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3. 3Zoom3sur3une3élève3

3.2. Les3hypothèses3du3point3de3vue3de3cette3élève3

En outre, après avoir manifesté deux représentations en tension de l’activité de lecture, à savoir l’une proche du modèle représentationaliste et l’autre laissant le lecteur totalement libre d’imaginer ce qu’il souhaite, E. semble également être en tension vis-à-vis de la formulation d’hypothèses pour la suite de l’intrigue. C’est le cas pendant le jour 4, lors de la mise en commun des hypothèses pour la dernière page.

Jour 4 – 27:40

A : D’accord donc ça c’est toujours l’histoire de la boue / oui

de quelques secondes. D’après ces hypothèses diverses et variées, nous pourrions en conclure que E. imagine plusieurs suites possibles parmi lesquelles il faudra trancher. Mais quelques minutes plus tard, elle semble surprise que l’on puisse envisager plusieurs hypothèses différentes.

Jour 4 – 34:10

E. : Mais j’ai deux questions la première c’est euh / du coup ça veut dire que/ il y a plusieurs possibilités avec le charbon: ↑

A : Ben là c’est toutes les possibilités effectivement

Après avoir envisagé plusieurs options possibles quelques minutes auparavant, E.

semble déstabilisée par l’idée que l’on puisse admettre plusieurs possibilités. Sa représentation de ce qu’est une hypothèse semble non seulement fluctuante, mais également erronée.

De plus, il semblerait que cette représentation impacte négativement sa compétence à formuler des hypothèses. Elles manquent par moment de cohérence comme lors du jour 4, après avoir lu l’album jusqu’à l’extrait travaillé.

Jour 4 – 1:06:37

A : L’épisode un le chapitre un / c’était quand maman s’en va / et l’épisode deux il s’appelle la surprise / ça va être quoi la surprise ↑ E.

E. : qu’il neige ^ Els : mais non

A : est-ce qu’on a beaucoup parlé de météo ↑

Ici, l’hypothèse émise par E. n’est pas du tout cohérente, ni avec l’intrigue ni avec le travail réalisé jusqu’à présent. Les élèves ont analysé dans les détails les deux doubles pages concernant le grand ménage réalisé dans la cuisine. À plusieurs reprises lors des moments d’échange, il a été reformulé que le père et ses enfants font une surprise à la mère en nettoyant la cuisine de fond en comble. La réponse de E. parait donc totalement détachée du travail qui a déjà été réalisé. Le reste de la classe réfute d’ailleurs immédiatement cette hypothèse par une réponse collective sans appel. S’ensuit une question rhétorique de l’enseignante ramenant E. aux thèmes qui ont été abordés au fil des séances.

En outre, nous constatons que ses hypothèses manquent de structure et ont tendance à s’éparpiller dans diverses directions. Linguistiquement, cela se traduit par des occurrences répétées de termes tels que « après » ou encore de l’expression « et tout », comme c’est le cas dans les deux exemples suivants.

Jour 2 – 1:42:39

E. : Moi je dis que: / après peut-être que : quand il dit nettoyer / peut-être que après les enfants ils ont tout nett/ ils ont tout ils ont tout nettoyé et tout et tout / et puis après ils font tout le bazar dans leur cham:bre […] peut être que là/ ça peut-être de la peinture

noire où les enfants ils ont renversé toute leur peinture noire / et après quand il voit ça il il glisse / et après ben voilà

Jour 4 – 15:46

E. : J’ai deux hypothèses la première c’est euh/ mais aussi peut-être que/ effectivement ça peut-être le chien qui a fait / et que après euh: / c’est pas que il y a que une tache / mais après il s’essuie un petit peu les pieds avant d’entrer et après il:

E. semble réellement se faire une représentation mentale des hypothèses qu’elle formule. En effet, ses hypothèses ressemblent à des histoires avec de nombreux détails, mais elles font penser aux histoires que s’inventent les jeunes enfants. En effet, la séquentialité semble poser problème à cette élève, qui peine à faire s’enchainer les différentes actions avec cohérence. Elle formule davantage une juxtaposition de bribes, sans lien explicite entre les différents moments. Les hypothèses, quant à elles, ne sont pas structurées et il est difficile d’identifier l’idée initiale de par la profusion de détails du type « il s’essuie un petit peu les pieds avant d’entrer ». E. débute son intervention en expliquant qu’elle a deux hypothèses, mais suite à ses explications, il est difficile de les identifier clairement.

3.3. Du3point3de3vue3de3l’enseignante3

Nous venons d’observer que les représentations de E. concernant l’activité de lecture et la formulation d’hypothèses ne sont pas encore stabilisées. Intéressons-nous désormais davantage au travail de l’enseignante pour guider cette élève dans la construction de ses représentations. Pour ce faire, nous nous concentrerons sur la tâche durant laquelle les élèves imaginent la dernière page de l’album.

Lors de l’explication de la consigne, A. exprime très clairement ses attentes aux élèves quant à la marge de manœuvre qu’ils ont pour proposer des hypothèses. C’est d’ailleurs une remarque d’E. qui suscite cette explicitation chez l’enseignante.

Jour 5 – 16:11

E. : Mais c’est pas genre un gros cœur / c’est juste / une tache noire

A : on est d’accord / ça doit être logique hein / tous les indices / tout ce qu’on a re:levé / au fur et à mesure du texte/ ils nous permettent pas de dire n’importe quoi t’as raison / que on peut pas dire / ben moi j’ai envie qu’il y ait: un cœur qui brille et qui s’allume toutes les trente secondes / qui arrive là au milieu / il y a rien dans l’histoi:re / qui nous permet de dire ça / mais par contre / en allant collecter tous les indices tout ce qu’on a vu

exemple exagérément éloigné de l’univers de l’album, elle démontre pourquoi cela ne conviendrait pas. Par ailleurs, à deux reprises, A. fait référence aux indices et aux différents éléments relevés. Elle indique ici quels sont les outils que les élèves ont à leur disposition pour élaborer une ou plusieurs hypothèses cohérentes. Les panneaux sont par ailleurs affichés au tableau noir et visibles par tous les élèves.

La tâche se poursuit, les élèves travaillent en groupes, puis vient le moment de la mise en commun. E. et sa camarade ont émis plusieurs hypothèses, dont une qui manque de cohérence par rapport à l’univers de l’album. Elles ont imaginé que la tache persistante pourrait être des paillettes. L’enseignante remet en question cette proposition, tout comme une élève qui la remet en cause, avançant que les paillettes pourraient facilement être nettoyées, mais E. reste convaincue de la pertinence de son hypothèse.

Jour 5 – 35:57

E : Mais / alors dans ces cas là les paillettes marchent A : Mais elles viendraient d’où les paillettes ↑

E : Mais je sais pas peut-être que / les filles elles ont commencé à dessiner à décorer xxx A : C’est d’accord que c’est un petit peu plus tiré par les cheveux que le reste

E : oui mais

A : Le reste on a déjà une référence dans l’histoire / les paillettes elles viennent de nulle part c’est pour ça

E : Ben si parce que peut être que les il y a les filles / elles ont voulu : tellement elles étaient contentes de revoir leur maman de : / de leur de lui faire une surprise

A : oui mais est-ce que il y a déjà quelque chose dans l’histoire qui a un rapport avec les paillettes ↑

E : ben ça prend ça prendrait assez longtemps / on sait pas mais je sais pas mais/ le papa il laisse pa :s / pendant u :ne heure euh/ les enfants tout seuls / il vient au moins regarder toutes les dix minutes / et puis aussi c’est quoi ce qui est à côté (désigne avec le doigt) / juste là // à côté de : / non là où il y a non/ là ou c’est écrit / oui celle-ci

A : C’est l’explication de ça (désigne la feuille à côté) c’est que c’est de la peinture noire qui est tombée par terre

E. : Mais la peinture elle arrive où

A : Elle est ici / (montre sur le tableau) c’est l’explication

Dans cet échange, A. essaie d’expliquer en quoi l’hypothèse des paillettes ne convient pas. Elle commence par demander une justification de l’origine des paillettes, qui pourrait amener E. à comprendre qu’elle ne peut pas savoir d’où elles viendraient. Lorsque E.

commence à inventer une histoire pour l’origine des paillettes, A. la coupe, sollicitant son avis pour reconnaitre que cette hypothèse reste difficile à argumenter. Elle complète en expliquant que, par rapport à celles formulées par ses camarades, il n’y a aucune référence à des

paillettes dans l’histoire : on ne peut pas expliquer d’où elles viennent. Mais E. reste ancrée dans son hypothèse et elle trouve une explication potentielle à l’origine des paillettes. A.

persiste également en lui adressant cette fois une question fermée. Dans sa réponse, E. n’a pas vraiment d’autre choix que de reconnaitre qu’il n’y a aucune référence aux paillettes dans cette intrigue.

L’échange aurait pu s’arrêter là, bien que E. ne semble pas vraiment convaincue du manque de cohérence de son hypothèse, mais une autre élève intervient et reprend l’argument de l’enseignante. Certes, il n’est fait aucune mention des paillettes précédemment, mais alors pourquoi accepte-t-on l’hypothèse d’une tache faite avec des feutres alors qu’à aucun moment dans l’histoire il n’est question de feutres ? A. rebondit en reprenant l’explication qui avait été donnée par les élèves ayant imaginé une tache avec des feutres : il s’agit d’une bêtise d’un des enfants. E. essaie alors de se projeter dans cette hypothèse et avance l’argument qu’il faudrait beaucoup de temps pour faire une tâche avec des feutres. Si le papa surveille ses enfants, il est peu probable qu’ils aient le temps de faire une tâche au stylo feutre sur le sol. Ainsi, cette hypothèse ne lui parait pas plus acceptable que la sienne.

Ainsi, par cet échange, l’argument de l’enseignante est mis à mal une première fois.

Mais juste après, E. demande un éclaircissement pour une autre hypothèse, il s’agit cette fois-ci d’une tache de peinture, hypothèse qui a également été validée par l’enseignante. E. reprend alors une des questions de l’enseignante pour invalider cette hypothèse en demandant d’où viendrait cette peinture. Là encore, l’hypothèse avait été acceptée même si on ne parle pas de peinture dans le reste de l’histoire.

Cet échange nous permet de voir ce que l’enseignante met en place pour essayer de guider E. afin qu’elle comprenne en quoi son hypothèse manque de cohérence. Non seulement E. ne semble pas vraiment convaincue, mais en plus elle retourne les arguments de l’enseignante contre d’autres hypothèses validées précédemment. Comment l’enseignante va-t-elle ajuster son enseignement lors de la suite de la séance ?

Avant la découverte du titre et de la dernière page, les élèves discutent une dernière fois

Jour 5 – 39:22

E. : moi je dis que : on peut enlever le grand ménage parce que euh le grand ménage (répété en fronçant les sourcils)

A : qui c’est qui est d’accord d’enlever le grand ménage ↑ (la majorité de la classe lève la main) […] Clé

Clé : moi je suis d’accord d’enlever le grand ménage

A : mais alors est-ce qu’il y a pas un lien entre le grand ménage et la tache ↑ / Els : non

A : est-ce qu’il y a pas toute l’histoire qui tourne autour du fait de nettoyer ↑ Els : ben oui

A : ben oui / Alors est-ce qu’il faut l’enlever ou est-ce qu’il faut le garder Els : non non

A : qui c’est qui veut l’enlever ↑ // (seuls deux élèves, dont E., lèvent la main) qui c’est qui veut le garder ↑ (la majorité de la classe lève la main) okay / Est-ce qu’il y en a un autre à enlever ↑

Lorsque E. propose de retirer cette proposition de titre pourtant cohérente, A. n’entre pas dans une argumentation pour expliquer en quoi elle pourrait être pertinente. Elle modifie sa stratégie et fait, cette fois-ci, appel au groupe-classe. Elle répond à la remarque de E. par un vote de l’ensemble de la classe. Ce vote n’a pas le résultat escompté puisqu’une majorité d’élèves se prononcent en faveur de l’évincement de ce titre. C’est donc par l’enchainement de deux questions rhétoriques que l’enseignante amène les élèves à conserver cette proposition.

Le point central de cet échange n’est pas tant que l’enseignante parvienne à faire changer d’avis les élèves, mais plutôt le fait que, suite à un échange argumentaire houleux quelques minutes auparavant, elle adopte une stratégie différente pour remettre en cause une proposition de E. Il ne s’agit pas d’argumenter ou de discuter pourquoi « le grand ménage » convient, mais A. prend appui sur la classe, diminuant ainsi les possibilités de contradiction de la part de E.

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