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Approche psychiatrique : les rituels personnels et les troubles obsessionnels-compulsifs obsessionnels-compulsifs

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 171-200)

1 re partie : Étude générale sur la magie et la pensée magique

I. Conceptions anthropologiques de la magie

1- Approche psychiatrique : les rituels personnels et les troubles obsessionnels-compulsifs obsessionnels-compulsifs

Les rituels personnels, qui sont un phénomène courant chez les sujets normaux 15, sont particulièrement intéressants car de toutes les pratiques superstitieuses, ce sont celles qui s’apparentent le plus à la magie telle qu’elle a été décrite par les anthropologues. En effet, le principe des rituels personnels consiste pour l’individu à conditionner la concrétisation d’un souhait ou la conjuration d’une crainte soit à l’accomplissement par lui-même d’une action donnée, soit à la réalisation d’un événement extérieur à lui, dans chaque cas selon des modalités ou un protocole qu’il a choisis, sans que le sujet sache vraiment de quelle manière son rituel produira l’effet désiré. Nous pouvons reprendre quelques exemples tirés de la vie quotidienne cités par G. Jahoda 16 : effectuer des calculs à partir des lettres de certains noms auxquelles des chiffres sont attribués et interpréter les résultats, réussir un nombre de fois de suite donné à atteindre une cible en lançant un objet ou parvenir à faire une action précise avant qu’un feu de signalisation change de couleur ou constater qu’il a changé de couleur avant d’avoir fini l’action en question, tout cela étant fait en estimant qu’un certain vœu qui importe à l’individu se réalisera si l’action est accomplie comme il faut. Mentionnons aussi un rituel personnel raconté par J.-J. Rousseau, auquel il s’adonna pour se libérer d’obsessions sur l’incertitude à propos du salut de son âme, lors d’une promenade, alors qu’il était encore très

15. P. MURIS, H. MERCKELBACH, M. CLAVAN, « Abnormal and Normal Compulsions », Behaviour Research and Therapy, 35, 1997, p. 251. Voir aussi S. J. RACHMAN, P. DE SILVA, « Abnormal and Normal Obsessions », Behaviour Research and Therapy, 16, 1978, pp. 233-248. S. A. VYSE, op. cit., pp. 174-176, explique que la superstition, elle non plus, n’est pas une attitude anormale, et n’est pas obligatoirement irrationnelle (ibid., pp. 187-195).

16. G. JAHODA, op. cit., pp. 15 sq.

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jeune : « je m’en vais jeter cette pierre contre l’arbre qui est vis-à-vis de moi. Si je le touche, signe de salut ; si je le manque, signe de damnation. » 17

Ces rituels personnels, accomplis de temps à autre par tout un chacun, peuvent aussi être des symptômes de pathologies mentales, en particulier les troubles obsessionnels-compulsifs ou T.O.C. Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : texte révisé de l’American Psychiatric Association, les T.O.C. peuvent être caractérisés de la façon suivante 18 :

Les caractéristiques essentielles du Trouble obsessionnel-compulsif sont des obsessions ou des compulsions récurrentes (Critère A) qui sont suffisamment sévères pour entraîner une perte de temps (c.-à-d. elles prennent plus d’une heure par jour) ou un sentiment marqué de souffrance ou une déficience significative (Critère C). À un certain moment de l’évolution du trouble, la personne a reconnu que les obsessions ou les compulsions étaient excessives ou déraisonnables (Critère B). Si un autre trouble de l’Axe I [sc. tous les troubles psychiatriques exceptés les troubles de la personnalité et le retard mental] est présent, le contenu des obsessions ou des compulsions n’est pas limité à ce trouble (Critère D). La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs d’une substance (p. ex., une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou à une affection médicale générale (Critère E).

Citons aussi la Classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé, qui apporte quelques éléments descriptifs supplémentaires 19 :

F42 Trouble obsessionnel-compulsif

Trouble caractérisé essentiellement par des idées obsédantes ou des comportements compulsifs récurrents. Les pensées obsédantes sont des idées, des représentations, ou des impulsions, faisant intrusion dans la conscience du sujet de façon répétitive et stéréotypée. En règle générale, elles gênent considérablement le sujet, lequel essaie souvent de leur résister, mais en vain. Le sujet reconnaît toutefois qu’il s’agit de ses propres pensées, même si celles-ci sont étrangères à sa volonté et souvent répugnantes. Les comportements et les rituels compulsifs sont des activités stéréotypées répétitives. Le sujet ne tire aucun plaisir direct de la réalisation de ces actes, lesquels, par ailleurs, n’aboutissent pas à la réalisation de tâches utiles en elles-mêmes. Le comportement compulsif a pour but d’empêcher un événement, dont la survenue est objectivement peu probable, impliquant souvent un malheur pour le sujet ou dont le sujet serait responsable. Le sujet reconnaît habituellement l’absurdité et l’inutilité de son comportement et fait des efforts répétés pour supprimer celui-ci. Le trouble s’accompagne presque toujours d’une anxiété. Cette anxiété s’aggrave quand le sujet essaie de résister à son activité compulsive.

Inclus : névrose :

anankastique 20

obsessionnelle-compulsive

Excl. : personnalité obsessionnelle-compulsive (F60.5)

17. J.-J. ROUSSEAU, Les Confessions, chap. VI in J.-J. ROUSSEAU, Œuvres complètes, tome I, Paris, 1959, p. 243 (nous avons modernisé l’orthographe). P. JANET, Les Obsessions et la psychasthénie, tome I, 2e éd., Paris, 1908 [1=1903], p. 119, mentionne ce cas parmi les « manies mentales de présage ».

18. AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION, DSM-IV-TR. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : texte révisé (2000), trad. française, Paris, 2003, pp. 525 sq. Plusieurs cas sont décrits en détail dans J. L. RAPOPORT (ed.), op. cit., pp. 119-165.

19. ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ, Classification internationale des maladies, 10e révision (C.I.M.-10),

1993, version 2008, chap. V (F), §F42 (disponible en ligne :

http://apps.who.int/classifications/icd10/browse/2008/fr#/F42). Dernière version, en anglais seulement, inchangée : WORLD HEALTH ORGANIZATION, International Classification of Diseases, 10th revision (I.C.D.-10), 1993, version 2010, chap. V (F), §F42 (en ligne : http://apps.who.int/classifications/icd10/browse/2010/en#/F42).

20. Définition de la personnalité anankastique (ibid., §F60.5) : « Trouble de la personnalité caractérisé par un sentiment de doute, un perfectionnisme, une scrupulosité, des vérifications et des préoccupations pour les détails, un entêtement, une prudence et une rigidité excessives. Le trouble peut s’accompagner de pensées ou d’impulsions répétitives et intrusives n’atteignant pas la sévérité d’un trouble obsessionnel-compulsif. »

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F42.0 Avec idées ou ruminations obsédantes au premier plan

Il peut s’agir d’idées, de représentations ou d’impulsions qui sont habituellement à l’origine d’un sentiment de détresse. Parfois, il s’agit d’hésitations interminables entre des alternatives qui s’accompagnent souvent d’une impossibilité à prendre des décisions banales mais nécessaires dans la vie courante. Il existe une relation particulièrement étroite entre ruminations obsédantes et dépression et on ne fera un diagnostic de trouble obsessionnel-compulsif que si les ruminations surviennent ou persistent en l’absence d’un épisode dépressif.

F42.1 Avec comportements compulsifs [rituels obsessionnels] au premier plan

La plupart des comportements compulsifs concernent la propreté (en particulier le lavage des mains), des vérifications répétées pour éviter la survenue d’une situation qui pourrait devenir dangereuse, ou un souci excessif de l’ordre et du rangement. Le comportement du sujet est sous-tendu par une crainte consistant habituellement dans l’appréhension d’un danger, encouru ou provoqué par le sujet et l’activité rituelle constitue un moyen inefficace ou symbolique pour écarter ce danger.

F42.2 Forme mixte, avec idées obsédantes et comportements compulsifs F42.8 Autres troubles obsessionnels-compulsifs

F42.9 Trouble obsessionnel-compulsif, sans précision

Le patient souffrant de T.O.C. est parfaitement conscient 21 d’accomplir des actes vains ou ridicules, tant par leur contenu dépourvu de sens pour les autres, que par l’influence nulle que ces rituels ont sur le monde, et souffre de la compulsion à adopter ces comportements insolites et du fait de savoir qu’ils sont ineptes. Les principales manifestations cliniques des T.O.C. sont des lavages ou des vérifications compulsifs, et plus généralement toutes les formes de rituels dès lors qu’ils sont accomplis par compulsion (en particulier la répétition d’une action un nombre déterminé de fois, la tendance à toucher des choses, à se frotter à elles, à éviter leur contact ou à les ranger de façon symétrique ou selon un ordre particulier), répétés tant qu’ils ne sont pas exécutés à la perfection, et cela de façon manifeste ou secrète (comme dans le cas des ruminations accompagnées d’obsessions). Relèvent aussi des T.O.C., l’amassement pathologique d’objets inutiles ou sans valeur et les tendances obsessionnelles à la lenteur et à la méticulosité (en particulier dans les soins apportés par le patient à sa personne ou toute activité quotidienne ordinaire), ainsi que le fait de conditionner certaines actions au résultat de calculs ou, plus généralement, à des chiffres22. Généralement, ces comportements sont accompagnés d’obsessions récurrentes, qui peuvent également les déclencher 23. Bien que n’ayant pas, ordinairement, de fins antisociales 24, les T.O.C.

21. M. FOUCAULT, Maladie mentale et psychologie, rééd., Paris, 2010 [1=1954], pp. 56-61, explique on ne peut plus clairement que le malade mental a toujours conscience de sa maladie, quelle qu’elle soit.

22. P. DE SILVA, « The Phenomenology of Obsessive-Compulsive Disorder » in R. G. MENZIES, P. DE SILVA (ed.), Obsessive Compulsive Disorder: Theory, Research and Treatment, Chichester, 2003, pp. 32-34 (ce volume contient en outre une série d’études au sujet de chaque grand type de T.O.C., chap. 7 à 13). S. DULANEY, A. P. FISKE, « Cultural Rituals and Obsessive-Compulsive Disorder: Is There a Common Psychological Mechanism? », Ethos, 22, 1994, pp. 249-251, fournissent également une nosographie sommaire et s’appliquent à retrouver des comportements revenant souvent chez les malades affectés de T.O.C. dans la description de nombreux rituels appartenant à des cultures très différentes (ibid., pp. 251-262 ; voir aussi A. P. FISKE, N. HASLAM, « Is Obsessive-Compulsive Disorder a Pathology of the Human Disposition to Perform Socially Meaningful Rituals? Evidence of Similar Content », The Journal of Nervous and Mental Disease, 185, 1997, pp. 211-222). G. F. REED, Obsessional Experience and Compulsive Behaviour: A Cognitive-Structural Approach, Orlando - San Diego - New York - London, 1985, pp. 35-39.

23. P. DE SILVA, art. cit., p. 24.

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bouleversent la vie des personnes qui en souffrent, allant jusqu’à accaparer leur existence et les réduire à l’inactivité ou contrarier sérieusement certaines de leurs activités. Néanmoins, dans certains cas, les patients parviennent à mener une vie gardant les apparences de la normalité et qui peut parfois même être brillante 25. Enfin, deux à trois pourcents de la population mondiale seraient affectés au cours de leur vie par des T.O.C. 26, ce qui n’est pas une proportion négligeable.

Ces troubles ont été très souvent étudiés par les psychologues 27, qui ont d’ailleurs mis en évidence l’existence d’une corrélation entre le fait d’être superstitieux et celui d’adopter des comportements à tendance obsessionnelle-compulsive 28. Il nous paraît donc utile de nous intéresser à la question des rituels personnels, particulièrement dans le cas des T.O.C., car comme le remarque J. Sørensen, « les rituels magiques et les T.O.C. n’ont peut-être pas la même origine psychologique, mais ils “utilisent” plutôt tous les deux des actions rituelles qui

24. G. F. REED, op. cit., pp. 40 sq.

25. P. DE SILVA, art. cit., pp. 34-36. F. TOATES, O. COSCHUG-TOATES, Obsessive Compulsive Disorder:

Practical, Tried-and-Tested Strategies to Overcome OCD, 2e éd., London, 2002, pp. 177-237, décrivent les cas de nombreux personnages célèbres ayant développé des T.O.C. ou au moins des obsessions récurrentes. Ce qu’un article de journal du début du XXe siècle, cité par O. LEROY, op. cit., p. 28, décrivait chez Zola comme

« certaines petites superstitions » malgré « une santé morale admirable » constitue très probablement des T.O.C.

qui devaient en fait sévèrement empoisonner l’existence du grand écrivain et sur lesquels son « rationalisme si résolu » ne pouvait rien (rituels de comptage, de répétition, de toucher ; attention scrupuleuse portée aux seuils, au franchissement d’obstacles, à la façon de se déplacer, etc., d’après l’article).

26. M. KYRIOS, « Exposure and Response Prevention for Obsessive-Compulsive Disorder » in R. G. MENZIES, P. DE SILVA (ed.), op. cit., p. 259. La pathologie toucherait entre 0,5 et 2% des enfants et adolescents selon R. SHAFRAN, « Obsessive-Compulsive Disorder in Children and Adolescents » in R. G. MENZIES, P. DE SILVA (ed.), op. cit., p. 311, qui par ailleurs ne relève pas de différence clinique entre les T.O.C. survenant chez les enfants et ceux affectant les adultes. D. A. GELLER, « Obsessive-Compulsive and Spectrum Disorders in Children and Adolescents », Psychiatric Clinics of North America, 29, 2006, p. 354, cite des taux plus élevés chez les enfants et adolescents, de 2 à 4% selon les pays.

27. Pour un historique de la question et une description des principales caractéristiques des T.O.C., mises notamment en rapport avec d’autres pathologies mentales, voir A. KROCHMALIK, R. G. MENZIES, « The Classification and Diagnosis of Obsessive-Compulsive Disorder » in R. G. MENZIES, P. DE SILVA (ed.), op. cit., pp. 3-20. Sur les différents comportements ritualisés et leurs caractéristiques communes, voir P. BOYER, P. LIÉNARD, « Why Ritualized Behavior? Precaution Systems and Action Parsing in Developmental, Pathological and Cultural Rituals », Behavioral and Brain Sciences, 29, 2006, pp. 596-598 et P. LIÉNARD, P. BOYER, « Whence Collective Rituals? A Cultural Selection Model of Ritualized Behavior », American Anthropologist, N. S. 108, 2006, pp. 816 sq., 819. Ces auteurs distinguent les rituels culturels, les T.O.C., les rituels infantiles et les rituels liés à des pensées intrusives apparaissant à certaines périodes de la vie (grossesse, maternité, paternité notamment). Il ne nous semble pas nécessaire de distinguer cette dernière catégorie puisqu’elle relève des T.O.C. (voir J. S. ABRAMOWITZ, S. A. SCHWARTZ, K. M. MOORE et al. « Obsessive-Compulsive Symptoms in Pregnancy and the Puerperium: A Review of the Literature », Journal of Anxiety Disorders, 17, 2003, pp. 461-478, ainsi que L. KRUCKMAN, « Rituals as Prevention: The Case of Post-Partum Depression » in R.-I. HEINZE (ed.), The Nature and Function of Rituals: Fire from Heaven, Westport (CT) - London, pp. 213-228, qui montre que certaines sociétés traditionnelles préviennent la survenue de dépressions post-natales par des rituels). Et pour être complet sur la ritualisation, il aurait fallu aussi ajouter les rituels personnels ne relevant pas des T.O.C. car effectués de façon occasionnelle, sans excès.

28. R. O. FROST, M. S. KRAUSE, M. J. MCMAHON et al., « Compulsivity and Superstitiousness », Behaviour Research and Therapy, 31, 1993, pp. 423-425 ; B. J. ZEBB, M. C. MOORE, « Superstitiousness and Perceived Anxiety Control as Predictors of Psychological Distress », Journal of Anxiety Disorders, 17, 2003, pp. 115-130.

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finalement provoquent des processus cognitifs similaires » 29. Ce sont ces processus cognitifs qu’il s’agit désormais de mettre en évidence.

a) Rituels religieux et rituels personnels pathologiques

Freud, dans Totem et tabou, estime que le primitif pratiquant sa magie et le névrosé obsessionnel sont tous deux déconnectés de la réalité et vivent dans un monde qui leur est propre où prévaut la toute-puissance des idées, expression qui a été appliquée à la névrose obsessionnelle avant de l’être à la magie 30. Dans une étude publiée en 1907, Freud établissait déjà un parallèle entre les rituels névrotiques et les rituels religieux : « remords anxieux en cas d’omission, isolement complet par rapport à toute autre occupation (interdiction d’être dérangé), scrupulosité dans l’exécution du détail ». Il indiquait cependant plusieurs différences notables entre les deux formes de rituels : le rite religieux est stéréotypé, public et formé d’actes symboliques et chargés de sens alors que le rituel compulsif est varié, privé et composé d’actions vides de sens 31. Toutefois, il estimait que l’opposition était partiellement levée par l’enquête psychanalytique qui permettait d’assigner un sens à toutes les étapes du rituel névrotique 32. Freud ajoutait que la pratique d’une religion se rapproche de l’action compulsionnelle car les motifs réels qui incitent l’individu à s’adonner à l’une ou à l’autre sont souvent inconnus de lui et restent inconscients 33, et, en outre, les deux formes de rituels constituent des mesures de protection contre un possible sentiment de culpabilité générant de l’angoisse 34. L’action compulsionnelle serait aussi une tentative pour renoncer à une pulsion refoulée, tandis que la pratique religieuse constituerait un renoncement à des pulsions égoïstes ou antisociales 35. Enfin dans les deux cas, un mécanisme de déplacement psychique serait à l’œuvre donnant plus d’importance à ce qui est futile par rapport à ce qui fait sens, le déroulement et les composantes du rituel finissant par passer avant la chose significative dans le cas de la névrose ou le contenu intellectuel dans le cas de la religion 36.

29. J. SØRENSEN, op. cit., p. 28 : « magical rituals and OCD may not have the same psychological origin, but rather both ‘utilise’ ritualised actions that eventually provoke similar cognitive processes ».

30. S. FREUD, Totem et tabou, pp. 124-126 ; voir aussi supra, p. 83.

31. S. FREUD, « Action compulsionnelles et exercices religieux » (1907), trad. française, in S. FREUD, Névrose, psychose et perversion, 12e éd., Paris, 2002 [1=1973], p. 135.

32. Ibid., pp. 136-138.

33. Ibid., p. 138.

34. Ibid., p. 139.

35. Ibid., p. 140.

36. Ibid., p. 141.

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La recherche contemporaine se place dans une optique moins réductrice que celle de Freud et si elle admet que les tendances psychologiques sous-tendant les rituels culturels peuvent être liées aux mécanismes à l’œuvre de façon pathologique dans les T.O.C., elle précise toutefois que la pratique des rituels culturels a un sens et un but dans la société, et n’est ni obsessionnelle ni compulsive, tandis que les personnes atteintes de T.O.C.

reconnaissent volontiers l’incohérence de leurs obsessions, qui nuisent à leur intégration sociale : il existe donc une similarité des actions et des structures mais une différence de signification et de fonction selon qu’on se place dans le cas des rituels culturels ou des T.O.C. 37. Dans les deux cas, on serait face à une réduction de la complexité du monde extérieur à quelques éléments schématiques jugés significatifs par la société ou l’individu et très précisément délimités, afin de donner du sens à une expérience, d’exercer un contrôle sur soi-même ou le monde extérieur, de produire ou reconstituer de l’ordre, d’assigner des limites ou de définir des catégories (par exemple des groupes sociaux, une différenciation de soi et de l’extérieur) 38. La mise en parallèle des rituels culturels et des caractéristiques des T.O.C.

indique que tous les rituels sont constitués plus ou moins des mêmes éléments 39, ce qui contredirait le postulat anthropologique selon lequel le contenu des rituels est arbitraire et qu’on ne peut expliquer la nature des rituels d’une culture donnée autrement que par rapport à d’autres aspects de cette culture et de son histoire 40. Il en résulte que la disposition de chaque individu à accomplir et apprendre des rituels découlerait peut-être d’une aptitude spécifique chez l’homme pour cela, les dysfonctionnements de cette aptitude générant chez les individus qui en souffrent l’apparition de rituels personnels compulsifs 41.

37. S. DULANEY, A. P. FISKE, art. cit., pp. 247 sq. ; R. L. SEVENSKY, « Religion, Psychology, and Mental Health », American Journal of Psychotherapy, XXXVIII, 1984, pp. 77 sq. D. GREENBERG, « Are Religious Compulsions Religious or Compulsive: A Phenomenological Study », American Journal of Psychotherapy, XXXVIII, 1984, pp. 524-532, montre que même dans le cas de T.O.C. amplifiant des prescriptions religieuses le comportement obsessionnel se distingue nettement de l’observance religieuse normale. L’étude de D. A. EINSTEIN, R. G. MENZIES, « The Presence of Magical Thinking in Obsessive Compulsive Disorder », Behaviour Research and Therapy, 42, 2004, pp. 539-549, confirme l’existence d’une relation entre la pensée magique et les T.O.C., excepté dans le cas des rituels de propreté liés à des craintes de contamination.

R. O. FROST, M. S. KRAUSE, M. J. MCMAHON et al., art. cit., p. 424, avaient déjà constaté qu’il n’y avait pas de corrélation significative entre le fait d’être superstitieux et de pratiquer des rituels compulsifs de propreté. Mais ces deux études ont surtout testé les croyances superstitieuses (astrologie, phénomènes surnaturels, rituels issus du folklore tels que toucher du bois pour avoir de la chance, etc. ; sur le modèle utilisé, voir M. ECKBLAD, L. J. CHAPMAN, « Magical Ideation as an Indicator of Schizotypy », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 51, 1983, pp. 218 sq.) et non les modes de raisonnement sous-tendant les comportements. En fait, comme nous le verrons, infra, p. 278, d’autres études relient la notion de contamination à des raisonnements fondés sur la pensée magique.

38. S. DULANEY, A. P. FISKE, art. cit., pp. 248 sq., A. P. FISKE, N. HASLAM, art. cit., p. 221.

39. Pour prouver que le rapprochement entre les T.O.C. et les rituels culturels n’est ni fortuit, ni dû à un biais interprétatif, S. DULANEY, A. P. FISKE, art. cit., pp. 262-270, s’appliquent à montrer que les éléments caractéristiques des T.O.C. apparaissent plus fréquemment dans les rituels que dans d’autres activités humaines, notamment le travail.

40. A. P. FISKE, N. HASLAM, art. cit., p. 213.

41. S. DULANEY, A. P. FISKE, art. cit., p. 272. A. P. FISKE, N. HASLAM, art. cit., p. 212 : « Les rituels ont un effet sur les personnes parce qu’il existe une disposition et une capacité spécifiquement humaines à accomplir

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En admettant chez l’humain l’existence d’une telle disposition spécifique, il n’est toutefois pas obligatoire, comme le font les auteurs des études que nous avons mentionnées, d’en déduire que cette aptitude est défectueuse ou fonctionne anormalement dans le cas des T.O.C. au motif qu’ils sont vécus douloureusement contrairement aux rituels culturels, considérés comme normaux : les T.O.C. pourraient être en réalité une tentative pour faire face à un problème psychique par le recours au rituel, et cela plus ou moins vainement, ce qui entraînerait leur répétition compulsive tant que le problème n’est pas résolu. Les rituels des T.O.C. ne seraient donc pas en eux-mêmes des dysfonctionnements d’une quelconque capacité mais seraient des rituels normaux, constituant seulement les symptômes d’une

En admettant chez l’humain l’existence d’une telle disposition spécifique, il n’est toutefois pas obligatoire, comme le font les auteurs des études que nous avons mentionnées, d’en déduire que cette aptitude est défectueuse ou fonctionne anormalement dans le cas des T.O.C. au motif qu’ils sont vécus douloureusement contrairement aux rituels culturels, considérés comme normaux : les T.O.C. pourraient être en réalité une tentative pour faire face à un problème psychique par le recours au rituel, et cela plus ou moins vainement, ce qui entraînerait leur répétition compulsive tant que le problème n’est pas résolu. Les rituels des T.O.C. ne seraient donc pas en eux-mêmes des dysfonctionnements d’une quelconque capacité mais seraient des rituels normaux, constituant seulement les symptômes d’une

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