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DEUXIEME PARTIE

4. P RESENTATION DES INSTRUMENTS DE MESURE

4.2. Les entretiens

Cette approche qualitative nous permet d’approfondir la dynamique des proces-sus en jeu, en particulier l’élaboration par l’adolescent des représentations de l’engagement de l’Adulte (parents, enseignants) vis-à-vis d’Internet.

Nous avons effectué des entretiens semi-directifs auprès de 9 collégiens issus de notre échantillon après avoir accompli la même démarche d’information et de de-mande d’autorisation que préalablement à la passation des questionnaires (cf. Vol. 2, annexe 1, p.13-15). Rappelons que ces sujets ont été sélectionnés à l’issue de l’analyse quantitative en raison de leur usage intensif d’Internet et les entretiens se sont déroulés à leur domicile pendant une durée minimale d’une heure.

Nous avons conduit les entretiens auprès d’une adolescente scolarisée en classe de 6ème, 3 adolescentes et un adolescent en classe de 5ème, une adolescente en classe de 4ème et deux adolescents et une adolescente en classe de 3ème.

Nous nous sommes donc centrés sur leurs discours pour appréhender d’une part leurs représentations tant de l’engagement des parents que des enseignants vis-à-vis d’Internet et d’autre part leurs pratiques d’Internet en lien ou non avec leur expérience

scolaire. Nous souhaitons non seulement être au plus près de la réalité subjective de

l’adolescent mais également orienter la dynamique des échanges sur des dimensions circonscrites qui nous permettront d’avoir des éléments de comparaison entre les sujets.

La mise à distance de nos référents théoriques a permis une ouverture empa-thique vers les sujets de nos entretiens. Il s’agissait d’entendre ce qui était dit et le sens que cela avait pour l’adolescent. Ces entretiens ont été transcrits intégralement, y compris les hésitations, les relances… La subjectivité est toute présente : l’adolescent s’exprime avec « son propre système de pensées, ses processus cognitifs, ses systèmes

de valeurs et de représentations, ses émotions, son affectivité et l’affleurement de son inconscient »

(Bardin, 1977, p. 94). La phase de « lecture flottante » de chaque entretien en conti-nuité avec l’écoute empathique préalable, en laissant venir à soi des orientations, des impressions, a permis de rester au plus près de la subjectivité de chaque adolescent.

La spécificité de l’analyse papier crayon qui a suivi a consisté à préserver l’unicité de l’adolescent (examen phénoménologique) tout en faisant la synthèse de la totalité des données verbales provenant de l’ensemble des entretiens (analyse à l’aide des catégories conceptualisantes). L’examen phénoménologique des données empiriques représente une première étape d’une analyse qualitative (Paillé, Mucchielli, 2003, p. 86), la deuxième étape va consister à continuer l’analyse à l’aide de catégories qui sont conceptualisantes (op. cit. p. 233).

4.2.1. L’analyse phénoménologique

L’examen phénoménologique des données, à travers les trois étapes que nous avons réalisées (lectures répétées dans un souci de retour aux expériences décrites, productions d’énoncés en marge des entretiens tentant de cerner l’essence de ce qui se présente et constitution de récits) est « une activité qui permet véritablement

l’ancrage empirique si important dans une analyse qualitative » (op. cit. p. 95).

Dans l’approche phénoménologique, lorsque l’on interroge quelqu’un sur un objet du monde, on postule qu’il nous présente cet objet tel qu’il lui apparaît et donc avec ce qu’il signifie. Il ne nous décrit pas l’objet tel qu’il est, mais tel que sa relation

à lui permet de le décrire. L’objet décrit est englobé dans son intentionnalité et dans son être au monde. L’enquête phénoménologique telle qu’elle est classiquement faite en recherche qualitative présuppose ceci comme elle présuppose la mise à distance de tout savoir a priori sur l’objet et sur la relation du sujet à l’objet.

La réalité humaine dans laquelle nous plongeons par l’intermédiaire des entre-tiens que nous avons conduits auprès des 9 collégiens qui ont un usage intensif d’Internet n’est fondamentalement pas la nôtre. Cette prise de conscience nous a amenée à ne pas élaborer de manière approfondie de grille d’entretien de recherche qui pouvait représenter comme le soulignent Paillé et Mucchielli (op. cit. p. 87) « un

contexte d’accueil plus ou moins déformant » pour les données. Cette posture est difficile

car elle nécessite un abandon des attentes vis-à-vis de notre objet de recherche et suscite un sentiment d’inconfort à la fin des entretiens qui fait écho à la difficulté de répondre à la question soulevée par Paillé et Mucchielli : « L’analyse qualitative doit-elle

s’effectuer sans grille préalable, de manière à ne pas imposer d’interprétation ou doit-elle se rattacher à des théories pour mieux révéler les phénomènes ? » (op. cit. p. 17). Ces auteurs se réfèrent à

« l’équation intellectuelle du chercheur » (p. 69) qui se définit comme l’équilibre juste entre d’une part, la connaissance des études antérieures, des théories et d’autre part, la posture d’ouverture et de découverte sur le terrain. Nous avons adopté une attitude empreinte d’empathie lors de nos entretiens afin de nous immerger dans le monde subjectif de l’adolescent et de participer à son expérience avec une décentration im-pliquée dans la mesure où nous orientions néanmoins la dynamique des échanges afin de ne pas nous éloigner de notre objet de recherche et d’obtenir des éléments de rapprochement et/ou de contraste entre les sujets.

La formulation suivante : « Tu me connais un peu, on s’est rencontré dans ta classe lorsque vous

avez complété les questionnaires. Il s’agit de la même étude mais au cours de l’entretien on va pouvoir approfondir ton usage d’internet aussi bien à la maison qu’au collège et on va avancer au fur et à mesure de ton discours, je te laisse te présenter » a permis d’introduire chaque entretien.

Nous avons ensuite synthétisé à partir de questions simples comme : qu’est-ce qui est exprimé ? quel est le vécu explicité à travers ces propos ? le contenu à l’aide d’énoncés appropriés avec un souci d’authenticité. La méthode phénoménologique consiste à se déployer dans la réduction, c'est-à-dire à opérer un retour vers la sub-jectivité. L’attitude du chercheur consiste d’une part, à mettre à distance toute pré-conception (réduction phénoménologique) et d’autre part, à se situer strictement au niveau de ce qui se présente pour synthétiser phénoménologiquement le contenu à l’aide d’énoncés appropriés allant à l’essentiel (réduction éidétique).

Nous avons enfin lié les éléments les plus probants des entretiens sous la forme d’un récit pour chaque adolescent. Il s’agissait de dégager le plus fidèlement possible la logique propre à l’adolescent.

Après ce premier examen phénoménologique des entretiens, nous avons abordé notre matériau de recherche avec comme objectif de qualifier les expériences, les interactions et les logiques à l’aide de catégories.

4.2.2. L’analyse à l’aide des catégories conceptualisantes

« La catégorie revêt deux sens, l’un générique et l’autre spécifique. Le premier renvoie à une

appellation prise comme classe regroupant des objets de même nature… Le deuxième sens, forgé par la tradition d’analyse qualitative, plus particulièrement au sein de la Grounded theory, est tout à fait différent et renvoie, de façon précise, à la désignation substantive d’un phénomène apparaissant dans l’extrait du corpus analysé » (Paillé, Mucchielli, 2003, p. 15). C’est dans ce deuxième

sens que nous avons utilisé la notion de catégorie qui nous a permis d’aller au-delà de la désignation de contenu.

Nous avons également souhaité apporter un éclairage nouveau aux discours des adolescents par une approche lexicométrique.

4.2.3. L’analyse lexicométrique

Ces entretiens font également l’objet d’une analyse de contenu à l’aide du logi-ciel Alceste, conceptualisé par Reinert (1998, p. 3).: « L’objectif de l’analyse Alceste est

d’étudier comment un sujet se constitue à travers son propre tressage, à travers ses ancrages, ses écarts, ses insistances, ses redites, ses échappements. Le mot sens n’exprime, selon ce point de vue, que ce par où un sujet est passé pour poursuivre son énonciation ».

Ce logiciel permet au chercheur d’étayer ses interprétations sur une série de marques textuelles significatives pour le sujet. Il s'agit d'une analyse de discours in-ductive qui met l'accent sur les ressemblances et dissemblances du vocabulaire et rend compte de sa distribution dans les propositions qui constituent le discours des adolescents. Alceste utilise une méthode de classification descendante et hiérar-chique qui prend en compte la totalité du corpus et le découpe en unités textuelles, ces unités représentent des morceaux de texte dont la taille est de l'ordre de la phrase. A partir de ces unités textuelles, Alceste va ensuite dissocier deux groupes d'unités dont les vocabulaires sont les plus différents possibles. Ces deux groupes obtenus en utilisant la métrique du khi2, Alceste repère ensuite le plus grand des deux groupes et continue le processus, de manière itérative, jusqu'à l'obtention d'un nombre de classes représentatives. L'objectif d'Alceste consiste donc à construire des classes d'unités de contexte regroupées sur la base de la distribution différenciée et de la cooccurrence des mots qui les composent (Huet-Gueye & de Léonardis, 2007). Le logiciel offre la possibilité de décrire ces classes à partir de différentes in-formations, telles que le relevé du vocabulaire le plus spécifique ou encore la sélec-tion des unités de contexte les plus représentatives du vocabulaire caractéristique de la classe.

La tâche du chercheur consiste alors, à partir du vocabulaire spécifique à cha-cune de ces classes, à donner une signification à celles-ci en fonction du champ sé-mantique propre à chacune d'entre elles.