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1.3 L’accélérateur et la légitimation de la nouvelle entreprise

1.3.4 L’accélérateur comme source de légitimité

Les accélérateurs sont souvent abordés comme des structures d’accompagnement offrant des espaces de travail et des services de soutien aux entrepreneurs. Je les envisage comme

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des médiateurs entre les entrepreneurs et les détenteurs de ressources dont les ICR, avec pour mandat de faciliter les contacts entre ces deux parties.

En me référant à la littérature sur la légitimité des entreprises en démarrage, j’identifie deux courants de pensée pouvant expliquer la contribution des accélérateurs à la légitimation des entreprises de leurs portefeuilles. Le premier affirme que les entrepreneurs obtiennent une certaine légitimité par le simple fait d’être affiliés à une organisation qui confère la légitimité (p. ex. un accélérateur). Les défenseurs du second courant de pensée soutiennent que la simple affiliation à une organisation est insuffisante pour légitimer une entreprise et les entrepreneurs doivent initier des actions additionnelles pour établir la légitimité de leurs entreprises. Je présente dans ce qui suit ces courants.

1.3.4.1 La légitimité découlant de l’affiliation à l’accélérateur

Des études portant sur la légitimité affirment que les acteurs peuvent établir leur légitimité en tissant des relations avec des acteurs importants et influents de leurs écosystèmes (Überbacher, 2014). Cette proposition suggère que l’affiliation des entrepreneurs à des accélérateurs de bonne renommée suffit à convaincre les détenteurs de ressources. Abondant dans le même sens, Chan et Lau affirment que le fait d’être associé à l’image d’un incubateur renforce la réputation des entreprises et facilite les transactions avec les acteurs externes (Chan, et Lau, 2005).

En présentant les stratégies de légitimation des entreprises en démarrage, Zimmermann et Zeit (2002) ont évoqué la sélection qui consiste, pour la nouvelle entreprise, à choisir l’environnement dans lequel opérer. Selon ces auteurs, lorsque les règles, modèles ou valeurs d’un environnement sont connus et partagés, les entreprises qui choisissent d’y opérer deviennent légitimes auprès des audiences qui partagent ces normes, modèles ou valeurs. Selon cette proposition de Zimmermann et Zeit (2002), une entreprise localisée dans un accélérateur de bonne réputation peut avoir de la légitimité auprès des acteurs qui connaissent et partagent les valeurs de cet accélérateur. Cette proposition est également soutenue par les propos d’un investisseur rapportés par Shane et Cable (2002) et que je cite ci-après :

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« Clairement j'avais un biais pour n'importe qui à l'intérieur du MIT. Une fois que je sors de la famille MIT, il m'est plus difficile de faire preuve de diligence raisonnable. Je ne savais pas s'ils sont légitimes. À l'intérieur du MIT, je peux appeler un directeur de département si je ne connais pas la personne personnellement. Il est alors très facile de faire quelques appels téléphoniques pour trouver quelqu'un. » (Shane et Cable, 2002 : 7, ma traduction)

Pour Baron et Markman (2000) cependant, la réputation ou la crédibilité qui résultent de l’affiliation à un réseau social, ou à une organisation, facilitent certes l’accès aux détenteurs de ressources, mais ne donnent pas directement accès aux ressources (Baron et Markman, 2000). Pour illustrer leurs propos, ces chercheurs ont pris l’exemple du recrutement. Pour eux, on ne recrute pas un candidat à l’emploi sur la base de ses expériences ou parce qu’il a été référé par un acteur de bonne réputation. Ces éléments aident à retenir l’attention des recruteurs qui s’en servent pour dresser la liste restreinte des personnes à rencontrer. Le succès du candidat, selon Baron et Markman (2000), dépend de l’impression qu’il fait sur les recruteurs pendant le processus de recrutement. Pour eux, les liens sociaux qui facilitent l’accès aux détenteurs de ressources font partie du capital social de l’entrepreneur (Baron et Markman, 2000). Le capital social est l’identité sociale favorable dont jouit un individu du fait de ses contacts ou de son appartenance à un réseau social jouissant d’une bonne réputation (Adler, 2002; Baron et Markman, 2000).

Pour Baron et Markman (2000), une fois que l’entrepreneur a accès aux détenteurs de ressources grâce à son capital social, l’engagement de ceux-ci à soutenir son projet dépendra de la manière dont il se comporte dans les interactions, et plus précisément de ce que ces chercheurs qualifient de compétence sociale de l’entrepreneur (Baron et Markman, 2000 : 107).

J’aborde dans la section qui suit la manière dont la compétence sociale intervient dans le processus de légitimation.

1.3.4.2 La légitimité découlant des actions stratégiques

La compétence sociale ramène à l’utilisation d’outils stratégiques pour convaincre d’autres acteurs dans les interactions sociales (Baron et Markman, 2000). Je présente dans ce qui

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suit la manière dont les accélérateurs pourraient contribuer à l’utilisation d’outils stratégiques de légitimation par les entrepreneurs en démarrage.

La compétence sociale, selon Baron et Markman (2000), est très complémentaire du capital social. Ces auteurs affirment qu’un entrepreneur peut facilement avoir accès aux détenteurs de ressources grâce à son capital social et cependant échouer dans sa tentative de les convaincre de soutenir son projet par manque de compétence sociale. La compétence sociale, selon ces auteurs, comprend la capacité à mieux étudier l’autre pour lui donner une première bonne impression, le convaincre et s’adapter facilement. Le propos suivant tiré de l’article de Baron et Markman (2000) illustre bien cette complémentarité entre le capital social et la compétence sociale. Il s’agit des échanges entre un des auteurs, qui est également entrepreneur, et un potentiel partenaire.

« Votre prototype était bon et je pouvais voir que vous avez quelque chose de nouveau. Mais c'est la façon dont vous vous êtes comporté lors de la réunion qui importait le plus. Je pouvais dire tout de suite que vous faites avancer les choses - que vous n'êtes pas là seulement pour parler ». Ce potentiel partenaire a aussi mentionné que l’entrepreneur n'aurait jamais eu accès s'il n'était pas professeur à une université bien connue. (Baron et Markman, 2000 : 106-107, ma traduction).

Dans cette illustration, le fait d’être professeur dans une université reconnue a facilité l’accès au partenaire. Cependant, c’est la manière dont l’entrepreneur s’est comporté dans cette interaction, c’est-à-dire l’impression donnée, qui a rendu son projet acceptable pour ce partenaire potentiel (Baron et Markman, 2000). Ces auteurs affirment que les acteurs peuvent renforcer leurs compétences sociales à l’aide d’entrainement (Baron et Markman, 2000). Cependant, à ce jour, la manière dont les entrepreneurs s’entrainent à renforcer leurs compétences sociales afin de faire bonne impression, et la manière dont les accélérateurs contribuent à ce processus sont peu connues. Cette recherche veut combler cet écart dans la littérature en examinant la manière dont les accélérateurs aident les entrepreneurs de leurs portefeuilles à renforcer leurs compétences à stratégiquement convaincre les ICR de la légitimité de leurs projets.

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Conclusion

Les entrepreneurs innovants en démarrage ont besoin du soutien des ICR pour se développer (Clarke, 2011). Ces investisseurs prennent d’importants risques parce qu’ils financent les entreprises largement au-delà de leur capacité de remboursement, et ne sont pas remboursés. Ils ne financent cependant que les entreprises qu’ils jugent légitimes. Afin de s’assurer de choisir les bons candidats, ces investisseurs suivent un processus d’investissement rigoureux comportant des étapes et des critères de décision (Tyebjee et Bruno, 1984). Les entrepreneurs doivent établir la légitimité de leurs entreprises à l’étape de la présélection avant de passer à l’étape suivante et éventuellement obtenir du financement. Cependant, le taux de rejet à cette étape est de 85 à 90% (Simic, 2015), ce qui indique que la majorité des entrepreneurs ont du mal à établir leur légitimité (Zimmerman et Zeitz, 2002) auprès de cette audience. Plusieurs chercheurs ont analysé le processus de légitimation des entreprises en démarrage (Überbacher, 2014; Zimmerman et Zeitz, 2002). Cependant, et à mon étonnement, les chercheurs ne se sont pas interrogés sur la manière dont les entrepreneurs se préparent à construire la légitimité de leurs entreprises dans le processus d’investissement des ICR.

Selon la littérature, les ICR n’appliquent pas toujours leurs critères d’évaluation et ont recours à des critères alternatifs plus subjectifs (Benson et al., 2015; Zacharakis et Meyer, 1998). En pareille circonstance, les entrepreneurs ont du succès lorsqu’ils mobilisent des outils symboliques pour faire bonne impression dans les interactions avec cette audience (Clarke, 2011). Des auteurs se réfèrent à cette capacité de manipuler les outils symboliques dans les interactions comme une compétence sociale et soulignent qu’elles sont apprises (Baron et Markman, 2000). Cependant, la manière dont les entrepreneurs développent leur compétence sociale afin de faire bonne impression dans les interactions initiales avec les ICR est inconnue et cette étude se propose d’explorer cette avenue.

Pour développer leurs compétences, un nombre croissant d’entrepreneurs s’affilient à des accélérateurs (Pauwels et al., 2016). La littérature se focalise sur la manière dont ces accompagnateurs fournissent des espaces et du soutien (Bruneel et al., 2012). Cette recherche s’en démarque en s’intéressant à la manière dont les accélérateurs entrainent les entrepreneurs à faire bonne impression dans les interactions avec les ICR.

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Je présente dans le tableau 9 un résumé du croisement des trois courants de littérature mobilisés dans cette revue en mettant en relief les vides que cette recherche explore.

Tableau 9: Synthèse de la littérature

Littérature Principales contributions Écart dans la littérature Principales références Le capital de risque

Les ICR ont un processus d’investissement rigoureux. Leurs principaux critères sont connus, mais d’autres critères subjectifs et instables influencent leurs décisions. Il faut gérer leurs impressions pour avoir du succès.

Les entrepreneurs rencontrent d’importants défis de légitimité dans les étapes initiales du processus d’investissement. La manière dont ils se préparent pour affronter ces étapes est inconnue. (Clarke, 2011) (Nagy et al., 2012) (Simic, 2015) (Tyebjee et Bruno, 1984) Légitimité en entrepreneuriat Dans la perspective de la gestion des impressions, les travaux stipulent que l’utilisation des tactiques de gestion des impressions dans le processus d’investissement aide les entreprises en démarrage à être légitimes auprès des investisseurs.

Étant donné que les défis de légitimité se posent davantage dans les étapes initiales du processus d’investissement, et que la gestion des impressions permet de paraitre légitime, comment les entrepreneurs s’entrainent-ils à gérer les impressions des ICR avant même d’entamer ce processus ? (Fisher et al., 2017) (Mason et Harrisson, 2001) (Pollack et al., 2012) (Zimmerman et Zeitz, 2002) Accélérateurs

Les accélérateurs aident à rehausser les compétences des entrepreneurs. Ils leur offrent des espaces et du soutien.

Leur rôle a évolué vers la médiation, et ils augmentent le capital social des entrepreneurs dans leurs interactions avec les détenteurs de ressources.

La gestion des impressions des ICR afin de paraitre légitime dans les interactions étant une compétence critique chez les

entrepreneurs (compétence sociale), comment les accélérateurs parviennent-ils à renforcer cette compétence chez les entrepreneurs de leurs portefeuilles ?

(Bruneel et al., 2012) (Cohen, 2013b) (Hallen et al., 2016) (Pauwels et al., 2016)

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CHAPITRE 2

PROBLÉMATIQUE

Après avoir abordé les notions d’investissement en capital, de légitimité et d’accélérateur, je présente dans cette partie les principales problématiques auxquelles répond cette recherche. Je rappelle que mon objectif est d’examiner la manière dont les accélérateurs entrainent les entrepreneurs à établir la légitimité de leurs entreprises auprès des ICR. Le concept de légitimité est largement abordé dans la littérature en entrepreneuriat et plusieurs travaux instruisent sur la manière dont les entrepreneurs établissent ou défendent la légitimité de leurs entreprises (Aldrich et Fiol, 1994; Garud et al., 2014; Zimmerman et Zeitz, 2002). Cependant, la manière dont ils s’entrainent à établir cette légitimité demeure un domaine non encore exploré. Étant donné les difficultés qu’éprouvent les entrepreneurs innovants en démarrage à convaincre les investisseurs en capital de risque, je crois qu’il est important d’explorer ce phénomène.

Le processus d’investissement des ICR se fait en plusieurs étapes et il est important de savoir à partir de quand une entreprise peut être considérée comme légitime pour ces investisseurs, et quelles dimensions de la légitimité sont privilégiées ou construites.

Dans la section suivante, je reviens sur le concept de légitimité, et aborde l’importance de la gestion des impressions dans le processus de légitimation. Je traite aussi de la manière dont les accélérateurs entrainent les entrepreneurs à gérer les impressions des ICR dans le but d’établir la légitimité de leurs entreprises.

2.1 L’entrainement à la construction de la légitimité par la gestion des impressions