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D’une manière générale, lors de l’enseignement de la lecture, le choix du support est un élément central du processus. Lorsque nous nous référons à des méthodes d’enseignement, ce choix a été murement réfléchi par les concepteurs. Il est en différemment pour les textes intégraux que les enseignants décident de travailler avec leurs élèves. Dezutter, Larivière, Bergeron et Morisette (2007) se sont intéressés de plus près aux pratiques des enseignants de fin de primaire et de début de secondaire. À partir d’un questionnaire, ils ont sondé les pratiques de plus de 600 enseignants concernant la sélection des œuvres travaillées et les pratiques d’exploitation de ces œuvres. Il ressort de cette étude un élément surprenant : les enseignants du primaire travaillent plus d’œuvres intégrales que leurs collègues du secondaire. Le choix des œuvres est principalement guidé par le plaisir et l’intérêt des élèves, l’importance culturelle de l’œuvre et, enfin, les contraintes matérielles. Cette étude permet donc de mettre en avant les difficultés que peuvent éprouver les enseignants pour travailler avec leurs élèves des œuvres intégrales.

3.1.1. Textes&opaques&

Depuis le début des années 2000, une ligne de pensée se dessine quant au choix des supports d’enseignement de la lecture et de la compréhension. La complexité de l’activité de compréhension en lecture dépend bien évidemment de la complexité du texte utilisé comme support de travail. Lors de sa recherche en France auprès d’élèves de quatre classes en fin d’école primaire et de deux classes du début du secondaire, Vaubourg (2007) s’était fixé comme objectif ambitieux d’améliorer les compétences en compréhension en lecture de ces

(1999) de proposer aux élèves des textes résistants, c’est-à-dire « des textes qui ne se laissent pas résumer aisément et/ou des textes qui ne livrent pas leur sens symbolique aisément » (p. 18). Tauveron oppose alors les textes réticents aux textes proliférants. Les textes réticents sont des textes lacunaires ou des textes qui empêchent délibérément la compréhension immédiate par le recours à un point de vue inattendu, à d’importantes ellipses ou encore en renversant l’ordre chronologique. Les textes proliférants, quant à eux, contiennent de nombreux éléments potentiellement polysémiques ce qui complique l’activité interprétative du lecteur. Plusieurs interprétations peuvent donc coexister ou se succéder au fil de la lecture.

Ce recours aux textes résistants, y compris chez les plus jeunes, est selon elle un moyen efficace de permettre aux élèves de construire rapidement une représentation fidèle à la réalité de l’activité de lecture : décoder ne suffit pas. Si le recours aux textes opaques ou résistants nous semble effectivement un moyen d’enseignement efficace de la compréhension en lecture, un devoir de réserve s’impose. C’est ce que suggère Quet (2007) en mettant en garde contre les méfaits de la surreprésentation de textes résistants dans le parcours d’apprentissage.

Non seulement il y a un risque de dégouter les élèves par la difficulté, mais les textes résistants peuvent concourir à construire une représentation erronée de la littérature. Quet s’interroge également sur la pertinence de recourir à des textes complexes pour l’enseignement des compétences de base. Il faut prendre en compte les capacités du lecteur car les sources de difficultés ne se situent pas toujours où on les attend. Ainsi, si la richesse didactique des textes résistants et opaques est plus ou moins unanimement reconnue, le recours à ce type de textes nécessite une vigilance particulière ainsi qu’un étayage accordant une attention particulière à la place du lecteur.

3.1.2. Le&support&composite&

La réflexion que mènent Bautier, Crinon, Delarue-Breton et Marin (2012) prolonge le raisonnement exposé précédemment sur le choix du support. Selon eux, les supports d’enseignement ont évolué au cours des dernières décennies pour devenir progressivement des supports composites, qui repensent fondamentalement « la façon de présenter le savoir, et sans doute même de le concevoir ». En opposition aux textes linéaires, les supports composites supposent la cohabitation de plusieurs systèmes sémiotiques différents dont les éléments, parfois discontinus, sont à mettre en relation les uns avec les autres. L’exigence cognitive pour le lecteur est donc bien plus importante. Dans le cas plus spécifique de l’album de jeunesse, le lecteur doit être en mesure de maitriser les codes propres à chaque composante sémiotique et gérer la relation entre le texte et l’image. Soulignons d’ailleurs que l’image n’a

pas forcement une fonction illustratrice de redondance par rapport au texte, mais vient compléter le texte voire, le contredire. Le lecteur doit également gérer l’enchevêtrement des discours oraux et écrits, reconstruire la continuité du texte en conjuguant certains éléments qui peuvent être géographiquement très éloignés dans le texte ou les images et, enfin, prendre en compte les traces énonciatives de l’auteur qui transparaissent notamment au travers de « clin d’œil de connivence culturelle » (Bautier et al., 2012, p. 70). Soulignons également que ces deux codes différents ne sont pas nécessairement mis en œuvre par une seule et même personne, mais au contraire ils peuvent émaner de deux (ou plusieurs) personnes distinctes : auteur(s) et illustrateur(s), complexifiant encore la conjugaison de ces codes sémiotiques (Quet, 2007). Ces supports composites semblent proposer une richesse pour que les élèves développent leurs capacités en compréhension et en lecture dans la mesure où ils jouent sur l’ensemble des composantes à mettre en œuvre et posent le lecteur face à de véritables problèmes interprétatifs. Davantage présents au sein des dispositifs d’enseignement, ces supports composites sont également identifiés comme une source potentielle de difficulté pour les élèves (Bautier et al. 2012). C’est pour ces raisons que notre séquence didactique prendra appui sur un album de jeunesse, support composite que nous expliciterons plus en détail dans la suite de notre raisonnement.

3.1.3. &Le&cas&particulier&de&l’album&de&jeunesse&

Dans le cadre de cette étude, notre principal support de travail sera un album de jeunesse : support composite particulier. Ce type d’ouvrage est régulièrement utilisé dans les classes du primaire, y compris à Genève, où les albums de jeunesse sont notamment à la base de l’enseignement initial de la lecture par le biais de la méthode « À l’école des albums » (Perrin, Bouvard, Girard & Hermon Duc, 2007). Les albums sont également présents de plus en plus tardivement dans la scolarité, trouvant leur place jusqu’à la fin du primaire, voire au début du secondaire (Leclaire-Halté, 2008). Leclaire-Halté propose de définir cet objet particulier comme un « iconotexte ». Ce terme permet de mettre en avant la particularité des albums de jeunesse, à savoir de combiner à la fois un message textuel et un autre visuel. Elle

pour affirmer que les albums de jeunesse ont une unité de travail particulière : la double page.

Enfin, lors de leur recherche auprès de six classes françaises concernant les pratiques effectives d’enseignement à partir d’albums de jeunesse, Leclaire-Halté, Audoin, Paté, Rondelli et Specogna (2009) mettent en avant l’idée que le travail à partir d’un iconotexte suppose une activité particulière chez le lecteur, et que cette dernière devrait faire l’objet d’un enseignement à part entière, notamment du point de vue de l’image et du rapport qu’elle entretient avec le texte. Les résultats de leur recherche montrent que, même si plusieurs enseignants affichent cet objectif, la traduction effective en classe de l’enseignement du rapport entre le texte et l’image est quasi inexistante.

Enfin, Van der Linden (2006) souligne également la particularité du destinataire multiple des albums de jeunesse. En effet, ces ouvrages s’adressent le plus souvent à des lecteurs ou à des lecteurs en cours d’apprentissage. Cela signifie, surtout pour les non-lecteurs, qu’ils ont besoin d’un intermédiaire pour accéder à l’ensemble de l’album. Ainsi, les albums de jeunesse ont parfois un discours multiple s’adressant tant aux enfants qu’aux adultes, qui servent de médiateurs et à qui ils adressent également des connivences.

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