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2.1 L’entrainement à la construction de la légitimité par la gestion des impressions

2.1.2 La gestion des impressions comme stratégie de légitimation

Je parle dans un premier temps l’importance de la gestion des impressions à la phase de présélection, puis de la notion de préparation à la gestion des impressions.

2.1.2.1 La gestion des impressions à la phase de présélection

L’étape de la présélection est importante parce que c’est à cette étape que les entrepreneurs en démarrage rencontrent les plus grands défis de légitimité. La littérature montre que le taux de rejet à l’étape de la présélection est de 85 à 90% (Simic, 2015). Ce qui signifie que 85 à 90% des entrepreneurs sollicitant les ICR échouent à établir le seuil de légitimité requis dans les interactions initiales avec ces investisseurs. Feeney et ses collègues rapportaient le même chiffre 15 ans plus tôt (Feeney et al., 1999), ce qui témoigne de la persistance de ce défi. Dans presque tous les milieux et dans la littérature professionnelle traitant du capital de risque, il semble y avoir un consensus autour du taux de succès des entrepreneurs auprès des ICR qui sont de 10 à 15% à la présélection et 1 à 2% obtiennent du financement.

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Selon Feeney et al. (1999), des 90% de taux de rejet à la présélection, 72,6% étaient imputables à l’impression qu’ont eu les évaluateurs à propos des plans d’affaires soumis sans même les avoir lus en détail, et seulement 15,9% ont été rejetés après une lecture détaillée des plans d’affaires. Ces chiffres soutiennent les thèses de Parhankangas et Ehrlich (2014) et Chan et Park (2015) à propos de l’importance de la gestion des impressions dans les interactions initiales avec les investisseurs. Parhankangas et Ehrlich (2014) ont montré en effet que l’usage des tactiques de gestion des impressions dans les sommaires exécutifs augmente les chances des entrepreneurs de franchir la présélection, et Chan et Park (2015) ont montré que les images et des couleurs dans les plans d’affaires (que j’assimile à des tactiques de gestion des impressions) augmentent les chances de succès des entrepreneurs.

Mason et Harrisson (2001) ont examiné l’importance de la gestion des impressions dans les présentations orales. Ils ont soumis la présentation d’un entrepreneur dans le domaine des technologies à un panel de 30 investisseurs lors d’une conférence pour recueillir leurs avis. Ils ont montré que 40,9% des réactions de ces investisseurs portaient uniquement sur la présentation, 22,7% sur le marché et seulement 10,6% concernaient le produit. Les réactions sur la présentation concernaient le style, la structure et le contenu, et les commentaires étaient généralement négatifs. Ces évaluateurs trouvaient que l’entrepreneur n’était pas enthousiaste et ne savait pas vendre son entreprise à des investisseurs, ce qui jetait un doute sur sa capacité à vendre sa solution aux clients potentiels. Pour toutes ces raisons, presque tous les investisseurs ont décidé qu’ils rejetteraient la demande, malgré le fait que l’entrepreneur eût déjà fait des ventes et cherchait du capital additionnel pour développer son marché.

Ces travaux montrent l’importance de la gestion des impressions dans la phase de présélection, peu importe le canal par lequel la demande parvient aux investisseurs (concours de pitch ou transmission de documents).

Après avoir présenté l’importance de la gestion des impressions dans le processus de présélection, j’aborde dans section qui suit la notion de préparation à la gestion des impressions.

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2.1.2.2 La préparation dans le processus entrepreneurial

L’échec des entrepreneurs constaté à la phase de présélection est généralement imputable à un manque de préparation (Chen et al., 2009; Pollack et al., 2012).

Pour Pollack et al (2012), la préparation consiste à pouvoir démontrer un comportement approprié dans les interactions avec les investisseurs, à montrer que l’on comprend les choses et à être capable de livrer un contenu intéressant. S’inspirant des travaux de Chen et al. (2009), ces auteurs mesurent la préparation des entrepreneurs par les indicateurs suivants : « La présentation était réfléchie et approfondie », « La présentation était cohérente et logique », « Le (s) présentateur (s) a (ont) articulé la relation entre le plan d'affaires et le contexte général » et « Le (s) présentateur (s) a (ont) cité des faits pour étayer les arguments ».

En raison de l’importance de la gestion des impressions dans le processus de présélection souligné plus haut, je crois que la préparation des entrepreneurs doit en tenir compte. Dans ce contexte, la préparation peut prendre la forme d’un entrainement à gérer les impressions des ICR.

Les chercheurs reconnaissent l’importance de la préparation aux processus entrepreneuriaux et soutiennent que les chances de succès des entreprises en démarrage augmentent lorsque les prétendants sont bien préparés (Festervand et Forrest, 1993). Cependant, la plupart des théories concernant la préparation au processus entrepreneurial portent principalement sur l’identification et l’exploitation d’opportunités.

Festervand et Forrest (1993) ont proposé un modèle de préparation en trois étapes successives que sont l’éducation, l’expérience et la planification. L’éducation selon ce modèle permet à l’aspirant entrepreneur de développer les compétences nécessaires au lancement d’une entreprise. L’expérience aide à comprendre l’industrie dans laquelle l’entrepreneur ambitionne d’opérer. Ils estiment que conjointement l’éducation et l’expérience conduisent à un plus grand niveau de préparation. Ces deux facteurs joints à la planification permettent aux aspirants entrepreneurs d’être préparés à faire face aux divers scénarios qui pourraient émerger (Festervand et Forrest, 1993). Pour Scherer et al. (1989) la préparation des aspirants entrepreneurs comprend leur niveau d’éducation, leur

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aspiration à l’apprentissage, et leur niveau d’efficacité personnelle (Scherer et al., 1989). Cope (2005) a proposé un modèle conceptuel de préparation des aspirants entrepreneurs. Pour cet auteur, la préparation comprend tous les apprentissages et les connaissances cumulés que les aspirants entrepreneurs mobilisent pour la création d’une nouvelle entreprise. Ces connaissances sont formées tout au long de la vie de l’individu et non pas acquises uniquement pendant les moments qui précèdent le lancement de la nouvelle entreprise (Cope, 2005). Elles proviennent de plusieurs sources, dont les situations que les aspirants entrepreneurs rencontrent dans les interactions sociales (Cope, 2005). Selon ce chercheur, la préparation de l’aspirant entrepreneur découle de sa réflexion sur ses apprentissages accumulés. Afin d’être pleinement préparé à l’entrepreneuriat, l’aspirant doit considérer ses expériences antérieures, évaluer sa préparation personnelle, et considérer l’environnement externe pour apprendre à reconnaitre les opportunités (Cope, 2005). S’inspirant des travaux de Cope (2005), L. Wang et al. (2014) ajoute deux autres dimensions (en plus des apprentissages cumulés) à la préparation des entrepreneurs. Il s’agit du caractère social de la préparation et son orientation vers des objectifs. À partir d’une étude de cas exploratoire portant sur deux entreprises dans le secteur des technologies en Chine, Wang et al. (2014) montrent que des acteurs sociaux tels que les membres de famille ou les groupes sociaux auxquels les entrepreneurs sont affiliés jouent un important rôle dans la découverte des opportunités entrepreneuriales. Ils soulignent aussi que les événements critiques qui ont marqué la vie des entrepreneurs orientent leur préparation vers des objectifs précis. L’étude de Wang et al. (2014) permet de comprendre que la préparation des entrepreneurs ne dépend pas uniquement de leur niveau d’éducation (Festervand et Forrest, 1993), ni de leur sentiment d’efficacité personnelle (Scherer et al., 1989), ni uniquement de leurs expériences cumulées (Cope, 2005), mais intègre l’apport des réseaux sociaux de l’entrepreneur dont font partie les accélérateurs.

Ces études mettent la reconnaissance d’opportunités entrepreneuriales et le développement de certaines compétences techniques de base requises pour exploiter de telles opportunités au cœur de la préparation des entrepreneurs (Cope, 2005; Festervand et Forrest, 1993; Wang et al., 2014; Scherer et al., 1989). Or, les entreprises en démarrage échouent principalement en raison de la méfiance des acteurs externes qui refusent de leur apporter du soutien (Aldrich et Fiol, 1994; Stinchcombe, 1965; Yang et Aldrich, 2017). Je crois par

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conséquent qu’il est important d’étendre les théories concernant la préparation au-delà de la reconnaissance des opportunités entrepreneuriales pour analyser la manière dont les entrepreneurs voulant exploiter de telles opportunités se préparent à établir la légitimité de leurs entreprises auprès des détenteurs de ressources, dont les investisseurs en capital de risque. Pour ce faire, en s’appuyant sur les travaux qui soulignent l’importance de la gestion des impressions pour légitimer les entreprises dans la phase de présélection, cette recherche analyse la préparation, avec l’aide d’un accélérateur, à gérer les impressions. Le choix des accélérateurs est très pertinent parce que ces acteurs sont des espaces de préparation par excellence des nouvelles entreprises innovantes voulant majoritairement lever des fonds auprès des ICR. La plupart des entrepreneurs que j’ai interrogés dans le cadre de cette recherche affirment avoir adhéré au programme de l’accélérateur dans le but de mieux se préparer à rencontrer les investisseurs. Ils n’ont pas encore entamé le processus de recherche de financement auprès des ICR, mais veulent savoir, entre autres, ce qui intéresse ces investisseurs et comment les approcher. Ils veulent s’entrainer pour augmenter leurs chances de succès à l’étape de la recherche de financement.

Après avoir fait un tour d’horizon sur la légitimité, la gestion des impressions comme stratégie de légitimation et la notion de préparation, j’aborde dans la section suivante la manière dont les accélérateurs entrainent les entrepreneurs à gérer les impressions des ICR à l’étape de la présélection.