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L’école française d’anthropologie

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 61-69)

1 re partie : Étude générale sur la magie et la pensée magique

I. Conceptions anthropologiques de la magie

2- L’école française d’anthropologie

Les Intellectualistes avaient mis l’accent sur l’importance du fonctionnement psychologique de l’individu pour tenter d’expliquer le recours à des pratiques magiques.

Celles-ci, selon cette vision, étaient donc directement issues de la constitution de l’esprit humain ou au moins de sa manière spontanée d’envisager le monde. L’école française, en revanche, considère que la société précède l’individu et que c’est elle qui conditionne l’émergence de la magie.

a) Magie et sociologie : M. Mauss et H. Hubert, É. Durkheim

M. Mauss et H. Hubert soutiennent que, contrairement à ce qu’affirme Frazer, la magie ne se distingue pas de la religion du fait de ses principes d’action (loi de sympathie et contrainte) mais plutôt par les conditions dans lesquelles elle se produit au sein d’une société donnée : ils définissent le rite magique comme « tout rite qui ne fait pas partie d’un culte organisé, rite privé, secret, mystérieux et tendant comme limite vers le rite prohibé » 44. La magie s’inscrit donc dans un ensemble de prescriptions sociales préexistantes ; il ne peut être question de magie sans une société déjà constituée autour de règles de fonctionnement, voire d’institutions, déjà définies et qui, en l’occurrence, fondent un culte officiel. La définition proposée par Mauss et Hubert est donc très différente de celle de Lehmann qui pourtant opposait également la magie au culte : ce dernier positionnait la magie en opposition avec les activités cultuelles et non en contravention avec elles, ce qui ne requiert aucune analyse du fonctionnement de la société ; en revanche la définition des deux anthropologues français suppose de faire la part entre les aspects licites et illicites dans le domaine du sacré, ce qui ne peut se faire qu’en référence aux prescriptions et au système légal ou moral d’une société particulière, dans le cadre d’une analyse sociologique.

44. M. MAUSS, H. HUBERT, art. cit., p. 16. Sur le caractère partiel de la vision de Mauss et Hubert, qui réduit souvent la magie à la sorcellerie, se concentrant sur ses aspects maléfiques et occultes, voir P. SANCHEZ, op. cit., pp. 75, 330 sq.

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Ces auteurs vont encore plus loin et relèvent que, généralement, c’est sa situation sociale qui confère à un individu le statut de magicien, plus que des particularités physiques ou psychiques 45. Et d’une manière générale, le magicien se caractérise par sa situation sociale anormale 46, au point de souvent appartenir à des groupes de magiciens formant de véritables sociétés magiques 47. L’opposition avec Frazer est manifeste puisque, selon lui, l’état de magicien conférait à l’individu une fonction sociale, alors que pour Mauss et Hubert, c’est au contraire la position sociale qui confère à l’individu son statut de magicien, notamment en raison de la pression sociale qui l’y pousse au moment où il atteint cette position.

Acceptant la définition de la magie proposée par ces auteurs, Durkheim prolongera la critique de Frazer en niant l’antériorité de la magie par rapport à la religion et en affirmant que la magie, au contraire, est une « extension secondaire » de la religion au domaine profane.

Il contestera que les lois énoncées par Frazer soient spécifiques à la magie car ces lois sont au départ d’essence religieuse. En effet, on les retrouve dans une certaine catégorie de rites religieux (les rites mimétiques). De plus, les propriétés des forces sacrées (contagiosité et production du semblable par le semblable) dont l’existence est postulée par la pensée religieuse 48 ont été généralisées aux forces de la nature : des principes au départ religieux sont devenus de véritables lois de la nature, à la base de la croyance en l’efficacité de la magie et les principes des rites religieux sympathiques ont été petit à petit étendus à la magie, dont le développement a été plus ou moins parallèle à celui de la religion, et qui ne constitue donc pas une étape dans un processus évolutif 49. Une fois encore, l’argumentation repose en grande partie sur le contenu des définitions de la religion et de la magie. Cependant, l’approche du problème en termes sociologiques permet d’envisager la concomitance de ces deux activités antinomiques, ce qui était problématique dans la perspective évolutionniste de Frazer. L’autre

45. M. MAUSS, H. HUBERT, art. cit., pp. 20 sq.

46. Ibid., p. 24. Ce qui pourrait peut-être expliquer pourquoi les magiciens servent de boucs émissaires dans certaines cultures pour endiguer l’agressivité qui pourrait s’exercer contre des proches ou un autre groupe social, si bien que les sorciers présumés sont parfois victimes de violences pouvant aller jusqu’au meurtre, le critère social remplaçant le critère religieux ou racial dans d’autres cultures, comme l’indique C. KLUCKHOHN, Navaho Witchcraft, rééd., Boston, 1967 [1=1944], pp. 89 sq., 95 sq., 98. M. G. MARWICK, « The Social Context of Cewa Witch Beliefs », Africa, XXII, 1952, pp. 129 sq., 215-233, ainsi que S. F. NADEL, « Witchcraft in Four African Societies: An Essay in Comparison », American Anthropologist, N. S. 54, 1952, pp. 28 sq., estiment que considérer les magiciens comme des boucs émissaires permet de canaliser les tensions et l’agressivité vers quelques individus au lieu de les concentrer sur les institutions sociales inadaptées (relations familiales, système économique…) qui sont la cause de cette violence ou ne permettent pas de l’éviter : in fine, les accusations de sorcellerie ne résolvent aucun problème puisqu’elles ne traitent pas l’origine du dysfonctionnement et ne font que préserver les structures sociales en dispensant la société de se donner le mal d’accomplir une réorganisation sociale compliquée voire dangereuse. Voir aussi S. HEALD, « Witches and Thieves: Deviant Motivations in Gisu Society », Man, N. S. XXI, 1986, pp. 65-78.

47. M. MAUSS, H. HUBERT, art. cit., p. 36.

48. É. DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, pp. 268-272. Le wakan des Sioux, l’orenda des Iroquois ou le mana des Mélanésiens sont des exemples de ces forces sacrées évoquées par le sociologue (voir également infra, p. 63, et particulièrement la note 59).

49. Ibid., pp. 508 sq., 516 sq.

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aspect de la critique menée par le sociologue français réside dans l’observation qu’un magicien isolé ne serait pas capable d’obtenir l’adhésion durable d’autrui à un art dont les résultats sont souvent décevants, contrairement à une religion collective qui parvient à susciter une foi solide, grâce à ses rites, si bien que, d’après Durkheim, « la foi qu’inspire la magie n’est qu’un cas particulier de la foi religieuse en général » 50.

La question soulevée par le sociologue est très importante mais la réponse qu’il apporte est inadéquate. En effet, le problème de cette approche réside dans les termes mêmes de l’opposition relevée entre l’activité du magicien et la religion : dans la seconde, l’élément collectif est essentiel 51 alors que les croyances magiques ne lient aucunement ceux qui les pratiquent et que les rapports entretenus entre le consultant et le magicien ne sont qu’occasionnels voire accidentels 52. Or, selon Durkheim, la foi est précisément issue de la pratique régulière des rituels religieux, donc collectifs 53. Par conséquent, même si la magie emprunte à la religion ses principes (et encore dans un champ d’application différent), on voit mal comment la foi suscitée par la religion peut s’étendre à la magie dès lors que l’élément étant à son origine dans la religion est absent dans la magie. Faire découler la magie de la religion permet de comprendre d’où viennent ses principes d’action mais n’apporte pas d’explication vraiment convaincante au problème de l’adhésion à une pratique dont les résultats tangibles sont rares, d’autant qu’il n’y a aucune raison de penser que ceux qui ont recours à la magie aient conscience du phénomène décrit par Durkheim, tout au plus ont-ils une vague sensation du lien formel existant entre la magie et la religion, si encore en pratique ils font la différence entre les deux, ce qui n’est certainement pas le cas dans toutes les sociétés. Ajoutons que le rapprochement entre la « foi » en la religion et la « foi » en la magie est largement artificiel, ce qui affaiblit encore l’explication de Durkheim : le terme ne recouvrant pas exactement la même réalité. Comme le remarquent Mauss et Hubert, « les religions se créent toujours une sorte d’idéal » 54, alors que la magie a des préoccupations liées au quotidien, inférieures 55. La foi en chacune de ces activités ne porte donc pas exactement sur les mêmes objets : la foi religieuse vise des buts nettement moins utilitaires que la foi en la magie ; Durkheim suggère d’ailleurs que l’on consulte le magicien comme on consulte un médecin 56 : il faut avoir une raison précise de le faire, donc avoir un problème à résoudre.

50. Ibid., p. 517. Sur le rôle des rituels dans la naissance de la foi selon Durkheim, voir infra, p. 268, note 293.

51. Ibid., p. 65.

52. Ibid., pp. 61 sq., M. MAUSS, H. HUBERT, art. cit., p. 15.

53. É. DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, pp. 60, 514 sq.

54. M. MAUSS, H. HUBERT, art. cit., p. 14.

55. Ibid., p. 15.

56. É. DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, p. 62.

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Mauss et Hubert s’intéressent comme les anthropologues anglo-saxons aux rapports existant entre la magie et la science. En tant que variation sur le thème du principe de causalité, la magie est bien une certaine sorte de science, qui, de plus, sait reconnaître dans les choses des propriétés dont l’action est connue d’avance et qu’elle utilise 57. La pratique du magicien est donc fondée sur un ensemble de connaissances organisées. Les deux anthropologues remarquent également la nature essentiellement conventionnelle, voire nominale, des propriétés attribuées aux choses par la magie, et ils en déduisent que ce n’est pas l’idée de sympathie qui conduit à l’émergence de la notion de propriété mais qu’au contraire, ce sont les conventions sociales qui confèrent aux choses leurs propriétés et permettent l’émergence de liens sympathiques 58. En d’autres termes, les représentations liées à la magie sont de nature hautement culturelle.

L’efficacité de la magie sur le monde serait produite grâce à son action sur un milieu, un monde séparé ou une force enveloppant toute chose et tout être, et qui permet d’agir à distance sur eux : Mauss et Hubert reprennent la notion mélanésienne de mana, en précisant qu’elle est en réalité universelle, pour désigner cette sorte de dimension supplémentaire sur laquelle la magie est censée agir, qui relève, en définitive, du sacré 59. Les anthropologues posent l’existence d’une catégorie inconsciente de l’entendement produisant les idées magiques conformément à la notion de mana, sans être une catégorie individuelle mais une

« catégorie de la pensée collective » car sa prégnance et son contenu varient selon les sociétés

57. M. MAUSS, H. HUBERT, art. cit., pp. 56, 67 sq.

58. Ibid., pp. 70 sq.

59. Ibid., pp. 101-115. Sur cette notion, voir entre de nombreux autres J. N. B. HEWITT, « Orenda and a Definition of Religion », American Anthropologist, N. S. 4, 1902, pp. 37-41, R. R. MARETT, « The Conception of Mana » (1908) in R. R. MARETT, op. cit., pp. 99-121, É. DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, pp. 268-342, H. I. HOGBIN, « Mana », Oceania, VI, 1935/36, pp. 241-274, A. M. HOCART, « Mana », Man, XIV, 1914, pp. 97-101, R. FIRTH, « An Analysis of Mana: An Empirical Approach », The Journal of the Polynesian Society, XLIX, 1940, pp. 481-510, H. WEBSTER, op. cit., pp. 9 sq., 34, 61, H. PHILSOOPH, « Primitive Magic and Mana », Man, N. S. VI, 1971, pp. 192-201. La notion de mana a été introduite par R. H. CODRINGTON, The Melanesians: Studies in Their Anthropology and Folk-Lore, Oxford, 1891, pp. 118-120, chap. XII ; nous pouvons citer en particulier lespp. 118 sq. : « [Le mana] est ce qui œuvre à réaliser tout ce qui est au-delà du pouvoir ordinaire des hommes, hors des processus courants de la nature, il est présent dans l’atmosphère ambiante de la vie, s’attache lui-même aux personnes et aux choses, et est rendu manifeste par les résultats qui ne peuvent être assignés qu’à son opération. Quand quelqu’un l’a, il peut l’utiliser et le diriger, mais sa force risque de jaillir à un nouvel endroit quelconque ; sa présence est certifiée par la preuve. » (« This [sc.

mana] is what works to effect everything which is beyond the ordinary power of men, outside the common processes of nature; it is present in the atmosphere of life, attaches itself to persons and to things, and is manifested by results which can only be ascribed to its operation. When one has got it he can use it and direct it, but its force may break forth at some new point; the presence of it is ascertained by proof. ») Ce terme a été employé abusivement par les anthropologues, comme le montrent R. M. KEESING, « Rethinking Mana », Journal of Anthropological Research, 40, 1984, pp. 137-156, « Conventional Metaphors and Anthropological Metaphysics: The Problematic of Cultural Translation », Journal of Anthropological Research, 41, 1985, pp. 203-205 et M. TOMLINSON, « Retheorizing Mana: Bible Translation and Discourse of Loss in Fiji », Oceania 76, 2006, pp. 173-185. Le mot de mana a été utilisé comme un substantif désignant un pouvoir intermédiaire invisible, alors qu’il s’agit à l’origine d’un verbe d’état ou d’un nom verbal abstrait évoquant une condition ou une qualité inférée a posteriori à partir du résultat d’un événement.

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et leur degré d’avancement 60. Le mana ne serait que l’ensemble des conventions définies par la société ordonnant et classant les choses selon leurs qualités, pouvoir et influence relatifs.

Même s’ils trouvent au mana une origine et une interprétation sociales, Mauss et Hubert sont malgré tout obligés de poser que l’individu croit à la magie et à son pouvoir surnaturel 61 car il admet au préalable une théorie, même sommaire, faisant intervenir cette notion de mana, ce qui rend rationnelle son adhésion à cette pratique. En définitive, ils justifient l’existence d’une croyance par une autre croyance. D’ailleurs, si l’analyse sociologique permet de dire que le contenu du mana est socialement conditionné, elle n’explique pas l’origine de cette croyance.

Une fois encore, le fait de ne pas prêter suffisamment d’attention à l’ambiguïté des individus par rapport à la magie 62 vient fragiliser la théorie proposée.

Cependant, l’approche générale de Mauss et Hubert a le grand mérite de souligner que la magie a besoin d’un consensus social pour exister et perdurer, qu’elle n’est pas une activité excentrique qui s’exerce hors de tout contexte. Les croyances sont ancrées dans un système qui dépasse les individus, fondé sur les relations entre les personnes mais aussi sur un substrat symbolique, le rite étant « une espèce de langage », véhiculant des représentations 63, auxquelles il donne une expression vivante. L’individu est donc inséré dans un environnement social qui conditionne sa vision du monde et insère la théorie magique dans l’expérience : Mauss et Hubert peuvent alors reconnaître la part de rationalisme existant dans la magie 64, ce qui est évidemment une avancée très importante par rapport à leurs prédécesseurs. Mais en conservant une approche selon la croyance, les auteurs restent à l’extérieur du phénomène décrit, qu’ils limitent à un endoctrinement qui s’impose à l’individu à son insu dès sa naissance et duquel il ne peut se sortir, et il est alors inenvisageable, selon cette vision, de concevoir le moindre doute sérieux sur la véracité de la magie, comme si l’individu était condamné à admettre la vérité de propositions ou de faits allant contre les lois de la nature.

Les mécanismes d’influence efficace à l’œuvre dans la magie, qui expliquent une part de

60. M. MAUSS, H. HUBERT, art. cit., pp. 111 sq.

61. Ibid., p. 84 : « La magie est, par définition, objet de croyance. » Le caractère absolu de la croyance est clairement affirmé p. 90 : « La magie est donc, dans son ensemble, l’objet d’une croyance a priori ; cette croyance est une croyance collective, unanime, et c’est la nature de cette croyance qui fait que la magie peut aisément franchir le gouffre qui sépare ses données de ses conclusions. » Indiquant que « les jugements magiques sont antérieurs aux expériences magiques », les auteurs concluent même, p. 117, que « les jugements magiques sont, comme on dit, des jugements synthétiques a priori presque parfaits. » Ce qui revient à dire que la magie est une théorie plaquée sur les faits, pratiquement indépendamment de toute expérience préalable.

62. Les auteurs évoquent l’incrédulité face à la magie pour mieux affirmer la solidité de la croyance (ibid., pp. 85 sq.). Ils accordent à la magie une autorité sur les individus au point que les expériences qui la démentent n’affectent pas leur croyance, voire la renforcent car elles sont considérées comme la preuve d’une contre-magie plus forte. Et si les anthropologues font état du scepticisme des magiciens quant à leur pratique, c’est pour souligner leur utilisation consciente de subterfuges, doublée toutefois d’une « volonté de croire », ou bien pour mettre en évidence un jeu joué par le magicien afin de répondre à une attente du public ; et s’il ne croit pas à sa magie, le magicien croit toujours à celle des autres (ibid., pp. 86-90).

63. Ibid., p. 53.

64. Ibid., pp. 119 sq. Mauss et Hubert expliquent qu’une fois la notion de mana admise, elle reconnue dans l’expérience, les jugements magiques, de synthétiques a priori, devenant analytiques a posteriori.

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l’adhésion à celle-ci, notamment chez ceux qui sont sceptiques au départ et qui en font l’expérience, sont complètement occultés par Mauss et Hubert et sont à peine envisageables par leur théorie puisque les croyances sont implantées a priori selon eux et que l’idée que la magie puisse avoir la moindre efficacité est balayée par leur vision.

b) La mentalité prélogique et la loi de participation : L. Lévy-Bruhl

Contrairement aux anthropologues anglais et dans la lignée de Durkheim, L. Lévy-Bruhl estime que les représentations collectives ont leurs lois propres et ne s’expliquent pas par une psychologie du sujet individuel dont la référence serait l’Occidental et sa façon logique de penser 65. Il s’agit désormais de reconnaître aux primitifs un mode de pensée propre et différent, qui ne résulte pas d’une psychologie défectueuse, voire attardée, mais qui est issu de la culture dans laquelle vivent ces personnes : le système de pensée fondant les pratiques magiques est donc de ce point de vue cohérent. Déjà Durkheim avait admis que, du point de vue du primitif, croire en l’intervention de puissances mystérieuses dans le monde matériel ne pouvait être tenu pour irrationnel, car pour découvrir que ces croyances renvoyaient à du surnaturel, il aurait fallu concevoir au préalable l’idée d’un ordre naturel des choses, ce « qui n’a rien de primitif » 66.

Selon Lévy-Bruhl, il existerait une « mentalité primitive » 67, prélogique 68, dont la principale caractéristique serait d’exclure la « pensée abstraite et le raisonnement », sans être pour autant la marque d’un défaut d’intelligence 69, ni de culture 70. La mentalité primitive

« n’est pas antilogique ; elle n’est pas non plus alogique. En l’appelant prélogique, je veux seulement dire qu’elle ne s’astreint pas avant tout, comme notre pensée, à s’abstenir de la contradiction » 71, explique l’anthropologue. Cette tournure d’esprit conduit à substituer aux

65. L. LÉVY-BRUHL, Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures, 9e éd., Paris, 1951 [1=1910], p. 2.

66. É. DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, pp. 35 sq.

67. Avant Lévy-Bruhl, Durkheim avait évoqué une « mentalité de primitifs » pour désigner la tendance à ne pas voir l’existence de lois nécessaires dans certains domaines, comme les sciences physiques mais aussi les sciences sociales, ce qui conduit à postuler la possibilité de miracles, c’est-à-dire la survenue d’événements contrevenant à ces lois et suscitant de ce fait l’émerveillement (ibid. p. 37).

68. L. LÉVY-BRUHL, Fonctions mentales…, p. 79.

69. L. LÉVY-BRUHL, La Mentalité primitive, 15e éd., Paris, 1960 [1=1922], pp. 11-16.

70. L. LÉVY-BRUHL, L’Âme primitive, rééd., Paris, 1996 [1=1927], p. 7.

71. L. LÉVY-BRUHL, Fonctions mentales…, p. 79. Voir aussi Carnets, rééd., Paris, 1998 [1=1949], pp. 49-51, 62 sq., où sont évoqués les problèmes posés par le terme « prélogique » auquel Lévy-Bruhl finira par renoncer sans renier pour autant son interprétation de la mentalité primitive (ibid., pp. 67 sq.).

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causes naturelles des forces mystiques 72, qui sont à l’origine de tous les événements et qui

causes naturelles des forces mystiques 72, qui sont à l’origine de tous les événements et qui

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