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On peut affirmer que le risque a commencé à être véritablement pris en considération dans les sciences humaines et sociales à partir du début des années 1970-1980, quand il devenait évident que le risque constituait, plus qu‟un simple phénomène de mode, un "problème social". Les types d'approche du risque pour l‟étudier que nous allons présenter ici ont été mises en œuvre dans des travaux issus de différentes disciplines : Psychologie, Anthropologie et Sociologie5.

1

Nous reviendrons sur la formation des catégories dites à risque dans le chapitre suivant.

2

Wacquant, ibid., p.8.

3

La Sociologie, les sociologues et l‟insécurité, François Dubet, Dominique Monjardet, Christian Mouhanna, Michel Wieviorka (dir.), Sociologie du Travail, vol. 44 (4), octobre-décembre 2002, p.541-590.

4 La Sociologie, les sociologues et l‟insécurité, Jean-Paul Brodeur, Philippe Robert, Sebastian Roché (dir.), Sociologie du travail, vol. 47 (1), janvier-mars 2005, p.89-113.

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Pour un panorama plus détaillé des travaux réalisés en France sur le risque en sciences humaines et sociales, dans ses connotations plutôt négatives, nous proposons la lecture des travaux suivants :

- années 1980 : Jean-Louis Fabiani et Jacques Theys, La société vulnérable. Evaluer et maîtriser les risques, Textes réunis et présentés par J.-L. Fabiani et J. Theys, Presses de l‟ E.N.S., Paris, 1987, 674 p.

- années 1990-2000 : Programme Risques Collectifs et Situations de crise du CNRS, URL : http://www.msh-alpes.prd.fr/Vie/Axes1/Risques.htm.

2.1. Le risque dans les sondages et les questionnaires

Depuis les années 1970-1980, des études statistiques ont été menées pour quantifier les attitudes et les réactions des individus face à des situations à risque présentées à eux par des enquêteurs. La pratique du sondage, facilitée aujourd‟hui par la performance des outils statistiques, a été – et est encore – un outil fortement utilisé dans ce domaine. En France, le recours au sondage au sujet de la perception des risques a commencé au début des années 1980 et se poursuit aujourd'hui. Quelques enquêtes dites d‟opinion ont porté sur les pollutions, l‟environnement, les risques dits industriels et les risques dits technologiques. Par exemple, des enquêtes ont été réalisées régulièrement par le Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des Conditions de Vie (C.R.E.D.O.C.), où les sondés exprimaient leur inquiétude selon une échelle à quatre niveaux à propos de thèmes tels que "tomber malade", l‟accident de centrale nucléaire, l‟accident de la route, la guerre, la mise au chômage ou l‟agression1. Par ailleurs, dans les années 1980, des instituts de sondage tels que la S.O.F.R.E.S. ont régulièrement réalisé des sondages pour connaître l‟opinion des Français sur les risques dits majeurs2. Globalement, on peut dire que les buts de ces sondages sont de connaître les problèmes que les Français jugent préoccupants et ce qu‟ils jugent devoir être (mieux) pris en compte.

2.1.1. Les méthodes des sondages

Regardons de plus près les méthodes qui sont utilisées et les types de résultats qui ont été obtenus dans

l‟un de ces sondages, celui de l‟Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN)qui porte le nom de

"baromètre IRSN de la perception des risques et de la sécurité"3. Depuis 1988, l'IRSN réalise régulièrement ce type de sondage, environ une fois tous les ans ou tous les deux ans4. Présentons la méthode d‟enquête employée pour le baromètre de l‟IRSN publié en 2006. Les interviews, d‟une durée moyenne de quarante minutes furent réalisées par l‟institut de sondage BVA en face à face entre le 21 novembre et le 2 décembre 2005 auprès d‟un échantillon représentatif de la population française de 1047 personnes sélectionnées selon la méthode des quotas et des strates. La répartition de l‟INSEE des âges, des sexes et des professions des chefs de famille fut respectée dans l‟échantillon, dans chacune des 32 strates considérées (8 régions x 4 types d‟habitat). La trente-quatrième question posée dans l‟enquête était la suivante5 :

1

Le système d‟enquêtes sur les conditions de vie et d‟aspirations des Français, rapports des phases IV à VII (1978-1985), C.R.E.D.O.C.

2

Les Français face aux risques majeurs, Préventique, n°5, S.O.F.R.E.S., novembre 1985.

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Depuis 2002, l'IRSN est un Etablissement Public Industriel et Commercial (EPIC) placé sous la tutelle conjointe des ministres chargés de la Défense, de l'Environnement, de l'Industrie, de la Recherche et de la Santé créé par la loi sur l‟Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale (AFFSE) et le décret n°2002-254 du 22 février 2002. Il réalise des recherches, des expertises et des travaux dans les domaines de la sûreté nucléaire, de la protection contre les rayonnements ionisants, du contrôle et de la protection des matières nucléaires, et de la protection contre les actes de malveillance. Il n'exerce pas de fonction d'autorité de contrôle. Il rassemble plus de 1500 experts et chercheurs issus de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) et de l'Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI), et compétents en sûreté nucléaire et radioprotection ainsi que dans le domaine du contrôle des matières nucléaires et sensibles.

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Depuis 1999, les éditions de ce baromètre sont disponibles sur le site Internet de l‟IRSN à l‟adresse suivante: www.irsn.org. Dans la page d‟accueil, aller dans la rubrique "Dossiers", puis, dans la liste des thèmes proposés, choisir "perception des risques et de la sécurité" Les résultats sont présentés selon un découpage en trois parties : le point sur les problèmes que les Français jugent les plus préoccupants ; leur jugement de plusieurs situations à risque selon trois angles : importance du risque, confiance aux autorités, crédibilité de l‟information ; un éclairage sur l‟état de l‟opinion face au risque nucléaire et en particulier sur les déchets radioactifs.

5

Baromètre IRSN 2006. Perception des risques et de la sécurité. La perception des situations à risques par les Français. Résultats d’ensemble, Division ouverture à la société, Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), Rapport IRSN- Direction de la stratégie, du développement et des relations extérieures n°7, Fontenay-aux-Roses, avril 2006, 105 p., p.96.

"En France, parmi les problèmes actuels suivants, lequel est pour vous le plus préoccupant ? En premier ? En second ?".

L‟enquêteur était censé montrer l‟écran à l‟enquêté et énumérer les éléments suivants :

1 La dégradation de l'environnement 2 L'insécurité

3 Les risques nucléaires 4 Les accidents de la route 5 Le chômage

6 La misère et l'exclusion 7 Le SIDA

8 Les risques alimentaires 9 Le terrorisme

10 Les toxicomanies (drogue, alcoolisme, tabagisme...) 11 Les risques chimiques

12 Les conséquences de la mondialisation 13 Les maladies professionnelles 14 Les bouleversements climatiques 15 (Ne sait pas)

La collecte et l'analyse des réponses des interviewés en 2005 donnaient les résultats suivants (en pourcentages) :

"problèmes actuels" Pourcentage

Le chômage 27,71 La misère et l‟exclusion 17,0 L‟insécurité 9,2 Le terrorisme 9,2 La dégradation de l'environnement 7,3 Le SIDA 6,8

Les bouleversements climatiques 5,6 Les conséquences de la mondialisation 5 Les toxicomanies (drogue, alcoolisme, tabagisme,...) 3,4 Les risques nucléaires 2,8 Les accidents de la route 2,6 Les risques alimentaires 1,6 Les risques chimiques 1,5

Ne sait pas 0,4

Certaines questions, telle que la première question relative directement au sujet traité : "En France, parmi les problèmes actuels suivants, lequel est pour vous le plus préoccupant ?" sont maintenues d‟un baromètre à l‟autre, ce qui autorise – aux dires des instigateurs – de faire des comparaisons entre les réponses des sondés d‟une période à une autre. Aussi, dans l‟édition de 2006 du rapport ont été présentés les résultats des sondages réalisés dans les années précédentes (2004, 2002, 2001, 2000, 1999, 1998) au sujet des problèmes qui sont dits

1

Exemple de lecture de ces résultats : en 2005, le chômage apparaissait comme le problème actuel le plus préoccupant pour 27,7% des enquêtés.

les plus préoccupants des Français1. Il apparaît que, depuis le lancement de ce baromètre, l‟insécurité, le chômage, la misère et l'exclusion ont été à chaque fois les thèmes les plus cités par les sondés, en premier ou en second.

Les accidents ont-ils des effets sur les réponses des sondés ? Pour tenter de répondre à cette question, prenons l‟exemple d‟un sondage réalisé en avril 2002 pour le groupe Atofina, filiale chimie de TotalFinaElf, quelques mois après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse2. Voici ce qui était écrit dans le compte-rendu :

"Une majorité de Français (76% contre 24%) se disent plus sensibles au risque industriel depuis l'explosion de l'usine AZF (Grande Paroisse-Atofina) à Toulouse, mais le risque industriel vient en queue de peloton dans les problèmes que rencontrent les Français, derrière la délinquance des jeunes, le chômage, la pollution, la gestion des déchets et la sécurité alimentaire, mais devant les catastrophes naturelles. Dans les risques liés aux activités industrielles, une catastrophe comme l'explosion d'une usine apparaît en dernière position (61% des Français très préoccupés), précédée par la pollution des rivières par des rejets (77%) et des émissions polluantes dans l'air (77%), ou par les risques de pollution des sols (69%)."3.

Nous pouvons faire trois remarques à la vue des résultats de ces sondages. Premièrement, ces résultats font apparaître que les accidents rendraient les personnes plus "sensibles" au risque à un moment donné. Deuxièmement, ils montrent qu'un événement grave mais ponctuel (accident) aurait un effet moindre sur la "sensibilité" des personnes que des phénomènes qui s'inscrivent dans une certaine durée ou qui montrent une certaine récurrence (chômage, pollution, etc.). Troisièmement, ces résultats posent la question de ce que les commanditaires veulent faire dire aux sondés, ce qui pose la question des limites de la pratique des sondages.

2.1.2. Les limites de la pratique des sondages

Il nous semble en effet qu'il faut émettre des objections face à ce type d‟enquête et aux résultats obtenus4. Nous n'allons pas exposer ici des reproches qui sont régulièrement faits à la technique, telle que la mise en question de la représentativité des échantillons, en affirmant que même si toutes les conditions de la rigueur méthodologique sont remplies dans le recueil et l'analyse des données, les postulats sur lesquels ils reposent impliquent des biais.

Premièrement, on peut reprocher aux sondages de supposer implicitement qu'il y aurait un consensus sur les problèmes, c'est-à-dire qu'il y aurait un accord sur les questions qui méritent d'être posées. Le sondage d'opinion montre un aspect pernicieux en ce qu'il contraint les personnes à répondre à des questions qu'elles ne se sont peut-être jamais posées, ou en tout cas pas dans ces termes. Par exemple, demander aux individus de comparer des risques de nature différente (délinquance, chômage, pollution, etc.) n‟a, en réalité, guère de sens. C'est ce que Pierre Bourdieu appelle un "effet d'imposition de problématique"5, notamment issu du fait que les sondés sont amenés à répondre à des questions qu‟ils ne se sont peut-être jamais posées. On peut aussi s'interroger sur les conditions sociales d'apparition de ces biais, qui tiennent très souvent aux conditions dans

1

Les problèmes les plus préoccupants, Baromètre IRSN 2006. Perception des risques et de la sécurité. La perception des situations à risques par les Français. Résultats d’ensemble, Division ouverture à la société, Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), Rapport IRSN- Direction de la stratégie, du développement et des relations extérieures n°7, Fontenay-aux-Roses, avril 2006, 105 p., p.13-22 (Chapitre 1) Disponible sur www.irsn.org.

2

Ce sondage a été effectué entre le 2 et le 10 avril 2002 par la Sofres pour le groupe Atofina, filiale chimie de TotalFinaElf, sur un échantillon de 4500 personnes, dont 500 dans des agglomérations dites sensibles, Toulouse et Lyon, et 2770 riverains de sites Atofina.

3

Dépêche AFP, Agence France Presse, 2 juillet 2002.

4

Pour des réflexions sur les limites des interprétations des résultats des sondages d'opinion, les travaux des sociologues Patrick Champagne et de Pierre Bourdieu sont très pertinents et instructifs. Voir en particulier Pierre Bourdieu, L‟opinion publique n‟existe pas. Exposé fait à Noroit (Arras) en janvier 1972, paru dans Les temps modernes, 318, janvier 1973, p.1292-1309 et reproduit dans Questions de sociologie, Les Editions de Minuit, Paris, 1984-2002, p.222-235.

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lesquelles travaillent ceux qui produisent les questionnaires : les problématiques imposées aux organismes de sondage sont profondément liées à la conjoncture et dominées par un certain type de demande sociale. La question du risque, par exemple, n'a pu commencer à être posée par un institut de sondage qu'à partir du moment où elle est devenue un "problème social" et un "problème politique".

Deuxièmement, il est souvent reproché aux enquêteurs de poser des questions biaisées ou plutôt de biaiser les questions dans leur formulation. Ainsi, et même si la question est posée en toute bonne foi par l‟enquêteur, la réponse du répondant est fréquemment induite parce qu'il apparaît souvent important, à ses yeux, de se sentir "bien répondre" devant la personne qui est en face de lui et de ne pas contredire ce qui lui est suggéré.

Troisièmement, les réponses ne sont pas interprétées en fonction de la problématique par rapport à laquelle les différentes catégories de personnes interrogées ont effectivement répondu. Les commanditaires de ces sondages, par exemple des institutions subordonnées aux instances étatiques (Ministères de l'Environnement, etc.), ont des préoccupations, des attentes et une vision de la réalité qui peuvent être fort éloignées de la vie des enquêtés. Parler de "public" ou d'"opinion", considéré comme une sorte d'entité homogène, est ainsi, en soi, une autre limite. Le sondage néglige en effet de prendre (suffisamment) en compte la diversité des facteurs qui influent sur chacune des réponses des enquêtés. Les réponses – et les non-réponses – des personnes dépendent en effet notamment du problème posé (intérêt ou non pour le problème posé) et des divers types de positionnement social dans lesquels il se trouve inséré (sexe, instruction, position dans la hiérarchie sociale, etc.).

Ces biais expliquent sans doute en grande partie pourquoi les résultats des sondages sur la perception des risques sont différents d'un sondage à un autre et, surtout, d‟un commanditaire à l‟autre. Donnons pour exemple deux types de résultats rendus publics en 2002 par deux institutions différentes : l‟IRSN et l‟Agence de

l‟Environnement et de la Maîtrise de l‟Energie (ADEME)1

. Comme nous venons de le voir, le "baromètre IRSN de la perception des risques et de la sécurité" réalisé en 2002, montrait que les deux problèmes les plus préoccupants pour les Français étaient le chômage et l‟insécurité. Un sondage réalisé en 2002 pour l‟ADEME, à l‟occasion de son dixième anniversaire, indiquait de son côté que c‟était la pollution atmosphérique en ville qui était l‟aspect le plus souvent cité en termes de préoccupation et de sentiment d‟exposition (devant les risques alimentaires, la pollution des eaux, les risques industriels, les risques liés aux changements climatiques et les risques liés à l‟amiante). Il était indiqué dans le compte rendu des résultats que les individus interrogés sur leurs souhaits pour l‟avenir en matière d‟environnement citent le plus souvent, en premier, la réduction des pollutions d‟origine industrielle. Ce constat nous amène à poser la question de la raison d‟être de ces sondages et des objectifs attendus de leurs commanditaires. Dans le cas des sondages commandités par l‟ADEME, nous pouvons supposer que la réponse attendue était bien celle d'une plus grande préoccupation des interviewés pour la pollution atmosphérique en ville. D'autre part, particulièrement en ce qui concerne l‟IRSN, nous pouvons supposer que les commanditaires et les auteurs de ces études pouvaient avoir pour objectif de montrer une image plus positive du secteur pour lesquels ils travaillent, surtout s'ils sont, comme le nucléaire, souvent contestés. Par exemple, dans le cas des sondages commandités par l‟IRSN, il pouvait leur être commode de mettre en avant les supposées plus grandes préoccupations des Français pour le chômage, l‟insécurité, la qualité de l‟eau et celle de l‟air que pour les problèmes relatifs au nucléaire. Par la même occasion, il pouvait être intéressant de montrer les efforts réalisés pour la sûreté dans ces domaines contestés par rapport à d‟autres secteurs, et laisser suggérer que, compte tenu des efforts fournis en la matière, il serait plus "logique", plus "raisonnable", plus "rationnel" – nous reviendrons sur ces notions – que le "public" en ait moins peur. De là à

1

Sondage IFOP réalisé du 10 au 11 janvier 2002 pour l‟Agence de l‟Environnement et de la Maîtrise de l‟Energie (ADEME), sur un échantillon de 1004 personnes représentatives de la population française de 15 ans et plus.

dire qu‟il y a des risques "objectifs" et des risques qui seraient "subjectifs", il n‟y a qu‟un petit pas à faire, qu‟ont franchi les chercheurs qui ont travaillé à partir de la notion de perception.

2.2. Le risque objet de perceptions

Jusqu'à présent, nous avons plusieurs fois utilisé le terme de "perception" sans toutefois l'expliciter et il est temps désormais de préciser qu‟il appartient à un registre d'études en sciences humaines et sociales qui s'est développé à partir de la fin des années 1970 et au début des années 1980, à l'origine aux Etats-Unis. De très

nombreux travaux sur la "perception des risques" ou "perception du risque" (risk perception) ont été menés par des chercheurs de diverses disciplines et écoles de pensée, pour étudier ce que les individus perçoivent de la "réalité des risques"1. Au-delà des différences entre disciplines et écoles de pensée, c‟est par un court rappel historique qu‟il nous est permis de comprendre plus facilement comment cette notion de perception a, à l‟origine, pris place dans les recherches. Aux débuts de la contestation antinucléaire aux Etats-Unis, les premières estimations quantifiées du risque (études probabilistes sur une centrale avec le fameux rapport Rassmussen en 1975) avaient fait apparaître que les techniciens jugeaient le risque "faible" alors que le public le jugeait "élevé", d‟où la conclusion suivante : il y a une distorsion entre le "risque objectif" calculé par les experts et le "risque perçu" estimé par le public. Dans les premiers temps, la perception était donc vue essentiellement comme un phénomène de distorsion, qu‟il était possible et nécessaire de "corriger". Aussi, on peut dire, de manière générale, que les commanditaires des études de perception du risque espéraient que ces dernières permettraient de lever les réticences de l‟opinion publique américaine face à l‟implantation de centrales nucléaires. Ce registre de travaux s'est ensuite beaucoup développé à partir des années 1980, à la suite des travaux de chercheurs américains en Psychologie et en Psychosociologie, dont l'initiateur et le chef de file était Paul Slovic. Ce dernier a commencé ses travaux au moment où se posait la question, aux Etats-Unis, du choix du lieu où enfouir les déchets nucléaires civils. Les théories de la perception du risque (risk perception theory), issues de plusieurs disciplines (les sciences de l‟ingénieur, la biologie (à travers l‟écologie), les sciences économiques, la psychologie cognitive et l‟analyse de la décision) ont eu depuis un énorme succès à tel point que c‟est encore aujourd‟hui le principal type d‟étude sollicité par les organismes institutionnels publics et privés intéressés par ces questions. Ajoutons que les travaux sur la perception des risques sont en vogue chez les chercheurs des sciences exactes, qui y trouvent des explications convaincantes aux difficultés rencontrées pour faire passer leurs connaissances dans l‟opinion publique, notamment sur des sujets controversés.

Les questions auxquelles ces travaux tentent de répondre sont notamment : pourquoi un risque est-il accepté, refusé, ou cherché par les individus ? Comment prennent-ils des décisions par rapport aux risques ? Quels sont les facteurs qui influencent la perception des risques ?

Pour rendre compte de ces divers aspects, le psychosociologue Paul Slovic a élaboré un modèle appelé le paradigme psychométrique où il a dressé une liste des principaux aspects que le profane prend en compte quand il évalue le risque et quand il juge si le risque est acceptable ou non2. Voici la liste des questions prises en compte dans le paradigme psychométrique :

a) Est-ce que le risque est individuellement contrôlé ? b) Est-ce que le risque est volontaire ou subi ?

1

Le terme de perception étant employé différemment selon ces diverses disciplines et approches, le lecteur peut se référer, comme base de l‟analyse, au bref rappel que fait Duclos sur les distinctions qui existent entre la Sociologie, la