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La monarchie et la vie politique cambodgienne

LE CADRE CONSTITUTIONNEL ET LA GENESE DU TRAVAIL GOUVERNEMENTAL

Section 1. La monarchie et la vie politique cambodgienne

158. La monarchie occupe toujours une place importante et constante dans la vie politique et la mentalité cambodgienne malgré les vicissitudes que le pays a traversées aussi bien dans son histoire ancienne que contemporaine. Il nous convient de démontrer les caractéristiques de cet enracinement du point de vue historique (§ 1.) et comment elles en sont à l’époque contemporaine (§ 2.).

§ 1. L’enracinement profond de la monarchie dans la vie politique khmère

159. Le Cambodge est un pays exceptionnel dans le sens où il est le seul en Asie à avoir connu une monarchie millénaire qui fut abolie par un coup d’État en 1970 et rétablie vingt-trois ans plus tard. Il importe donc d’en rechercher les caractéristiques originelles pour comprendre à la fois la survivance de cette monarchie à travers les vicissitudes historiques qu’a connues le pays, notamment à partir du XIVe siècle, après la période angkorienne, et son profond enracinement dans la vie politique khmère afin d’apporter un éclairage sur sa résurgence après deux décennies de guerre et de tragédie. Ces caractéristiques nous paraissent très utiles pour appréhender les raisons de son influence et certains aspects de l’action que la monarchie exerce encore dans la vie politique cambodgienne. Rétrospectivement, il s’est avéré que ce modèle politique traditionnel exerçait une influence tellement profonde dans la société et la mentalité collective cambodgienne que les autres modèles politiques modernes (république ou révolution paysanne des Khmers rouges) n’ont pas été en mesure de

s’implanter véritablement dans le pays.

160. Ces caractéristiques originelles reposent tout d’abord sur le mythe de la fondation dynastique dès le Ier siècle de notre ère, la succession et l’enchevêtrement de différentes conceptions du pouvoir monarchique, le caractère personnalisé du pouvoir monarchique, le caractère électif de la couronne. Elles reposent ensuite sur l’appropriation et la reconfiguration de ce mythe par les Rois khmers successifs. L’exercice de ces pouvoirs monarchiques et ses conséquences façonnent le fonctionnement de la royauté khmère, dont quelques traits persistent à l’heure actuelle et expliquent certaines de ses traditions fondamentales, en particulier les règles d’accession au Trône.

161. La monarchie cambodgienne qui a été qualifiée, en 1965, par Claude-Gilles GOUR193, d’institution capitale et de symbole de la continuité nationale dans les turbulences historiques, puise ses fondements et ses caractères dans la période la plus reculée de l’histoire du Cambodge, dès la première période d’indianisation, au début de notre ère. Il s’agit du mythe de la fondation dynastique, ancré dans une « alliance fécondante » entre reines indigènes et rois étrangers, laquelle « façonne le fonctionnement de la royauté dans son ensemble dont il procède aujourd’hui encore ».194 Gregory MIKAELIAN et Marie-Sybille de VIENNE soulignent que « cette manière de fonder (refonder) le pouvoir par le truchement d’une exaltation de l’altérité figure comme le trait liminaire d’une royauté qui s’efforça, au cours de l’histoire, de restructurer ses assises en empruntant à des cultures étrangères pour mieux perpétuer son être »195.

162. Des conceptions diverses du pouvoir monarchique ont été à l’origine de l’appropriation et de la reconfiguration de ce mythe par les Rois khmers successifs jusqu’au XVIIe siècle196. Elles sont marquées par l’influence de « la doctrine brahmanique et sa vision ordonnée et évolutive du monde », par « la conception autochtone selon laquelle le Roi apparaissait comme la personnification sur la terre du dieu du sol et enfin par la conception

193 GOUR Claude-Gilles (1965), op. cit, p. 22.

194 MIKAELIAN Gregory, VIENNE Marie-Sybille (de) et FORMOSO Bernard, "Présence des royautés sud-est

asiatiques ?", in JAMMES Jérémy et ROBINNE François (dir.), L’Asie du Sud-Est 2014. Bilan, enjeux et perspectives, Bangkok, IRASEC, 2014, pp. 101-102.

195 Il s’agit d’un modèle culturel qui pose la société locale comme composée de clans matrilinéaires, où les

hommes sont symboliquement reclassés comme Étrangers, non pour leur éventuelle appartenance à un peuple étranger, mais parce que l’ordre culturel les charge de gérer les fonctions externes au groupe socio-familial matrilinéaire, et à ses impératifs de simple survie : le Savoir, le Surnaturel et enfin le Politique, en ce qu’il est superstructure coordonnant les unités sociales segmentaires matrilinéaires. Cela se traduit à travers ce mythe de fondation de la Nation en tant qu’entité politique. – Ibid.

196 Le mythe de fondation dynastique a été remanié pour la dernière fois au XVIIe siècle après le sac de Longvèk

par les Siamois en 1594, eu égard de la nécessité de refondation du chef au pouvoir. MIKAELIAN Gregory, VIENNE Marie-Sybille (de) et FORMOSO Bernard, op. cit. p. 101

bouddhique mahayaniste (Grand Véhicule) selon laquelle le monarque est le serviteur de l’ordre cosmique et le régulateur de l’ordre humain. Le Roi bouddhique deviendra le mandataire des enseignements du Maître, prendra les caractères d’un bouddha en puissance et apparaîtra comme le reflet sur terre du Bouddha unique transcendant et surnaturel. D’après Claude-Gilles GOUR, du fait de ces conceptions, le Roi, investi du pouvoir d’harmoniser l’ordre humain et l’ordre du monde, harmonisation qui répondait à une exigence religieuse, était le seul capable de sauver la terre ou le royaume de l’anarchie. Sans le Roi, l’humanité était condamnée à vivre dans un état de chaos perpétuel. « Investir le Roi du pouvoir suprême était une nécessité qui légitimait son autorité ». La conception mahayaniste qui « divinise » en quelque sorte le monarque déboucherait plus directement encore sur une légitimation de l’absolutisme royal197.

163. Dans la période post-angkorienne, sous influence du bouddhisme du Petit Véhicule ou Théravadin, le Roi est présenté comme celui qui doit sa position aux mérites acquis par ses actes antérieurs. « Cette conception humanise dans une très large mesure l’absolutisme royal sans pour autant l’amoindrir : le Roi apparaît comme devant être un père pour son peuple. Il assure son honneur en faisant respecter les lois. »198

164. Ces conceptions successives du pouvoir monarchique s’illustrent également dans la figure du Roi Jayavarman II199 (802-850 après J.C.) qui a incarné le culte du Dieu-Roi (le roi de droit divin au sens occidental) doté de tous les pouvoirs200. « Après avoir consolidé son pouvoir, rétabli l’ordre et son autorité et s’être fait solennellement reconnaître comme souverain, le Roi Jayavarman II a recours à un brahmane nommé Hiranyadâma, expert dans les sciences magiques, afin de créer un rituel suivant le culte du Dieu-Roi pour que le pays des Kambujas (Cambodge de l’époque) ne fût plus dépendant de Java et qu’il n’y eût plus qu’un souverain qui fût monarque universel. Avec cette cérémonie assortie d’un nouveau rituel inauguré par Jayavarman II, la lignée des souverains obtenait le titre de monarque universel. Cette cérémonie qui traduisait l’affirmation de la souveraineté de Jayavarman II est d’essence principalement ou uniquement religieuse. Le Dieu-Roi, « Devaraja » se présente sous la forme d’un linga, comme symbole de la royauté, ou même comme « le dieu qui est la

197 GOUR Claude-Gilles (1965), op. cit, p. 21. 198 IMBERT Jean, op. cit. p. 28

199 Le jeune prince, en résidence surveillée à “Java”, s’en échappe. Il arrive au pays khmer qu’il libère de la

tutelle de Java et réunifie en épousant les princesses héritières des précédentes dynasties. Il sacralise ensuite son pouvoir par un rituel approprié dans les Monts Kulen qui deviennent le site de référence de la future royauté angkorienne. NEPOTE Jacques, « Mythes de fondation et fonctionnement de l’ordre social dans la basse vallée du Mékong accompagnés de considérations sur l’indianisation », Péninsule n°38, 1999 (1) p. 58

royauté ». Le culte du linga existait déjà dans l’ancienne royauté khmère, mais il est désormais lié à l’essence de la royauté. »201

165. Pour Jean IMBERT, depuis Jayavarman II, le Roi est monarque universel (Chakravatin), il possède un pouvoir quasi-illimité. Il légifère, même s’il semble qu’il n’intervienne pas en matière de droit privé. En revanche dans le domaine du droit public, sa volonté est souveraine. Le roi est également source de toute justice et unique propriétaire du sol du royaume. Le sacre confère au roi le pouvoir religieux qui lui permet de présider certaines cérémonies religieuses et de nommer les titulaires des postes ecclésiastiques les plus élevés. Le pouvoir militaire réside tout entier entre ses mains. Lui seul décide de la guerre et conduit les armées en personne. Le souverain dirige seul la politique extérieure et c’est à lui que se présentent les ambassadeurs des pays étrangers. 202

166. Par ailleurs, toujours relevant de cette conception bouddhique du pouvoir monarchique, Grégory MIKAELIAN203 souligne que depuis le XIIIème siècle où la royauté khmère a fait sien l’enseignement du Theravāda, le roi incarne, pour la sotériologie bouddhique théravadine, la plus grande concentration d’énergie karmique sur terre, ce qu’il démontre en parvenant sur le trône après avoir écarté ses concurrents, y compris par des moyens violents204. Avec une souveraineté bouddhique bien particulière, ayant été tenu de combattre le mal et d e rétablir la Loi du Bouddha ici-bas, le roi fait l’objet d’une appréciation morale qui conditionne sa légitimité karmique : il doit notamment se conformer à la figure du roi universel des textes bouddhiques (Chakravartin), celui qui répand l’enseignement du Bouddha par la force en faisant la guerre aux royautés voisines

201 Un des successeurs de Jayavarman II, Yaçovarman Ier (884-908) fonda la ville murée de Yaçodhapura autour

du mont Bakheng sur lequel il entreprit la construction d’un temple pour le Dieu-Roi. Dans les veines du roi Yaçovarman 1er, coulait du sang de toutes les dynasties qui depuis neuf siècles s’étaient succédé au Cambodge. Nourri de la philosophie indienne, d’une culture raffinée, il aimait s’entourer de savants et d’artistes. Administrateur habile, il réglementa le système de corvées, détermina la hiérarchie des fonctionnaires et fixa l’appartenance aux quatre castes entre lesquelles se distribuaient les descendants plus ou moins métissés des Indiens immigrés. Il aimait aussi la gloire des armes. - DAUPHIN-MEUNIER Achille, Le Cambodge de Sihanouk ou de la difficulté d’être neutre, Nouvelles Editions latines, Paris, 1965, p. 37

202 IMBERT Jean, op. cit. p. 28

203 MIKAELIAN, Grégory, "Un aperçu des traditions juridiques khmères, intervention dans le cadre de la

formation ", Campus Asie international 2014 organisé par l'Ordre des avocats de Paris du 16 au 18 février 2014, Phnom Penh, tiré de http://www.avocatcampusinternational.org/interventions/1_Gregory_Mikaelian.pdf, le 7 juin 2014, 15 pages

204 Cette victoire interprétée a posteriori comme résultant d’une prédestination karmique (de karmā, le cycle des

réincarnations) scelle le contrat qui lie le roi à la société : prédestiné à l’Éveil, le roi refuse la délivrance en échange de la jouissance du pouvoir, à charge pour lui de faire prospérer la religion du Bouddha ici-bas. Il doit pour cela protéger les moines (saṅgha) et ainsi contribuer au salut collectif des régnicoles, mais aussi faire en sorte qu’à chacun revienne selon ses mérites. - Ibid

jusqu’à les dominer205.

167. Par le biais d’un tel exercice du pouvoir, selon Grégory MIKAELIAN, les traits du pouvoir que commande la souveraineté bouddhique sont marqués par la guerre à l’extérieur, l’instabilité politique à l’intérieur du pays206. Il souligne, néanmoins, que l’instabilité instituée n’est pas le désordre. En effet, il précise que

« en termes juridiques, le roi incarne le sommet de la hiérarchie sociale déterminée par une échelle de dignités auxquelles sont associés un rang, des honneurs, et un coefficient d’amendes judiciaires. » Le Roi est en cela le primus inter pares d’une noblesse de sang207 définie comme les « augustes membres de la lignée des rāja petits et grands ». La noblesse de robe se compose de gens du peuple qui se sont distingués par de hauts faits, compris eux aussi comme le produit de mérites accumulés dans des vies antérieures, au point que le roi les investit d’une charge administrative et d’une dignité. Cette dignité ne peut toutefois se transmettre qu’à concurrence de quelques générations, avant de s’éteindre. »208

168. Du point de vue de l’organisation sociale, il indique qu’ « un tel corps politique, strictement hiérarchisé mais évoluant dans un régime instable, se commande moins par l’idéologie que par des alliances concrètes ». En effet, il remarque que « depuis l’institution palatiale, le roi organise l’unité politique des territoires en s’alliant aux représentantes des grands clans segmentaires du royaume par une union polygame inversant les règles d’alliance et de filiation matrilinéaires qui ont cours chez le peuple. »209

169. Il remarque par ailleurs que

« Les codes juridiques constituent un des instruments de cette politique de la

205 De là, cette pratique de ne jamais fixer les frontières pour signifier l’extension toujours en devenir du

royaume, de là encore les guerres récurrentes entre royautés bouddhiques en péninsule indochinoise.

206 En raison de l’absence de règles de succession, il y avait, à chaque décès du Roi, des guerres fratricides entre

princes pour l’accession au Trône avec recours à l’aide étrangère, notamment les deux grands voisins, le Siam et l’Annam.

207 Olivier de BERNON précise que l’expression « noblesse de sang » utilisée par Gregory MIKAELIAN est un

prisme français de la réalité cambodgienne de la monarchie. En effet, au Cambodge ancien, il n’est nullement question du système héréditaire de la noblesse. Il s’agit plutôt du système d’aristocratie classique dont les liens dépendent de la proximité avec le Roi. – Entretien avec Olivier de BERNON, Directeur d’études à l’École Française d’Extrême Orient, le 27 novembre 2015.

208 Ibid.

209 Le système de parenté du palais est patrilinéaire (les princes pratiquant la polygamie et se voyant ordonné

en fonction du rang du père), alors que le système de parenté populaire est matrilinéaire (avec une forte endogamie reposant sur des pratiques polyandriques et un mariage préférentiel avec la cousine croisée matrilatérale). – Ibid.

représentation royale en « roi de justice » ou Dharmarāja (litt. le roi du dharma, l’ordre bouddhique). Émanant de « la parole sacrée du roi » les textes de loi manifestent son action dharmique sur le monde en ordonnant la société selon les principes d’une justice géométrique (à chacun sa peine selon son rang, le rang reflétant les mérites accumulés dans une vie antérieure). Ce dispositif symbolique est relayé en dehors du palais par les juges, qu’une métaphore organiciste de l’État présente comme « la bouche » du corps royal. »210

170. De là, dans l’exercice du pouvoir monarchique du « Roi de justice » et du Roi universel et dans l’organisation politique du fonctionnement de la royauté surgit une dualité qui se présente sous différentes formes à savoir celle entre un Roi universel en titre et un grand prince ou un roi ayant abdiqué qui assure l’exercice du pouvoir,211 celle entre un Roi qui est placé au sommet de la hiérarchie sociale (noblesse de sang) et la noblesse de robe et enfin celle d’un Roi de justice et un pourvu de mérites. En effet, pour Gregory MIKAELIAN, « le roi universel étant régulièrement menacé par des pourvus de mérites, c’est-à-dire des hommes sortis du rang dont les hauts faits militaires sont interprétés comme une concentration d’énergie karmique pouvant aller jusqu’à renverser le roi en titre, si ce dernier s’écarte de sa mission. De là, enfin, cette dualité institutionnalisée du pouvoir dans laquelle un grand prince assure l’exercice du pouvoir dans son principe actif – un vice-roi, ou un ‘double du roi’ – tandis que le roi en titre en assure les fonctions rituelles. »212 Il s’agit en somme de la dualité entre la monarchie et le monarchisme.

171. A ces dualités, à ces conceptions successives du pouvoir monarchique, s’ajoutent les imprégnations de l’époque moderne, période pendant laquelle le bouddhisme theravada s’est répandu dans le pays. Nous adhérons à l’observation de Gregory MIKAELIAN et de Marie-Sybille de VIENNE selon laquelle c’est à cette époque dite post- angkorienne ou moyenne qu’il faut attribuer l’essentiel du legs traditionnel du fonctionnement politique actuel213. Le peu que l’on en connaît montre qu’elle irrigue plusieurs constantes de

210 MIKAELIAN Grégory (2014), op. cit. p. 3

211 La dualité se traduit encore au sein même de la famille royale à travers la répartition récurrente du pouvoir

entre un roi en titre et un roi ayant abdiqué, chacun se voyant attribuer un palais distinct. […] - MIKAELIAN Gregory, VIENNE Marie-Sybille (de) et FORMOSO Bernard, (2014), op. cit. p. 104

212 MIKAELIAN Grégory (2014), op. cit. p. 4

213 La dynastie actuelle du Cambodge se réclame du mythe de fondation post-angkorien de Trasak Paem, un

élément de l’histoire cambodgienne. Bernard-Philippe GROSLIER soulignait qu’il s’agissait là pour la dynastie d’affirmer son “authenticité” contre la nécessité de la légitimation siamoise, et pour NORODOM Sihanouk de faire apparaître la dynastie comme proche du peuple. L’histoire de la Monarchie cambodgienne se confond d’ailleurs avec celle du peuple khmer, tant sont liés leur destin, leur action et leur génie. – NORODOM Sihanouk, La monarchie cambodgienne & la croisade royale pour l’indépendance, p. 1.

la vie politique cambodgienne et notamment la politique extérieure qui reproduit typiquement, depuis l’indépendance, le jeu « galactique » décrit par l’anthropologue Stanley TAMBIAH à propos de la royauté siamoise.214

172. Cette époque moderne est également marquée par la dualité de l’exercice du pouvoir. « Cette dualité s’exprime par exemple à travers la récurrence de l’opposition entre un roi de justice (dhammaraja) de filiation reconnue, et un homme pourvu de mérites (neak mean bon en khmer) sorti du rang par ses hauts faits. Le pourvu de mérites poursuit son rôle de légitimation des puissants confrontés à l’épineuse question de la légitimité « naturelle » du Trône. »215

173. Claude-Gilles GOUR estime que pendant la période angkorienne et post- angkorienne, la pensée politique khmère n’a pas réussi à élaborer une conception institutionnelle de l’État et de la monarchie, dégagée de la considération de la personne du Roi régnant216. En somme, c’est la personne du Roi vivant qui compte et non l’institution monarchique. « Ce trait se trouvait renforcé par le caractère électif de la couronne qui impliquait en théorie le choix du prince le plus digne, ce ne fut pourtant pas hélas le cas. »217 Ce mode de succession a entraîné un affaiblissement du pouvoir royal et favorisé les emprises extérieures que le Siam, le Viêt-nam comme la France ont utilisé quand ils dominaient la région. Selon l’analyse de Vandy KAONN, après l’abandon d’Angkor, les querelles de succession interminables et les nombreuses interventions étrangères, notamment celles des puissances voisines qui répondaient aux appels d’une dynastie pour en combattre une autre ont engagé le royaume khmer dans un processus de dépérissement national que seuls quelques monarques ont su retarder par d’autres interventions, en particulier en faisant appel à la puissance coloniale française.218

174. Nasir ABDOUL-CARIME explique les crises incessantes que traverse le

214 MIKAELIAN Gregory, VIENNE Marie-Sybille (de) et FORMOSO Bernard, "Présence des royautés sud-est

asiatiques ?", in JAMMES Jérémy et ROBINNE François (dir.), L'Asie du Sud-Est 2014. Bilan, enjeux et perspectives, Bangkok, IRASEC, 2014, p. 103

215 MIKAELIAN, Grégory, « Pour une relecture du jeu politique cambodgien : le cas du Cambodge de la

reconstruction (1993-2005) », [in] Alain Forest (dir.), Cambodge contemporain, Bangkok- Paris, Les Indes Savantes-IRASEC, 2008, pp. 141-188

216 GOUR Claude-Gilles (1965), op. cit, p. 23

217 À part les guerres fratricides des princes pour s’emparer du trône, le critère d’un prince adulte le plus digne

n’est pas davantage appliqué. Le nouveau monarque peut être un jeune garçon (con)sacré suivant des rituels religieux et monarchiques. Le nouveau Roi est proclamé quand l’ancien a été tué. – entretien avec Olivier de BERNON, le 27 novembre 2015.

218 KAONN Vandy, Cambodge : 1940-1991 ou la politique sans les Cambodgiens, (essai), L’Harmattan, Paris,

pouvoir du XVIIe au XIXe siècle par une société khmère « territorialement atomisée » et une