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2.1 L’entrainement à la construction de la légitimité par la gestion des impressions

2.1.1 La légitimité auprès des ICR

Dans cette section, je reviens rapidement sur les dimensions de la légitimité pour souligner une préoccupation concernant la relation entre la dimension de la légitimité présentée comme la plus reconnue dans la littérature et les critères d’investissement des ICR. J’évoque ensuite la notion de seuil de rentabilité pour définir à partir de quel moment une entreprise peut être considérée comme légitime auprès des ICR.

2.1.1.1 Les dimensions de la légitimité et la relation avec les ICR

Ma préoccupation porte sur la prédominance de la légitimité cognitive dans la littérature, alors que les critères d’investissement connus des ICR laissent croire que ces acteurs ont davantage des attentes à l’égard des entrepreneurs.

Zimmernann et Zeit (2002 : 427) affirment que certaines sources de légitimité sont plus reconnues que d’autres. L’on pourrait alors se demander laquelle des dimensions cognitives ou évaluatives de la légitimité contribue davantage à la construction de la légitimité globale des entreprises auprès des ICR.

Dans la littérature analysée, la légitimité cognitive apparait comme la dimension de légitimité la plus reconnue. Ce choix est expliqué par le fait que l’écart cognitif (Nagy et al., 2012) entre les entrepreneurs et les détenteurs de ressources ou l’asymétrie d’information qui nourrit les aléas de la nouveauté (Aldrich et Fiol, 1994; Choi et Shepherd, 2005) sont considérés comme les principales causes des difficultés des nouvelles entreprises à obtenir du financement. Selon cette perspective, la plupart des acteurs externes sont réticents vis-à-vis de la nouvelle entreprise par manque d’informations et de connaissance à propos de ses activités (Aldrich et Fiol, 1994; Shepherd et Zacharakis, 2003). Shepherd et Zacharakis (2003) affirment que la légitimité cognitive est passive, qu’elle découle de la compréhension des activités, est basée sur les informations en circulation au sujet de l’entreprise et ne nécessite aucun effort d’évaluation de la part des audiences. Ces auteurs ajoutent que les entreprises en démarrage ont besoin de cette forme de légitimité et non de la légitimité sociopolitique qui est une forme de légitimité évaluative. Conformément à cette proposition, plusieurs recherches portant sur la relation entre les investisseurs et les entrepreneurs mettent l’emphase sur la dimension cognitive de

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la légitimité (Nagy et al., 2012; Pollack et al., 2012). Or, la littérature révèle que les investisseurs ont des attentes spécifiques vis-à-vis des entrepreneurs. Les VC et les anges veulent des rendements, les CVC recherchent des technologies innovantes et les GVC s’attendent à des retombées sociales pour leurs investissements (Pahnke et al., 2015). Quoique la légitimité cognitive soit importante pour des questions de gestion de risque et de politique d’investissement, la légitimité évaluative pourrait avoir une forte reconnaissance auprès de cette audience. Par ailleurs, par des mécanismes de syndication (Lockett et Wright, 2000), les ICR co-investissent dans des projets à fort potentiel de développement dans des secteurs qu’ils jugent intéressants, mais qu’ils comprennent moins bien. Dans ce cas, un investisseur leader ayant une connaissance du domaine assure la coordination du dossier. Les autres apportent du financement s’ils jugent que l’investissement les aidera à atteindre leurs objectifs de rendement. Certains s’engagent dans des projets uniquement par émulation (Benson et al., 2015) en suivant d’autres investisseurs dans un secteur qui suscite un optimisme collectif (Pontikes et Barnett, 2017) comme ce fut le cas des entreprises du « dotcom » dans les années 2000.

Pour toutes ces raisons, je crois qu’il est important de rester attentifs à la dimension évaluative de la légitimité et de voir comment les entrepreneurs s’entrainent à bâtir la légitimité de leurs entreprises sur les deux dimensions (cognitive et évaluative).

Je veux ici revenir sur la notion de seuil de légitimité afin de clairement établir le moment où je crois qu’une entreprise est devenue légitime auprès des ICR.

2.1.1.2 Le seuil de légitimité

L’investissement en capital de risque étant un processus fait de plusieurs étapes, il est important de se demander à partir de quel moment une entreprise devient légitime auprès des investisseurs. Pour ce faire, je m’inspire de la notion de seuil de légitimité pour identifier le moment à partir duquel un entrepreneur peut avoir établi la légitimité de son entreprise.

Zimmerman et Zeit (2002) ont proposé la notion de seuil de légitimité (legitimacy threshold) qu’ils définissent comme le niveau de légitimité en dessous duquel les entreprises sont illégitimes et ne peuvent accéder aux ressources. Pour ces auteurs, les

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entreprises qui réussissent sont celles qui parviennent à franchir le seuil de légitimité et celles qui périssent sont celles qui n’y parviennent pas. Ils affirment cependant que ce seuil est difficile à déterminer. Ces auteurs présentent la légitimité comme un continuum. L’entreprise peut établir le seuil de légitimité et renforcer sa légitimité au moyen d’actions stratégiques jusqu’à l’obtention du financement.

La question de savoir à partir de quel moment une entreprise devient légitime auprès des ICR a été en partie répondue par Parhankangas et Ehrlich (2014). Pour ces chercheurs, après la première interaction entre les entrepreneurs et les ICR, la légitimité de l’entreprise est établie lorsque les entrepreneurs sont convoqués pour une prochaine étape. Cependant, après cette étape, une proportion importante d’entrepreneurs n’obtiendra pas de financement (Simic, 2015). Pour cette raison, je voudrais compléter la proposition de Parhankangas et Ehrlich (2014) en y introduisant la notion de seuil de légitimité proposée par Zimmernann et Zeit (2002).

Tout d’abord, je considère la légitimation comme un processus (Hjorth et al., 2015). Elle peut émerger, se renforcer, s’atténuer ou disparaitre au gré des comportements des acteurs ou d’événements externes (Bansal et Clelland, 2004; Elsbach, 1994; Garud et al., 2014). En m’inspirant de Zimmermann et Zeit (2002), je présente le seuil de légitimité comme le niveau à partir duquel les entreprises sont perçues comme prêtes à recevoir des investissements (investment readiness) (Mason et Harrisson, 2001). Lorsque, à la suite de la présélection, les entrepreneurs sont convoqués pour une prochaine étape, je crois qu’ils ont franchi le seuil de légitimité. À partir de ce seuil, les ICR pourront demander à en savoir davantage sur l’entreprise, et les entrepreneurs pourront renforcer la légitimité de leurs entreprises au fil des étapes du processus d’investissement en adoptant des comportements appropriés dans leurs interactions (Pollack et al., 2012).

Le processus d’investissement des ICR commence généralement par la présélection des dossiers (screening) (Tyebjee et Bruno, 1984). Il s’agit des premiers contacts entre les ICR et les entrepreneurs. Ce contact peut avoir lieu en face à face, à travers des concours de présentations qui par ailleurs prennent de l’ampleur (Mason et Harrisson, 2001) ou à travers des documents (plan d’affaires, "pitchdeck" ou sommaires exécutifs) (Chan et Park, 2015; Parhankangas et Ehrlich, 2014). Au cours de cette étape, les ICR procèdent à une première

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évaluation des entreprises selon des critères variés. Celles qui paraissent intéressantes sont alors convoquées pour une seconde interaction et une seconde évaluation. Le processus continue ainsi jusqu’à l’obtention du financement ou à la sortie du processus pour diverses raisons.

Dans le cadre de cette recherche, je m’intéresse à l’étape de la présélection et la manière dont les entrepreneurs s’entrainent pour franchir le seuil de légitimité. Plusieurs études montrent que la gestion des impressions aide à établir la légitimité des entreprises à la phase de présélection (Parhankangas et Ehrlich, 2014; Pollack et al., 2012), mais aucune recherche n’informe sur la manière dont les entrepreneurs s’entrainent à gérer les impressions des ICR afin d’augmenter leur chance de succès. J’aborde dans ce qui suit la gestion des impressions dans le processus d’investissement.