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Les Déterminants Politiques des Marchés Financiers

0.19 L’Organisation et la Fonction des Marchés Financiers

0.20.2 Les Déterminants Politiques des Marchés Financiers

Rajan et Zingales (2000) ont aussi contribué au débat sur les déterminants du dévelop- pement des systèmes financiers en général et se sont concentrés beaucoup plus sur les influences politiques que sur celles économiques. En effet, Rajan et Zingales (2000), se plaçant dans un contexte historique soutiennent que, mis à part la Grande-Bretagne, les pays les plus développés en 1913 avaient des niveaux semblables de développement finan- cier. Ces auteurs soutiennent que ce sont avant tout les contextes politiques c’est à dire les politiques gouvernementales de soutien à la croissance des institutions financières et l’action des groupes d’intérêt qui ont déterminé le développement des marchés financiers.

Au 18ème et 19ème siècle par exemple, la petite noblesse, propriétaire terrienne, s’opposait typiquement au développement financier, tandis que la bourgeoisie industrielle se faisait l’avocate de cette cause.

Des auteurs comme Marx (1872), North (1990) et Olson (1993) développent un point de vue semblable et affirment qu’une fois qu’un groupe social accède au pouvoir, il conçoit sa poli- tique et les institutions afin de mieux servir ses intérêts. Ainsi, si l’élite pense qu’elle pourra par exemple s’enrichir avec des marchés concurrentiels et libres alors elle fera pression sur l’Etat pour créer des lois et des institutions pour stimuler le développement financier. Rajan et Zingales (2000) montrent aussi qu’en Grande Bretagne, en France et en Allemagne, ce sont les différences dans le pouvoir de l’Etat, combinées aux intérêts de l’élite qui ont déterminé le développement financier dans ces pays. L’aristocratie française d’avant le 19ème siècle, avait mis la pression sur la couronne pour contrecarrer la concurrence. Plus tard, la révolution française a renversé le Roi, mais a créé un gouvernement central puissant, qui a systématiquement renforcé le pouvoir de l’Etat et a vu des marchés financiers libres comme une menace. Comme en France, l’unification de l’Allemagne sous Bismarck a aussi favorisé la création d’un gouvernement central puissant qui a eu un effet circonspect sur les marchés financiers. Selon les mêmes auteurs, le cas de l’Angleterre était différent. Un parlement influent protégeait les droits des investisseurs individuels et c’est ainsi qu’ont pu émerger et se développer les marchés financiers.

La théorie politique soutient donc que les systèmes politiques centralisés, puissants, fermés sont plus susceptibles d’empêcher le développement financier que des systèmes politiques compétitifs et ouverts. Le fonctionnement approprié des institutions financières et des mar- chés exige des limites sur le pourvoir discrétionnaire du gouvernement, ce qui pourrait être incompatible avec les ambitions d’un Etat centralisé et puissant. De la même façon, un gou- vernement puissant et centralisé ne peut pas avec certitude s’engager à ne pas exproprier les détenteurs de droits de propriété ou surseoir sur leurs droits, et ces deux composantes sont importantes pour le bon fonctionnement des marchés financiers.

Dans certains environnements politiques, des groupes d’intérêt spéciaux peuvent contraindre les gouvernements à capturer certaines rentes au dépend d’autres groupes sociaux (voir Becker (1983)). Ainsi, les gouvernements qui reflètent les intérêts des groupes d’intérêt puissants peuvent être moins susceptibles de soutenir le développement des marchés finan-

ciers que ceux des pays où ceux-ci sont moins puissants. En outre, les systèmes législatifs qui permettent à certains groupes d’exercer une influence disproportionnée sur les légis- lateurs gêneront la promulgation de lois et de règlements qui favoriseront la compétition et le développement financier si ce dernier menace les intérêts de ces groupes. Un système politique décentralisé, ouvert et compétitif peut, quant à lui, offrir un environnement plus favorable pour le développement financier.

En somme, la théorie politique suggère que les systèmes politiques centralisés, qui font face à peu de concurrence, les structures politiques où le pouvoir discrétionnaire des élites est important, auront tendance à avoir des systèmes financiers moins développés que les pays ayant des gouvernements plus décentralisés, plus ouverts, plus concurrentiels et qui font face aux contrôles des pouvoirs exécutif et législatif. Rajan et Zingales (1999) voient même le système légal, les lois sur la protection des investisseurs et leur capacité d’exécution ainsi que le système financier comme une conséquence directe de ces forces politiques.

Une autre théorie politique s’intéresse quant à elle à l’impact de l’instabilité politique sur le développement des marchés financiers. L’instabilité politique est ici définie comme étant l’ensemble des troubles d’ordre politique tels que les situations de conflits armés, de guerre civile, de terrorisme ou de contestations violentes qui ont un impact sur l’équilibre socio-économique d’un pays. Cette littérature de l’instabilité s’est développée au cours de ces dernières années du fait de la résurgence des conflits armés dans le monde et des conséquences économiques et sociales qu’ils ont engendrées. En effet, selon Lidgren (2005), Fitzgerald (1987) et Samarasinghe et Richardson (1991), les conflits dans le monde ont non seulement augmenté en nombre et en intensité mais ils ont souvent entraîné des pertes équivalentes à plus de 50 pour cent du PIB d’avant conflit.

Toutefois, les sources des pertes économiques sont diverses. Elles vont de la fuite des ca- pitaux, de l’instabilité des règles institutionnelles à la myopie des entrepreneurs. En effet, Collier (1999) soutient que l’instabilité politique crée non seulement un contexte de fuite de capitaux mais affecte aussi lourdement les activités à forte intensité de capital. De plus, l’augmentation de la fuite des capitaux engendre une baisse de la demande d’investissement, ce qui affecte négativement le développement des marchés financiers. Qui plus est, le capital qui fuit n’est pas seulement financier, mais il est aussi humain car les travailleurs qualifiés émigrent dans de telles situations. Dans cet environnement risqué, les entrepreneurs qui

décident de rester ne seront pas disposés à investir dans des projets à long terme mais choisiront uniquement des projets ayant des rendements rapides et élevés, ce qui aggrave la situation du système financier.

Collier (1999) soutient également que l’instabilité réduit souvent les incitations d’investis- sements en capital social. En effet, en situation de conflit, les entrepreneurs voient peu d’intérêt à investir dans leur réputation s’ils s’attendent à ne pas être en mesure d’en tirer profit, cela en raison de l’extrême instabilité du pays. En outre, selon Maurer (2002) et Dye (2006), l’instabilité politique rend l’application des règles institutionnelles moins formelle, fait échouer les projets de réforme juridique, augmente les coûts d’exécution des contrats et réduit la sécurité des droits de propriété.

Du côté des gouvernements frappés par une situation d’instabilité politique, ils ne peuvent pas de façon crédible s’engager dans des politiques de long terme qui encouragent l’en- trepreneuriat, l’épargne et les activités financières. Par ailleurs, souvent, pour survivre ils se transforment en véritables Etats prédateurs et font main basse sur les actifs financiers existants. Par conséquent l’instabilité politique a un impact négatif très important sur le développement des marchés financiers. Cependant, Collier (1999) estime que la paix ne peut malheureusement pas recréer les caractéristiques fiscales ou de risque d’avant-guerre car il existe à la suite d’un conflit un plus grand risque de reprise de la guerre. De même, la réalité de la guerre n’est pas binaire, avec d’un côté certains pays souffrant de conflits violents et de l’autre certains bénéficiant d’un développement paisible et harmonieux. Il soutient que la proximité d’un pays avec une zone de conflits peut engendrer les mêmes effets négatifs, certes plus faibles mais tout autant préjudiciables.

Des études plus récentes ont tenté d’établir une causalité directe entre l’instabilité politique et le développement des marchés financiers. En effet, Outreville (1999), dans une approche originale, étudie cette relation en reliant l’indice d’instabilité politique d’Alesina et Perotti (1996) à la taille de la masse monétaire (M2). Les résulats empiriques, basés sur une analyse transversale de 57 pays en développement montrent que le capital humain et la stabilité politique sont les facteurs les plus importants qui expliquent le niveau de développement financier de ces marchés. Cependant, son étude ne contrôle pas pour les institutions légales, l’ouverture commerciale et les conditions coloniales qui sont apparues ces dernières années comme des déterminants importants du développement financier. De même, les résultats

de Bekaert et al.(2005) montrent que les pays plus politiquement instables ont été moins en mesure de profiter de la libéralisation du marché des actions que ceux qui ont été plus politiquement stables. Plus récemment, Roe et Siegel (2007) soutiennent que l’instabilité politique est un déterminant plus important pour le développement des marchés financiers que l’ouverture commerciale et l’origine légale telle que modélisée par La Porta, Lopez- de-Silanes, Shleifer et Vishny (1998). Nous développerons ce point dans le paragraphe qui suit.