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Les contraintes techniques

B. LES CONTRAINTES METHODOLOGIQUES

1. Les contraintes techniques

50. Les contraintes techniques auxquelles nous avons fait face sont entre autres le fait que l’accès aux documents est restreint et les références scientifiques et académiques sur le travail gouvernemental du Cambodge sont très limitées. Cette rareté des documents est due aux caractéristiques de la culture cambodgienne qui alterne tradition écrite et tradition orale64.

61 Nous qualifions notre recherche d’empirique si nous élargissons notre champ de recherche sur le travail

gouvernemental du Cambodge depuis l’époque de la monarchie absolue ou de l’époque coloniale jusqu’à présent et de théorique, si nous ne traitons que de l’aspect droit public pur de notre sujet de recherche.

62 Elle met l’accent sur les analyses aussi poussées que possible en ne se contentant pas de décrire les données et

les informations collectées.

63 Nous avons été recruté par le Cabinet du Premier ministre HUN Sen en 2005 et promu au poste de directeur

adjoint du Cabinet et vice-président de l'IRAG (Information Research Analysis Group – un think tank rattaché au Premier ministre) fin 2013.

64 La tradition khmère privilégie toujours l’expression orale par rapport à l’écrit, surtout conçu comme un outil

de conservation identitaire. Les textes écrits (religieux, moraux, romancés) ne sont “actifs” que par une lecture à voix haute, suivie d’interprétations et de commentaires adéquats par les gardiens de la tradition ou les conteurs professionnels. C’est par ce biais traditionnel que s’engouffre la communication de l’information. En elle- même l’information brute a peu d’impact sur la grande majorité, rurale, de la population cambodgienne; elle n’est “viable” qu’à condition d’être commentée, interprétée par les analystes du village ou de la localité que sont les bonzes, les Achars (« maître spirituel », puis d’une façon générale “précepteur” et les anciens de la communauté. - ABDOUL-CARIME Nasir « Mise en perspective de la diplomatie sihanoukienne : une logique doublement péninsulaire et de temps long », Péninsule, n° 36, 1998 (1), p. 85. Exemple spectaculaire de culture orale : la tradition musicale khmère. Elle est orale : elle est transmise oralement de maître à élève par l'imitation et la répétition de phrases mélodiques. Ainsi, point de théorie établie, point de solfège ni règles définitives. A partir de ces phrases mélodiques, le musicien apporte un rythme qu'il peut changer à tout instant et

Par la suite, elle est comblée petit à petit à partir de la fin du XIXe siècle par les écrits des étrangers, notamment des Français. Néanmoins le khmer reste tributaire d'une forte tradition orale, vivante, qui continue et continuera de s'exprimer à travers des joutes improvisées, des chants alternés, du théâtre et une chanson populaire qui tient lieu de véritable fait de société.

51. Pour ce qui est de caractéristiques propres à la langue khmère, Grégory MIKAELIAN65 en retrace l’évolution, depuis l'idiome des Cambodgiens, attesté depuis près de deux millénaires jusqu’à présent, depuis les parlers khmers jusqu’au stade de l’écrit entre le 1er et VIe siècle de l’ère chrétienne jusqu’au vieux khmer66, au khmer moderne67 en passant par le khmer moyen68. Pendant cette évolution, la langue a subi des transformations suite aux crises politiques, aux influences religieuses, notamment, le brahmanisme avec le sanskrit et le bouddhisme Theravada avec le pali. Ces transformations substantielles, accompagnées des ruptures culturelles après le déclin de l’Empire angkorien (après le XIVe siècle) et des influences étrangères, font que les écrits sur divers supports en vieux khmer et en khmer moyen sont aujourd’hui incompréhensibles pour la presque totalité des Cambodgiens. Seule une petite communauté universitaire et des chercheurs majoritairement étrangers, en l’occurrence Français, s’attachent patiemment à décrypter ces documents. D’ailleurs, une succession d'influences étrangères, diversifiées à mesure que le Cambodge s'est ouvert au monde et à sa modernité, et les troubles politiques sans précédent survenus ces trente dernières années, posent un problème majeur résidant dans l'expression vernaculaire de la modernité pour les locuteurs du khmer afin d’accéder aux universaux du savoir écrit en vue de s’approprier une modernité qu’ils n’ont eu de cesse de rattraper.

52. Concernant les sources écrites, Claude JACQUES indique qu'à partir de la fin du XIXe siècle, quand les Français ont commencé à reconstituer l'histoire du pays khmer (qui était totalement inconnue jusque-là, du moins de l'Occident), ils se sont heurtés à la rareté des documents. Les quelques sources disponibles étaient les Chroniques royales qui leur

des ornements qu'il varie à loisir. Les musiciens traditionnels n'utilisent pas la notation musicale et n'ont pas une connaissance exacte de la hauteur du son par rapport au diapason qu'ils ignorent : leurs instruments sont accordés au jugé, à l'oreille. Les instruments à vent sont accordés pendant leur fabrication. De ce fait, c'est à partir d'eux que sont réglés les instruments de l'orchestre. Cependant, c'est justement cette imprécision de l'accord et les intervalles non exactement mesurés entre les notes de la gamme qui constituent un caractère fondamental de la musique khmère - YNIESTA Luc, ROUER Jérôme, in http://vorasith.online.fr/cambodge/mus/mus0.htm, consulté le 10 juin 2013

65 MIKAELIAN Grégory, la langue et la littérature khmère, Clio, 2002 – in http://www.clio.fr/

BIBLIOTHEQUE/la_langue_et_la_litterature_khmeres.asp, consulté le 12 septembre 2013.

66 En l'espèce d'alphabets dérivés des écritures indiennes sur les stèles épigraphiques. 67 A partir du XIXe siècle.

68 Entre le XIVe et le XIXe siècle, gravé manuellement sur feuilles de latanier dont la durée de vie, qui, étant

paraissaient insuffisantes pour ce qui concerne la période ancienne. La plupart des documents écrits anciens, autres que ceux qui ont été gravés sur la pierre, ont irrémédiablement disparu au cours des siècles, en particulier les « annales » familiales dont l'existence dans les grandes lignées – royales entre autres – est néanmoins attestée avec une quasi-certitude par les inscriptions. D'autres éléments d'informations ont pu être puisés dans les annales dynastiques chinoises, intéressantes surtout concernant les débuts de l'histoire khmère, et aussi dans l'épigraphie des voisins chams. Mais il a conclu qu'au total, la moisson était plutôt maigre et qu’une bonne place devait être laissée à l'hypothèse69.

53. Grégory MIKAELIAN souligne en outre qu'un problème fondamental rencontré dans l'écriture de l'histoire du Cambodge moyen70 qui s’est perpétué dans l'histoire contemporaine du Cambodge est celui des sources.

D’un point de vue qualitatif, il n’existe pas de source sur les objets de cristallisation traditionnels de l’écriture de l’histoire que sont les hommes, la ville ou la politique. On ne dispose en effet que de sources émanant de ou se rapportant à la royauté, c’est-à-dire un espace social à l’intersection des trois thèmes évoqués. Ce sont donc des sources complexes à étudier, qui nécessitent des lectures à plusieurs degrés, parce qu’elles sont le produit d’une idéologie royale encore obscure à nos yeux ».71

54. L'absence ou la rareté des sources et les difficultés liées à leur interprétation proviennent aussi de ce que Gregory MIKAELIAN appelle la précarité temporelle du contrat idéologique bouddhiste. Selon lui, cette précarité temporelle expliquerait :

« Les modalités d’expression de l’Urbain et du Politique durant la période moyenne. L’exercice du pouvoir et sa mémoire seraient perpétués via une négation de la durée inscrite dans l’espace, puisque la durée des événements urbains (villes), politiques (stabilité dynastique) et mémoriels (archivage) serait passée par leur circulation ‘galactique’. Les villes ne pouvaient durer qu’en étant déplacées (capitales itinérantes72), les projets politiques qu’en alternant la

69 JACQUES Claude, "Nouvelles orientations pour l'étude de l'histoire du pays khmer", in ASEMI Vol. XIII, 1.4,

Cambodge I, 1982, pp. 39 – 57.

70 Environ 400 ans du milieu du XVe siècle au milieu du XIXe siècle.

71 MIKAELIAN, Grégory, « L'écriture de l'histoire du Cambodge moyen », [in] Bulletin de l'AEFEK no 8,

septembre 2005, tiré de http://aefek.free.fr/pageLibre00010604.html, le 6 juin 2014.

72 « Le roy de Camboia est tributaire de celuy de Siam et a coutume de changer de lieu de de Sa Cour lorsqu’il

prend possession du Royaume, par une vaine superstition de ne pas résider où son prédécesseur est mort ; ce qui luy est facile de faire, puisque sa Capitale qui est pire que toutes les autres Villes, n’est composée que de

participation des segments spatiaux du royaume (factionnalisme et stasis à base territoriale) et la mémoire des hommes se transmettre qu’à travers des mémoires d’espaces segmentés (toponymie, mythes de fondation locaux) ou inversement de projets régaliens de gestion globale des espaces (Codes juridiques, mythes de fondation du royaume, miroirs de princes etc. »73

55. En bref, au cours de ces cinq siècles, le Cambodge a traversé les périodes de cataclysme qui ont provoqué d'énormes désastres dans tous les domaines, notamment la chute de la capitale Longvèk, que les Siamois ont pillée et dont ils ont emporté trésors et archives. Pire encore, entre 1970 et 1979, un grand nombre de documents publics et d’archives ont disparu. Les trésors des bibliothèques publiques et privées ont été dispersés ou brûlés. À cet anéantissement des biens, s'ajoute celui des élites intellectuelles. La mémoire culturelle d'un peuple a disparu.

56. Néanmoins, à partir de la fin du XIXe siècle, le Cambodge a fait l’objet d’études, dans de nombreux domaines, essentiellement par des étrangers74, et donc rédigés en langues étrangères. Dans le domaine que nous étudions, durant les quatre-vingt-dix ans de protectorat français (1863-1953), les chercheurs sur l’histoire du Cambodge ont souligné le rôle important des archives d’Aix-en-Provence, du ministère des Affaires étrangères, de l’École française d’Extrême-Orient et des missions catholiques. Les écrits disponibles sur le Cambodge qui sont l’œuvre de chercheurs étrangers, sont pour nous le prisme des points de vue extérieurs du Cambodge. Ainsi le positionnement de ces auteurs sur les domaines de l’histoire, la politique, l’économie et les aspects socio-culturels du Cambodge peut faire l’objet de débats.

57. Dans une lecture politique de l’histoire du Cambodge à travers une bibliographie75 limitée à la période postérieure à l’indépendance, Nasir ABDUL CARIME76

cabanes mal bâties, couvertes de nattes ou tout au plus de planches » , le voyageur italien Jean-François GEMELLI-CARERI, dans les années 1693-1699, cité par BREBION Antoine, Bibliographie des voyages dans l’Indochine française du IXème au XIXème siècle, Saigon, Imprimerie F.-H. Schneider, 1910, p. 116.

73 Ibid.

74 Voir KHIN Sok, " La documentation de l'histoire du Cambodge pour la période d'après 1954", in Actes du 2e

Colloque sur la Khmérologie du 26 à 30 août 1996, Presse de l'Université royale de Phnom-Penh, 1998, pp. 285- 288.

75 Bibliography of Asian Studies (1941-1989), published by the Association for Asian Studies, Inc. Anne Arbor,

University of Michigan / ouvrages et travaux universitaires, articles classés par thèmes : Anthropology & Sociology, communication & media, litterature, politics & government ... - ABDOUL-CARIME Nasir, op. cit. p. 289.

76 ABDOUL-CARIME Nasir, "Pour une remise en perspective de l’histoire contemporaine du Cambodge", in

Actes du Colloque International sur la Khmérologie du 26-30 août 1996, Vol. I, Université royale de Phnom- Penh, 1998, pp. 289 à 294.

démontre combien ces travaux de politologie, malgré leur quantité, ne permettent pas paradoxalement de saisir la complexité des enjeux du pouvoir au Cambodge. Selon lui, l'une des illustrations en est que peu de spécialistes en politologie – et l'exemple est ici caricaturalement démonstratif – pensaient probable le retour de la monarchie en 1993.77 Cette dernière était considérée comme une institution passéiste, à ranger comme une relique de l'histoire khmère alors que les Khmers de toutes les tendances, à l'exception des Khmers Rouges, ont accepté le rétablissement du Trône. « Il va de soi que limiter les explications de la restauration à des manœuvres politiques, n'est pas satisfaisant ». D'après Nasir ABDUL CARIME, généralement, les analyses en science politique conçoivent le dynamisme politique khmer d'abord à partir de modèles extérieurs en sous-estimant, voire en ignorant les facteurs locaux. Il a proposé une relecture de l'histoire politique du Cambodge en prenant en compte la trame socio-historique khmère, les réseaux d'hommes comme nouveaux champs d'affrontement (à la place du lieu d'affrontement que sont les programmes politiques dans les structures du jeu politique moderne) et enfin la dynamique politique dans un champ historique long. Cependant, « ce système de fidélité élaboré par l'énergique dirigeant khmer doit être perçu comme un concept nouveau du jeu politique khmer, car il entend renforcer un pouvoir central fort. En effet, traditionnellement l'espace politique du royaume s'apparentait plus à une galaxie de pouvoirs périphériques vassaux d'un pôle royal. Cet assemblement de réseaux d'hommes, donc de réseaux de pouvoir s'appuyait par ailleurs sur une géopolitique régionale complexe. » 78

58. Selon Alain FOREST, durant les années 1990-2005, le Cambodge n'a jamais été autant observé, examiné, scruté par les experts, les membres d'ONG, des spécialistes de toutes disciplines. « Le Cambodge est traité comme un amoncellement de cas à résoudre, d'anormalités à évaluer et à ramener à une « norme », ceci au risque d'une part d'occulter le poids d'une longue histoire passée et de s'en tenir aux stéréotypes, d'autre part de simplifier et de ne comprendre la société qu'à travers l'accumulation et le traitement des chiffres. »79 L'historien remarque également que l'essentiel des publications sur le Cambodge se rapporte à deux seules périodes : Angkor et le régime génocidaire de Pol Pot. Ces deux périodes constituent, en effet, des phénomènes particuliers. Ainsi, nous nous intéresserons à ce qu’elles

77 Dans la seconde édition de son ouvrage, A History of Cambodia, Chiang Mai, Silkworm Books, 1994, 287

pages, David Chandler n'évoque nullement l'hypothèse du retour de la monarchie dans le premier paragraphe (rédigé en août 1991) consacré à l'avenir politique du pays – "Prospects for Cambodia (1991)", pp. 239-240 - ABDOUL-CARIME Nasir, op. cit. p. 289.

78 JACQUES Claude, « Nouvelles orientations pour l'étude de l'histoire du pays khmer », in ASEMI, XIII, 1982,

pp 39-52

laissent comme traces sur le travail gouvernemental actuel. De plus, la période de la guerre froide aura eu des influences sur le sujet étudié.

59. Enfin, malgré l’intensité de la recherche que nous avons entreprise au cours de ces dernières années, les références scientifiques et académiques sur le travail gouvernemental au Cambodge se révèlent peu nombreuses. Cela nous conduit à enrichir nos outils de recherche par des entretiens semi-directifs et des récits de vie avec des acteurs de premier plan de la vie politique cambodgienne, des analystes cambodgiens et des spécialistes étrangers sur le Cambodge80. Tous apportent une approche comparative sur le sujet étudié.