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REFERENTS THEORIQUES INITIAUX

2. RAPPORT AU SAVOIR ET MOBILISATION SCOLAIRE

2.3. La mobilisation scolaire

2.4.2. Les devoirs : un point d’intersection entre l’école et les familles familles

Des auteurs affirment que les devoirs et leçons correspondent à un point d’intersection entre l’école et les familles (Corno, 2000 ; Hoover-Dempsey, Bassler et Burow, 1995 in Glasman, 2004) et qu’ils constituent une inscription du rapport au savoir (Charlot, 1997 ; Rochex, 1995). « Le savoir doit avoir un sens pour l’individu afin

qu’il se l’approprie » (Develay, 1996, p 45) et nous ajoutons que les devoirs doivent

faire sens auprès des adolescents pour qu’ils s’y investissent. Nous estimons que cette construction de sens ne peut s’élaborer qu’auprès des adultes significatifs (pa-rents et enseignants) et nous nous interrogeons sur ce qu’il en est de ce point de rencontre.

Les devoirs et leçons renvoient aux tâches demandées par les enseignants et réa-lisées en dehors des heures de classe (Cooper, 1989). Les travaux scientifiques sur le thème des devoirs et leçons sont peu nombreux (Glasman, 2004, p. 9).

Evaluer le temps consacré aux devoirs s’avère difficile étant donné que « l’emploi du temps indicatif du travail personnel » prévu par la circulaire de 1951, est en fait rarement effectif. Selon cette circulaire, le conseil de classe doit établir « un plan de travail des élèves en dehors de la classe » pour fixer « le nombre et l’importance des

leçons (…), le nombre et l’importance des devoirs, les méthodes qui conduiront à leur assurer la plus grande efficacité ». Mais au-delà du fait que l’emploi du temps est quasi inexistant, il

reste de surcroît bien souvent à l’état formel et est rarement adapté aux remarques des parents et des élèves (Glasman et Besson, 2004, p. 19-20).

L’importance du travail scolaire à la maison a été étudiée dans le cadre d’une étude menée par une équipe de l’université Toulouse Le Mirail (Oubrayrie-Roussel et al., 2007) sur « la prévention du mal être des enfants et des adolescents de l’école élémentaire au

collège ». Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’échanges scientifiques engagés avec

des chercheurs québécois du Centre de recherche et d’Intervention sur la Réussite scolaire (Université Laval, du Québec à Trois-Rivières, Montréal et Sherbrooke, CRIRES) ; les résultats soulignent qu’en ce qui concerne la quantité et la nature des devoirs demandés, en France, faute d'une véritable coordination entre les ensei-gnants d'une même classe, les élèves semblent confrontés à une charge de travail plus importante qu’au Québec (Safont-Mottay, Oubrayrie-Roussel, Rousseau & De-slandes, 2008). En conséquence, les devoirs et leçons à la maison souffrent aux yeux des élèves français d'une vision plutôt négative qui tient au temps qu'ils passent à leur journée ainsi qu'à la mauvaise répartition de la charge quotidienne. Cela peut s’expliquer en partie par la complexité du domaine des devoirs et leçons dans lequel interviennent une multitude de facteurs tels que les caractéristiques et les ressources des élèves et des familles, les pratiques des enseignants et des parents, la matière

enseignée, le niveau scolaire, les degrés et les cycles d’enseignement, etc. (Cooper et al., 2000, op. cit.).

Les devoirs occupent une place importante dans la vie des élèves et dans le cli-mat de beaucoup de familles et ils sont sujets à des critiques et des exigences comme le soulignent Favre et Steffen (in Glasman, 2004, p. 16) : « cette pratique est à la fois

désirée et rejetée, nécessaire et inutile, efficace et inefficace, sécurisante et source de tension ».

Les devoirs peuvent représenter une source de conflit entre les parents et l’école (Cooper, 2001 ; Xu et Corno, 2003). Les parents critiquent la surcharge de travail que représentent les devoirs et cela se vérifie surtout auprès des familles non tradi-tionnelles, des familles dont les deux conjoints travaillent à l’extérieur ainsi que des familles d’enfants en difficulté. L’étude de Oubrayrie-Roussel, Safont-Mottay et Bardou (2009) souligne que les adolescents issus de ces « nouvelles » compositions familiales perçoivent leurs parents comme moins engagés dans le suivi scolaire, con-firmant les résultats de l’enquête INSEE (Richet-Mastain, 2007) et corroborant les résultats de l’étude déjà mentionnée de Deslandes et Cloutier (2004). Une autre étude de ces auteurs (2005) rapporte que les pères et les mères de familles non in-tactes, comparés à ceux de familles inin-tactes, offrent moins de soutien dans le quoti-dien scolaire.

En outre, si l’on tient compte des raisons qui amènent les parents à participer au suivi scolaire de leurs enfants (Bardou et al., 2010), le sentiment de compétence semble plus faible chez les parents ayant des enfants en difficultés. La participation parentale est d’autant plus motivée lorsque l’adolescent perçoit l’efficacité ou les bénéfices du soutien parental pour sa réussite scolaire (Bardou, 2011, p. 171). Plu-sieurs auteurs mentionnent que les échecs répétitifs et les troubles du comportement amènent les parents à se détacher du processus éducationnel de leur enfant au sein duquel ils se sentent impuissants (Epstein, 2001). En effet, les devoirs peuvent

favo-riser des oppositions, de l’anxiété, un surmenage quotidien et une saturation et les parents peuvent souffrir de cette participation au suivi scolaire, comme le montre une étude pour le Conseil supérieur de l'éducation au Québec en 1994 qui indiquait « que si 70% des parents soutiennent leurs enfants, nombreux sont ceux pour qui cette situation est

vécue comme un « véritable cauchemar » : 34% des parents disent que les devoirs sont source de stress et de lutte dans la vie familiale » (in Glasman, 2004, p. 32). Assurer une fonction de

médiation entre l’enfant et l’école est difficile pour les parents car il n’existe pas de réels échanges entre les enseignants et les parents ; ces derniers découvrent auprès de leur enfant la nature du travail qui doit être fait à la maison.

Relativement à la nature des devoirs, Maulini (in Glasman, 2004, p. 25) a décrit le paradoxe d’apprentissage scolaire. « Afin d’éviter aux parents d’avoir une charge et une

pression trop importante lors du travail à la maison, les enseignants ont tendance à proposer des devoirs suffisamment simples pour que le travail soit l’oeuvre de l’élève et non de sa famille ». Bien

que les activités de mémorisation et de répétition soient nécessaires pour acquérir des automatismes de base », l’utilité de ce type de devoirs pose question au regard de la mobilisation scolaire. Le sens accordé au travail personnel fait donc aujourd’hui débat.

Plusieurs auteurs s’interrogent sur l’utilité des devoirs à la maison au regard de leurs formes et de leurs contenus. Les recherches ont étudié les rapports existant entre les devoirs scolaires et les performances (Cooper, 1989). Au primaire, les élèves moins performants consacrent plus de temps aux devoirs et leçons (Epstein, 1988) alors qu’au secondaire, ceux-ci font leurs devoirs d’une façon rapide ou ne les réalisent pas du tout. De manière générale, les adolescents les plus performants y consacrent plus de temps (Oubrayrie-Roussel et al., 2007). Les élèves en réussite scolaire s’investissent beaucoup dans le travail scolaire et sont capables de dévelop-per des stratégies minimisant les contraintes de l’école (Migeot-Alvarado, 2000). Outre les finalités des devoirs et leçons liées à l’amélioration des résultats scolaires,

figure le développement de stratégies d’autorégulation (Cooper et al., 1998) qui fa-vorisent l’investissement de l’élève lors des devoirs à la maison. Les adolescents en difficultés scolaires négligent de faire leurs devoirs beaucoup plus que les élèves or-dinaires (Epstein, 1993). En fait, l’expérience de l’échec et le fait d’avoir à faire des travaux dont ils s’estiment incompétents, amène ces élèves en échec scolaire à être peu mobilisés, et à se comporter comme s’ils avaient peu de prise sur leur propre rendement scolaire.

Alors que les devoirs pouvaient favoriser un moment de partage entre les pa-rents et leurs enfants à l’école primaire (reflétant les difficultés de l’application de la

circulaire du 23 novembre 1956 inscrivant les devoirs pendant le temps scolaire), ils

peuvent donc devenir au collège, pour bien des parents, une source de conflits. Il faut noter également que l’adolescent accepte difficilement l’aide de ses pa-rents et la refuse même dans son processus d’autonomisation. Au cours de l’approche ethnologique que nous développerons dans la deuxième partie relative à la méthodologie de cette recherche (cf. 2/3.1), nous avons pu nous rendre compte des difficultés rencontrées par les parents face au non investissement de leur adoles-cent dans le travail scolaire.

La mobilisation des parents autour de la scolarité de leur enfant a considérable-ment augconsidérable-menté depuis les années soixante. Cette problématique est soulignée par le besoin croissant d’une aide aux devoirs au sein de la famille ou à l’extérieur (cf. car-tographie du soutien scolaire faite par l’INSEE, 2006). L’aide est avant tout appor-tée par les parents, et plus majoritairement par les mères (84% au secondaire). Les élèves peuvent aussi recevoir de l’aide de proches (47% au secondaire) ou bien suivre des cours de soutien gratuits (13% au secondaire) ou des cours payants (8,5% au secondaire). De plus en France, on note à partir du collège, un recours plus im-portant qu’au primaire aux dispositifs gratuits (12%) et à des prestations payantes

(8%) d’aide aux devoirs. Ces chiffres qui reflètent le besoin d’une aide aux devoirs au sein de la famille ou à l’extérieur, traduisent une perception accrue de la pression scolaire, chez l’ensemble des parents d’élèves en secondaire. D’une part les parents s’estiment plus souvent dépassées par les contenus enseignés, et d’autre part la me-nace des redoublements et les enjeux de l’orientation se font plus fortement sentir.

En France, l’effort public se concentre prioritairement en direction des élèves très en difficultés du secondaire, notamment ceux issus de milieux socialement défa-vorisés vivant dans des quartiers urbains dit « sensibles ». Ces aides complémentaires conduites en dehors du temps scolaire restent insuffisamment pratiquées et aucune politique cohérente sur la charge de travail, le contenu des devoirs à la maison ou encore les conditions pour faire les devoirs à la maison, n’a encore fait l’objet d’une réflexion collective.

Il y a toutefois depuis peu une prise de conscience mais qui reste toujours limi-tée à la question de l’aide sans aborder d’emblée la prévention des difficultés. La circulaire n° 2007-011 du 9 janvier 2007 décide de la mise en place d’un «

accompa-gnement éducatif hors temps scolaire » afin de favoriser la réussite de tous les élèves. D’une

durée indicative de 2 heures, cet accompagnement est organisé après la classe et cela répond à une forte demande sociale de prise en charge des élèves après les cours. Il s’agit d’assurer en toute équité à chaque élève, quel que soit son milieu familial, l’encadrement de son travail personnel, l’épanouissement par la pratique du sport et l’ouverture au monde de l’art et de la culture, conditions nécessaires au bon dérou-lement de sa scolarité. Dès 2008, cette circulaire s’étend à tous les collèges et à la rentrée 2010 à quelques écoles élémentaires. Pendant le temps d’aide aux devoirs et aux leçons, les élèves sont donc accueillis, selon les cas, pour approfondir le travail de la classe ou réaliser les devoirs demandés par les enseignants et trouver une aide si nécessaire. Ils peuvent aussi bénéficier de moments d’apprentissages différents s’ils n’ont pas besoin d’aide particulière.

Les liens entre les pratiques de supervision parentale scolaire et les résultats sco-laires sont partagés. La participation parentale constitue une aide lorsque la propor-tion de devoirs et leçons réalisés est vérifiée mais elle peut être aussi un frein lors-qu’elle est inappropriée (Cooper et al., 2000). Selon Van Hooris (2001), 2/3 des parents offrent en effet une aide qui, parfois, est inappropriée pour l’enfant : certains apportent un soutien afin que leur enfant termine au plus vite ses devoirs, d’autres expliquent des concepts avec des méthodes et un vocabulaire différents de ceux qui sont utilisés en classe, enfin, certains exercices doivent être réalisés de manière auto-nome.

L’école constitue un important sujet d’échanges dans les familles autour des notes, des devoirs, des problèmes de discipline, du contenu des apprentissages (Ter-rail, 1997). La mobilisation familiale se manifeste clairement dans le cadre du travail scolaire à la maison (Bardou, 2011). La mobilisation familiale à travers la participa-tion parentale aux devoirs témoigne du sens accordé à la scolarité ; l’implication pa-rentale peut contribuer à favoriser la prise de conscience de l’importance du travail scolaire.

Concernant les représentations parentales sur l’accompagnement aux devoirs (Deslandes et al., 2008 ; Oubrayrie-Roussel et al., 2007), les parents français se révè-lent être soucieux des apprentissages et connaissances acquises par leur enfant. Par ailleurs, les parents se représentent l’équipement informatique à la maison comme un investissement pour les études des enfants alors que les pratiques réelles des ado-lescents s’installent dans les activités extrascolaires (cf. 1.2).

Comment s’articulent les représentations parentales, notamment les représenta-tions relatives à l’Ecole et à Internet et les effets produits sur les représentareprésenta-tions que les adolescents se construisent d’eux-mêmes dans leur rapport à l’école ?

3.

PLACE DE L

ADULTE ET EVOLUTION DES REPRESENTATIONS DE