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3.8 Analyse des données

3.8.1 Les données d’observation

Mes observations ont produit deux types de données. Les vidéos capturées avec les équipements de l’accélérateur et les notes de terrains qui rendent compte des interactions non couvertes par les vidéos. Je présente d’abord l'analyse des vidéos et notes de terrain.

J’ai analysé les données sous deux angles. J’ai d’abord fait une analyse en profondeur de chaque épisode du programme puis j'ai procédé à une analyse chronologique du programme d’accélération pour mettre en relief les éventuelles variations lorsque les entrepreneurs progressent dans le programme.

3.8.1.1 Analyse en profondeur des épisodes du programme d’accélération

J’ai téléchargé les vidéos dans Atlas TI, un logiciel de traitement de données qualitatives, qui m’a été recommandé lors d’un séminaire sur le traitement de données qualitatives. Ce logiciel permet d’analyser une variété de données, notamment les vidéos et les textes, offre différentes fonctionnalités qui facilitent le codage de données complexes, et autorise différentes formes de codage (Nvivo, descriptif, etc.). Atlas TI permet de revoir les vidéos et offre la possibilité de moduler la vitesse de lecture pour s’attarder sur des faits d’intérêt.

L’ensemble des vidéos a été visionné et j’ai codé directement des segments à l’aide de la fonction « open coding » de ce logiciel. Atlas TI offre la possibilité de visionner, coder et faire des captures d’écrans. Il y a eu quatorze épisodes. Chaque épisode peut en effet être catégorisé comme un événement discret, limité dans le temps et dans l’espace, avec un groupe unique d’accompagnateurs, et un programme unique. La composition de l’équipe d’accompagnateurs change d’un épisode à l’autre, ainsi que les activités et les espaces de rencontre. Onze adresses différentes ont été mobilisées pour les quatorze épisodes de cette

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cohorte. Je considère chacun des épisodes comme un sous-cas et ai rédigé une note descriptive de chaque épisode (Eisenhardt, 1989) en me servant des vidéos et des notes de terrains.

J’ai ensuite analysé chaque épisode en profondeur en portant une attention particulière au profil des acteurs (investisseurs, entrepreneurs expérimentés, etc.), leurs postures (débout, assis, silencieux, gesticulant, riant, parlant, prenant des notes, écoutant, etc.), ce qu’ils disent, leurs positions les uns par rapport aux autres (très rapprochés, maintiennent une certaine distance, se font face, sont côte à côte, se tournent le dos, etc.), leurs mouvements dans l’espace (se présentent au-devant de la scène, parcourent des rangées de tables, restent à un seul endroit, regagnent une place assise dans l’assemblée, sortent de la salle, entrent dans la salle, se déplacent vers d’autres acteurs, etc.), les symboles manipulés dans ces interactions (présentations PowerPoint, cellulaire, tablette, ordinateurs, etc.) ainsi que l’aménagement physique de l’espace.

Dans le premier niveau d’analyse, j’ai nommé les codes d’après les données (Ex. « un groupe de discussion se forme », ou « des entrepreneurs sont assis seuls »). Les codes initiaux ont été regroupés sous des catégories d’après la proximité identifiée en fonction de mon interprétation des faits. Par exemple, les codes qui indiquent que les entrepreneurs restent seuls, manipulent un téléphone, regardent un écran, etc. sont regroupés sous une nouvelle catégorie, par exemple « intimité personnelle ». La figure 8 présente les détails de ce processus. Les codes du second degré sont ensuite regroupés sous une troisième catégorie. Par exemple, les codes « intimité personnelle » et « intimité collective » ont été regroupés dans une troisième catégorie nommée « Liberté ». Ce travail a permis de mettre en évidence trois catégories de relations que j’assimile à la production de trois dimensions de l’espace d’accélération. Deux sont des espaces organisés que j’étiquète respectivement « espace d’exploration » et « espace de simulation », et la troisième correspond à un espace non organisé et davantage informel que j’appelle « espace de liberté ». Ces codes ont été nommés d’après mon interprétation de ce que vit l’entrepreneur dans cette expérience d’accélération. Il importe de rappeler que l’accompagnement de l’entrepreneur est la raison d’être de l’accélérateur. Au moins deux de ces trois formes d’interaction ont été constatées

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dans chacun des 14 épisodes observés. Je les présente en détail dans les résultats. La figure 7 présente la structure des données après ce premier niveau de codage.

J’explique ses espaces dans les résultats. J’ai ensuite analysé chacun des espaces identifiés dans cette expérience, soit l’espace d’exploration, l’espace de simulation et l’espace de

liberté.

Espace d’exploration

Dans cet espace les accompagnateurs transmettent des informations et des connaissances aux entrepreneurs de la cohorte de façon relativement unidirectionnelle. Il s’agit principalement des formations.

Les formations ont lieu sous forme de cours magistraux dans des salles organisées en mode- école. Plusieurs sujets y sont abordés comme le montrent les annexes 1 et 2. Des comptables, avocats et autres professionnels y ont abordé des sujets plus généraux comme la propriété intellectuelle, les conventions d’actionnaires, le recrutement, etc. Les investisseurs et les entrepreneurs expérimentés y abordent le processus d’investissement.

La plupart des formateurs autorisent des questions pendant la formation. Sachant que les entrepreneurs participent au programme en vue de lever des fonds auprès des investisseurs en capital, les formateurs évoquent par moment les attentes des investisseurs. Il y a beaucoup d’interactions pendant certaines formations, notamment celles portant sur le financement ou la propriété intellectuelle, et très peu pendant d’autres.

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J’ai visionné plusieurs fois les vidéos de ces interactions et ai décidé de mettre le focus sur les segments portant sur les présentations faites par des investisseurs en capital de risque et les entrepreneurs venus partager leurs expériences en matière de financement par capital et sur la manière de faire des présentations aux investisseurs. Ces segments de vidéo ont été transcrits et codés (Derry et al., 2010). Il y a au total 3130 minutes de bandes vidéo. Mon objectif ici est de comprendre la manière dont les accompagnateurs reproduisent dans ce contexte le comportement des investisseurs en capital de risque et comment les tactiques de gestion des impressions émergent dans leurs interactions avec les entrepreneurs. Les transcriptions des vidéos et des notes de terrain ont été codées phrase par phrase (Charmaz, 2006) à l’aide d’Atlas TI en utilisant le codage descriptif (Miles, 2014 : 74). J’ai regroupé les codes primaires dans une deuxième catégorie selon leur proximité sémantique et ai identifié certaines grandes catégories autour desquels les acteurs gèrent les impressions. J’ai ensuite procédé à un troisième niveau de codage et ai identifié trois axes de gestion des impressions : l’entrepreneur, le projet et la présentation comme le montre la figure 8.

Espace de simulation

J’ai codé séparément les données de l’espace d’exploration et celles de l’espace de simulation parce que ces deux espaces poursuivent des finalités différentes. Alors que l’espace d’exploration aide à connaitre l’investisseur et le processus d’investissement à travers un langage normatif (diffusion des théories à propos de ce que l’entrepreneur devrait faire), dans l’espace de simulation les deux groupes d’acteurs (accompagnateurs et entrepreneurs) interagissent dans le processus de co-construction d’un objet (la présentation des entrepreneurs) et les accompagnateurs adoptent un langage positif (par opposition au langage normatif) en ce sens qu’ils évaluent et se prononcent sur les expériences des entrepreneurs en face d’eux.

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L’espace de simulation est produit lorsque les entrepreneurs présentent leurs projets, reçoivent de la rétroaction et/ou dialoguent avec des accompagnateurs autour de leurs projets dans un cadre organisé. Cette catégorie correspond au « coaching de groupe ».Le coaching porte essentiellement sur la construction des présentations des entrepreneurs. Trois séances de coaching de groupe ont été offertes à la même adresse pendant la cohorte retenue. Les entrepreneurs et les coaches se réunissent dans une salle aménagée en mode- école et équipée de chaises, tables, écran, projecteur, ordinateur, etc., et d’une capacité d’environ 40 places. Pendant ces séances, les coachs s’assoient sur les premières rangées de chaises et de tables installées juste en face de la scène principale. Une table de coachs est située à gauche et une autre à droite, les deux sont séparées par un chemin d’environ un mètre de large. Excluant le directeur de l’accélérateur, généralement 3 à 5 coachs sont présents à chaque séance de coaching de groupe. Les entrepreneurs se présentent tour à tour individuellement sur la scène principale et font leurs présentations (« pitch ») pendant une minute. Les entrepreneurs reçoivent les commentaires de leurs pairs et des coachs à la suite de leurs présentations. Pendant le coaching, les entrepreneurs apprennent à manipuler leurs présentations, à interagir avec d’autres acteurs autour de ces présentations afin de les faire évoluer vers une version plus convaincante que l’entrepreneur pourrait utiliser comme artefact de légitimation auprès des investisseurs en capital.

Je m’intéresse à ce que font ou disent les entrepreneurs et les accompagnateurs, ainsi qu’aux objets qu’ils manipulent, aux technologies qu’ils utilisent et leurs mouvements dans l’espace.

Les vidéos prises pendant le coaching ont été visionnées et intégralement transcrites (Derry et al., 2010), soit 745 minutes de bandes vidéo. Le choix de la transcription intégrale est motivé par le fait que c’est pendant cette activité que les entrepreneurs simulent leurs présentations et reçoivent des commentaires. Il s’agit de moments d’interactions très intenses où chaque fait contribue à l’entrainement des entrepreneurs à convaincre les investisseurs. La 13e rencontre correspond à l’activité « tester son pitch » qui permet aux entrepreneurs de faire des présentations devant des investisseurs sans en attendre des rétroactions. 17 entrepreneurs ont participé à cette activité et ont fait des présentations pour une durée totale de 49 minutes y compris les temps de transition. Dans cet espace, les

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accompagnateurs habituels, à l’exception du directeur, sont diffus dans une audience composée majoritairement de personnes étrangères aux activités antérieures. La communication est unidirectionnelle, de l’entrepreneur vers l’audience qui ne réagit que par des acclamations. Ces vidéos ont été intégralement visionnées et des segments ont été transcrits. La 14e rencontre est consacrée à l’activité de présentation ouverte au grand public. Les entrepreneurs de la cohorte et plusieurs autres entrepreneurs non membres de la cohorte y dressent des stands, reçoivent des visiteurs et leur présentent leurs offres. L’organisation de l’activité de présentation publique rendait difficile la captation par vidéo en raison principalement de la nuisance sonore. J’ai observé et pris des notes qui ont été transcrites et codées avec Altas TI. J’ai procédé à un premier codage des transcriptions en utilisant la fonction «open coding» d’Atlas TI. J’ai ensuite fait du codage axial en regroupant les codes initiaux sous de nouvelles catégories codes à l’aide d’Atlas TI et selon leurs proximités sémantiques. Ce deuxième niveau de code a servi dans l’identification des tactiques de gestion des impressions coconstruites dans cet espace. J’ai procédé au regroupement des codes secondaires et ai identifié trois axes d’intervention des accompagnateurs comme dans l’espace d’exploration : l’entrepreneur, le projet et la présentation. La figure 9 montre la structure des données de l’espace de simulation.

Espace de liberté

Il s’agit des moments ou les entrepreneurs restent seuls ou interagissent avec des acteurs de leur choix dans un cadre informel. Les espaces créés dans ce contexte sont privés et n’ont pas été filmés afin de respecter l’intimité des occupants. J'ai collecté ses informations en participant directement aux interactions avec les entrepreneurs ou en les observant. Les notes de terrain portent exclusivement sur les interactions non prises en compte par les vidéos. Il s’agit principalement des discussions informelles entre entrepreneurs ou avec les accompagnateurs.

Les notes ont été transcrites pendant les moments où je regagne ma place ou le soir lorsque je quitte le terrain de recherche. Ces notes ont été rédigées sous forme de comptes-rendus chronologiques du déroulement des faits et codées manuellement.

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3.8.1.2 Analyse chronologique des épisodes du programme d’accélération

J’ai analysé chronologiquement les épisodes du programme d’accélération, sur les 3 mois qu’a duré cette cohorte, en comparant les notes descriptives sur certaines dimensions spécifiques telles que la posture des acteurs (entrepreneurs et accompagnateurs). J’ai pris la théorie des rites de passage de Van Gennep (1960) comme référence. Cet auteur, pour rappel, soutient que le passage d’une situation sociale à une autre se fait en trois étapes, la séparation, la liminalité et l’incorporation. La séparation évoque un état de solitude ou d’isolement, la liminalité est la période où les activités menant au changement ont lieu, et l’incorporation marque la fin de l’étape transitoire et l’admission dans une nouvelle catégorie. En rapprochant les notes descriptives, j’ai porté une attention particulière à la trajectoire des entrepreneurs, aux interactions, et à la manière dont le directeur interprète les rencontres, avec pour objectif de voir si et comment les entrepreneurs font l’expérience de la séparation, de la liminalité et de l’incorporation.

Ce travail a permis d’identifier trois étapes dans les 14 épisodes qui forment le programme d’accélération de cette cohorte, que j’identifie aux phases de séparation, de liminalité et d’incorporation selon les variations de la relation entre les entrepreneurs et les accompagnateurs. Je les présente dans la section des résultats.