement par prêter le flanc à la critique. Finalement, du point de vue des anthropologues intellectualistes, loin d’être une figure d’altérité pour le chercheur occidental, le magicien est en réalité un confrère éloigné puisqu’il s’agit, d’après eux, d’un scientifique ayant construit ou adhérant à un système explicatif de la nature, à la différence près que son système est inadéquat car faisant intervenir des forces non-naturelles, alors que le scientifique occidental explique la nature à partir d’elle-même et n’a pas besoin de croire à des forces occultes pour

6. A. LANG, Myth, Ritual, and Religion, London, 1887, I, pp. 49 sq., 84.

7. Ibid., p. 88.

8. É. DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, p. 475, adopte la même position.

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fournir une représentation du réel qui soit adéquate. C’est pourquoi, dans sa perspective évolutionniste, Tylor considère la magie comme le plus bas degré de civilisation 9.

Cette façon erronée d’aborder la nature aurait une origine psychologique. Tylor, reprenant une conception exposée confusément par H. Spencer 10, explique que la magie procède d’un fonctionnement symbolique par associations d’idées : quand il est peu avancé intellectuellement, l’homme associerait dans son esprit des choses qu’il voit connectées dans la réalité, puis il inverserait cette démarche en imaginant que les choses que son esprit met en relation le sont également dans la réalité. Lang reprendra ce principe d’association d’idées et le complétera en évoquant un principe selon lequel le même est lié au même (« the “like to like” theory ») 11, principe qui trouvera sa formulation la plus riche et la plus complète dans les lois de la magie sympathique de Frazer. On observe que cette conception est évidemment erronée au regard de la réalité des capacités humaines mais s’appliquer à la suivre est une démarche rationnelle dès lors que l’on a reconnu sa validité. Au regard de l’interprétation intellectualiste, l’homme primitif se caractérise donc par sa faiblesse psychologique plus que par son manque de rationalité, faiblesse psychologique qui contribue à expliquer l’attachement à une pratique incapable de tenir ses promesses 12. Si sa psychologie avait été celle d’un scientifique occidental contemporain, il aurait eu la même approche du monde et de la nature que ce dernier. De nouveau, un schéma évolutionniste, psychologique cette fois, sous-tend les conceptions intellectualistes.

Enfin, Tylor remarque que, bien qu’étant futiles, les pratiques connexes à la magie sont associées à nombre d’activités qui ne le sont pas : la divination traite de questions réelles, l’ordalie doit répondre à la culpabilité d’un suspect, le magicien fait office de prêtre et de médecin, et jouit d’une réelle influence sur ses concitoyens, d’une autorité à l’instar d’un maître par rapport à ses disciples, ce qui renforce l’efficacité de sa magie et la croyance de ceux qui en sont témoins 13. Ces répercutions sociologiques de la magie seront également

9. E. B. TYLOR, op. cit., p. 112.

10. H. SPENCER, The Principles of Sociology, I, 3e éd., reprint, New York, 1897 [1=1876 ; 3=1885], pp. 106 sq.

La notion d’association d’idées a été développée par la psychologie empiriste anglo-saxonne. D. Hume lui consacre notamment la troisième section de son Enquête sur l’entendement humain où il explique que les idées se connectent selon trois principes : « la ressemblance, la contiguïté dans le temps ou le lieu, et [le rapport de]

cause ou d’effet » (« Resemblance, Contiguity in time or place, and Cause or Effect », An Enquiry Concerning the Human Understanding, and an Enquiry Concerning the Principles of Morals, reprint, Oxford, MDCCCXCIV [1=MDCCLXXVII], p. 24).

11. A. LANG, op. cit., I, pp. 95-97. Voir aussi H. SPENCER, op. cit., I, p. 246.

12. Voir aussi F. B. JEVONS, « Magic », p. 78, qui fait le lien entre l’action du magicien accomplie rituellement et le but poursuivi par sa volonté en le faisant : « Pour nous, l’exclamation ou le geste indiquent seulement ce qui est voulu. Du point de vue du sauvage, qui manque de faire la différence entre les catégories de la ressemblance et de l’identité, l’action qu’il accomplit ne ressemble pas simplement mais est l’action qu’il veut. » (« To us the exclamation or gesture only indicates what is willed. In the opinion of the savage, who fails to discriminate between the categories of likeness and identity, the action he performs not merely resembles, but is the action which he wills. »)

13. E. B. TYLOR, op. cit., pp. 133 sq.

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observées par Lang qui notera que le magicien est souvent associé au pouvoir politique puisque les chefs ont souvent besoin d’être consacrés par eux pour pouvoir faire vraiment valoir leur autorité, et sont d’ailleurs parfois eux-mêmes des magiciens 14. Ainsi, une pratique peut avoir des fondements irrationnels, être inefficace en elle-même et pourtant avoir une fonction et une influence sociales bien réelles. La seule façon de parvenir à cet état de fait est d’amener cette pratique à avoir une aura suffisante auprès de la population pour que celle-ci s’en remette à elle. Une fois de plus, la croyance est au cœur du fonctionnement de la magie et de la pérennité de son exercice.

En définitive, la magie est pour ces anthropologues un système cohérent de croyances irrationnelles fondées sur un mécanisme psychologique et inséré dans un système social.

b) Les lois de la magie sympathique : J. G. Frazer

L’approche de Tylor et Lang sera adoptée et développée par J. G. Frazer, qui donnera aux théories intellectualistes leur forme la plus aboutie. L’influence de l’œuvre de Frazer sera considérable. Le point de départ de sa réflexion est un constat de nature sociale. En effet, dans le premier tome du Rameau d’or, l’anthropologue relève qu’à la fonction de roi est souvent associée une fonction sacerdotale chez les peuples de l’Antiquité et chez les primitifs 15 : mieux, le roi est d’essence divine et réputé capable d’accomplir des prodiges. Cette croyance viendrait du fait que « Le sauvage ne distingue guère, comme le ferait l’homme civilisé, entre ce qui est naturel et ce qui est surnaturel. » 16 Le monde serait donc rempli de forces surnaturelles agissant suivant des mobiles identiques à ceux du primitif, et qui seraient susceptibles de répondre aux appels de ce dernier. Ainsi le primitif s’imagine détenir un pouvoir infini sur la nature 17. De nouveau, la croyance est première et est placée à la base de l’édifice social. Si son contenu est irrationnel, en revanche, l’utilisation qui en est faite ne l’est pas car l’homme primitif est cohérent avec ses conceptions puisqu’il en respecte les principes de fonctionnement (la logique, si l’on peut dire) et qu’il établit l’ordre régissant sa société conformément à ces croyances. Si la remarque de Frazer au sujet de l’indistinction entre le naturel et le surnaturel chez les primitifs n’est pas fausse du point de vue des catégories, qui sont essentiellement occidentales, il est en revanche erroné de penser qu’ils ne font pas la différence entre un fait naturel et un fait qui ne l’est pas : en négligeant de reconnaître cela,

14. A. LANG, op. cit., I, p. 108.

15. J. G. FRAZER, Le Roi magicien…, pp. 36 sqq., ainsi que pp. 211-234.

16. Ibid., p. 40.

17. Ibid.

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Frazer est nécessairement amené à prêter des croyances aux peuples primitifs, d’autant plus qu’il utilise des catégories étrangères aux sociétés considérées, les planquant sur les modes de cognition de leurs membres, ce qui induit le postulat que l’absence de distinction catégorielle est naïvement projetée sur l’appréhension des faits.

En revanche, le grand apport de Frazer est la théorisation de la magie qu’il propose et qui rend effectivement compte de nombreuses observations, bien que la loi psychologique qui serait à l’origine des croyances magiques soit fausse en tant que telle. L’anthropologue britannique adopte le principe d’association d’idées exposé par Tylor, qu’il décline selon deux

« lois » 18 : la loi de similitude d’après laquelle « tout semblable appelle son semblable, ou […] un effet est similaire à sa cause » et qui régit une magie appelée homéopathique ; et la loi de contact ou contagion stipulant que « deux choses qui ont été en contact à un certain moment continuent d’agir l’une sur l’autre alors même que ce contact a cessé » et qui est à la base de la magie contagieuse 19. Évidemment, en analysant la magie de façon à en tirer des lois fondées sur des associations d’idées, Frazer renforce encore le rôle qu’il attribue à la croyance qui devient une attitude mentale systématique (le primitif croit que le même agit sur le même et la partie sur le tout, comme si c’étaient des faits de la nature), alors que ces lois ne sont pas consciemment énoncées par les primitifs et ne constituent qu’une grille de lecture abstraite de la part d’un observateur étranger, qui est d’ailleurs obligé de faire intervenir des présupposés qu’il pose lui-même pour rendre compte de la rationalité de cette attitude croyante, comme par exemple la nécessité d’une sorte d’éther invisible autorisant l’action à distance des choses les unes sur les autres sous l’effet de la magie sympathique 20. Poussant sa propre logique jusqu’au bout, l’anthropologue est donc amené à ajouter des croyances aux croyances.

Pour le sorcier, d’après Frazer, ces lois sont universelles et non limitées aux actions humaines : « Le magicien, en effet, croit implicitement que les mêmes principes qui lui

18. Ibid., p. 42.

19. Ibid., p. 41. Les lois de la magie sympathique se trouvent déjà en germe chez H. C. AGRIPPA, De occulta philosophia libri III, rééd., Lugduni, 1550 [1=1531, 1533], pp. 34-43 (livre I, chap. XV à XVIII), qui explique que les choses entretiennent entre elles des rapports de sympathie (amicitia) et d’antipathie (inimicitia), les premiers recouvrant les lois frazériennes et les seconds étant des répulsions symétriques à celles-ci. Cf. DÉMOCRITE, 68 A 63 (D.K.) [=ARISTOTE, De la génération et de la corruption, 323 b10-15 (MUGLER)] : « Démocrite, contrairement à tous les autres philosophes, a adopté une théorie originale. Il dit en effet que l’agent et le patient sont le même et le semblable, car on ne saurait concevoir que des choses autres et différentes pâtissent du fait les unes des autres ; et même si plusieurs choses différentes agissent d’une certaine façon les unes sur les autres, ce n’est pas en tant qu’il existe des choses autres, mais en tant que quelque chose de même existe, que ce phénomène les concernant se produit » (Δημόκριτος δὲ παρὰ τοὺς ἄλλους ἰδίως ἔλεξε μόνος· φησὶ γὰρ τὸ αὐτὸ καὶ ὅμοιον εἶναι τό τε ποιοῦν καὶτὸπάσχον· οὐγὰρ ἐγχωρεῖν τὰἕτερα καὶδιαφέροντα πάσχειν ὑπ’ ἀλλήλων, ἀλλὰκἂν ἕτερα ὄντα ποιῇ τι εἰς ἄλληλα, οὐχ ἕτεραἀλλ’ ᾗ ταὐτόντιὑπάρχει, ταύτῃ τοῦτο συμβαίνειν αὐτοῖς) ; A 38.6-7 [=SIMPLICIUS, In Aristotelis Physicorum libros quattuor priores commentaria, Commentaria in Aristotelem Graeca, IX, p. 28.19-20 (DIELS)] : « en effet, la nature veut que le semblable soit mû par le semblable, que les êtres apparentés se déplacent les uns vers les autres » (πεφυκέναι γὰρ τὸὅμοιον ὑπὸτοῦὁμοίου κινεῖσθαι καὶ φέρεσθαι τὰσυγγενῆπρὸς ἄλληλα), traductions de J.-P. Dumont.

20. J. G. FRAZER, Le Roi magicien…, p. 42.

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servent dans son art régissent le cours de la nature inanimée » 21. De là, l’anthropologue juge que « la magie est une falsification systématique de la loi naturelle, en même temps qu’une règle de conduite fallacieuse ; c’est une science mensongère autant qu’un art stérile » 22. Il reconnaît cependant l’existence d’une magie théorique qui serait un système de lois décrivant les phénomènes du monde ; mais le magicien primitif, ne prenant aucun recul réflexif par rapport à son activité, ne s’intéresse qu’à la magie pratique, qui contient l’ensemble des préceptes à appliquer par l’homme pour arriver à ses fins et qu’il applique mécaniquement sans y penser 23. La magie reste donc au stade de la technique et non de la science 24.

Comme Tylor avant lui, Frazer mentionne lui aussi certaines retombées de la magie sur l’organisation de la société. Le système de la magie sympathique est en particulier à l’origine de prescriptions négatives qui instituent des tabous 25. De plus, il souligne qu’à côté de la magie privée, il existe une magie publique qui permet au magicien de passer du statut de simple praticien à celui d’un fonctionnaire susceptible de recevoir reconnaissance et honneurs publics, jusqu’à accéder à la fonction royale 26. Au final, c’est tout une transformation sociale qui s’opère par le biais de la magie au cours de l’histoire : d’une société quasi-anarchique dirigée par un grand nombre d’individus, on passe à une monarchie ou une gérontocratie.

Pour Frazer, ce changement social « semble avoir été une condition nécessaire à l’humanité pour émerger de la sauvagerie » : une seule personne au pouvoir, d’un tempérament décidé, est selon lui plus efficace pour apporter du changement qu’une masse d’individus timorés et jamais d’accord, notamment grâce à la double nature de ce personnage qu’est le magicien, pouvant être à la fois roi et divinité incarnée 27. La magie est donc pour lui plus qu’un simple outil utile notamment à des fins de contrôle social : elle possède réellement un rôle organisateur et fondateur dans l’émergence d’une structure sociale. Plus qu’une simple source de légitimité pour les tenants du pouvoir, la magie crée les conditions d’apparition de ce pouvoir et constitue en cela un facteur d’efficacité sociale.

L’anthropologue envisage ensuite les rapports entre la magie, la science et la religion, toujours selon la même optique que ses prédécesseurs, faisant du magicien un être en quête

L’anthropologue envisage ensuite les rapports entre la magie, la science et la religion, toujours selon la même optique que ses prédécesseurs, faisant du magicien un être en quête

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