• Aucun résultat trouvé

REFERENTS THEORIQUES INITIAUX

2. RAPPORT AU SAVOIR ET MOBILISATION SCOLAIRE

2.3. La mobilisation scolaire

2.3.1. De la difficulté de cerner la question du sens

La définition proposée par Salanskis(2009, p. 8) représente le point de départ de notre réflexion sur la difficulté de cerner la question du sens que nous mettons en relation avec le processus de mobilisation en nous référant aux approches socio-constructiviste et socio-clinique.

« La conception du sens qui prévaut ordinairement est la conception intentionnelle, selon

laquelle le sens est sens d’un objet, et se définit comme mode de présentation de cet objet, mode d’accès à lui, s’exprimant dans ou par la flèche de notre rapport à (lui) en général ».

Nous concevons le sens comme la capacité à relier l’intention et l’action, l’intention ayant à voir avec le désir, l’action avec la mobilisation.

Selon Leontiev (1995, in Charlot, 1997), l’activité est un ensemble d’actions por-tées par un mobile et qui visent un but. Les actions sont des opérations mises en œuvre au cours de l’activité, et les buts sont le résultat que ces actions permettent d’atteindre. Le mobile se distingue du but par le fait que c’est le désir que ce résultat permet d’assouvir, déclencheur de l’activité.

Selon Freud, apprendre, c’est investir du désir dans un objet de savoir. L’apprentissage se constitue dans l’espace entre le besoin d’apprendre, qui est cons-titutif de l’évolution de la personne, et la demande, rarement exprimée sous cette forme, d’apprendre. « C’est dans cet écart entre le besoin et la demande qu’émerge le désir

d’apprendre » précise Develay (1996, p. 94) pour qui il est nécessaire d’examiner les

une dimension majeure de l’apprentissage et qui nous amène à confronter son ana-lyse avec celle de Lacan (1973).

Le besoin a une dimension organique, le sens est alors éprouvé par les sensations Si un besoin pouvait être satisfait totalement, le « sens » du besoin ne pourrait pas être dissocié de son objet : la promesse et l’objet promis feraient un. Le sens n’existe pas dans le besoin parce qu’il n’y a pas le temps pour établir une chaîne signifiante. Mais le sens du besoin partage avec celui de la demande la promesse d’un objet con-cret. S’il en est ainsi, nous pouvons alors risquer de dire qu’il existe un sens du désir et qu’il est (momentanément) parallèle à la demande (Lacan, 1966, p. 622).

La demande c’est ce que le sujet exprime, elle est de l’ordre de la parole, et elle peut correspondre ou non à un besoin.

Le désir est chez Lacan l’écart entre le besoin et la demande. Le désir ne peut être réduit au besoin car derrière le besoin existe le fantasme. Mais le besoin ne peut être non plus réduit à la demande car la parole ne peut traduire la totalité du besoin.

Develay considère en outre que « la situation d’apprentissage ne prend du sens pour celui

qui apprend qu’à la condition de correspondre à un dessein qu’il ambitionne d’atteindre et que ce dessein peut être regardé sur trois plans : celui de la réalité, celui de l’imaginaire et celui des sym-boles » (op. cit., p. 90-92). Nous retrouvons également ces trois registres dans

l’interprétation de la définition de la notion de sens par Lacan.

« Le sens indique la direction vers laquelle il échoue ». (Lacan, 1973, p. 74). Topologi-quement, le sens est défini dans le noeud borroméen mis à plat comme l’intersection entre l’ordre symbolique et l’ordre imaginaire. Le sens serait ce qui ne se trouve ni dans l’imaginaire, ni dans le symbolique mais qui apparaît grâce à l’intersection entre ces deux registres. Si nous appliquons ces idées au noeud, la première conséquence

est qu’il n’y a de sens ni dans l’imaginaire, ni dans le symbolique. La deuxième est que le seul à échapper au sens est le réel. En effet, il y a des intersections entre l’imaginaire et le réel, et entre le symbolique et le réel (et toutes deux définissent une certaine notion de jouissance), mais il n’y a rien entre sens et le réel. Au contraire, il y a une résistance réelle au sens. Le sens indique, il ne dit pas. Il ne dit pas “ceci est la di-rection”, il l’indique simplement. S’il la disait, ce serait pour l’évoquer. Mais le sens n’évoque pas, le sens ne produit pas des effets de signifié. Posé autrement, il n’existe pas d’algorithme qui indique si un certain Signifiant fait partie ou non d’une chaîne. A cette fin, un Sujet est nécessaire. C’est ainsi que Lacan explique : « seul un sujet peut

comprendre un sens » (op. cit. p102.).

Le sens devient alors une relation particulière entre un Sujet et une chaîne signi-fiante. Cette relation permet au Sujet de supposer qu’un groupe donné de Signifiants forme une chaîne. De fait, la question qui est devant le sujet est de décider si quelque chose constitue une chaîne ou non. Et la capacité de “former une chaîne“ dérive de la possibilité d’attacher un groupe de Signifiants à un signifié au moyen d’un point de capiton (Lacan, 1966, p. 498). Cette image du point de capiton, amène les deux dimensions nouvelles qui participent à l'effet de signification et qui « arrêtent le

glissement autrement indéfini de la signification ». Tout acte de parole dans son aspect

prospectif qui anticipe sur la fin de la phrase, dès l'émission du premier mot sur la chaîne signifiante annonce l'intentionnalité du discours dans le discours. Le sens n'est délivré qu'à la rétroaction sur les termes qui précèdent (Lacan, 1957, p. 15).

Le sens surgit, dès lors, comme une promesse de signifié, un crédit dont dépend aussi bien le signifié que la signification, et finalement, le signe. Par conséquent, si la relation entre un Sujet et l’objet a constitue le phantasme dans l’ordre imaginaire, alors la relation entre un Sujet et une chaîne signifiante constitue le sens dans l’ordre symbolique. Montalbetti (2009, p. 8) illustre cette compréhension du sens en pre-nant l’exemple d’une exposition de photographies « Le sens se manifeste avec clarté quand

nous sélectionnons quatre ou cinq images pour expliquer quelque chose à propos d’une exposition de photographies. Ce sont ces quatre ou cinq images qui forment la chaîne ». Le sens est choisi pour

indiquer une direction. Le sens ne dit pas la direction, parce que cela sera la tâche du Sujet ; dire "c’est dans cette direction" : le sens (comme relation entre le Sujet et la chaîne Signifiante) simplement l’indique, pour que le Sujet la dise, … et échoue.

Mais dès lors : comment le sens échoue-t-il ? Comment échoue-t-il toujours ? La réponse est évidente : le sens échoue parce que de pure promesse, il se convertit grâce au Sujet, en une promesse de quelque chose de concret (un signifié). En d’autres mots, une simple indication se transforme en l’indication d’un objet auquel elle aboutit. De pure promesse elle se transforme en demande. Demande et désir sont réinterprétables comme sens ; l’un échoue toujours, l’autre non. le désir comme

sens, comme direction, n’échoue pas parce qu’il indique la vérité métonymique du

symptôme (qui est essentiellement métaphorique). Il l’indique, il ne la dit pas, il ne s’y substitue pas. C’est peut-être pour cela qu’on ne trouve pas chez Lacan un objet du désir. Il y a un objet de la demande et il y a un objet-cause du désir (l’objet a), mais pas un objet du désir. "Ne cède pas sur ton désir" est une maxime laca-nienne(Séminaire VII) qui ne peut s’entendre que comme une invitation à maintenir le sens (indestructible, inextinguible) du désir (Lacan,1966, p. 52).Le sens que Lacan com-mente avec persistance est celui de la demande. Celui qui échoue toujours. Et qui toujours indique la direction de son propre échec. Le sens indique la direction vers

la-quelle il échoue. La direction de son propre échec est celle qui abouti au signifié. Le

mérite du sens est très précisément d’indiquer la direction dans laquelle il échoue, la direction de son propre échec. Le sens indique la direction où tout le faillible échoue (le Sujet, le Signifiant, le signifié, la signification, le Signe). C’est dire : le sens indique la direction où le langage, et tout ce qui entre en contact avec lui, échoue. Mais c’est cet échec qui constitue le Sujet en tant que humain.

En ramenant cette analyse philosophique et psychanalytique du concept du sens vers notre champ de recherche, celui de la mobilisation scolaire où l’activité d’apprentissage révèle une dynamique interne, « on n’oubliera pas, cependant, que cette

dynamique suppose un échange avec le monde, où l’enfant trouve des buts désirables, des moyens d’action et d’autres ressources que lui-même. Le sens est alors produit par une mise en relation, à l’intérieur d’un système ou dans les rapports avec les autres » (Charlot, 1999, p. 63).