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Les différentiels salariaux inter-industriels 46

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 65-69)

Section 2 Les sources institutionnelles des différentiels salariaux

2.1 Les différentiels salariaux inter-industriels 46

D’après le modèle concurrentiel néoclassique, les écarts salariaux entre les individus correspondent aux différences de productivité du travail. Deux individus aux caractéristiques productifs identiques obtiennent forcément le même salaire. Les salaires ne doivent pas être influencés par les attributs des employeurs dans différents secteurs.

Pourtant, l’existence des différentiels salariaux inter-industriels a été mise en évidence, d’abord par une étude de Slichter (1950), qui souligne le fait que les employés apparemment homogènes gagnent des salaires significativement différents dans différents secteurs industriels aux Etats-Unis. Il montre que les salaires sont positivement corrélés avec la capacité à payer de l’employeur. Plus d’études sur les différentiels salariaux inter-industriels apparaissent dans les années 1960 et au début des années 1970. Ces études mettent l’accent sur le côté demande du marché du travail et examinent les impacts des caractéristiques industriels (profits, degré de la concentration du marché, présence du syndicat, taille de la firme) sur les écarts salariaux inter-industriels (Rapping, 1967 ; Masters, 1969 ; Kumar, 1972). Jusqu’alors, ces recherches n’ont pas un fondement théorique formel. En quelque sorte, leurs hypothèses se basent sur un modèle de négociation qui explique les salaires plus élevés par le pouvoir du marché de la firme, sa capacité à payer ainsi que la force du syndicat.

46 La revue de la littérature sur les différentiels salariaux inter-industriels s’appuie sur Romaguera (1991) et Plasman et al. (2006).

Dans les années 1970, les développements du modèle du capital humain s’orientent vers l’aspect « offre de travail ». De nombreuses études se concentrent sur le rôle des variables du capital humain (l’éducation et l’expérience) dans la détermination de salaires. A la fin des années 1980, les discussions sur les différentiels salariaux inter-industriels se réaniment dans le contexte du débat sur les causes des inégalités salariales aux Etats-Unis. Dickens et Katz (1987a, b), Krueger et Summers (1987, 1988) et Katz et Summers (1989) confirment la persistance des différentiels salariaux inter-industriels pour les individus aux caractéristiques et aux conditions du travail identiques. En particulier, ils contribuent à l’amélioration du fondement théorique des analyses des différentiels salariaux inter-industriels, en basant leurs analyses sur les théories de salaires d’efficience et le partage de la rente47.

2.1.1 Les théories du salaire d’efficience

Les théories du salaire d’efficience trouvent leur point de départ avec les travaux de Leibenstein (1957) qui s’intéresse aux pays en développement. L’auteur suggère qu’un accroissement du salaire permet aux travailleurs de mieux se nourrir, ce qui aura pour conséquence d’améliorer la productivité des travailleurs. Ce raisonnement ne s’applique pas aux pays industrialisés, mais il indique la possibilité d’un impact positif du salaire sur la productivité.

Les théories du salaire d’efficience reposent sur l’idée qu’un employeur peut payer des salaires élevés afin d’encourager ses employés à fournir plus d’efforts. Nous retrouvons quatre types d’explications qui mettent en évidence une relation positive entre le salaire et la productivité (Cahuc et Zylberberg, 1996) :

1. Les coûts de rotation de la main-d’œuvre (Stiglitz, 1974 ; Salop, 1979) Le départ de certains types d’employés représente des coûts importants pour les firmes, liés au recrutement et à la formation des nouveaux employés. Donc les firmes

47 Nous trouvons aussi les explications pour les différentiels salariaux inter-industriels qui sont compatibles avec le modèle concurrentiel, comme les différentiels transitoires, les différences compensatrices et la qualité non observée des travailleurs. Certaines études soutiennent l’hypothèse que les capacités inobservées expliquent une grande partie des différentiels salariaux inter-industriels (Abowd et al., 1999 ; Benito, 2000 ; Carruth et al., 2004 ; Goux et Maurin, 1999), d’autres rejettent cette hypothèse et affirment l’existence du facteur non-concurrentiel (Blackburn et Neumark, 1991 ; Gibbon et Katz, 1992 ; Martins, 2004).

sont incitées à appliquer les salaires plus élevés pour limiter la rotation de la main-d’œuvre et augmenter la productivité du travail.

2. Le problème d’antisélection (Weiss, 1980)

Un employeur ne peut qu’observer imparfaitement les capacités productives des candidats d’un emploi. Pour faire face à ce problème d’antisélection, il augmente le salaire afin d’attirer les meilleurs personnes.

3. Le problème d’aléa-moral (Shapiro et Stiglitz, 1984)

Un employeur ne peut pas observer directement les efforts fournis par les employés, ces derniers peuvent avoir intérêt à tirer-au-flanc. Pour faire face à ce problème d’aléa moral, l’employeur offre les salaires plus élevés pour inciter les employés à fournir les efforts attendus, surtout dans les grandes entreprises, à cause de leurs coûts de surveillance plus élevés.

4. L’équité élément de la relation salariale (Akerlof, 1982)

Il est supposé que les individus tiennent à un sentiment d’équité dans le déroulement des transactions (Adams, 1963). Cette approche est appliquée aux relations du travail au sein des entreprises. Un employé attend que ses efforts soient récompensés par une rémunération perçue comme juste ou équitable, et l’employeur reçoit en échange les efforts fournis lui aussi perçus comme équitable. Par conséquent, il y a une corrélation positive entre le salaire et la productivité.

2.1.2 La théorie du partage de la rente48

Le partage de la rente est souvent discuté dans le cadre de la théorie des négociations collectives ou bien dans celui de la théorie des insiders-outsiders. De nombreuses études explorent la relation entre le pouvoir de la négociation des employés, la rentabilité de la firme et le salaire, et mettent en évidence le rôle du partage de la rente (Abowd et Lemieux, 1993 ; Blanchflower et al., 1990 ; Beckerman et Jenkinson, 1990 ; Blanchflower et al., 1996; Christofides et Oswald, 1992 ; Hildreth et Oswald, 1997 ; Holmlund et Zetterberg, 1991 ; Nickell et Wadhwani, 1990).

48 Ce bref aperçu de la théorie se réfère à Cahuc et Zylberberg (1996).

a. La théorie des négociations collectives

Dans beaucoup de pays industrialisés, une large partie des salaires est déterminée par des conventions collectives résultant de négociations entre les représentants des salariés (le syndicat) et les employeurs (le patronat). Cette pratique dévie de la concurrence parfaite. Elle s’écarte aussi du principe de salaire d’efficience.

Dans ce cas-là, les deux parties recherchent un accord sur le partage du résultat des activités qui dépend du pouvoir de chaque partie. Le taux de chômage élevé sur le marché renforce le pouvoir de négociation de l’employeur, tandis que les profits élevés augmentent la capacité du syndicat à revendiquer plus de salaires49. Dickens (1986) propose un modèle de la menace du syndicat (« union-threat model ») qui explique les salaires au-delà du niveau concurrentiel par la présence du syndicat ou par la menace de l’action collective des travailleurs.

b. La théorie des insiders-outsiders

Le modèle d’insider-outsider peut être considéré comme une variante au modèle des négociations collectives, où le partage de la rente est non syndicalisé. Dans le modèle des négociations collectives, il est supposé que le syndicat représentait l’ensemble des salariés du bassin d’emploi de la firme. Cependant, les travailleurs n’ont pas tous le même statut. Les chômeurs, considérés comme des « outsiders », sont exclus du processus de négociations. En revanche, les employés, qui sont les « insiders », peuvent défendre leur intérêt et exploiter d’éventuelles rentes de situation. Dans un marché du travail concurrentiel, l’augmentation de la productivité conduit à l’expansion de la production et de l’emploi, au salaire fixe. Par contre, en présence du pouvoir des insiders, les gains de la productivité sont largement appropriés par les employés sous forme de salaires plus élevés50.

Le partage de la rente engendre l’inefficience puisque la détermination de salaires ne résulte pas de la maximisation du profit. Néanmoins, l’hypothèse du partage de la rente est étroitement liée aux théories du salaire d’efficience (Krueger et Summers, 1988). Comme le souligne Levine (1992), en nombreux aspects, ces deux explications sont complémentaires. L’hypothèse des salaires d’efficience consiste à dire que les

49 Voir De Menil (1971), Layard et Nickell (1986), Blanchflower et al. (1990), Christofides et Oswald (1992) pour la présentation formelle des modèles.

50 Voir Blanchard et Summers (1986), Blanchflower et al. (1990), Lindbeck et Snower (1987), Solow (1985).

firmes peuvent réduire les coûts par l’augmentation des salaires ; l’hypothèse du partage de la rente implique que les employés ont le pouvoir de négocier les salaires plus élevés et que les employeurs sont contraints à partager une partie de leurs profits avec les employés51. Krueger et Summers (1988) argumentent que quand une firme génère la rente, elle a l’intérêt à partager avec les employés pour motiver leur co-opération, et que l’effet incitatif du partage de la rente atténue les coûts de l’inefficience qu’il engendre.

Ils préfèrent considérer le partage de la rente comme un cas spécial des théories de salaire d’efficience que comme une explication alternative des différentiels salariaux inter-industriels.

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