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3. Les enquêtes de victimation

3.3. Le British Crime Survey

En dressant en 1986 un bref bilan de la criminologie britannique, Paul Rock décrit le

rôle du Research and Planning Unit du Home Office, et son influence considérable dans les

efforts d'adaptation des réponses policières aux conflits ethniques. Il ajoute : "Une mesure

importante fut prise au cours de cette nouvelle phase. En 1981, le Home Office décida de

suivre l'exemple du Department of Justice américain et de réaliser des enquêtes de

victimation. [...] Les enquêtes visaient principalement à élucider le «chiffre noir» de la

délinquance non déclarée, bien qu'il y ait eu en outre un ensemble de questions sur le

sentiment d'insécurité, les attitudes envers les forces de l'ordre, et la «prise en charge des

risques». Ces enquêtes ont profondément modifié la conception de l'action de la police, de la

victimation, et de la lutte contre la délinquance"

1

.

Comme nous l'avons vu, la première enquête a été réalisée en 1982 en Angleterre,

Écosse et Pays de Galles ; l'Écosse a ensuite réalisé ses propres enquêtes

2

, et les vagues

suivantes du British Crime Survey se sont donc limitées à l'Angleterre et au Pays de Galles.

Cette enquête périodique est actuellement réitérée tous les quatre ans. Bien que beaucoup

moins perfectionnée que le National Crime Survey, l'enquête britannique a le mérite d'être en

conséquence beaucoup moins coûteuse. C'est pourquoi elle a été considérée par les chercheurs

de l'IHESI comme un modèle plus accessible que le modèle nord-américain, du moins pour

une enquête expérimentale.

3.3.1. L'échantillon

Les échantillons des trois premières vagues duBritish Crime Survey(1982, 1984, 1988)

étaient des échantillons d'individus tirés aléatoirement dans les listes électorales. À partir de la

quatrième vague (1992), c'est un échantillon d'adresses qui est tiré aléatoirement dans le

fichier postal (Postcode Adress File, fichier contenant les adresses de tous les particuliers et

de toutes les entreprises de l'Angleterre et du Pays de Galles). L'enquête de 1992 a servi de

point de départ aux réflexions menées à l'IHESI sur la possibilité d'une réalisation du même

type en France. Dans cette enquête, la procédure d'échantillonnage des adresses est à plusieurs

degrés

3

: 1) sélection d'unités primaires (définies sur la base de la région et de la densité du

peuplement) ; 2) dans chaque unité primaire sélectionnée, tirage aléatoire de deux secteurs

postaux ; 3) dans chaque secteur postal sélectionné, tirage aléatoire de 25 à 29 adresses (selon

la densité du peuplement) ; 4) lorsqu'une adresse correspond à plusieurs foyers, tirage par

l'enquêteur du foyer à interroger. Dans chaque foyer ainsi sélectionné, l'enquêteur tire au

hasard

4

la personne qu'il doit interroger parmi tous les membres du foyer âgés d'au moins

seize ans. Il n'y a donc qu'un répondant par ménage visité. L'échantillon ainsi défini en 1992

comporte 14 890 adresses ; compte tenu des adresses "hors champ" (locaux démolis,

1[73], page 195.

2Le premierScottish Crime Surveya eu lieu en 1984. 3[51], pages 150-154 ; [37], pages 7-12.

4Ce tirage n'est évidemment pas arbitraire ("au hasard" ne signifie pas "au petit bonheur") : il existe pour ce faire plusieurs méthodes (méthode Kish, méthode du plus proche anniversaire, etc.), obéissant chacune à des règles précises ayant pour effet de donner à chaque membre du ménage une même probabilitéa priorid'être interrogé.

inoccupés, etc.) et des refus de répondre ou des absences, 10 059 ménages constituent

l'échantillon principal.

Pour pallier la sous représentation de certaines populations "intéressantes", deux

échantillons complémentaires ont été ajoutés à l'échantillon de base : un échantillon de 1 654

membres de minorités ethniques, et un échantillon de 1 350 adolescents de 12 à 15 ans

1

. La

complexité de la procédure d'échantillonnage entraîne naturellement une certaine complexité

des calculs de redressement des échantillons, et donc des calculs d'estimation du volume de la

délinquance

2

.

3.3.2. Les questionnaires

L'enquête de 1992 utilise concurremment sept types différents de questionnaires

3

. Le

"questionnaire principal" ("main questionnaire") est une feuille de contact commune à tous les

répondants de l'échantillon de base. Il pose un certain nombre de questions générales sur le

sentiment d'insécurité, le voisinage, l'équipement du ménage, et principalement sur la nature

et le nombre des victimations subies au cours de l'année écoulée ; 23 catégories d'infraction

sont ainsi passées en revue. Ces catégories sont décrites en langage courant, et ne

correspondent donc pas à la nomenclature policière. Pour chaque catégorie de victimation

recensée, un "questionnaire de victimation" ("victim form") vise à décrire chaque incident, ses

circonstances, et ses suites, de manière très détaillée ; analogue au "crime incident report" du

NCVS, ce questionnaire est particulièrement complexe, car il est prévu pour toutes les formes

d'infraction recensées dans le "questionnaire principal". Un maximum de cinq victimations est

prévu pour chaque catégorie, avec un questionnement réduit à partir du quatrième incident, et

la possibilité de n'utiliser qu'un questionnaire dans le cas de victimations identiques en série.

Ces deux types de questionnaires sont utilisés pour tous les répondants de l'échantillon

de base. L'entretien se poursuit ensuite avec un "questionnaire complémentaire" ("follow-up

questionnaire"), qui se présente sous deux versions : l'une (version A) comporte des questions

sur les actes de délinquance dont la personne interrogée a pu être témoin, sur ses sorties et ses

activités à l'extérieur, sur les mesures de prévention, sur le comportement que les policiers et

les juges devraient avoir en face de cas particuliers de délinquance, plus deux questions de

victimation réservées aux femmes (appels téléphoniques à contenu obscène, violences

familiales) ; l'autre version (B) porte principalement sur les attitudes et opinions à l'égard des

forces de police, ainsi que sur les organisations d'aide aux victimes. Les deux versions

comportent des questions identiques sur la surveillance entre voisins (neighbourhood watch),

les incendies, et les caractéristiques démographiques du répondant et du ménage dont il fait

partie. L'échantillon étant scindé en deux sous-échantillons comparables, chaque personne

interrogée était soumise à l'une seulement de ces deux versions. Cette procédure permet

d'obtenir des réponses détaillées auprès de plus de 5 000 personnes sur chacun des thèmes

abordés, sans prolonger exagérément la durée des entretiens.

À l'issue de ce questionnaire complémentaire, il était proposé aux répondants de remplir

eux-mêmes un bref questionnaire de "délinquance auto-déclarée" ("self-completion booklet").

1[51], pages 7 et 154 ; [37], pages 16-17.

2[37], pages 22-26 ; [51], pages 155-161 ; on trouvera un exemple d'application dans [33], page 9.

3Le texte intégral de tous ces questionnaires, ainsi que celui des cartes présentées par les enquêteurs aux personnes interrogées, est reproduit dans [37].

Ce questionnaire se présente sous deux versions : pour les personnes âgées de 20 à 59 ans, les

questions portent sur l'usage de stupéfiants ; pour celles de 16 à 19 ans, elles concernent

divers petits délits (voyager sans billet, conduire une voiture sans permis, voler à l'étalage,

etc.).

Ces cinq formes de questionnaire s'adressent donc aux répondants de l'échantillon de

base. Deux autres types de questionnaires sont encore utilisés dans l'enquête, l'un pour les

jeunes de 12 à 15 ans, l'autre pour les membres de minorités ethniques.

L'utilisation d'un "questionnaire de victimation" unique, quelle que soit la catégorie de

victimation, a deux conséquences pratiques importantes. En premier lieu, le questionnaire est

d'une grande complexité : il comporte de nombreux aiguillages dont la gestion par l'enquêteur

pendant l'entretien est loin d'être évidente, ce qui crée un risque d'erreur important si l'on

n'utilise pas la méthode CAPI. En outre, afin de réduire les ambiguïtés dans la description des

incidents, il nécessite occasionnellement le recours à des "questions ouvertes" ; l'enquêteur

doit alors noter in extensola réponse de la personne interrogée, au lieu de simplement cocher

une case ou relever un chiffre. D'autre part, cette procédure de recueil des informations

impose que tous les "questionnaires de victimation" soient ensuite relus par une équipe de

codeurs, chargés de déterminer dans quelle catégorie de la nomenclature policière l'incident

décrit doit être rangé.

3.3.3. La codification des infractions

Le passage de la description des infractions par les victimes en langage courant, à leur

codification dans les catégories utilisées par les services de police, fait l'objet dans cette

enquête d'une attention particulière. Les instructions pour la classification des incidents

décrits par les répondants couvrent près de 30 pages dactylographiées

1

. Ainsi que l'annonce

l'introduction du manuel de codification, "la classification des incidents décrits dans le

questionnaire de victimation est une procédure compliquée. Cela est dû en partie à la

difficulté d'établir avec précision quelle infraction a été commise ; et en partie au fait que,

dans le déroulement d'un acte de délinquance, plusieurs infractions peuvent avoir été

commises, et que les règles permettant de déterminer quelle est l'infraction principale sont

complexes".

Les instructions de codification définissent cinquante-six index, regroupées en neuf

catégories. Le codeur commence par lire la réponse à une question ouverte décrivant

l'incident. Il détermine ainsi à quelle catégorie devrait en principe se rattacher l'infraction. Il

se réfère ensuite aux instructions spécifiques à cette catégorie, qui indiquent la procédure à

suivre pour identifier l'index pertinent : questions à prendre en compte, ordre dans lequel cette

recherche doit être conduite, etc. Il peut arriver qu'à l'issue de l'application de la procédure

relative à une catégorie, le codeur constate que la catégorie qu'il avait choisie au départ n'était

pas celle qui convenait ; il doit alors reprendre toute la procédure de codification depuis le

début.