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Types de lexies

1.1.5. Le statut problématique du néologisme et la difficulté lié à l’étude

1.1.5.3. Les dictionnaires et le problème d’incorporation de néologismes

Les dictionnaires sont considérés comme le point d’arrivée des néologismes et la fin du statut néologique des nouveaux mots. Ces grands ouvrages sont des références pour le chercheur en lexicologie dans la mesure où ils sont pris comme un corpus d’exclusion pour repérer les néologismes.

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A ce propos, Altamanova, dans le numéro 32 de La revue scientifique LINGUISTICA, souligne :

L’ouvrage lexicographique sert également en tant que corpus d’exclusion pour les mots perçus comme nouveaux : ainsi un mot qui n’est pas répertorié dans la nomenclature d’un dictionnaire peut être considéré comme non lexicalisé et donc de formation récente. Le rôle du dictionnaire est celui de déterminer et de mesurer le statut néologique d’un mot. Le parlant recourt au dictionnaire pour vérifier si son intuition à l’égard du caractère néologique d’une lexie est correcte. (Altamanova, 2008, p. 30)

. Or, le problème des dictionnaires comme corpus d’exclusion n’est pas aussi simple qu’il semble l’être. En effet, les chercheurs dans le domaine en question se retrouvent le plus souvent éparpillés entre les différentes éditions des dictionnaires sans jamais être rassuré de la convergence de ces derniers car l’incorporation des néologismes ne se fait pas simultanément.

L’autre raison de la perplexité des chercheurs est celle liée à des considérations morales, comme le montre Sablayrolles :

Aucun dictionnaire ne prétend être exhaustif et incorporer la totalité du lexique français, pour de multiples raisons. […] L’exclusion dans nombre de dictionnaires de mots considérés comme bas, grossiers, orduriers. […] Les mots à connotation sexiste ou raciste qui sont stigmatisés et qui peuvent poser de délicats problèmes de choix aux lexicographes. (Sablayrolles, 2006, pp. 143-144)

Cependant, peut-on considérer un mot non incorporé aux dictionnaires comme néologisme alors que sa diffusion est largement répandue au sein de la communauté linguistique ? À cette question, le même linguiste répond dans le même texte :

Mais si, pour des raisons morales, et non par ignorance, les lexicographes rejettent ces mots, ce n’est pas pour autant qu’ils deviennent des néologismes. Ce respect de valeurs humanistes fondamentales n’est pas la seule source d’absence de mots non néologiques dans les nomenclatures. Les contraintes dictionnairiques liées au volume des ouvrages papier obligent à ne pas incorporer des mots considérés comme désuets, rares ou trop techniques. […] Parfois, encore, c’est la frilosité des maisons d’édition qui fait retarder l’incorporation de mots bien après qu’ils sont entrés dans l’usage. L’éditeur songe à sa clientèle qu’il ne veut pas s’aliéner et préfère souvent adopter une attitude prudente pour ne pas choquer ou déstabiliser son lectorat, qui est, en France, assez traditionaliste et peu enclin à l’innovation lexicale. (ibid)

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Altamanova (2008, p. 32) ajoute à cet effet : « répertorier tous les mots qui

composent une langue, dans un seul dictionnaire, qu’il soit monolingue ou bilingue, relève de l’utopie. »

À la lumière de ce qui a été dit, le néologisme représente un cas d’étude problématique dans son recensement et sa reconnaissance vu la délicatesse de son statut et la divergence des opinions sur son attestation.

Pour les utilisateurs de la langue française que nous sommes, les dictionnaires demeurent toujours le repère et le censeur qui nous permettent de considérer tel mot comme néologique parce qu’il ne figure pas dans les nomenclatures et par conséquent nous éprouvons un sentiment de condamnation à l’égard de son emploi qui devient tabou.

Ainsi, sommes-nous en mesure de noter que le lexicographe s’inscrit, dans cette logique, comme un juge permettant aux néologismes d’intégrer le dictionnaire et, de facto, la langue. Cependant, pour plusieurs motifs, les dictionnaires sont loin d’être des ouvrages complets et sans failles.

C’est pourquoi, au cours de notre recherche, nous nous sommes basé sur un seul dictionnaire papier, en l’occurrence Le petit Larousse illustré et deux versions électroniques sur le net du même dictionnaire.

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1.1.6. Conclusion

A la lumière de ce que nous venons de voir, il s’avère que la tendance morphologique du chroniqueur en matière de création lexicale est conforme au caractère fondamental des langues en général, lesquelles se forment à partir des mots qui représentent leur unité de base. Le chroniqueur concerné par notre étude n’échappe pas à la règle, il fait, le plus souvent, appel aux lexies simples qui correspondent aux mots simples dans la grammaire traditionnelle.

La particularité néologique de notre corpus d’étude, par rapport à d’autres que nous avons consultés, réside dans les catégories (« suites de mots » et « phrases complètes »). En effet, les suites de mots fréquemment sollicitées par le chroniqueur s’expliquent par le phénomène de l’alternance codique omniprésent dans les chroniques avec ces deux types, en l’occurrence intraphrastique pour la première catégorie et interphrastique pour la deuxième. Notre chroniqueur fait usage de ces catégories à des fins esthétiques afin d’assurer la musicalité de son texte et d’éviter le calque des structures syntaxiques au passage.

En outre, donner la vraie charge sémantique au mot de sa langue d’origine et rester dans l’univers du discours de ses lecteurs, sont des raisons convaincantes pour justifier l’usage de ces deux catégories.

Les lexies composées sont aussi présentes de manière récurrente dans notre corpus, ce qui est normal dans une chronique ou l’on pousse la langue vers ses limites expressives. La composition est considérée comme étant le procédé de création néologique le plus important et le plus utilisé dans ce domaine. Il faut rappeler que dans la grammaire traditionnelle, la lexie composée correspond au mot composé. Par lexie composée, on entend généralement la composition savante et la composition populaire. Dans le cas de notre étude, il est plus question de composition populaire que savante. Ceci est encore une fois relatif à la thématique de la chronique.

L’utilisation plus au moins fréquente et répétée des expressions figées renvoie à la thématique de la chronique, laquelle est d’ordre social. Aussi, est-il incontestable que le caractère social des langues fait de ces expressions une composante essentielle du répertoire langagier de la langue.

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Ne pouvant guère transgresser la culture de la société algérienne, et en raison de l’inexistence des expressions figées présentant un aspect culturel commun dans les deux langues, le chroniqueur s’amuse à manier les deux langues, français et arabe, pour être plus expressif et surtout plus proche de la réalité sociale et culturelle de ses lecteurs.

Aussi, nous avons pu constater à travers les différents points abordés dans le présent chapitre que l’étude des néologismes présente un nombre important de points problématiques, vu la complexité du phénomène linguistique. Un locuteur crée de nouveaux mots ou de nouvelles expressions volontairement pour combler une pauvreté lexicale ou fortuitement pour des raisons stylistiques et esthétiques, sans jamais prédire le succès et la « noblesse » de ces lexies qui auront des obstacles à franchir par la suite jusqu’à leur lexicalisation qui constitue le point d’arrivée.

Du point de vue lexicologique et lexicographique, les études théoriques s’accordent à admettre que l'usage fréquent et permanent lexicalise forcément le néologisme ; toutefois, le chemin vers les dictionnaires est miné d’obstacles. En effet, le manque de rigueur et d’exactitude dans la définition même du néologisme pose problème, son statut l’est pour autant du fait qu’on ne peut considérer comme néologisme toutes les nouvelles lexies dès le premier contact. Les critères de lexicalisation constituent aussi une autre question délicate à traiter avec beaucoup de réserve et dont la pertinence reste à perfectionner par les terminologues, les lexicologues et l’académie française.

D’autres obstacles sont aussi à dépasser lors du traitement du néologisme, tel le sentiment de nouveauté et la durée de vie de nouvelles unités lexicales qui n’est pas déterminable car relative à l’usage des sujets parlant. Par ailleurs, à l’opposé, un jugement intuitif que procurent des néologismes partiellement motivés, car formés à partir de lexies connues, complique davantage le processus de repérage. Nous avons vu au cours de notre développement que nombreux sont les néologismes qui, intuitivement, semblent lexicalisés en raison de leur motivation.

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Pour ce qui est de notre corpus, le chroniqueur El Guellil de « Tranche de vie » fait usage des néologismes objectifs le plus souvent ; nous avons pu constater qu’une majorité écrasante de ces derniers est de nature objective. Cette pratique rédactionnelle normale est justifiée par l’utilité du néologisme et son but dénominatif. C’est donc par besoin langagier, dans la plupart des cas, que le chroniqueur fait appel à son talent créateur.

Notre grille d’analyse nous révèle qu’un néologisme sur trois est utilisé pour des raisons sémantiques ; ceci ne prouve pas la pauvreté de la langue française mais s’explique par la nature des sujets abordés par le chroniqueur ; des sujets relatifs à la vie quotidienne propre à la société de l’ouest d’Algérie, car la charge sémantique d’un mot est plus forte lorsque ce dernier est employé dans son environnement socioculturel d’origine.

L’une des particularités néologiques de la chronique étudiée réside dans l’usage équilibré entre les considérations néologiques et les motifs d’utilisation. L’usage des néologismes est alternatif entre les trois motifs introduits dans notre analyse. Le chroniqueur est alternativement tenté par l’esthétique du texte, le besoin lexical et la charge sémantique des mots qu’il utilise pour charmer un lectorat bien précis ; celui de l’ouest algérien avec lequel il partage le même environnement discursif.

Chapitre II :

La presse écrite et l’environnement