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REFERENTS THEORIQUES INITIAUX

1. L A CULTURE NUMERIQUE DES ADOLESCENTS

1.2.2. Des appropriations solitaires

Les nouvelles technologies semblent remettre en cause le schéma classique de la transmission se référant à un processus « descendant » qui va des parents vers les enfants. En quoi les nouvelles technologies offrent-elles des libertés nouvelles aux adolescents et en quoi les exposent-elles à de nouveaux dangers ? Pour comprendre et analyser leurs pratiques afin de mieux répondre à leurs besoins, de nombreux tra-vaux ont été réalisés.

Parmi eux, l’enquête européenne en éducation aux médias réalisée par MEDIAPPRO (2005/2006) apporte de nouveaux éclairages sur les usages et l’appropriation par les adolescents d’Internet, les pistes éducatives et les pratiques pédagogiques à favoriser pour développer une éducation critique aux médias.

Cette étude s’inscrit dans le plan d’action de la Commission Européenne « In-ternet plus sûr », regroupe neuf pays européens (Belgique, Danemark, Estonie, France, Grèce, Italie, Pologne, Portugal et Royaume-Uni) associés au Québec et concerne 9000 jeunes de 12 à 18 ans. En France, l’échantillon se compose de 873

7 Lardellier, P. (2006). « Faut-il avoir peur de nos ados ? ». Emission diffusée sur Arte le 12 décembre 2006.

jeunes scolarisés dans 13 collèges-lycées, répartis sur cinq académies : Amiens, Clermont-Ferrand, Créteil, Montpellier et Paris. L’échantillon est constitué de trois tranches d’âges : 12-14 ans, 15-16 ans et 17-18 ans, ce qui correspond aux classes de cinquième, troisième et première. En 2000, le CLEMI (Centre de Liaison de l'Ensei-gnement et des Médias d' Information / Centre chargé de concevoir et de dévelop-per des programmes d'Education aux médias au sein du Ministère de l'Education Nationale) avait conduit le volet français d’une enquête similaire regroupant 7 pays (Belgique, Espagne, France, Italie, Portugal, Québec et Suisse).

Cette enquête portait sur la manière dont les jeunes de 12 - 17 ans percevaient et utilisaient Internet, au moment où son implantation en était à ses débuts. Six ans plus tard, la recherche MEDIAPPRO montre que la situation a profondément évo-lué avec la généralisation des pratiques.

Les principaux résultats en France montrent que la relation que les jeunes entre-tiennent avec Internet a beaucoup changé depuis 2000. La pratique s’est généralisée massivement et les usages se sont ancrés autour de deux pôles : la fréquentation de sites de divertissement et la communication à distance. Les jeunes ont intégré ces médias dans leur vie quotidienne comme des services disponibles en fonction des priorités du moment. Leur relative aisance dans l’utilisation des médias s’est cons-truite avant tout par tâtonnements personnels et par des échanges avec leurs amis. Le rôle des pairs est essentiel dans le tissage progressif de la toile Internet de chacun. Les jeunes ont tendance à faire ce que font leurs amis : ils s’imitent et se conseillent. La télévision leur permet l’accès à des informations, plutôt approximatives, sur les risques d’usage d’internet.

Toutefois, malgré leurs pratiques importantes et leur intérêt pour ces médias, ils se révèlent moins compétents qu’ils ne le pensent et ne le disent. Ils ne maîtrisent pas toujours les notions et les termes leur permettant de décrire et d’expliciter leurs

pratiques, ou de construire leur propre point de vue sur ces médias. Ils ont au-jourd’hui besoin d’approfondir des capacités qui restent souvent superficielles, des connaissances le plus souvent très floues. La plupart d’entre eux perçoivent les mé-dias électroniques comme des technologies en mouvement et adoptent rapidement les nouvelles évolutions, mais même à 17 ans, ils n’ont pas d’idée claire sur leur im-pact sociétal. Ils demandent de l’aide pour mieux utiliser les nouvelles technologies, développer des habiletés, mieux comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre dans la production d’informations en ligne comme dans la communication à distance, acquérir des compétences critiques.

L’école, centrée sur les apprentissages techniques et la recherche documentaire, ne répond que peu à ces besoins ; pour protéger, elle encadre et limite les pratiques au point de les rendre quasiment impossibles. La maison, lieu d’appropriation par excellence, reste le lieu de toutes les expérimentations. L’enquête met en évidence une fracture importante entre les pratiques de l’Internet à l’école et celles de la maison :

En termes de fréquence

Si 94 % des jeunes européens ont déjà utilisé Internet, 45 % déclarent ne jamais l’utiliser dans le cadre scolaire (en France, la proportion s’élève à 65 %) ; à l’échelle d’une pratique régulière (hebdomadaire ou pluri-hebdomadaire), l’évaluation de l’usage scolaire s’affaiblit encore (26% sur l’Europe et 10% en France) par rapport à l’usage domestique.

En termes d’usage

A la maison : moteurs de recherche (90%), messagerie instantanée, avec les amis (71%), courriel (66%) et téléchargement (60%). Contrairement aux idées reçues, la production de contenu sur un blog ne concerne que 18% des jeunes européens

(25% en France). Ce qui compte pour eux est d’être le plus possible connectés à plein temps avec leur groupe d’amis ; à l’école, l’usage d’Internet se limite à la re-cherche documentaire et le jeunes perçoivent l’école comme fermée à tout autre usage : ce qui les intéresse le plus y est interdit (chat, jeux, sites transgressifs…) !

Internet a engendré une situation tout à fait singulière, faisant converger vers un objet unique une très grande diversité de fonctions relevant de sphères très diffé-rentes (l’apprentissage, l’exercice professionnel, la socialité, le divertissement, la cul-ture…).

Ce « brouillard des frontières » rend difficile l’ajustement possible d’Internet par rapport à l’école. Si l’école assigne à l’enfant un rôle d’élève, la virtualisation de son environnement ramène l’élève vers un statut d’enfant alors que, dans le même temps, il acquiert un statut d’adulte – en tant que consommateur à part entière – vis-à-vis du marché des TIC… Rigaut (2001) souligne cette logique de la personnalisa-tion de l’offre aujourd’hui au centre d’une dynamique commerciale. Le brouillage des frontières touche donc aussi au statut même des jeunes.