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Les différentes oppositions catégorielles du genre

dualisme sexué »

3.1 Q UÊTE ORIGINELLE DU SENS ET LOGIQUE D ’ OPPOSITION

3.1.3 Les différentes oppositions catégorielles du genre

Puisque les « catégories humain/non-humain et personnel/non-personnel tendent souvent à se superposer, du moins partiellement et parfois à se fondre » (Violi, 1987 : 16), les deux oppositions les plus importantes semblent être animé/inanimé puis masculin/ féminin. Au départ, l’opposition présente au premier niveau hiérarchique, aussi appelée « opposition première » (Perry, 2003b) est animé/inanimé (Hjelmslev, 1956).

Edward Sapir rappelle également l’importance de la classification nominale pour les langues indo-européennes :

In the Indo-European and Semitic languages […] noun classification on the basis of gender is a vital principle of structure; but in most of the other languages of the world this principle is absent, although other methods of noun classification are found (1933 : 162).

Cette organisation est représentée par Antoine Meillet (1921) selon le schéma suivant :

Schéma 4 : L’organisation du genre dans les langues indo-européennes.

Au fil de l’histoire, on observe une mutation d’une opposition première à l’autre. Ainsi, pour la très grande majorité des langues indo-européennes, « la distinction animé/inanimé tend à disparaître partout, tandis que la distinction masculin/féminin se développe et devient dominante » (Violi, 1987 : 16) : en d’autres termes, les objets de l’expérience sont classifiés dans un premier temps par l’opposition masculin/féminin alors qu’il serait plus logique qu’ils le soient d’abord par l’opposition animé/inanimé. La distinction entre animé et inanimé est alors représentée : soit à l’intérieur du masculin, ce qui peut être un indice expliquant son statut de pseudo-générique dans de nombreuses langues ; soit à l’intérieur du pluriel.

Antoine Meillet propose une typologie des systèmes allant de deux à quatre catégories. On note que les catégories neutre et commun s’ajoutent à l’opposition masculin/féminin qui s’exprime ainsi sous différentes formes et à différents degrés de visibilité. Le terme neutre désigne ce qui est « ni masculin, ni féminin » et le terme commun est utilisé « pour le masculin et le féminin ensemble » (d’après Violi). On peut ainsi avoir trois possibilités d’organisation :

- les langues à quatre catégories, comme le danois

Schéma 5 : L’organisation type des langues à 4 catégories.

Masculin  Animé   Féminin Genre  Inanimé  Neutre commun --- masculin féminin --- neutre

- les langues à trois catégories comme l’anglais, l’allemand, le grec, l’islandais.

Schéma 6 : L’organisation type des langues à 3 catégories.

- les langues à deux catégories (masculin/féminin) comme toutes les langues romanes, dont le français82.

Ainsi, dans les langues (citées ci-dessus) telles qu’elles sont utilisées aujourd’hui, le genre est organisé a minima sur l’opposition masculin/féminin : c’est cette opposition qui est devenue le « principe vital de la structure » (Sapir, 1933 : 162) des langues indo- européennes bien que ce soit une « opposition [dite] ‘naturelle’ déjà symbolisée » (Violi, 1987 : 19)83. Ce genre-là, figé dans le masculin opposé au féminin, semble être au cœur de la théorie différentialiste des sexes, qui est donc le premier signal de la hiérarchisation sociale (cf. chapitre 1). Il répond au « besoin de différence » constitutif des sociétés humaines. Henriette Walter rappelle qu’en

étudiant l’ensemble des anciens termes de parenté communs, les linguistes ont aussi pu apporter des éléments d’information permettant de mieux connaître les peuples qui parlaient ces langues. Il ressort de leurs travaux l’image d’une société fortement hiérarchisée, dominée par la toute-puissance du père, qui apparaissait non pas comme le géniteur, mais comme le chef suprême de la grande famille. C’est ce sens qu’avait le mot paterfamilias en latin. Tous lui devaient une obéissance absolue, même la mère, qui n’était elle-même considérée que comme la personne qui met les enfants au monde (Walter, 1994 : 20).

La charge mythique de l’opposition serait donc fondée sur la soumission de la « femelle humaine » qui est aussi « mère » et dont la fonction est de produire la descendance du « père », qui n’est pas nécessairement incarné par l’« humain mâle », mais qui désigne la personne qui détient le pouvoir absolu.

82 Pour le genre et la fonction du neutre dans la langue espagnole, voir les travaux de Dolores Sanchez (ex :

2004 ; autres références dans la bibliographie)

83 Ce raisonnement peut s’appliquer à toutes les dichotomies sémantiques (l’opposition animé/inanimé n’a

pas la même valeur en fonction des religions). Seule la dichotomie personnel/non-personnel semble échapper à ces critiques.

masculin féminin

--- neutre

Greville Corbett, dans une étude beaucoup plus récente et moins spéculative que celle d’Antoine Meillet, affirme : « divisions into animate and inanimate, or human and non- human, function in language exactly as does the division into female and male » (1991 : 3). Son raisonnement ne s’applique qu’au fonctionnement formel.

En effet, ces catégories qui s’opposent ne sont pas superposables les unes aux autres, sauf si sont déjà admises comme naturelles (valeurs intrinsèques) et non culturelles (valeurs construites et relatives) les analogies sémantiques dénoncées par Patrizia Violi (cf. supra) et reprises dans le tableau ci-après.

Tableau 3 : Les oppositions catégorielles du genre

A B C D E F

Masculin Homme Animé Doté de vie Humain Culture

Féminin Femme Inanimé Privé de vie Non-humain Nature Si le sens fonctionne par opposition dans la langue, c’est pour des raisons pratiques. Dans le tableau ci-dessus, l’opposition n’est légitime linguistiquement que si la lecture est verticale (colonnes A à F). Par contre, proposer une lecture horizontale (A = B = C = D = E = F) revient à cautionner les analogies et donc renforcer le sexisme par la logique d’opposition. De plus, si ces analogies produisent des stéréotypes au détriment des deux pôles de l’opposition, elles reposent surtout sur une dévalorisation très nette du pôle « féminin » (A), renvoyant la « femme » (B) à l’ « inanimé » (C), au « privé de vie » (D), au « non-humain » (E) et à la « nature » (F), ce que font les linguistes ayant voulu expliquer le genre par des raisonnements plus philosophiques et/ou anthropologiques que linguistiques (cf. les nombreux travaux critiques d’Edwige Khazdnadar et de Claire Michard sur leur discours).

En d’autres termes, il apparaît impossible de « penser le genre » et l’absence de hiérarchie/asymétrie entre les sexes (comme le souhaite Christine Delphy) sans remettre en cause le fonctionnement binaire de l’opposition première inscrite dans la langue et mythologisée par des analogies. Si le genre précède le sexe dans la constitution des catégories, c’est sans doute qu’il est impossible de « penser le sexe » sans le métaphoriser. Mais la métaphorisation sexiste repose sur l’attribution de qualités spécifiques à chaque catégorie et sur les rapprochements faits, par le biais du genre masculin/féminin, entre « qualité, personne et action » (comme le dénonce Edward Sapir).

Attribuer au genre une valence sémantique et soutenir que c’est sur la base de cette signification que la catégorie se constitue en tant que forme grammaticale […] implique des questions de portée plus générale, comme la non-neutralité de la langue à l’égard de la différence sexuelle et la possibilité de lire l’opposition masculin/féminin que la grammaire a inscrite dans la langue, comme une opposition significative en soi (Violi, 1987 : 15).

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