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L’apport de l’anthropologie de terrain

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 69-83)

1 re partie : Étude générale sur la magie et la pensée magique

I. Conceptions anthropologiques de la magie

3- L’apport de l’anthropologie de terrain

Jusqu’à présent les études réalisées sur la magie que nous avons présentées s’appuyaient exclusivement sur des récits plus ou moins fiables, plus ou moins rigoureux, d’expéditions auxquelles les auteurs de ces études n’avaient pas participé. L’expérience de terrain leur faisait défaut et leur approche, excessivement théorique, conduisait facilement à des généralisations ou à une recherche d’unification des pratiques. L’anthropologie de terrain apportera une vision plus concrète et plus précise de la magie et la libérera peu à peu des préjugés qui ont prévalu jusqu’à présent.

a) E. E. Evans-Pritchard et la magie chez les Azandé

Lecteur attentif mais critique de Lévy-Bruhl 89, l’anthropologue britannique E. E. Evans-Pritchard s’applique à étudier les questions de magie et les représentations du surnaturel dans le cadre restreint du peuple zandé 90, sans généraliser ses découvertes et en essayant de mettre en relation les institutions sociales et le système de pensée propres à cette population, en se positionnant autant que possible de son point de vue et non de l’extérieur.

Cela se traduit immédiatement dans le vocabulaire utilisé, dont le sens est spécifique aux conceptions azandé de la magie. En effet, pour rendre compte de son objet d’étude et de sa cohérence intellectuelle 91, l’anthropologue est obligé de distinguer la « sorcellerie », qui est une émanation psychique issue d’une substance existant dans le corps de certains hommes, et la « magie», qui est une technique permettant d’atteindre un but par l’utilisation lors de rituels d’objets et de plantes préparées, ayant un pouvoir mystique, appelés « médecines » 92.

89. Voir E. E. EVANS-PRITCHARD, « Lévy-Bruhl’s Theory of Primitive Mentality », pp. 1-36, où l’auteur rejoint la plupart des reproches formulés par O. Leroy.

90. Ce peuple vit à la frontière sud-ouest du Soudan. Le mot « zandé » est un singulier, son pluriel est

« azandé », selon la convention adoptée par Evans-Pritchard et suivie par son traducteur (voir la note de celui-ci, E. E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie…, p. 613).

91. Ibid., pp. 606 sq.

92. Ibid., pp. 35 sq., 446.

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Pour les Azandé, la sorcellerie est une substance matérielle, que l’on peut découvrir en pratiquant une autopsie 93, dont la particularité est de comporter une âme qui peut sortir du corps du sorcier et agir sur les gens ou les choses situés à proximité, parfois même à l’insu du sorcier 94. Elle est jugée responsable de certains événements malheureux 95 car elle vient en quelque sorte bouleverser l’ordre des choses jugé habituel : dans une situation donnée, toutes les conditions étant normales aux yeux de l’individu, tout se passant bien jusqu’ici, la sorcellerie explique pourquoi l’imprévu a surgit. Le fait d’avoir recours à des puissances magiques pour expliquer le malheur et les événements accidentels avait déjà été relevé par Lévy-Bruhl : il avait constaté que la pensée magique permettait non seulement d’expliquer et de se préserver des malheurs 96 mais aussi de parer aux présages funestes au point qu’une véritable casuistique se mettait parfois en place soit pour les interpréter dans un sens favorable, soit pour les neutraliser 97.

La notion de sorcellerie chez les Azandé est en fait plus qu’un principe de causation mystique car elle explique le « pourquoi » d’un événement et non le « comment » 98. C’est donc une vision particulière portée sur les événements conduisant à faire la part entre ce qui est normal ou naturel et ce qui ne l’est pas. Autrement dit, elle explique pourquoi deux événements indépendants coïncident 99. Mais les Azandé n’attribuent pas à la sorcellerie tous les malheurs : selon Evans-Pritchard, ils choisissent en fait la cause socialement pertinente.

Ainsi, la sorcellerie n’est pas systématiquement invoquée et l’on aura recours à une explication par les causes naturelles notamment si l’événement va à l’encontre du droit ou de la morale (mensonge, adultère, meurtre, viol d’un tabou, etc.) : la croyance en la sorcellerie

93. Ibid., pp. 74-82. C’est une sorte de polype que l’on retrouve dans les intestins du mort suspecté d’avoir été un sorcier.

94. Ibid., pp. 66-70.

95. Ibid., pp. 96-98. P. BROWN, « Sorcery, Demons, and the Rise of Christianity from Late Antiquity into the Middle Ages » in M. DOUGLAS (ed.), Witchcraft, Confessions & Accusations, London - New York - Sydney - Toronto - Wellington, 1970, pp. 28 sq., explique que le premiers chrétiens croyaient que leurs malheurs étaient le fait de démons. La notion de providence divine venant punir les péchés, telle que certains théologiens tentèrent de la définir à l’époque moderne, relève du même principe, l’activité néfaste des sorciers pouvant même être un des instruments de la Providence, comme le suggère K. THOMAS, « The Relevance of Social Anthropology to the Historical Study of English Witchcraft » in M. DOUGLAS (ed.), Witchcraft, Confessions & Accusations, pp. 56 sq. R. MUCHEMBLED, La Sorcière au village. XVe-XVIIIe siècle, 2e éd., Paris, 1991 [1=1979], pp. 38-104, démontre que vivant dans un climat de crainte et d’incertitude permanentes, la paysannerie du nord de la France a largement partagé au moins jusqu’à la fin XVIIIe siècle (son étude ne porte pas au-delà) certaines conceptions des Azandé, notamment l’attribution du malheur à des causes surnaturelles nécessitant le recours à la magie pour s’en prémunir et impliquant la recherche du sorcier responsable de ces calamités (voir notamment pp. 65 sq.).

96. L. LÉVY-BRUHL, Mentalité primitive, pp. 295-349. Le Surnaturel…, chap. I, VI. Expérience mystique…, pp. 39-55.

97. L. LÉVY-BRUHL, Mentalité primitive, pp. 150 sq. G. DEVEREUX, « Principles of Hä(rhn)de:a(ng) Divination », p. 126, observe également que, dans certains cas, les Sedang lancent et relancent les dés devant leur servir d’oracle jusqu’à ce qu’ils obtiennent une réponse favorable à la question posée, en apportant une modification extrêmement faible à celle-ci, à chaque nouveau jet.

98. E. E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie…, pp. 105, 573-575.

99. Ibid., pp. 101-104. Voir A. L. EPSTEIN, « Tolai Sorcery and Change », Ethnology, 38, 1999, pp. 286 sq., 293, qui décrit une approche semblable en Mélanésie.

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n’est donc pas incompatible avec la responsabilité humaine et une approche rationnelle de la réalité 100. D’autre part, l’origine de la sorcellerie se trouverait selon les Azandé dans certains défauts moraux des sorciers : en effet, ce seraient, entre autres, la haine et la jalousie qui mettraient en action la sorcellerie 101. Par conséquent, le contenu de cette conception est façonné par l’organisation sociale, les règles de la vie en société et les représentations que les Azandé se font des relations entre les individus.

La magie, quant à elle, peut être bonne quand elle ne s’attaque qu’à des coupables, particulièrement des sorciers dont il faut contrer les méfaits. En revanche, elle est maléfique si elle vise à tourmenter n’importe qui. En elle-même, la magie se situe donc hors de la morale et de la justice 102. Seul son usage permet de la qualifier. Or, cette qualification est donnée par le regard que la société porte sur cette pratique, qui n’est pas anodine, puisqu’elle constitue une source potentielle de dissension entre les membres de la communauté. Du reste, le fait de penser qu’il s’agit d’une technique dangereuse, susceptible de se retourner contre le magicien contribue vraisemblablement à limiter son utilisation. En effet, elle revient frapper celui qui l’a pratiquée si elle ne parvient pas à trouver une cible, notamment quand elle est utilisée pour punir un sorcier qui aurait été à l’origine d’un problème ou d’une mort. Aussi importe-t-il de s’assurer par un oracle que ce problème ou cette mort sont bien imputables à de la sorcellerie 103. L’oracle permet en définitive d’atténuer le recours à une autre pratique qui peut se révéler problématique pour la société, qui s’est donc donné des instruments pour réguler une activité utile mais dangereuse. Ainsi, au final, la magie n’est censée frapper que les auteurs inconnus d’un crime, car on n’y a pas recours si le responsable est connu puisqu’il sera directement déféré devant la justice. L’usage de cette magie est donc considéré comme équivalant à la justice 104. D’ailleurs, le voleur ou un adultère frappé par la magie doit venir restituer l’objet dérobé ou donner une compensation pour l’adultère au magicien pour que ce dernier le délivre des effets de la magie dont il est à l’origine, et le magicien donnera ensuite son dû à la victime 105. Par conséquent, le magicien a aussi implicitement une fonction de médiateur social : il évite à la victime et au coupable de se trouver face à face et de s’affronter

100. E. E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie…, pp. 107-115. Voir aussi R. F. FORTUNE, Sorcerers of Dobu: The Social Anthropology of the Dobu Islanders of the Western Pacific, rééd., New York, 1963 [1=1932], p. 150, qui indique que, chez les habitants de l’île Dobu (Papouasie-Nouvelle-Guinée), bien que la notion d’accident n’existe pas, les cas de meurtre, d’empoisonnement ou de suicide ne sont jamais attribués à la magie.

101. E. E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie…, pp. 137-154, « Witchcraft », Africa, VIII, 1935, pp. 419 sq. Même constat chez M. H. WILSON, « Witch Beliefs and Social Structure », The American Journal of Sociology, LVI, 1950/51, p. 308 et K. THOMAS, art. cit., pp. 66 sq.

102. E. E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie…, pp. 446, 468.

103. Ibid., p. 447.

104. Ibid., p. 449. De même, un oracle, permettant de désigner un coupable, supplée une cour de justice (ibid., p. 317). Et, logiquement, une magie qui viserait une personne déterminée serait déclarée maléfique et hors la loi (ibid., p. 450).

105. Ibid., p. 523 sq.

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dans un processus de vengeance. Comme dans le cas de la sorcellerie, la magie est également une pratique socialement conditionnée.

Sur un plan plus technique, la magie se pratique par rapport à un but visé : il existe donc un moment opportun en relation avec ce but et qui diffère selon lui. En outre, les rites changent selon les médecines utilisées mais leur principe et les incantations utilisées sont uniformes et l’ordre d’exécution des parties du rite importe peu 106. L’enjeu de la magie est soit de réaliser des changements favorables à l’homme, soit de neutraliser la sorcellerie qui pourrait nuire au projet qui est entrepris 107. Le recours aux esprits est rare : la puissance de la magie réside dans les médecines et le rite 108. Il est également nécessaire que le magicien respecte différents tabous avant de pratiquer le rite, faute de quoi les médecines seront inefficaces voire dangereuses 109. L’efficacité de cette activité est donc liée à la connaissance des magiciens qui savent quelle médecine sert pour quel usage, et certains sont bien entendu meilleurs que d’autres 110.

Enfin, Evans-Pritchard a relevé chez les Azandé un certain scepticisme à l’égard de l’efficacité de la magie 111, car l’issue du rite est généralement jugée incertaine : des contre-magies peuvent être employées par celui qui est visé et l’auteur de la magie peut se lasser de suivre les tabous nécessaires pour assurer l’efficacité de ses rituels, si bien qu’elle n’a pas le temps faire son effet, puisqu’elle perd son pouvoir lorsque ces prescriptions ne sont plus respectées 112. Pour justifier la persistance de la croyance en la magie, malgré son manque d’efficacité et le scepticisme qu’elle soulève, Evans-Pritchard, sans approfondir la question, propose une liste d’explications faisant souvent intervenir le contexte culturel, la magie formant notamment un système intellectuellement cohérent avec les oracles et la sorcellerie.

Ainsi, les Azandé peuvent certes reconnaître que certains magiciens sont des charlatans, tout en affirmant que d’autres sont de vrais magiciens très puissants. La magie est également utilisée pour contrer une autre magie, ce qui lui confère une efficacité mystique transcendant l’expérience et, donc, difficile à remettre en cause, d’autant qu’elle est souvent attribuée une fois la réussite constatée. Par ailleurs, la pratique individuelle de la magie ne permet généralement pas d’en jauger l’efficacité car on ne sait pas si les autres ont usé ou non de magie : l’asymétrie d’information entretiendrait donc la croyance. Il faut aussi tenir compte de l’importance de l’opinion générale par rapport aux convictions individuelles : la mystique explique d’avance certains échecs. Ensuite la magie n’a pas des prétentions exagérées et

106. Ibid., pp. 493, 509.

107. Ibid., p. 499.

108. Ibid., p. 501.

109. Ibid., pp. 520-524.

110. Ibid., p. 503 sq.

111. Ibid., pp. 227-235. L’anthropologue relève la même incrédulité chez les Nuer du Soudan (Nuer Religion, London, 1956, p. 96).

112. E. E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie…, pp. 527-529.

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concerne souvent des événements qui ont des chances de se produire, d’autant qu’elle est associée à une technique empirique susceptible d’avoir une efficacité. Enfin, l’ignorance est une des grandes causes de la croyance en la magie car les individus ne sont pas à même d’adopter la démarche intellectuelle consistant à mettre scientifiquement à l’épreuve cette pratique 113. Ce qui est très intéressant ici, c’est qu’en soulignant que la croyance se maintient du fait du contexte propre à la société Zandé, selon des mécanismes cohérents, Evans-Pritchard indique en fait implicitement qu’elle n’est pas illogique et que la conception postulant une mentalité prélogique propre aux primitifs ou leur prêtant un excès de naïveté infantile est infondée.

L’intérêt du travail d’Evans-Pritchard est d’avoir vérifié la pertinence de certaines théories élaborées par Lévy-Bruhl loin du terrain : l’anthropologue anglais a ainsi pu établir un lien entre l’organisation sociale et la conception de la magie de la population étudiée, sans en extrapoler l’existence d’une mentalité primitive qui porterait, d’une manière générale, l’homme primitif à concevoir la présence de forces mystiques dans la nature. Si son étude constitue une remarquable description de la pratique magique telle qu’elle a cours chez les Azandé, elle manque cependant d’explorer les déterminants psychologiques qui sous-tendent cette activité. Ce faisant, il évite de tomber dans l’ornière intellectualiste consistant à présupposer l’existence d’un système explicatif de la nature mais irrationnel, voire fantaisiste, justifiant la rationalité d’une croyance en une activité se fondant sur ce système.

Sur le terrain, Evans-Pritchard a aussi été au contact des doutes des Azandé quant à la réalité du pouvoir des magiciens et il fut l’un des premiers à en faire état aussi clairement, car jusque-là, les chercheurs constataient les croyances des peuples primitifs, sans se demander dans quelle mesure les individus, pourtant décrits comme intelligents et ne manquant pas de bon sens, y adhéraient. Mais, comme ses prédécesseurs, l’anthropologue britannique a continué de penser que la magie était pratiquée parce que l’on croyait en son efficacité. En considérant alors le contexte dans lequel se déploie cette croyance, les raisons qu’il met en avant pour expliquer pourquoi elle perdure sont tout à fait rationnelles. Les primitifs ont certainement développé des conceptions erronées au sujet des forces agissant dans la nature mais d’une part, ces conceptions ont une cohérence interne, et, d’autre part, cette attitude croyante n’est pas illogique eu égard à la société dans laquelle elle survient. L’avoir montré est un des grands mérites des recherches d’Evans-Pritchard.

113. Ibid., pp. 537-540. Voir aussi H. WEBSTER, op. cit., pp. 441-443. Selon cet auteur, la magie, en définitive, s’impose à l’individu (ibid., p. 448).

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b) La magie pour contrôler l’incontrôlable et le pouvoir du langage : B. Malinowski

B. Malinowski, fort lui aussi de son expérience de terrain dans les îles Trobriand, à l’est de la Nouvelle-Guinée, confirme le bien-fondé de l’approche de Lévy-Bruhl, ayant consisté à se placer du point de vue des sociétés étudiées. Il remarque ainsi que les communautés primitives sont dépositaires d’une quantité considérable de connaissances venant de leur expérience et s’appuyant sur la raison. Mais cette observation constitue en même temps une sérieuse réfutation de la thèse défendue par l’anthropologue français sur la mentalité essentiellement mystique des primitifs 114. En outre, le primitif n’attribue pas tous les phénomènes à des causes magiques : selon qu’il sera plus ou moins impliqué personnellement, il aura d’ailleurs plus ou moins tendance à suspecter une cause magique de préférence à un autre type de cause 115.

Malinowski rapporte surtout une observation extrêmement importante : les peuples qu’il a étudiés savent que la magie seule n’est pas toute-puissante. En effet, bien qu’elle soit omniprésente dans la vie de ces primitifs 116 et considérée comme obligatoire, les individus sont parfaitement conscients que s’ils ne travaillent pas et ne se servent pas de leur raison dans leurs activités, la magie ne leur apportera aucune réussite 117. Ils savent aussi par expérience que les résultats de leurs activités sont tributaires de conditions qu’ils ne maîtrisent pas, et, selon Malinowski, ce serait justement pour contrôler ces influences qu’ils auraient recours à la magie 118. En fait, sans être confondus dans l’esprit des primitifs, la magie et le travail sont indissociables comme les deux faces d’une même pièce et contribuent ensemble à la réussite de l’entreprise à laquelle ils visent tous les deux : c’est pourquoi les deux sont nécessaires aux yeux du primitif 119. Cette conception n’est pas limitée au domaine socio-économique et peut s’étendre aux relations humaines comme l’observe R. F. Fortune chez les habitants de l’île Dobu, voisine des Trobriand, qui pratiquent la magie amoureuse car, selon eux, le désir n’existe pas sans elle 120. La magie se caractérise désormais par sa fonction pratique et ses retombées concrètes. Elle n’a pas d’autres visées que l’efficacité pratique et il

114. B. MALINOWSKI, « Magic, Science and Religion », p. 9 ; Coral Gardens and Their Magic, I (Soil-Tilling and Agricultural Rites in the Trobriand Islands), Bloomington, 1965, pp. 75 sq.

115. B. MALINOWSKI, « Magic, Science and Religion », p. 15.

116. Ibid., p. 56 : la magie concerne essentiellement les activités humaines. Argonauts of the Western Pacific, Second Impression, London - New York, 1932 [1=1922], p. 401.

117. Même constatation chez E. E. EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie…, pp. 529, 539 : la magie peut tout au plus garantir un degré de réussite supérieur à ce qu’il aurait été sans recours au rite mais en aucun cas, mais elle ne se substitue à la technique empirique.

118. B. MALINOWSKI, « Magic, Science and Religion », pp. 11-14. Voir aussi H. WEBSTER, op. cit., p. 452 et M. F. BROWN, M. L. VAN BOLT, « Aguaruna Jivaro Gardening Magic in the Alto Rio Mayo, Peru », Ethnology, 19, 1980, p. 184.

119. B. MALINOWSKI, Argonauts…, pp. 413 sq. Coral Gardens and Their Magic, I, pp. 62, 77.

120. R. F. FORTUNE, op. cit., p. 235.

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est abusif d’en faire un système théorique d’explication de la nature. Sa capacité à rassurer l’homme qui, grâce à elle, pense parer à l’imprévisible, lui confère par surcroît une fonction culturelle importante : la magie permet aux individus d’accomplir en confiance la plupart de leurs tâches loin des émotions parasites et négatives que sont en particulier l’anxiété et la haine. Ce qui fait dire à Malinowski que la magie ritualise l’optimisme 121.

L’anthropologue estime d’ailleurs que, grâce à cet effet, la société tire de la magie un gain économique réel même si les individus sont obligés d’accomplir certains rites en apparence inutiles pour se conformer aux obligations magiques 122. En effet, la magie joue un rôle directeur et ordonnateur dans certains travaux, comme le jardinage, qui est supervisé par un magicien suivant l’avancement des tâches, scrutant les forces de la nature et s’assurant que tout est fait correctement et dans les temps : ce personnage est d’ailleurs considéré par la communauté comme un expert en matière de jardins, sachant notamment choisir le moment opportun pour chaque opération 123. Le sorcier est donc celui qui possède la connaissance permettant d’affronter l’imprévisible et l’incontrôlable : ce rapport particulier à la connaissance est une caractéristique récurrente chez les magiciens, quelle que soit l’époque et le lieu. Plus généralement, D. F. Aberle expliquera plus tard que toute personne perçue comme étant capable de réduire l’incertitude acquiert immédiatement du pouvoir et du charisme, ce qui est le cas du sorcier, du devin ou même de l’homme politique : un tel individu se distingue ainsi du reste de la population et occupe une place à part dans la société, et cela d’autant plus qu’il maîtrise des connaissances ou des techniques qui ne sont pas à la portée de tout le monde ; il apparaît alors lui-même comme une figure relativement

L’anthropologue estime d’ailleurs que, grâce à cet effet, la société tire de la magie un gain économique réel même si les individus sont obligés d’accomplir certains rites en apparence inutiles pour se conformer aux obligations magiques 122. En effet, la magie joue un rôle directeur et ordonnateur dans certains travaux, comme le jardinage, qui est supervisé par un magicien suivant l’avancement des tâches, scrutant les forces de la nature et s’assurant que tout est fait correctement et dans les temps : ce personnage est d’ailleurs considéré par la communauté comme un expert en matière de jardins, sachant notamment choisir le moment opportun pour chaque opération 123. Le sorcier est donc celui qui possède la connaissance permettant d’affronter l’imprévisible et l’incontrôlable : ce rapport particulier à la connaissance est une caractéristique récurrente chez les magiciens, quelle que soit l’époque et le lieu. Plus généralement, D. F. Aberle expliquera plus tard que toute personne perçue comme étant capable de réduire l’incertitude acquiert immédiatement du pouvoir et du charisme, ce qui est le cas du sorcier, du devin ou même de l’homme politique : un tel individu se distingue ainsi du reste de la population et occupe une place à part dans la société, et cela d’autant plus qu’il maîtrise des connaissances ou des techniques qui ne sont pas à la portée de tout le monde ; il apparaît alors lui-même comme une figure relativement

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