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L’universel au masculin dans la Déclaration de

dualisme sexué »

4.1 L E GENRE FAIT LA LO

4.1.2 L’universel au masculin dans la Déclaration de

Dans un message publié le 8 juillet 2010 sur la liste d’échanges Études Féministes, réagissant à l’annonce de la publication du dossier collectif « L’Homme de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est-il une femme ? »115, Michèle Dayras, présidente et fondatrice de l’association SOS sexisme,116 répondait immédiatement :

L’homme de la Déclaration de 1789 était un homme ; le titre l’exprime bien ! Il ne s’agissait ni de l’être humain, ni de la personne humaine, ni des humains, comme dans la Déclaration des Droits Humains des Nations-Unies. Le fait que les françaises acceptent l’emploi du mot ‘homme’ sans broncher, pensant qu’elles sont comprises dans cette terminologie, est une erreur monstrueuse. En 1789 les femmes n’ont obtenu aucun droit.

De même, lors de la rédaction de la Charte des Droits fondamentaux de l’UE [Union Européenne], elles ont failli ne pas en avoir non plus, car le mot ‘homme’ était partout. Je leur ai dit de se méfier ; la CLEF [Coordination Française pour le Lobby Européen

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Voir le dossier : http://www.cliothemis.com/Clio-Themis-numero-3.

des Femmes117] a contesté, à temps, cette version du texte et les femmes ont été incluses dans les droits basiques de l’Europe des années 2000.

N’oublions jamais que les rédacteurs de la Déclaration onusienne de 1949 voulaient mettre « Man Rights » et que la seule femme présente, Eleanor Roosevelt, s’est battue pour que soit inscrit « Human Rights », que la France machiste traduit par « Droits de l’homme », contrairement au Québec francophone qui écrit « Droits de la personne humaine ». Les hommes oublieront, encore et encore, les femmes dans les textes législatifs de portée universelle, avec un grand brio et aucun scrupule, si ces dernières n’y prennent garde. […]

Sa réaction véhémente est caractéristique de la passion qui anime en France le débat sur « l’universalité du masculin » car on y retrouve :

- le rappel du texte de la Déclaration de 1789 ;

- la spécificité de la France au sein des pays francophones ;

- le combat à mener au niveau international (cf. l’introduction de ce chapitre) - la comparaison avec l’expression sexiste en anglais.

Pour ce qui est du premier point cité ci-dessus, Rachele Raus précise, en introduction du dossier collectif incriminé par Michèle Dayras et cité ci-dessus, que :

la lexie « Homme », telle qu’elle apparaît dans la Déclaration de 1789, serait d’abord une abstraction conçue par le législateur dans une visée universaliste, qui en pratique aurait souvent abouti à des réalisations excluant des individus précis comme les enfants ou les femmes. […] Qui est donc cet « Homme » de la Déclaration de 1789 au-delà de l’abstraction universaliste ? Est-ce qu’il peut être réduit au « neutre » asexué dont on a toujours parlé, ou bien renvoie-t-il à une vision précise de la société, et par là à l’idéologie de l’époque révolutionnaire ? L’approche genrée qui est la nôtre nous permet d’abord de voir que cet « Homme » non seulement s’incarne dans un individu, ou plutôt dans une figure précise, celle du pater familias (Anne Verjus), mais aussi que derrière cette abstraction, on finit par institutionnaliser une vision précise de la société et par là des relations spécifiques entre les individus et le pouvoir économique et sociopolitique. On est donc loin d’un être asexué (Raus, 2010 : 1 et 4). Puisque, malgré leur participation à l’action révolutionnaire, les Françaises n’ont pas été reconnues comme citoyennes, c’est bien autant à l’« homme » en tant qu’individu suprême et qu’abstraction de la « domination masculine » (Bourdieu, 1998) ou du système patriarcal (Delphy) que réfère le terme Homme. La présence d’un « H »

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« La Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes (C.L.E.F.) créée en 1991, est la branche française du Lobby [Européen des Femmes]. Elle a quelques 70 associations, fédérations et réseaux de femmes en France comme adhérentes; elle n’a pas d’adhérentes individuelles. A l’instar du Lobby, ces associations ont des objectifs très variés mais tous liés à l’égalité femmes/hommes ». Voir le site du Cercle d’Étude de Réformes Féministes [http://www.c-e-r-f.org] ou du Lobby Européen des Femmes [http://www.womenlobby.org].

majuscule ne cache d’ailleurs en rien la désignation spécifique (bien que le jeu sur la minuscule/majuscule du terme serve parfois communément d’argument universaliste). C’est bien ainsi qu’Olympe de Gouge interpréta le texte pour écrire en 1791 sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne puisqu’elle remplaça littéralement « homme » par « femme » puis fut contrainte de redoubler « citoyen » avec « citoyenne » (je souligne) à cause du binarisme du genre en français :

Article 6 : La loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens118 doivent concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous ; toutes les citoyennes et tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

Olympe de Gouge osa aller plus loin que l’égalité, inverser les valeurs et avancer que, non seulement les femmes étaient différentes des hommes mais supérieures : « le sexe supérieur en beauté comme en courage » disait-elle en préambule de sa déclaration. La réponse à ses « positions d’avant-garde, courageusement exprimées, sur la condition des Noirs et celle des femmes » a été on ne peut plus radicale. Ses écrits politiques furent « cités par l’accusateur public […] surtout Les Trois Urnes, un manifeste jugé ‘attentatoire à la souveraineté nationale’ et qui justifia la peine de mort » (Blanc, 2008) : Olympe de Gouges fut guillotinée le 3 novembre 1793119.

Cette radicalité est désormais focalisée sur des aspects plus symboliques, mais l’idéologie universaliste de la Révolution Française est aujourd’hui portée et défendue par les mêmes institutions, plutôt conservatrices, qui réfutent l’utilité du concept de genre (cf. 1.1.1) : « Le volontarisme linguistique ne crée [pas] la parité hommes-femmes » affirme Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire Perpétuel de l’Académie Française, lors de la séance publique annuelle du jeudi 5 décembre 2002. Sa déclaration reflète bien la situation en France : jusqu’à présent, les démarches visant à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titres ont été détournées et occultées par des débats polémiques entre

118 On note dans la première occurrence que « toutes », qui englobe « citoyenne et citoyens » est une forme

de féminin générique (accordé avec le terme le plus proche), ce qui n’est pas le cas ensuite avec l’apparition de « tous ». Cette règle d’accord dite « règle de proximité » est explicitée en 4.2.2.3.

119 Voir l’article de novembre 2008 du Monde Diplomatique, « Celle qui voulut politiquer » de l’historien

Olivier Blanc, auteur de Marie-Olympe de Gouges. Une humaniste à la fin du XVIIIe siècle, René Viénet, Cahors, 2003.

les différentes instances censées statuer en matière de langue, de norme et de diffusion de la norme120.

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