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L’efficacité réelle de la magie

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 102-171)

1 re partie : Étude générale sur la magie et la pensée magique

I. Conceptions anthropologiques de la magie

7- L’efficacité réelle de la magie

En général, les anthropologues s’étaient jusqu’ici peu intéressés à la réalité des effets de la magie : ils s’étaient essentiellement employés à dénoncer son inefficacité, non sans un certain dédain parfois et toujours en vertu d’une attitude liée à leur statut de chercheurs positivistes occidentaux, soumis au regard critique d’autres chercheurs positivistes occidentaux, ne pouvant accorder foi aux énoncés recueillis auprès des populations étudiées sans perdre leur crédibilité et sans être associés aux gens naïfs qu’ils étudient. Aussi, au mieux, admettaient-ils l’importance des croyances justifiant le recours à des pratiques magiques et la rationalité relative des systèmes mentaux auxquels elles appartenaient. Or lorsque l’on cesse de regarder la magie comme une pratique folklorique, exercée crédulement, on est immédiatement amené se poser de nouvelles questions, en envisageant son efficacité et en cherchant à savoir comment elle produit ses effets. On est alors obligé de dissocier l’influence générée par la magie de l’éventuelle attente croyante qui conduirait y avoir recours.

262. C. HUMPHREY, J. LAIDLAW, op. cit., p. 145: « Le rituel est un contexte décontextualisant. » (« Ritual is a decontextualizing context. »)

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a) L’efficacité magique n’est pas affaire de croyance

i. Considérations générales sur la notion de croyance

Distinctions sémantiques

L’idée selon laquelle les primitifs adoptent certains comportements, rites ou pratiques par croyance et non guidés par la pensée, a été introduite par les anthropologues occidentaux, notamment Tylor, Frazer et Lévy-Bruhl, comme nous l’avons déjà dit. T. Nathan récuse ce point de vue et préconise d’abandonner la notion de croyance appliquée à ces peuples, qui possèdent une pensée à part entière, extérieure aux catégories occidentales, ne pouvant être réduite à de la pensée magique (comme le fait Freud), et dont la mise en action (par des cérémonies, rituels, offrandes, etc.) est efficace en général dans le champ d’application qu’elle s’est assigné (par exemple entrer en contact avec les dieux) 263.

Parler de croyance revient à porter un jugement extérieur au phénomène observé et qui est culturellement biaisé. En effet, J. Pouillon, qui estime lui aussi que la notion de croyance est inadéquate dans le cas des religions propres aux sociétés traditionnelles, remarque que ces sociétés n’admettent pas la distinction entre le naturel et le surnaturel que l’Occidental effectue lorsqu’il prête une telle attitude à leurs membres : dans ces cultures, le divin est présent dans ce monde et est un fait d’expérience 264. Cette constatation avait été faite depuis longtemps, notamment par Frazer 265, mais n’avait servi à l’époque qu’à souligner la faiblesse de la compréhension du monde de la part des primitifs et justifier leur croyance en des phénomènes occultes rejetés par la science, la capacité à différencier le naturel du surnaturel étant une avancée réalisée par les Occidentaux au cours de l’histoire ayant amené une

263.T.NATHAN, « Manifeste pour une psychopathologie scientifique » in T. NATHAN, I. STENGERS, Médecins et sorciers, rééd., Paris, 2004 [1=1995], pp. 50-53.

264. J. POUILLON, « Remarques sur le verbe “croire” » in M. IZARD, P. SMITH (éd.), op. cit., pp. 43-51, « Le Cru et le Su » in J. POUILLON, Le Cru et le Su, pp. 30-36. L’approche de Pouillon sous-estime toutefois le scepticisme de certains membres de ces populations et le conduit à adopter un relativisme trop radical, en minorant l’expérience du divin dans les religions monothéistes et en exagérant l’adhésion au contenu dogmatique de ces mêmes religions. L’absence de distinction entre le naturel et le surnaturel, conditionnant l’expérience du divin, est également observée chez les Dinka (Soudan) par G. LIENHARDT, Divinity and Experience: The Religion of the Dinka, reprint, Oxford - London, 1976 [1=1961], chap. I. Enfin, il est intéressant de remarquer que les adeptes contemporains de la magie en Occident rejettent la séparation instaurée par la science entre l’esprit et la matière et prônent au contraire l’interconnexion des deux, ce qui permet de concevoir l’action directe du premier sur la seconde (voir T. M. LUHRMANN, op. cit., pp. 125-129). Cette compréhension du monde, refusant de séparer le naturel du surnaturel, se retrouve aussi dans la magie traditionnelle de nos campagnes, comme l’explique D. CAMUS, Paroles magiques. Secrets de guérison. Les leveurs de maux aujourd’hui, 2e éd., Paris, 2001 [1=1990], pp. 135-138, la dichotomie ayant lieu au niveau moral, entre les forces du bien et celles du mal.

265. Voir supra, p. 53.

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connaissance du monde et de ses phénomènes plus adéquate. Partant du même constat, Pouillon change donc radicalement de point de vue et accepte d’entendre la position des primitifs tels qu’ils la conçoivent eux-mêmes.

L’absence de séparation entre le naturel et le surnaturel se retrouve dans les religions grecque et romaine où les éléments de l’ordre naturel sont divinisés et engendrent des dieux anthropomorphiques, qui, à leur tour, créent l’ordre social 266., le monde étant un tout rempli de dieux, pour reprendre le célèbre principe attribué à Thalès 267 et adopté entre autres par Platon dans un passage des Lois 268 qu’A. Diès commente ainsi 269 : « L’être intelligible et divin n’est pas loin du monde, loin de nous, relégué dans un autre Ciel, peuplant un autre monde, et doublant inutilement, inaccessiblement, l’être terre-à-terre qui est nôtre. » En adoptant la conception vétérotestamentaire d’un dieu transcendant, créateur et extérieur au monde ou du moins d’une essence différente, et en en faisant le λόγος primordial, le christianisme achèvera de réaliser en Occident la césure entre la nature et la surnature 270, et placera alors explicitement la foi au fondement de sa doctrine, dont les principes essentiels sont le fruit d’une révélation et sont dogmatiquement exprimés dans le credo. Dans ce contexte culturel, en plus de la reconnaissance de l’existence du divin, croire signifiera adhérer volontairement à un corpus idéologique, en sachant qu’autrui pourrait le tenir pour faux, et que l’on peut soi-même douter des dogmes 271, vu qu’ils renvoient à une surnature dont a pu faire une expérience différente ou ne pas faire l’expérience du tout : on n’a plus affaire à une affiliation immédiate dès la naissance de l’individu à un système doctrinal qui va de soi et qui est par nature inséparable de l’être de cet individu (sans préjuger de son adhésion à ce système), ce qui justifie l’instauration du baptême pour entrer formellement dans la communauté chrétienne, qui peut alors prétendre à l’universalité. Le caractère spécifique, et paradoxal, de la croyance telle qu’elle est envisagée dans le cadre du christianisme, laquelle consiste à vouloir admettre ce qui dépasse l’entendement et contredit la nature, est par ailleurs

266. Voir B. SALER, art. cit., pp. 38-42, G. E. R. LLOYD, op. cit., pp. 61-69. HÉSIODE, Théogonie, 21, 105 (MAZON), désigne la race divine comme « la race sacrée des Immortels toujours vivants » (ἀθανάτωνἱερὸνγένος αἰὲν ἐόντων) (voir aussi HOMÈRE, Iliade, I, 290, 494 ; XXI, 518 ; XXIV, 99 (ALLEN) ; Odyssée, I, 264, 378 ; II, 143 ; III, 147 ; IV, 583 ; V, 7 ; VIII, 306, 365 ; XII, 371, 377 (VON DER MÜHLL)) et aux vers 548, 893 et 993, il utilise l’expression θεῶν αἰειγενετάων, « dieux toujours vivants » (qui se trouve aussi chez HOMÈRE, Iliade, II, 400 ; III, 296 ; VI, 527 ; VII, 53 ; XIV, 244, 333 ; XVI, 93 ; XX, 104 ; Odyssée, II, 432 ; XIV, 446 ; XXIII, 81 ; XXIV, 373). Les dieux vivent dans un présent éternel, ayant été créés et étant en même temps immortels : ils conservent le monde et se régénèrent eux-mêmes sans cesse. En tant qu’« étant », la divinité grecque n’est pas coupée de la nature mais fait partie d’elle.

267. THALÈS de Milet, 11 A 22 (D.K.) ap. ARISTOTE, De l’âme, I, 5, 411 a8 (ROSS) : « Thalès pensait que toutes choses sont pleines de dieux » (Θαλῆς ᾠήθη πάντα πλήρη θεῶν εἶναι).

268. PLATON, Lois, X, 899 b8-9 (l’Athénien vient de montrer que chaque astre est une divinité mue par une âme excellente) : « est-ce que quelqu’un, ayant accordé tout cela, s’entête à affirmer que toutes choses sont pleines de dieux » (ἔσθ’ ὅστις ταῦτα ὁμολογῶν ὑπομενεῖ μὴ θεῶν εἶναι πλήρη πάντα;).

269. A. DIÈS, Autour de Platon. Essai de critique et d’histoire, 2e tirage, Paris, 1972 [1=1926], p. 569.

270. B. SALER, art. cit., pp. 42-49. Voir aussi R. NEEDHAM, Belief, Language, and Experience, pp. 44-50.

271. Voir J. POUILLON, « Remarques sur le verbe “croire” », pp. 48 sq.

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parfaitement exprimé par Tertullien 272 : « et le Fils de Dieu est mort : c’est absolument croyable, car c’est déraisonnable. Et enseveli, il ressuscita : c’est certain, car impossible » (et mortuus est Dei Filius: prorsus credibile est, quia ineptum est. Et sepultus resurrexit: certum est, quia impossibile). Selon cette conception, le chrétien est appelé à faire abstraction de l’usage de sa raison critique à propos de phénomènes qui ne sont pas du ressort de celle-ci (ils sont effectivement invérifiables par l’individu, puisqu’ils ont eu lieu à une époque reculée) et cette attitude est justifiée par la séparation entre le naturel et le surnaturel, le second étant hors de la compréhension raisonnable n’est accessible que par la foi, qui s’applique autant à l’existence de Dieu qu’à la véracité des témoignages des personnes inspirées, qui nourrissent la foi en Dieu et qui ont servi de fondements aux dogmes. Mais pour aboutir à ce résultat, Tertullien a demandé au croyant de faire usage au préalable de sa raison (sinon comment peut-il reconnaître que croire n’est pas raisonnable ?), si bien que l’abandon de la raison devient un acte raisonné et raisonnable. L’acte de foi ne cherche donc pas à justifier d’une quelconque manière la possibilité que des phénomènes surnaturels se produisent ordinairement dans le monde naturel, ce qui serait un délire 273. Lorsqu’il est envisagé de cette façon, l’acte de croyance est fondé sur l’acceptation d’un ensemble de dogmes qui suppléent aux insuffisances de la raison lorsqu’elle est incompétente, du fait de la nature du divin, tout cela étant sous-tendu par une espérance en la vérité de ces dogmes. La foi chrétienne consiste ainsi à apporter sa confiance à des énoncés en ayant une claire conscience qu’ils sont extraordinaires et de ce fait, peuvent être mis en doute : le théologien exalte le fait que la foi n’est réellement elle-même que lorsqu’elle triomphe du doute. Cette conception de la croyance est donc très particulière et en faisant intervenir ce rapport au doute, elle conduit à mettre nettement l’accent sur l’écart entre la confiance et la représentation.

Car comme l’indique encore J. Pouillon, il y a trois constructions possibles du verbe

« croire » en français, chacune induisant une nuance différente : « “Croire à…”, c’est affirmer une existence ; “croire en…”, c’est avoir confiance ; “croire que…”, c’est se représenter quelque chose d’une certaine façon. » 274 Croire en Dieu implique croire à son existence mais le fidèle, généralement, se dispense d’exprimer cette implication, et même de la concevoir car, pour lui, l’existence de Dieu est une évidence, une perception, un fait d’expérience. En revanche, énoncer une conception comme étant un objet de croyance conduit en même temps à soulever la possibilité d’un doute par rapport à la vérité de celle-ci : quand on dit « je crois que… », c’est que l’on envisage plus ou moins la possibilité d’avoir tort et que l’énoncé d’une

272. TERTULLIEN, De carne Christi, V, 4, p. 18. 24-26 (EVANS) [=II, 761 A8-10 (MIGNE)].

273. Comme le dit R. NEEDHAM, Belief, Language, and Experience, p. 66 : « La croyance n’est pas une garantie de réalité et elle ne dépend pas nécessairement de la réalité de ce qui est cru » (« Belief is not a guarantee of reality, and it does not necessarily depend on the reality of what is believed. »)

274. J. POUILLON, « Remarques sur le verbe “croire” », p. 43.

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représentation concurrente sur le même sujet est possible. De fait, quand on attribue à autrui une croyance, on lui prête une crédulité dont on se désolidarise. Avec un brin de malice mais beaucoup de bon sens, Pouillon résume de la façon suivante ces réflexions : « Ainsi est-ce, si l’on peut dire, l’incroyant qui croit que le croyant croit à l’existence de Dieu. » 275 Finalement, on obtient à partir du même verbe deux aspects très différents : une « croyance-représentation », qui s’intègre dans un système idéologique et n’a pas nécessairement d’existence, et une « croyance-confiance », qui est fondée sur un lien et une relation d’échange entre deux êtres, donc un fait d’expérience 276. En s’inspirant des propos de Pouillon, qui se réfère à l’analyse de Benveniste de la croyance, dans un contexte économique, comme étant une attente confiante d’une sorte de retour sur l’investissement que constituait la dévotion 277, on pourrait même parler, au sujet du second mode de croyance, de

« croyance-créance » en référence à la relation existant entre le créancier et le débiteur, le premier étant dans l’attente d’un retour d’un flux financier et ayant confiance dans la capacité objective du second à le rembourser (sans quoi il n’aurait rien prêté), grâce à la croyance-représentation qui a été construite à partir du récit de celui-ci et de l’étude de son cas. Dans le cas de la religion, Pouillon explique que la croyance-confiance en Dieu induit en général l’apparition d’un système doctrinal dont les énoncés deviennent eux-mêmes objets d’une croyance-représentation 278, qui à son tour servira à donner un sens à certaines expériences qui

275. Ibid., p. 44.

276. Ibid., p. 45.

277. É. BENVENISTE, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, I, Paris, 1969, pp.171-179.

278. J. POUILLON, « Remarques sur le verbe “croire” », p. 45. C’est évidemment l’existence d’une croyance-représentation qui rend possible les hérésies, ce qui ressort très nettement des règles pour déterminer le caractère hérétique d’un énoncé et des cas dans lesquels on doit qualifier une personne d’hérétique, exposés par N. EYMERICH, F. PEÑA, Le Manuel des inquisiteurs, trad. française partielle, rééd., Paris, 2001 [1=1973], pp. 75-78 (le Directorium inquisitorum de Eymerich (1320-1399) date de 1376 et a été revu et commenté par Peña (1540-1612) en 1578). Certes, la croyance-confiance est évoquée par le Manuel qui dit, p. 78, qu’est hérétique

« Quiconque doute de la foi », mais, dans la reconnaissance de l’hérésie, ce type de croyance passe loin derrière l’adhésion au corpus doctrinal (entendu au sens le plus large), et n’est que le huitième et dernier cas permettant de qualifier quelqu’un d’hérétique, les sept autres renvoyant soit à une situation juridique, soit à un écart par rapport à la croyance-représentation. La croyance-confiance entre en jeu dans un second temps pour décider si les fidèles suivant les hérétiques sont eux-mêmes des hérétiques, ce qui est le cas dès lors qu’ils démontrent dans leurs paroles et leurs actes leur attachement à l’hérésie, notamment en prenant part aux rites, tandis que ceux faisant preuve d’hésitation (ils fréquentent et écoutent des hérétiques ou leur font l’aumône, reçoivent leurs livres sans les brûler mais ne font rien qui ait un lien direct avec leurs rites) ne pourront être considérés comme hérétiques mais seulement suspects d’hérésie, et encourront des peines moins lourdes (ibid., pp. 118 sq.). La distinction entre les deux modes de croyance est donc claire ici, vu qu’elle entre dans la logique de la recherche de l’hérésie, mais il faut garder à l’esprit que pour Eymerich, la confiance en Dieu et la croyance-représentation issue de la doctrine coïncident en une même ferveur : en effet, lorsqu’il traite de la foi catholique, il commence par la définition de la foi (De Fidei definitione, p. 45 de l’édition de 1578 du Directorium Inquisitorum) et il poursuit immédiatement par l’exposition des articles de foi (De Articulis fidei, & eorum distinctione) qui, comme l’Écriture, appartiennent explicitement aux objets de foi (ibid., p. 46, col. 2 D1-2 :

« l’homme est tenu expressément de croire, et de même d’avoir la foi » (tenetur homo explicite credere, sicut &

tenetur habere fidem)), puisqu’ils proviennent de la Révélation comme l’indiquent la question IV (ibid., p. 47) et les commentaires de Peña au passage cité (ibid. (Francisci Pegñae In tres partes Directorii Inquisitorum Nicolai Eymerici scholiorum, seu adnotationum), schol. XVIII, p. 17). La prégnance de la croyance-représentation chez les agents de l’Inquisition est très bien illustrée par C. GINZBURG, Les Batailles nocturnes. Sorcellerie et rituels

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nourriront la croyance-confiance de ceux qui les ont vécues. Évidemment, les principales religions monothéistes, du fait de leur théologie élaborée et de la structuration complexe de leur hiérarchie conférant aux savants et aux théologiens une autorité considérable sur l’interprétation de la doctrine, ont eu tendance à développer l’aspect représentation de la croyance beaucoup plus que dans les autres religions et à accroître l’imbrication de cet aspect avec l’aspect confiance.

Les deux modes de croyance, confiance et représentation, communiquent et se conditionnent mutuellement, en conservant la nuance dubitative que nous avions également évoquée. Si, comme nous venons de le voir, le christianisme mêle étroitement les différents aspects de la croyance que nous avons passés en revue (particulièrement dans le credo), et est à l’origine de leur fusion dans le même concept en Occident, il n’en est pas de même pour toutes les cultures, les langues ayant parfois un mot précis pour désigner chaque aspect 279. Prenons simplement l’exemple d’un autre grand monothéisme comportant lui aussi un important corpus doctrinal, l’islam, pour mettre en exergue toute la subtilité de la question et montrer qu’à étendre à d’autres aires culturelles cette notion de croyance, poussant très loin l’amalgame de la confiance et de la représentation, on risque de se perdre dans des confusions.

En arabe, la croyance religieuse se dit ناميإ (’īmān). Il s’agit du nom d’action de la quatrième forme dérivée de la racine ن-م-أ (’-m-n), de laquelle sont tirés les verbes suivants, que nous mentionnons afin de bien faire ressortir le sens originel du mot ناميإ (’īmān) :

- نَمأينَمأ (’amana - ya’manu), « avoir confiance en quelqu’un, se fier à quelqu’un ».

-نَمأين مأ (’amina - ya’manu), « 1. Jouir de la sécurité ; être en sûreté et n’avoir rien à craindre de quelque chose […]. 2. Se fier à quelqu’un, mettre sa confiance en quelqu’un […]. 3. Se mettre sous la sauvegarde, sous la protection de quelqu’un […]. 4. Être rassuré et se croire en sécurité par rapport à quelque chose, n’en rien craindre ».

agraires aux XVIe et XVIIe siècles (1966), trad. française, 2e éd., Paris, 1984 [1=1980], pp. 22-53, qui rapporte la stupéfaction des inquisiteurs et des juges quand ils furent confrontés aux benandanti du Frioul, entre 1575 et 1581, disant être des bons sorciers défendant les récoltes au nom du Christ contre des sorcières servant le Diable, ou à un vieux sorcier de Livonie, en 1692, prétendant être un loup-garou au service de Dieu, combattant lui aussi des sorcières diaboliques volant le blé et les semences : il était tout simplement inconcevable pour eux qu’un sorcier ou un loup-garou pussent être bons et œuvrer pour Dieu, ça ne rentrait pas dans leurs catégories.

279. Voir l’exemple des Dangaleat (Tchad) analysé par J. POUILLON, « Remarques sur le verbe “croire” », pp. 47-51, qui ne possèdent pas dans leur langue d’équivalent du verbe « croire », et qui utilisent un verbe différent pour chaque nuance de ce terme. Nous renvoyons aussi à l’analyse de la croyance et de l’état intérieur spirituel chez les Nuer, à partir notamment des travaux d’Evans-Pritchard, effectuée par R. NEEDHAM, Belief, Language, and Experience, pp. 14-31, qui se pose aussi la question de la pertinence de l’attribution de la catégorie de la croyance aux non-Occidentaux (voir les comparaisons qu’il propose pp. 32-38). Cette étude est d’autant plus intéressante pour nous que le terme anglais belief recouvre à peu près le même champ lexical que le français « croyance ».

107 - نُمأينُمأ (’amuna - ya’munu), « Être fidèle et loyal. » 280

La quatrième forme dérivée (ن مؤُينَمآ ’āmana - yu’minu) imprime une nuance essentiellement factitive aux verbes que nous venons de citer et Kazimirski propose les traductions suivantes :

« 1. Rassurer quelqu’un, lui inspirer de la sécurité. 2. Regarder quelqu’un comme fidèle et sûr. 3. Protéger quelqu’un. 4. Croire quelqu’un, ajouter foi à ce que quelqu’un dit […]. 5.

Confier quelque chose à quelqu’un […]. 6. Assurer à quelqu’un de la tranquillité et le mettre à l’abri du danger du côté de quelque chose […]. 7. Croire en Dieu, en ses prophètes, ou en ses révélations. » 281

On constate que l’aspect croyance-confiance est dominant dans cette notion. Seule la dernière traduction est susceptible de renvoyer en plus à une notion de croyance-représentation. Cet aspect de la croyance évoqué par le verbe نَمآ (’āmana) semble particulièrement ressortir au verset 136 de la deuxième sourate du Coran 282, qui pourrait alors avoir la forme d’un credo :

Dites :

« Nous avons cru (اﱠنَماَء ’āmannā) en Dieu, à ce qui nous a été révélé,

à ce qui a été révélé à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus ;

à ce qui a été révélé à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus ;

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