Les indicateurs utilisés dans l’enquête ménage

La transformation des variables de terrain à partir des discours en indicateurs pour une analyse de la dimension de la pauvreté n’est pas une simple affaire, car il faut impérativement réduire l’information tout en faisant attention à son caractère qualitatif. Autrement dit, le lien avec notre question de recherche et l’approche par les « capabilités » devra toujours être le fil conducteur de notre recherche.

En ce qui concerne les indicateurs matériels, il n’existe pas de consensus absolu sur la méthode la plus appropriée pour mesurer le revenu et la dépense du ménage, et ce n’est pas non plus notre objectif dans l’étude.

Plusieurs indicateurs sont mobilisés dans le cadre de notre identification des « capabilités ».

Les indicateurs mobilisés pour l’évaluation des « capabilités » individuelles

Lors de la phase d’imprégnation faisant partie de l’enquête, nous tentons de relever les variables nécessaires pour identifier le rôle important de la localisation dans la ville et de son ancrage historique et socioéconomique. Pour cela, nous avons recueilli les données secondaires issues des mairies des deux communes, de la wilaya de Tipaza, de la direction des forêts, des subdivisions agricoles des deux communes, de la direction de la population et de la santé (monographies, enquêtes ménage, enquêtes de consommation de l’ONS de 1967, 1987, 2000, 2011), de la direction de l’habitat et de l’éducation. L’enquête ménage vise à mobiliser un nombre d’indicateurs liés particulièrement aux « capabilités » :

« Capabilités » humaines (immatérielles)

Les « capabilités » humaines sont définies par les dispositions prises par une société, en faveur de l’éducation, de la santé, ou d’autres postes et qui accroissent la liberté substantielle qu’ont les individus de vivre mieux. L’existence de tels services modifie la qualité de vie individuelle. Ces « capabilités » sont saisies à partir des caractéristiques du chef de ménage et de sa famille. On y trouve les caractéristiques suivantes :

 Le niveau d’éducation

L’accès à l’éducation publique favorise une participation plus effective aux activités économiques et politiques. L’analphabétisme est en effet un facteur d’exclusion économique.

Il s’agit d’appréhender les contraintes extérieures comme des contraintes culturelles et/ou familiales. À titre d’exemple, dans certaines cultures, les parents envoient leurs fils à l’école alors que les filles resteront travailler avec leur mère. Les garçons ont donc plus la possibilité de se constituer un capital humain alors que les filles sont plus exposées à la pauvreté.

Dans notre cas d’étude, nous allons nous intéresser au niveau d’éducation des garçons et des filles notamment (discrimination sexuelle ou autre facteur), et à ce qu’ils sont devenus après avoir fait des études. L’accès à l’école sera abordé du point de vue de la proximité géographique.

 L’âge du chef de ménage (cycle de vie)

Les risques associés à l’âge sont nombreux : la maladie, l’exclusion sociale, les faibles retraites, etc. Les vieux travailleurs risquent davantage de perdre leur emploi, ils perçoivent des indemnités dégressives et leur santé morale et physique se détériore, ce qui les disqualifie par rapport à l’emploi. La notion de « traumatismes cumulatifs » associant des problèmes relationnels, de santé, d’argent et de déqualification traduit cet état social.68_{(Gondard-Delcroix et Rousseau, 2004)}

Dans notre recherche, nous nous sommes intéressée à l’âge des chefs de ménage enquêtés et au rôle que ce dernier peut jouer ou pas dans la progression des parcours : le chef de ménage se sent-il par exemple disqualifié par rapport à d’autres dans l’accès aux opportunités de travail ou à la sélection dans les projets de développement initiés par sa commune ? etc.

 La santé

La pauvreté et un mauvais état de santé forment un cercle vicieux pour le pauvre, qui vit et travaille dans un environnement propice aux risques de maladies et d’accidents, et qui fait face à des problèmes (matériels ou monétaires) d’accessibilité aux services de santé. La consommation alimentaire d’un chef de ménage pauvre étant limitée, il est moins productif, donc pénalisé sur le marché du travail, mais ce volet ne sera pas abordé dans le cadre de notre enquête. De plus, les risques sur la santé sont exacerbés dans les zones rurales où l’accès aux services de santé est plus limité. Les maladies et les accidents ont à la fois des coûts directs (dépenses de prévention comme la vaccination, de soins et de médicaments) et des coûts d’opportunité (le revenu ou le temps scolaire perdu lorsqu’un individu est malade). Le coût d’opportunité dépasse en général le coût direct, surtout lorsque c’est l’individu qui gagne le plus d’argent dans un ménage qui est atteint.

La période, la durée et la fréquence d’une maladie ont une grande importance pour rendre compte de ses conséquences. D’ailleurs selon Rousseau (2003), une étude réalisée dans le sud de l’Inde montre que les ménages peuvent combler les pertes dues à une maladie survenue pendant la saison creuse, alors que la même maladie lors de la haute saison engendrera de grosses pertes de revenus.

En plus de ces indicateurs, nous développons dans le cadre de notre recherche les indicateurs autour du nombre de services de santé dans la zone d’étude, l’accès aux services de santé, l’éloignement par rapport à ces services, le mode de transport utilisé pour l’accès à ces services, les maladies chroniques au sein de ménage et l’effet qu’a cette maladie éventuelle sur le revenu du ménage, le nombre d’enfants malades ou handicapés dans le ménage, l’accès ou pas aux soins gratuits et à la prime pour personne handicapée octroyée par l’État, et les dépenses liées aux soins dans le budget du ménage.

 La perception de l’environnement

Il s’agit de comprendre comment les enquêtés perçoivent leur propre développement compte tenu de leurs potentialités intrinsèques et extrinsèques (celles liées en particulier aux spécificités des douars dans lesquels ils vivent), de connaître leurs perceptions sur eux-mêmes et celles de leurs voisins de la commune enquêtée. Il s’agit également d’étudier et de comprendre quels sont les effets des projets de développement dans leur région et des mécanismes d’aides conçus par l’État, et ce qui est susceptible d’être modifié selon leur propre vision.

« Capabilité » de production agricole (matériel)

L’analyse des « capabilités » de production agricole des ménages est effectuée en nous appuyant sur les analyses portant sur les thématiques suivantes : dans notre zone d’étude, parmi les populations qui font l’objet de notre enquête, certaines ont dû quitter définitivement leurs terres sous la pression des violences exercées dans leurs territoires pendant le terrorisme. Elles se sont installées en ville et elles louent leurs parcelles de terre à des agriculteurs de la commune ; d’autres ont repris, après leur exode, leurs activités agricoles sur leurs parcelles abandonnées lors de la période de violence. Les caractéristiques sociales et économiques des propriétaires, exploitants ou salariés, sont identifiées. L’histoire des populations a été mobilisée pour apprécier cet élément de la liberté d’opportunités (Tovar, 2014). Il ne sera pas possible pour nous de remontrer très loin dans l’histoire pour vérifier si elle a un lien direct avec la pauvreté rurale en Algérie.

Nous mobilisons dans notre questionnaire, dans ce cas précis, les indicateurs liés à la propriété foncière, pour savoir si les enquêtés sont les propriétaires des terres qu’ils cultivent, si leurs parents possédaient des terres par exemple dans le passé, et dans quel contexte ils les ont perdus. Il ne nous sera pas utile d’examiner les effets des programmes d’ajustement structurel qui ont impacté l’économie algérienne (en termes de pertes d’emplois suite à la disparition d’entreprises publiques ou privées locale, etc.) dans notre zone d’étude, compte tenu de l’impossibilité de développer des indicateurs de cette époque dans notre zone de recherche.

La décennie noire par laquelle est passée l’Algérie a eu un impact direct sur le ménage, surtout lorsqu’il s’agit de la perte d’un membre de la famille qui générait des revenus, conduisant ainsi à la baisse du niveau de vie des ménages. Si, pendant cette même période, le ménage a dû fuir l’insécurité et abandonner sa terre pour se réfugier en ville, comment s’est-il adapté à cette nouvelle vie ? Vers quel secteur d’emploi s’est-il orienté pour faire face à la vulnérabilité à laquelle il était exposé ?

Figure 13 : Principes méthodologiques de l’enquête sur les populations dans la zone d’étude