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Le genre et l’opposition symbolico-sociale masculin/féminin

Chapitre 1 – Sexe et genre

1.1 L E CONCEPT DE GENRE

1.1.2 Le genre et l’opposition symbolico-sociale masculin/féminin

Dès les années 1930, Margaret Mead pose les questions fondamentales de la construction sociale des rôles de sexe, en montrant la diversité, dans les sociétés non-occidentales, des définitions sociales du « masculin », du « féminin » (traductions de maleness et femaleness) et donc des rapports entre hommes et femmes.

En 1935, dans Sex and Temperament in Three Primitive Societies, elle rapporte son étude de trois populations de Nouvelle-Guinée :

Ni les Arapesh, ni les Mundugumor n’ont éprouvé le besoin d’instituer une différence entre les sexes. L’idéal arapesh est celui d’un homme doux et sensible, marié à une femme également douce et sensible. Pour les Mundugumor, c’est celui d’un homme violent et agressif marié à une femme tout aussi violente et agressive. Les Tchambuli, en revanche, nous ont donné une image renversée de ce qui se passe dans notre société. La femme y est le partenaire dominant ; elle a la tête froide et c’est elle qui mène la barque ; l’homme est, des deux, le moins capable et le plus émotif. D’une telle confrontation se dégagent des conclusions très précises. Si certaines attitudes, que nous considérons comme traditionnellement associées au féminin – telle que la passivité, la sensibilité, l’amour des enfants – peuvent si aisément être typiques des hommes d’une tribu, et dans une autre, au contraire, être rejetées par la majorité des hommes comme des femmes, nous n’avons plus aucune raison de croire qu’elles soient irrévocablement déterminées par le sexe de l’individu (1935 ; trad. 1963). Près de 60 ans plus tard, Irene Visser fait le même constat. À partir d’un test sur les stéréotypes de sexe (gender prototypes), proposé à de jeunes étudiants et étudiantes27, elle montre que la construction inconsciente du genre est toujours fondée sur l’opposition symbolique des valeurs traditionnellement associées au masculin/féminin « dans nos sociétés » (cf. tableau ci-après).

En dépit des nuances relatives à l’époque de chacune des recherches28

, la bipartition symbolique repose globalement sur les mêmes schèmes oppositionnels. On retrouve ce que disait Margaret Mead en 1935 sur la tradition occidentale : « le féminin », objet du désir, repose sur le lien affectif (emotional), la famille (family-oriented), le soin (nurturing), la sensibilité (sympathetic, gentle), etc. et surtout, il se construit toujours dans la dépendance à son opposé, « le masculin ».

27 Il s’agissait d’étudiants et d’étudiantes en première année d’anglais, de nationalité néerlandaise, âgés de

18 à 24 ans (moyenne d’âge de 19,6 ans)

28

On note, par exemple, que la plus grande visibilité du travail des femmes aujourd’hui fait émerger le terme independent dans l’enquête d’Irene Visser.

Tableau 1 : Les stéréotypes du féminin/masculin (d’après Irene Visser 2002 : 531)

Feminine Masculine

Critical of own appearance Career-oriented

Concerned with outward appearance Independent

Emotional Strong

Creative Finding pleasure in control

Independent Active

Self-conscious Adventurous

Nurturing Dominant

Family-oriented Interested in technology

Sympathetic In control

Gentle Self-reliant

Active Commanding respect

Reading for pleasure Rational

Imaginative Self-conscious

Object of desire Desiring supremacy

Self-reliant Sex seen as power / empowering

Pour Subhadra Mitra Channa (2003), l’apport théorique de Margaret Mead préfigure le concept de genre, dans la mesure où les études sur le genre visent à montrer que la libération des femmes de leurs rôles traditionnels est consubstantielle à celle des hommes. C’est en effet ce que propose Margaret Mead : tout en questionnant la validité universelle des stéréotypes masculins et féminins, elle amorce une réflexion sur le sentiment d’inadéquation (sentiment d’exclusion d’un groupe social) que chaque personne peut ressentir face à ces stéréotypes et sur la nécessité corrélative du changement social. Dans Male and Female, paru en 194929, on peut lire :

Different cultures have styled the relationships between men and women differently. When they have styled the roles so that they fitted well together, so that law and custom, ideal and practical possibilities were reasonably close together, the men and the women who lived within that society have been fortunate. But to the degree that there have been discrepancies in the two roles, […] then both men and women suffer. The suffering of either sex – of the male who is unable, because of the way in which he was reared, to take the strong initiating or patriarchal role that is still demanded of him, or of the female who has been given too much freedom of movement as a child to stay placidly within the house as an adult – this suffering, this discrepancy, this sense of failure in a enjoined role, is the point of leverage for social change (1949 [ed. 1967 : 298]).

Humaniste engagée, Margaret Mead déclare ainsi que la souffrance des personnes qui ne peuvent pas « s’adapter » à ces assignations binaires, accepter le rôle patriarcal pour l’homme, rester confinée dans l’univers domestique pour la femme, cette souffrance

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L’ouvrage est issu des conférences données en novembre 1946 pour l’Université de Stanford et l’Université de Californie à San Francisco (note de Margaret Mead).

même légitime le changement social. Elle insiste sur les revendications de changement (elle cite le mouvement féministe, ibid., p.30) pour libérer à la fois les hommes et les femmes de ces assignations : libérer les hommes de leurs responsabilités et rendre leurs droits sociaux aux femmes (ibid., p.299). Elle est bien consciente de l’effort mental que cette transformation suppose :

It takes considerable effort on the part of both men and women to reorient ourselves to thinking – when we think basically – that this is a world made not by men alone, in which women are unwilling and helpless dupes and fools or else powerful schemers hiding their power under their ruffled petticoats, but a world made by mankind for human beings of both sexes (ibid, p.299-300).

Pour elle, la souffrance est conjointe (« Where one sex suffers, the other suffers two », ibid., p. 300) : son hypothèse repose sur l’idée que les garçons sont façonnés pour dominer leurs émotions alors que les femmes pourront les manifester. Toutefois, elle reconnaît aussi l’oppression universelle des femmes et leur réduction, par les assignations de rôle de sexe, à des êtres soumis ou stratégiquement sexués.

À la suite de Margaret Mead, les recherches en anthropologie confirment que la différenciation/hiérarchisation sexuelle est identifiable dans tous les types de sociétés. Françoise Héritier observe le caractère universel de la « prééminence masculine », qu’elle analyse au travers du concept de « valence différentielle des sexes ». Elle affirme qu’il « n’y a pas de société possible sans différence des sexes, ni du point de vue cognitif, ni du point de vue social ». Même si l’hypothèse majeure de Françoise Héritier est que la différenciation/hiérarchisation sexuelle repose sur la volonté de contrôle de la reproduction des femmes, l’enjeu politique est de « dissoudre la hiérarchie » et non la différenciation entre les sexes (1996 : 15-29 ; 1999).

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