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1.2 La légitimité de l’entreprise en démarrage

1.2.2 Les dimensions de la légitimité

Plusieurs dimensions de la légitimité sont abordées dans la littérature (Aldrich et Fiol, 1994; Bitektine, 2011; Garud et al., 2014; Suchman, 1995; Überbacher, 2014).

Überbacher (2014) a réalisé une revue de 60 articles traitant de la légitimité des entreprises en démarrage, publiés entre 1986 et 2012 dans des revues scientifiques à fort facteur d’impact. Ces journaux ont été sélectionnés dans les domaines du management (39), de l’entrepreneuriat (18) et de la sociologie économique (3). L’auteur a comparé et contrasté plusieurs courants de pensée sur la légitimité de l’entreprise en démarrage et a établi que les audiences émettent leurs jugements de légitimité sur deux dimensions : cognitive et évaluative. La dimension cognitive découle de la compréhension de l’entreprise par les audiences. Selon cette perspective, plus les audiences comprennent une entreprise, plus elle sera légitime. La légitimité évaluative est quant à elle établie lorsque les audiences perçoivent l’entreprise comme souhaitable, appropriée et nécessaire (Überbacher, 2014).

Garud et al. (2014) ont mis en relief ces deux dimensions de la légitimité dans leur recherche portant sur le rôle des narrations prospectives dans le processus de légitimation de la nouvelle entreprise. En s’inspirant de la sociologie des attentes (sociology of expectations) ces auteurs affirment que les histoires prospectives suscitent des attentes cognitives incarnées par la volonté des audiences à comprendre les caractéristiques futures de l’entreprise, sa technologie, son marché et ses concurrents, ainsi que des attentes

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pragmatique exprimées par les bénéfices futurs en termes de retour sur investissement que les audiences tireront s’ils apportent du soutien à l’entreprise (Garud et al., 2014 :1479). Je présente ces deux dimensions de façon détaillée dans ce qui suit.

1.2.2.1 La légitimité cognitive

Selon Aldrich et Fiol (1994), la légitimité cognitive réfère à la diffusion des connaissances à propos d’une nouvelle organisation. Pour ces auteurs, l’on peut évaluer la légitimité cognitive d’une entreprise en démarrage à travers la quantité d’information disponible à son sujet. Pour d’autres auteurs, une entreprise en démarrage obtient la légitimité cognitive auprès de certaines audiences lorsque celles-ci comprennent ses activités, son marché, ses concurrents et sa technologie (Garud et al., 2014; Shepherd et Zacharakis, 2003).

Suchman (1995) attribue deux sous-dimensions à la légitimité cognitive : la légitimité basée sur compréhension et la légitimité basée sur l’évidence (taken-for-granted) (Suchman 1995 : 582). Pour cet auteur, la légitimité basée sur la compréhension résulte des explications données par les acteurs au sujet de l’organisation et de ses actions dans le but de les clarifier pour les parties prenantes. Lorsqu’elle est comprise, cette explication rend l’organisation prédictible et plus attrayante pour les parties prenantes (Suchman 1995). Cet auteur va plus loin en affirmant que sans la légitimité basée sur la compréhension, les organisations échouent. D’autres auteurs s’intéressent à la manière dont la légitimité cognitive est construite. Pour certains, les entreprises en démarrage qui n’ont pas d’historique d’opérations suffisantes peuvent construire leur légitimité cognitive par le biais d’actions stratégiques telles que la communication symbolique (Aldrich et Fiol, 1994). Pour Suddaby et Greenwood (2005), la légitimité cognitive d’une entreprise en démarrage est moins basée sur des aspects techniques que sur les habiletés de l’entrepreneur à clarifier son projet. Abondant dans le même sens, Garud et al. (2014) ont mis l’accent sur l’importance des histoires prospectives dans la clarification du projet des entrepreneurs. Pour ces auteurs, les entrepreneurs peuvent se servir des histoires prospectives pour communiquer aux audiences le futur de leurs entreprises, en faisant des liens entre des faits internes et externes pour présenter le produit, le marché ou la concurrence de manière à faciliter la compréhension du projet et faciliter leur adhésion à l’aventure.

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La seconde sous dimension de la légitimité cognitive mise en relief par Suchman est l’évidence (taken-for-grantedness). L’entreprise qui atteint cette dimension devient comme naturellement légitime et les audiences ne se posent plus de question à son sujet (Suddaby et Greenwood, 2005), et la légitimité des autres entreprises qui s’écartent de son modèle est remise en question (Suchman, 1995). Cependant, étant donné que je m’intéresse aux entrepreneurs en démarrage qui cherchent à établir la légitimité de leurs entreprises, j’écarte cette dimension de la légitimité et retiens la compréhension comme source de la légitimité cognitive.

La littérature sur les critères de sélection des ICR révèle que ces investisseurs s’intéressent aux marchés, au produit, aux entrepreneurs et au rendement (Carlos Nunes et al., 2014; Franke et al., 2008). Ils veulent comprendre le projet, notamment le produit et le marché. L’entrepreneur peut construire la légitimité cognitive de son entreprise en communiquant autour de ces critères (Garud et al., 2014).

Les ICR ne veulent cependant pas simplement comprendre, ils veulent savoir si l’entreprise peut générer des rendements et si les entrepreneurs sont compétents pour protéger leurs intérêts (Carlos Nunes et al., 2014; Tyebjee et Bruno, 1984). Ces éléments aident à construire la légitimité évaluative que je développe dans le point suivant.

1.2.2.2 La légitimité évaluative

De façon générale, une organisation jouit de la légitimité évaluative auprès d’une audience si celle-ci juge que cette organisation tient compte de ses intérêts personnels ou qu’elle tirera un quelconque profit en lui apportant son soutien (Suchman, 1995 : 578). Pour Suchman, il s’agit d’une légitimité basée sur l’échange. L’audience ciblée apportera son soutien à l’organisation si elle juge que celle-ci, en échange de ce soutien, créera de la valeur pour elle.

Pour Garud et al. (2014), les histoires prospectives que les entrepreneurs diffusent dans le processus d’acquisition de ressources externes créent des attentes pragmatiques chez les audiences. Selon ces auteurs, les entrepreneurs construisent la légitimité évaluative de leurs projets en présentant le potentiel de profitabilité et l’étendue du marché à travers une combinaison de statistiques et d’autres faits tirés de l’environnement qu’ils véhiculent sous

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forme de narration, pour permettre aux audiences de faire leurs propres évaluations et ainsi déterminer les avantages qu’ils obtiendront en accordant leurs soutiens à l’entreprise.

J’aborde plus haut les investisseurs en capital de risque qui apportent des ressources financières aux entreprises en démarrage dans le but d’obtenir des rendements élevés au moment de la réalisation de leurs participations (MacMillan et al., 1988). Ils n’accorderont leurs soutiens à une entreprise que s’ils ont une assurance raisonnable qu’elle leur permettra de réaliser leurs objectifs de rendement ou de création de valeurs (Pahnke et al., 2015).

Le croisement des littératures sur le capital de risque et la construction de la légitimité permet de croire que les entrepreneurs construisent la légitimité globale de leurs entreprises auprès des ICR sur les deux dimensions (cognitive et évaluative) à travers l’utilisation stratégique de la communication autour des principaux critères d’investissement en capital. Je résume cette proposition dans la figure 3.

Après la présentation des dimensions de la légitimité afin de mieux circonscrire le concept de légitimité, je m’intéresse dans la section suivante à la manière dont les entrepreneurs en démarrage établissent la légitimité de leurs entreprises. J’aborde les principales approches théoriques portant sur le processus de construction de la légitimité de la nouvelle entreprise.

Figure 3 : les dimensions de la légitimité

Source : l’auteur

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