• Aucun résultat trouvé

Les enquêtes françaises

3. Les enquêtes de victimation

3.5. Les enquêtes françaises

Au niveau national, deux enquêtes seulement ont jusqu'ici été réalisées en France : la

première en 1976 à la demande du Comité d'Études sur la Violence, la Criminalité et la

Délinquance, présidé par Alain Peyrefitte ; la seconde en 1986, par le Centre de Recherches

Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales (CESDIP) et l'Institut Français d'Opinion

Publique (IFOP). Le CESDIP a en outre réalisé avec la SOFRES en 1989 deux enquêtes de

victimation locales. Par ailleurs, à l'occasion d'enquêtes sur le sentiment d'insécurité, il a pu

arriver que soient posées quelques questions sur la victimation subie ou observée par la

personne interrogée

1

; toutefois, ces questions visaient non pas à estimer le volume de la

délinquance, mais seulement à mesurer l'impact de la victimation sur le sentiment d'insécurité,

l'image des forces de l'ordre, ou le choix des moyens propres à assurer la sécurité des

citoyens

2

. Enfin, depuis 1996, l'INSEE pose chaque année quelques questions sur la

victimation et le sentiment d'insécurité dans la vague de janvier de son enquête périodique sur

les conditions de vie des ménages.

3.5.1. L'enquête nationale de 1976

La première enquête conçue explicitement pour mesurer le volume de la délinquance en

France dont nous ayons trouvé trace a été réalisée en 1976, par l'Office Central de Sondage et

de Statistique, à la demande du comité d'études présidé par Alain Peyrefitte. Elle portait sur

"un échantillon national de 2 000 personnes représentatif de la population française âgée de

plus de 18 ans"

3

. Les dates précises de l'enquête ne sont pas mentionnées dans le rapport.

L'intérêt méthodologique de cette première enquête de victimation tient à la nature des

questions posées. La première question est ainsi formulée : "Durant ces trois dernières

années, avez-vous personnellement été la victime d'un ou de plusieurs des faits délictueux

suivants ?" (la liste présentée par l'enquêteur énumère dix infractions) ; "Si oui, lesquels?".

La seconde demande : "Toujours durant ces trois dernières années, avez-vous

personnellement failli être la victime d'un ou de plusieurs de ces faits délictueux ? Si oui,

lesquels ?". Les mêmes questions sont ensuite posées (mutatis mutandis) pour les membres de

la famille vivant sous le même toit que la personne interrogée, puis pour d'autres personnes de

son entourage. On aborde ainsi plusieurs aspects de la victimation telle qu'elle a pu être

perçue par la personne interrogée ; si l'enquête avait porté sur les facteurs susceptibles

d'influer sur le sentiment d'insécurité, ce type de questionnement tout à fait original aurait pu

apporter des éléments intéressants.

Par contre, pour la mesure de la victimation elle-même, cette première enquête n'est pas

exempte de critiques. Alors que le titre du rapport qui lui est consacré annonce Le chiffre noir

de la criminalité, jamais la comparaison n'est faite entre les résultats de l'enquête et les

1C'est par exemple le cas dans l'enquête IFOP de novembre 1976 ; voir [63], tome 1, pages 51-53 (questions 34 et 35 du questionnaire figurant pages 94-101). Cette enquête a été réitérée en février et septembre 1979 (voir [66], page 381). On trouvera également un exemple de ce type de question dans [43], pages 218-219 (questions 19 et 20). D'autres enquêtes de ce type, s'échelonnant de 1981 à 1993, sont mentionnées dans [46], pages 23-28,

passim, et dans [86], page 46, note 102.

2La participation épisodique de l'IHESI à l'enquête périodique du CREDOC "Conditions de vie et aspirations des Français" entre naturellement dans cette catégorie. Voir : GRÉMY, Jean-Paul,Les aspirations des Français en matière de sécurité, Paris, IHESI, décembre 1998.

statistiques administratives. Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant, puisque la nature des questions

posées ne permet pas d'estimer le nombre des victimations. Non seulement la formulation de

celles-ci est parfois trop "juridique", c'est à dire trop éloignée du langage courant, et risque

donc de n'être pas comprise des personnes interrogées

1

; mais surtout les réponses ainsi

recueillies ne portent que sur l'occurrence éventuelle des victimations, et non sur leur nombre.

S'il est donc possible de dire combien de personnes interrogées déclarent avoir été au moins

une fois victime au cours des trois années écoulées, on ne sait pas à combien de victimations

(et donc d'infractions commises) correspondent ces réponses. Il est donc impossible d'estimer

le fameux "chiffre noir" à partir de cette enquête.

En outre, la question relative à la déclaration des faits aux autorités est éminemment

critiquable. Elle porte sur l'ensemble des victimations déclarées pour les trois années

précédant l'enquête, quelles que soient leur nature et leur gravité, qu'elles aient été subies ou

seulement tentées (on a "failli être victime"), et surtout quelle qu'en ait été la victime

(répondant, ou membres de sa famille). Les autorités énumérées (police, gendarmerie, justice)

ne sont pas distinguées dans l'enregistrement des réponses ; quant au taux de déclaration des

faits en question, il n'est évalué que très grossièrement, en trois degrés ("tous", "en partie",

"non")

2

. Ici encore, il est impossible d'obtenir une estimation chiffrée des faits prétendument

déclarés aux autorités, et plus particulièrement aux policiers ou aux gendarmes.

Ces facteurs expliquent sans doute le peu de parti qu'Alain Peyrefitte a tiré de cette

enquête dans son rapport final

3

, et aussi le fait que, dans ses recommandations relatives à

l'appareil statistique de mesure de la délinquance, il ne mentionne pas les enquêtes de

victimation

4

.

3.5.2. L'enquête nationale CESDIP-IFOP de 1986

La seconde enquête nationale de victimation a été réalisée par le CESDIP et l'IFOP en

1986. Elle porte sur les années 1984-1985. Elle s'est déroulée en deux phases distinctes : un

petit nombre de questions ont d'abord été posées dans plusieurs vagues successives d'enquêtes

"omnibus"

5

, afin d'identifier les victimes acceptant éventuellement de répondre

ultérieurement à une enquête approfondie ; un questionnaire détaillé a pu ensuite être

administré aux personnes ayant donné leur accord au cours de la première phase. Ce

questionnaire comporte une feuille de contact, huit modules correspondant chacun à une

catégorie d'infraction, et un module terminal

6

. La feuille de contact se limite à une question

générale visant à établir un premier bilan des victimations subies : "Dans les deux dernières

années, avez-vous été personnellement victime, une fois ou plusieurs fois, de l'un des faits

suivants, y compris les tentatives ? Si oui, pouvez-vous me dire combien de fois ?". La liste

1Par exemple, parmi les "faits délictueux" énumérés aux personnes interrogées se trouvent proposés : "escroquerie ou tromperie", "extorsion d'argent sous la menace", ou encore : "détérioration volontaire de biens" ([63], tome 6, pages 185 et 191), termes dont la signification concrète peut fortement varier selon le niveau de culture juridique du répondant.

2[63], tome 6, page 197. 3[62], pages 652-653. 4[62], pages 157-158.

5Appelées aussi "enquêtes flash", ce sont des enquêtes réalisées à date fixe, auprès d'échantillons par quotas de 1 000 à 2 000 personnes, financées "par souscription" : chaque client achète la possibilité de poser un certain nombre de questions dans la ou les vagues de son choix.

proposée par l'enquêteur à la personne interrogée comporte neuf catégories d'infractions :

1) "infraction liée à la vie des affaires, telle que concurrence déloyale, banqueroute,

infractions aux lois sur les sociétés, etc." ; 2) "infraction au droit du travail, en tant que

salarié" ; 3) "fraude ou tromperie, en tant que consommateur ou usager" ; 4) "violences de la

part de gens vivant avec vous" ; 5) "agression sexuelle" ; 6) "autre sorte d'agression

physique" ; 7) "cambriolage" ; 8) "autre sorte de vol" ; 9) "autre sorte de délinquance".

La feuille de contact sert à aiguiller la personne interrogée vers les modules appropriés :

pour chaque catégorie d'infraction dont le répondant déclare avoir été victime (sauf la

dernière), l'enquêteur pose une série de questions spécifiques. Dans le cas de victimations

répétées, ces questions ne portent que sur la victimation la plus récente. Les questions visent à

obtenir la description des auteurs et des circonstances de l'infraction, des réactions de la

victime, des conséquences de la victimation, des suites données par la police ou la

gendarmerie et par les compagnies d'assurances, du degré de satisfaction de la victime quant à

ces suites. Dans chacun de ces modules, on retrouve un certain nombre de questions

identiques, au sujet par exemple de la réaction de la victime envers l'auteur de la victimation

(Q19) ; des raisons de s'adresser ou non aux services de police ou à la justice, ainsi que des

jugements que l'on porte sur ces institutions (Q28 à Q40) ; du comportement vis-à-vis de sa

compagnie d'assurance (Q41 à Q46) ; des autres suites données à l'affaire (Q47 à Q52) ; etc.

Cette uniformisation des énoncés de questions a pour but de permettre de comparer les

réactions, les motivations, et les attitudes des victimes selon le type de la victimation qu'elles

ont subie

1

.

Le questionnaire se conclut par une série de questions posées à l'ensemble des

personnes interrogées : victimations antérieures à la période couverte par l'enquête (Q78) ;

sentiment d'insécurité (Q65) ; opinions sur la délinquance, ses causes et sa répression (Q62 à

Q64, Q75 à Q77) ; items variés pouvant (par exemple) servir à élaborer une "échelle de

conservatisme" (Q61, Q67, Q68, Q72 à Q74) ; opinions sur la police (Q65) ; renseignements

signalétiques enfin.

À la lecture du questionnaire, il est manifeste que les chercheurs du CESDIP n'ont pas

cherché à estimer le volume de la délinquance ; leur objectif premier est la description des

circonstances de la victimation, du comportement des victimes, de leurs attentes, et des

moyens de leur venir en aide

2

. C'est pourquoi les auteurs de cette enquête ont finalement

renoncé à tirer parti des réponses recueillies pour estimer le volume de la délinquance. Leur

expérience les conduit à estimer que "ce n'est que par un abus de langage que l'on peut

considérer l'enquête de victimation - aussi sophistiquée soit-elle - comme un dénombrement

de la criminalité. Tout au plus permet-elle de recueillir des informations relatives à des

incidents que des soi-disant victimes jugent utiles de présenter aux enquêteurs comme

relevant de la délinquance. [...] Si l'on admet - ce qui ne va pas de soi - la fiabilité des

réponses obtenues, on recueille une estimation chiffrée d'événements qui, dénoncés aux

autorités, eussent peut-être franchis les barrages successifs du processus pénal et fussent ainsi

apparus dans l'une ou l'autre des statistiques qui en rendent compte"

3

. Toutefois, ce

pessimisme affiché ne doit pas semble-t-il être pris complètement au pied de la lettre : il n'a

pas empêché depuis les chercheurs du CESDIP d'utiliser les taux de victimation estimés dans

1Ces données comparatives sont utilisées en particulier dans [86].

2Ces priorités s'expliquent par le fait que le Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales (CESDIP), unité de recherche associée au CNRS, est rattaché au Ministère de la Justice.

cette enquête soit pour une analyse intrinsèque

1

, soit à des fins de comparaison avec ceux

relevés dans d'autres enquêtes ; c'est le cas par exemple pour l'International Crime

(Victimization) Survey de 1989, et pour la première vague de l'enquête périodique de

l'INSEE

2

.

3.5.3. Les enquêtes locales

Diverses enquêtes locales de victimation ont été réalisées en France. À la demande de la

Délégation Interministérielle à la Ville et au Développement Social Urbain (DIV), le CESDIP

a entrepris de mettre au point un questionnaire de victimation standard, pouvant être utilisé à

l'échelle d'une municipalité. Pour tester ce questionnaire en vraie grandeur, la SOFRES a

réalisé en octobre 1989 et en février 1990 des enquêtes téléphoniques auprès d'échantillons

par quotas, représentatifs de la population âgée de 15 à 70 ans des deux villes concernées

3

.

La procédure d'enquête s'est déroulée en deux étapes : une prise de contact, afin d'identifier

les victimes, suivie de l'administration du questionnaire aux victimes repérées au cours de la

première étape. Le questionnaire destiné aux victimes

4

permet une évaluation approximative

du nombre de victimations subies depuis le début de l'année en matière de vol de véhicule

(question A2), de vol à la roulotte (B2), de cambriolage (C2), et d'agression (D2). Toutefois,

l'essentiel du questionnement porte sur les circonstances de la victimation, son impact

psychologique, et les suites qui lui ont été données.

D'autres institutions ont entrepris des enquêtes locales sur la délinquance et l'insécurité

dans les agglomérations, incluant dans leurs questionnaires des questions de victimation ; c'est

en particulier le cas du Centre de Recherches sur la Politique, l'Administration et le Territoire

(CERAT) de Grenoble

5

, et du département "Ingénierie" de l'IHESI (pour préparer la mise en

place des contrats locaux de sécurité). Ces enquêtes connaissent actuellement un grand

développement auprès des municipalités et des groupements de communes.

3.5.4. L'enquête périodique de l'INSEE

Depuis 1996, "conformément à une orientation commune des pays de l'Union

européenne", l'INSEE inclut dans la vague de janvier de l'enquête Conditions de vie des

ménages diverses questions sur la victimation et le sentiment d'insécurité. Ce dispositif

d'enquêtes permanentes permet ainsi "d'étudier de manière annuelle l'évolution d'indicateurs

sociaux harmonisés dans l'ensemble de l'union européenne"

6

. On trouvera le texte de ces

questions dans le questionnaire de l'enquête IHESI-INSEE présenté en annexe (parties en

grisé).

1[71], pages 48-50.

2Voir par exemple [87] pour l'enquête internationale de 1989, et [70] pour l'enquête INSEE de 1996. 3Il s'agit des villes d'Épinay ([69], pages 56 et 122) et de Toulouse (ibid., page 56).

4Pages 105-123 de [69]. 5Voir par exemple [43] et[44].