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Nous avons vu que les sociétés modernes ont mis en œuvre des moyens pour contrôler, prévenir et limiter les dangers transformés en risques. Dans le même temps, à cause justement de ces efforts pour contrôler, prévenir et limiter les risques, ainsi que pour informer sur ces risques, elles ont mis en place des institutions qui, à leur tour, en sont venues à "produire" des risques, pour des raisons que nous allons expliciter.

3.1. La médiatisation

Les médias (presse, radio, télévision), considérés ici comme une institution (le champ journalistique diraient certains sociologues), peuvent eux aussi être considérés comme étant producteurs de risques. Ils prennent en effet aujourd‟hui beaucoup en compte, non seulement les effets des accidents et des catastrophes, mais aussi les mises en garde des experts vis-à-vis des risques et des dangers ainsi que les controverses de ces experts au sujet de ces phénomènes.

3.1.1. La sélection, la création et l'amplification sociale des événements Depuis les années 1970 sont menées des études sur la couverture par les médias des événements consistant à montrer le travail de sélection et de codification qu‟ils font de ces événements. Allan Mazur observa par exemple la sélection, par les médias américains, de deux événements : les événements autour de

Love Canal1 et l‟accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island2. Dans le même temps, de nombreux

ouvrages furent publiés sur la communication et la médiatisation dans les situations dites de crise, la "communication de crise", et la "communication en crise". Joseph Scanlon montra par exemple le travail de recodification opéré par les médias lors des situations dites de crise3. En ce qui concerne la France, Lagadec s‟est quant à lui intéressé ces dernières années à la couverture des actes de terrorisme par les médias (détournement de l‟Airbus Alger-Paris, attentats dans le métro parisien en 1995, prise d‟otage dans une

maternelle à Neuilly) en proposant un examen critique (c'est-à-dire ici négatif) du rôle des médias4. Dans ce

genre d‟étude, il est en général considéré que les médias créent des risques parce qu’ils exacerbent la

gravité des dangers et/ou leurs conséquences probables et parce qu’ils se rendent "coupables" de faire émerger dans le public des craintes exagérées voire non fondées (sous-entendu objectivement). Nous avons remarqué que les scientifiques se montrent souvent prompts à adhérer au discours selon lequel ce sont les médias qui déterminent les perceptions, dès lors considérées comme forcément fausses, du "public"5. La culpabilité des médias est ainsi maintes fois avancée pour expliquer la transformation d‟"événements" en

1

Situé non loin des chutes de Niagara, Love Canal est un endroit où étaient entreposés les produits chimiques d‟un grand nombre de compagnies (Hooker, etc.). Cette décharge, ensuite recouverte, fut le lieu choisi pour la construction d‟un lotissement pour les couches moyennes, dont les habitants constatèrent des problèmes de santé chez certains enfants à leur naissance.

2

Allan Mazur, The journalists and technology: reporting about T.M.I. and Love Canal, Minerva, vol. 22 (1), 1984.

3 Joseph Scanlon, Crisis communication in Canada, Singes ed. Communication in Canadian Society, Toronto, 1975.

4

Patrick Lagadec, Les médias en situations de crise : constats et questionnements à partir de la couverture d‟actes de terrorisme. Point de vue de Patrick Lagadec, Actes de la treizième séance du Séminaire du Programme Risques Collectifs et Situations de Crise du CNRS, organisé à l‟Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris le 1er

avril 1999 – Grenoble (CNRS), juin 1999.

5

Nous l‟avons constaté dans les entretiens que nous avons menés pendant le travail de terrain de notre mémoire de Maîtrise en Sociologie ; voir Karen Rossignol, Le risque alimentaire : un révélateur des perceptions des acteurs sociaux. Le cas des chercheurs en agroalimentaire de Nancy. Mémoire de maîtrise : Sociologie : Université Nancy 2, Nancy, 2002, 115 p.

"crise". Le sociologue Cyril Lemieux a montré comment les erreurs et les exagérations commises par les journalistes sont souvent mises à l‟index1

.

3.1.2. Les médias et la mise en forme d'une demande sociale potentielle En France, le sociologue Patrick Champagne a publié plusieurs ouvrages ces dernières années sur le thème des médias. En 1999, lors de l‟une des séances du séminaire Programme Risques Collectifs et Situations de crise du CNRS, il aborde la question du rôle des médias, en particulier de la télévision, dans l‟émergence des risques comme problèmes publics et dans le développement des crises, en prenant l‟exemple des risques sanitaires2. S'il admet la puissance des médias, et en particulier du média télévision, Champagne décrit cette

puissance comme n‟étant que superficielle3

. Même si les effets de diffusion que produisent les médias sont puissants et peuvent entraîner des conséquences politiques et économiques importantes, et que, selon ses propres termes, "la logique de la concurrence et de la surenchère conduit bien souvent les médias à amplifier les phénomènes"4, il refuse de considérer cet aspect des choses comme déterminant. Il écrit : "plus profondément, le pouvoir le plus spécifique de ce média réside dans sa capacité à renvoyer rapidement et efficacement à la société ses propres demandes, à donner comme "information" ce qui n‟est en définitive que mise en forme

d‟une demande sociale potentielle, parce qu‟une information n’existe comme telle et ne produit les effets

attendus que lorsqu’elle est, d’une certaine manière, demandée et plébiscitée par le public."5. "Le journaliste, poursuit-il, doit toujours répondre à une demande solvable."6. Ainsi selon Champagne, le fait que les problèmes de sécurité alimentaire fassent aujourd‟hui la une des médias ne signifie pas qu‟ils se poseraient de manière plus aiguë qu‟auparavant. D‟ailleurs, comme il le souligne, de nombreux indices montrent que la sécurité sanitaire n‟a jamais été aussi grande qu‟aujourd‟hui. Cela ne s‟explique pas non plus par une prétendue folie des médias. "Si le sentiment d‟insécurité prédomine aujourd‟hui et se traduit par un changement important des consommations alimentaires, ce n‟est pas, affirme-t-il, parce que "la presse serait devenue folle" mais parce qu‟un ensemble de transformations profondes qui travaillent la structure sociale, tendent à produire un nouveau rapport à la santé, à la valeur de la vie et, par là, aux risques socialement acceptables que les journalistes constatent et mettent en scène. Autrement dit, tout donne à penser que le champ journalistique ne fait bien souvent, en définitive, qu‟accélérer des processus qui ont leurs causes en dehors de lui."7

.

Cette vision des choses fait dans une certaine mesure écho aux travaux réalisés dans le cadre de la théorie de l‟amplification des risques (risk amplification theory) où il est question d‟étudier l'"amplification sociale des risques" (social amplificationof risk) en se basant en particulier sur le modèle du "Social Amplification of Risk Framework" (SARF)8. Le SARF est un modèle créé en 1988 dans le but de combiner les aspects relatifs à la

1

Voir Cyril Lemieux, Mauvaise presse. Sociologie de la faute journalistique dans la France des années 80-90, Thèse de doctorat : Sociologie : EHESS : Paris : 1997. Voir aussi l‟ouvrage qui a été publié à la suite de la soutenance de cette thèse : Cyril Lemieux, Mauvaise presse. Sociologie du travail journalistique et de ses critiques, Anne-Marie Métaillé, Paris, 1999.

2 Patrick Champagne, La médiatisation des risques et l‟espace public. Point de vue de Patrick Champagne, Actes de la treizième séance du Séminaire du Programme Risques Collectifs et Situations de Crise du CNRS, organisé à l‟Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris le 1er avril 1999 – Grenoble, CNRS, juin 1999.

3

Patrick Champagne, "Pouvoir des médias" et "pouvoir sur les médias". Les raisons d‟un débat récurrent, Science des médias. Jalons pour une histoire politique, Didier Georgakakis et Jean-Michel Utard (dir.), L‟Harmattan, 2001, 250p. Collection Communication et Civilisation, p.195-213. 4 Champagne, ibid., p.212. 5 Champagne, ibid., p.212. 6 Champagne, ibid., p.212. 7 Champagne, ibid., p.212-213. 8

Nous renvoyons ici à un ouvrage édité par trois des principaux chefs de file de l‟analyse du risque et de sa communication, Nick Pidgeon, Roger E. Kasperson et Paul Slovic, qui rassemble les contributions d‟un groupe de vingt-six spécialistes de cette question et constitue un état de l‟art de la théorie de la risk amplification theory : Nick Pidgeon, Roger E. Kasperson and Paul Slovic (ed.), The social amplification of risk, Cambridge university press, Cambridge, 2003, XV-448 p.

perception du risque et ceux du champ communicationnel autour du risque1. Selon les tenants de l'amplification sociale des risques, l‟intérêt pour un risque particulier, la conscience de ce risque ainsi que sa prise en compte ne dépendent pas uniquement du volume d'informations disponibles mais résultent de "signaux de risque" qui interagissent avec des processus psychologiques, sociaux, institutionnels et/ou culturels qui amplifient ou atténuent la conscience du risque, le but étant de rendre compte des "risk intensification and attenuation processes"2. Malgré quelques limites, le SARF peut être utile en ce qu‟il essaye de mettre au jour les processus d'intensification du risque (comment un risque dit faible peut devenir un centre particulier de préoccupation) et les processus d'atténuation du risque (des dangers considérés comme plus sérieux reçoivent proportionnellement moins d'attention) sans toutefois se contenter des résultats de théories ne prenant en compte que l‟une ou l‟autre des dimensions de la conscience du risquedu tant que risque3.

3.2. La "mise en risque" du monde par les dispositifs assurantiels

Parmi les institutions mises en place dans les sociétés modernes figurent les dispositifs assurantiels qui, dans l‟acception que nous leur donnons ici sont à la fois les dispositifs mis en œuvre par les assurances

(compagnies privées) et les systèmes de protection et de prévoyance mis en place au 20ème siècle par les Etats

de divers pays industrialisés (Welfare-State, Etat-Providence). Ici, nous allons voir en quoi ces dispositifs assurantiels concourent à ce que Peretti-Watel et d'autres appellent une "mise en risque" du monde4.

3.2.1. L’extension de la pratique de l’assurance et la création de (nouveaux) risques

Au 20ème siècle s'est produit une énorme diffusion de la technique de l‟assurance. Les sociétés contemporaines, écrit la juriste Françoise Chapuisat, ont ainsi connu un "changement d‟échelle dans la pratique de l‟assurance : extension des anciens risques, utilisation des statistiques permettant l‟ouverture d‟un marché beaucoup plus grand à l‟assurance vie, création de nouvelles garanties pour de nouveaux risques, développement considérable des assurances de responsabilité civile provoquée par une jurisprudence qui n‟a cessé d‟alourdir les obligations de ceux qui devaient indemniser les victimes"5

.

Dans le langage de l‟assurance, le terme de risque ne désigne pas, comme dans le langage courant, un

événement malheureux. Il désigne, écrit Ewald dans le chapitre Un art des combinaisons de L’Etat providence,

"un mode de traitement spécifique de certains événements qui peuvent advenir à un groupe d‟individus, ou plus exactement à des valeurs ou des capitaux possédés ou représentés par une collectivité d‟individus, c‟est-à-dire par une population."6. "En soi, note-t-il, rien n’est un risque, il n’y a pas de risque dans la réalité. Inversement, tout peut être un risque ; tout dépend de la façon dont on analyse le danger, considère l’évènement. Pour parler comme Kant, la catégorie du risque est une catégorie de l‟entendement ; elle ne

1 Pour un exposé détaillé des objectifs de ce modèle, voir le premier chapitre de l‟ouvrage précédemment cité : J.X. Kasperson, Roger E. Kasperson, Nick Pidgeon and Paul Slovic, The social amplification of risk theory : assessing fifteen years of research and theory, The social amplification of risk, Nick Pidgeon, Roger E. Kasperson and Paul Slovic (ed.), Cambridge University Press, Cambridge, 2003, XV-448 p., p.13-46.

2 Kasperson, Pidgeon, Slovic, ibid., p.101.

3

Pour un résumé des limites émises sur cette théorie, voir Helene Joffe, De la perception à la représentation du risque : le rôle des médias, Traduit de l'anglais par Birgitta Orfali, Hermès, n°41, 2005, p.121-129.

Disponible sur http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/2042/8962/1/HERMES_2005_41_121.pdf. Consulté en 2007.

4

Peretti-Watel, Risques et innovation : un point de vue sociologique, Innovations. Cahiers d’économie de l’innovation, L‟Harmattan, Paris, 2003, p.59-71, p.62.

5

Françoise Chapuisat, Le Droit des assurances, P.U.F., Paris, 1995, 127 p., p.5.

6

saurait être donnée par la sensibilité ou l‟intuition."1. Tout au long du 20ème siècle, de plus en plus d‟événements ont été traités en terme de risque : risques industriels, risques urbains diffus, risques naturels, risques domestiques, risques sanitaires, etc. En particulier, l‟Etat-providence s'est proposé de considérer comme des risques les catégories que sont la vieillesse, la pauvreté, l‟invalidité et le chômage. Ainsi, la notion de risque permet aujourd‟hui d‟appréhender toutes sortes d‟inégalités, et, écrit Ewald, elle serait même devenue "le mode moderne du rapport à autrui"2. L‟époque actuelle se caractériserait ainsi par une "assurantialisation" et une " "mise en risque" du monde"3. Notons au passage que cette vision des choses en terme de "mise en risque" est très peu affirmée dans les discours, même chez les politiciens et les personnels (appelés parfois les gestionnaires) employés à mettre en œuvre les dispositifs de gestion des risques de quelque nature que ce soit, qui parlent bien plus volontiers de protection sociale et de sécurité4.

La première cause de prolifération des risques se trouverait donc dans les efforts que font les assureurs pour parvenir à considérer des évènements comme des risques : parce qu‟ils veulent étendre leur champ d‟activité, ils créent des risques. Ainsi, dire que le risque est un néologisme propre à l‟assurance revient à affirmer que "l‟extension moderne du risque ne relève pas de la prolifération d‟événements d‟un type déterminé, mais de la diffusion d‟une technique de traitement particulière. Cette extension s‟avère inséparable des efforts d‟une profession, qui vise à repousser sans cesse les limites de son marché : l‟assureur ne constate pas passivement des risques, il peut en produire lui-même grâce aux progrès de sa technique, en faire apparaître là où l‟assurance semblait auparavant impuissante"5

. Pour n‟importe quel événement, les liens de cause à effet ne sont pas toujours démontrés, et, en fait, "le nombre de facteurs de risque théoriquement envisageables pour un risque donné est incalculable, il croît directement en rapport avec notre capacité à recueillir et traiter des

informations chiffrées : le monde est de plus en plus risqué, car notre capacité à mettre en évidence de

nouvelles corrélations statistiques augmente chaque jour"6.

Aussi, il n‟est pas étonnant d'observer que la question des risques est traitée dans d‟innombrables ouvrages et articles publiés sous l‟égide des compagnies d‟assurance, et notamment dans des revues spécialisées telles que Risque, créée en 1990 avec le soutien de la Fédération Française des Sociétés d‟Assurances (FFSA) dont les articles visent à apporter des éléments d‟analyse et de réflexion sur les grands dossiers de l‟assurance. Ewald lui-même fait partie du monde des assurances, en tant que Directeur des Affaires

Publiques de la FFSA et membre du comité éditorial de la revue Risque.

3.2.2. La multiplication potentiellement infinie des possibilités d'intervention de l’Etat

Dans sa description des politiques préventives, le sociologue Robert Castel écrit dans son article De la dangerosité au risque qu'elles se basent sur des corrélations statistiques, une combinatoire de tous les facteurs susceptibles de produire un risque dans le but d'anticiper toutes les figures possibles d'irruption du danger. "La

conception de la prévention […] prétend construire les conditions objectives d'apparition du danger pour en

déduire de nouvelles modalités d'intervention."7. Cela aboutit, indique Castel, à la multiplication

1 Ewald, ibid., p.173.

2

Ewald, ibid., p.20.

3

Patrick Peretti-Watel, Risques et innovation : un point de vue sociologique, Innovations. Cahiers d’économie de l’innovation, L‟Harmattan, Paris, 2003, p.59-71, p.62.

4

Nous verrons en quoi consiste la notion de gestion dans la dernière section de ce chapitre.

5

Patrick Peretti-Watel, Sociologie du risque, Armand Colin, Paris, 2000, 286 p., p.52-53.

6

Patrick Peretti-Watel, La crise de la vache folle. Sciences sociales et santé, mars 2001, vol. 19 (1), p.5-38, p.16.

7

potentiellement infinie des possibilités d'intervention. "En effet, quelle est la situation dont on puisse être assuré qu'elle ne comporte pas de risque, c'est-à-dire aucun aléa, aucun élément incontrôlable ou imprévu ?"1. Castel

va plus loin que la simple constatation du phénomène : "Les idéologies modernes de la prévention sont

surplombées par une grande rêverie technocratique, rationalisatrice, du contrôle absolu de l'accident

conçu comme irruption de l'imprévu. Au nom du mythe de l'éradication absolue du risque, elles construisent elles-mêmes une foule de risques nouveaux qui sont autant de cibles pour les interventions préventives."2.

Dans cette perspective, on peut faire remarquer la création ces dernières années de nouvelles institutions spécialisées (agences et instituts) ayant pour but de faire respecter les procédures et les normes édictées par l‟Etat dans le domaine de la réduction et de la prévention des risques (Agence Française de Sécurité Sanitaire de l'Environnement et du Travail, Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, etc.). Aussi, on peut constater, surtout au cours des années 1980 et 1990, "une inflation très nette des textes réglementaires régissant la prévention des risques industriels"3 et "une intensification de la procéduralisation" du côté de l‟Inspection des ICPE4. "La démarche prescriptive de l‟Etat est fondée sur l‟idée qu‟on peut isoler le risque et en faire l‟objet d‟une approche rationnelle" peut-on dire avec Geneviève Decrop, Christine Dourlens et Pierre-Alain

Vidal-Naquet5. Il est possible de dire que l’Etat retrouve ainsi un rôle moteur et central comme c'était le cas au

cours du 19ème siècle avec la formalisation juridique des risques industriels dont nous avons déjà parlé au début de ce chapitre. Ou, pour le dire comme Castel, l‟Etat accomplit son rêve de "contrôle absolu de l'accident"6. Furent ainsi crées depuis plus d'un siècle de nombreux systèmes de prévention, de contrôle, d‟information et de prise en charge des risques, telles que les agences étatiques crées par la loi sur l‟Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale (AFFSE) et son décret d‟application de 2002, que Daniel Benamouzig et Julien Besançon décrivent comme de "nouvelles bureaucraties techniques" mises en place pour "administrer un monde incertain"7.

Au début des années 1980, Castel décrivait déjà les atours de cette mutation, qui selon lui était de teneur à donner une extension extraordinaire à ce qu'il appelait les "nouvelles technologies de surveillance"8. Selon lui, la mise en application de ces politiques préventives (il donnait l'exemple de la mise en place en 1976 d'un dépistage systématique des anomalies de l'enfance) entraînait la promotion d'une "nouvelle modalité de la surveillance"9. "Il y a surveillance en ce sens que le but visé est d'anticiper et d'empêcher l'émergence d'un événement indésirable, maladie, anomalie, comportement déviant."10. Plus récemment, les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny ont eux aussi cherché à mettre au jour cette modalité de la surveillance en étudiant la mise en place d‟un dispositif d‟épidémiosurveillance des populations suite au développement, dans

les années 1990, de l‟affaire dite de la maladie de la vache folle dans les pays européens11. Dans un autre

ouvrage, Torny s‟était déjà interrogé sur la mise en place de ce qu‟il appelait une "politique de la vigilance", en

1

Castel, ibid., p.123.

2

Castel, ibid., p.123.

3 Laure Bonnaud et Emmanuel Martinais, Expertise d‟Etat et risques industriels. La persistance d‟un modèle technocratique depuis les années 1970, Actes du colloque L’expertise comme objet flou : déplacements d’objets et nouvelles perspectives de recherches dans les sciences du politique, Sciences Po Rennes, Rennes, 12-13 mars 2008, p.3.

4

Bonnaud et Martinais, Ibid., p.10.

5

Geneviève Decrop, Christine Dourlens, Pierre-Alain Vidal-Naquet, Les scènes locales du risque, Rapport de recherche,