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III. Les contenus / modèles

1) Les contenus historiques de la métropole lilloise

Place et l’influence de Lille dans la création d’une métropole

L’idée de métropole qui anime l’ambition de Lille puise ces sources dans l’essor industriel que connaît la région Nord au XIXème

siècle par l’intermédiaire de ses activités dans le textile et dans la métallurgie. Une vague d’immigration belge participe à l’imposante croissance urbaine de l’arrondissement et de ces trois principales villes : Lille, Roubaix, Tourcoing. Cet arrondissement qui comptait 241 405 habitants en 1811 en recense 800 000 en 1900142

. Roubaix et Tourcoing connaissent un développement sans précédent grâce au travail et au commerce de la laine : de 35 000 habitants en 1851, Roubaix passe à 123 000 habitants en 1901143

. Dans la seconde moitié du XIXème

siècle, Lille annexe les faubourgs voisins (Wazemmes, Moulins, Esquermes et Fives), passant d’une surface de 410 hectares à 2 110 hectares144

. La réorganisation de l’ensemble du tissu urbain n’est pas immédiate. Ces

nouveaux quartiers viennent s’accoler au noyau ancien sans remettre en cause sa position centrale. Plus tard, en 1910, Roubaix et Tourcoing sont reliés par la construction du canal de Roubaix qui alimente les industries en eau et en charbon. Une large agglomération ouvrière se déploie ainsi au nord-est de Lille, englobant au passage la frontière belge toute proche. Lille représente alors une importante puissance financière, essentiellement constituée par les activités industrielles des grandes familles lilloises, et notamment celles attachées au filage du lin et du coton. Au côté du textile, s’imposent aussi les industries liées au charbon (métallurgie, fonderie, etc.), sans oublier les industries agro-alimentaires (brasseries, moulins, etc.) qui nourrissent la masse de population que compte la région. L’Exposition internationale du textile qui se déroule à Roubaix en 1911 marque l’apogée de la prospérité économique. Bientôt la concentration d’habitants des trois principales villes stagne au profit de celles des communes sub-urbaines. Cette déconcentration s’amplifie après la Première Guerre mondiale exploitant pour ses déplacements les structures de transport mises en place dans les dernières décennies du XIXème

siècle, notamment le tramway. C’est avec la construction du Grand Boulevard (1899-1909) qui relie Roubaix et Tourcoing à Lille que se dévoilent les premières perspectives de rassemblement de communes dans le cadre de la constitution d’une métropole. Cette artère aux dimensions exceptionnelles (50 mètres de large sur 14 kilomètres de long) est à l’avant-garde des théories sur la circulation, accueillant entre autres deux lignes de tramway, une allée cavalière et une piste cyclable.

Le Grand Boulevard : coupe type

142 Demangeon (A.), Lille métropole européenne, Paris, Institut français d'architecture, décembre 1993, p. 18. 143 Ibidem, p. 17.

L’association de Lille, Roubaix, Tourcoing ne se déroule pas selon le schéma projeté et résiste à l’idée d’unification. Toutefois la composition du territoire se structure autour de cet élément qui voit se développer principalement un urbanisme résidentiel sur ces contours.

Si le XIXème

et le début du XXème

siècles constituent une période faste pour les industriels nordistes, les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale se révèlent sans éclat pour l’économie de cette région. Cette dernière entre dans une ère de mutation en apprenant à gérer l’héritage de son passé industriel. Le textile et la métallurgie perdent un nombre considérable d’emplois à partir des années cinquante et des crises économiques successives. L’industrie textile entame une importante reconversion dans les années soixante laissant de nombreuses friches au cœur des centres-villes. Vingt ans plus tard, c’est la vente par correspondance (VPC) qui se présente comme le nouvel élément productif de Roubaix et Tourcoing. Malheureusement ces entreprises exploitent peu de marchandises locales. Durant cette importante période de mutation, se développe une fonction tertiaire métropolitaine et la création d’un pôle universitaire autour de la première ville nouvelle française, Villeneuve d’Ascq.

En décembre 1967, Lille devient la capitale d’une communauté urbaine regroupant quatre- vingt sept communes, reprenant l’essentiel de l’arrondissement145

. Quatre pôles importants de population se déploieront en son sein : Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve d’Ascq, autour desquels gravitent des villes de nature et de taille très différentes. Cette agglomération, quatrième à l’échelle française avec plus d’un million d’habitants, connaît d’importantes disparités de développement. En vingt ans, elle voit s’accroître la ville nouvelle tandis que s’affaiblit son versant nord-est autour de Roubaix et Tourcoing. La construction du métro décidée dans les années soixante-dix, initialement prévu pour relier le campus de Villeneuve d’Ascq à Lille, va au cours de son déploiement recomposer et unifier la banlieue lilloise. Au cours des années quatre-vingt, Lille, jusque-là discrète dans les affaires communautaires, s’implique ouvertement dans les directives de cette collectivité dont elle prend la direction pour appuyer ses ambitions de développement tout en orientant la structuration de la métropole.

Lorsque s’ouvre le XXème

siècle, le profil des usines s’impose au milieu des maisons ouvrières dans le paysage urbain de Roubaix et Tourcoing principalement. Lille se penche sur l’organisation de son plan d’aménagement et de ses équipements afin d’exprimer sa position de ville centrale au sein de l’arrondissement. Socialiste depuis 1896, la mairie privilégie plutôt les opérations en faveur de la classe ouvrière (dispensaires, bains publics, etc.) que les plans d’embellissement. Eclipsés du pouvoir pendant quinze ans (de 1904 à 1919), les élus de Gauche reviennent à la mairie en 1919. Le conseil municipal de Gustave Delory se penche alors sur un plan d’embellissement et d’extension de la cité répondant à la loi Cornudet du 14 mars 1919146

. C’est l’occasion pour la municipalité de mettre en valeur la portée

métropolitaine des équipements projetés à cette époque. Après un concours qui désigne l’urbaniste parisien Jacques Gréber et l’architecte lillois Louis-Stanislas Cordonnier en 1920, la ville choisit finalement Emile Dubuisson en 1921 pour définir et réaliser ce plan qui doit effacer les séquelles laissées par les bombardements allemands de la Première Guerre mondiale.

146 La loi Cornudet du 14 mars 1919, modifiée et complétée par la loi du 19 juillet 1924, confie aux communes la

responsabilité d’un urbanisme centralisé par l’Etat, notamment pour restaurer les villes détruites après la Première Guerre mondiale et institut les projets d’aménagement, d’embellissement et d’extension.

Concours pour le plan d’aménagement et d’extension de Lille : « Lille, cœur des Flandres », plan (J.Gréber et L.-S. Cordonnier, architectes)

Émile Dubuisson propose le déplacement de la gare de voyageur d’environ 500 mètres vers les terrains libérés par le déclassement de l’enceinte fortifiée de Lille afin d’établir une gare de passage, presque à l’emplacement de l’actuelle gare Lille-Europe. Il envisage également la construction d’un nouvel hôtel de ville dans le quartier insalubre de Saint-Sauveur, rejoint par un réseau de voies convergentes qui relient l’hôtel de ville à la nouvelle gare, à l’entrée du Grand Boulevard, à la Grand’place, ainsi qu’à la place de la Préfecture. Les idées modernes et hygiénistes qui sous-tendent le projet Dubuisson prennent forme sous les mandats de Roger Salengro (1925-1936). La construction du nouvel hôtel de ville en 1932, démontre le dynamisme lillois. Complétant un bâtiment administratif moderne, le beffroi de 126 mètres de haut exprime le rayonnement de Lille sur la métropole, que le maire souhaite sociale et démocrate147.

147 Agence de développement et d’urbanisme de la métropole lilloise – Ecole d’architecture de Lille, Lille-

Beffroi de l’hôtel de ville (E. Dubuisson, architecte)

Les années qui suivent voient se construire des bribes d’équipements à l’échelle de cette métropole, comme la réalisation de la cité hospitalière de Lille avec ses 4 800 lits (1934).

La cité hospitalière (Cassan, Madeline et Walter, architectes)

Les différents plans d’aménagement qui successivement accompagnent le développement de Lille à partir des années 1950, jusqu’aux années quatre-vingt, tentent de palier au manque d’image représentative de la métropole148

. Même si chaque tentative laisse des traces dans le paysage lillois, aucune ne réunit les appuis financiers, politiques et juridiques suffisants pour arriver à terme. Ces projets possèdent pourtant des volontés communes avec la création d’un centre administratif et d’affaires, la construction d’équipements publics et de logements. La question des voies de circulation y occupe une place majeure tout comme celui de la gare qui fait l’objet de réflexions fournies. Les plans d’aménagement successifs qui accompagneront le développement de Lille intégreront cette dimension métropolitaine jusqu’aux années quatre- vingt149

.

La mise en place de l'Europe, la construction du tunnel sous la Manche et la réalisation d'une ligne TGV, qui relie Paris aux pays de l'Europe du Nord, ouvrent de nouveaux horizons et

148 Agence de développement et d’urbanisme de la métropole lilloise – Ecole d’architecture de Lille, Lille-

Métropole, un siècle d’architecture 1890-1993, op.cit., p. 34.

149 Cf. Tiry (C.), « La mobilité en projet à Lille : construction et représentation du grand territoire

métropolitain », in L’espace de la grande échelle, Cahiers thématiques, n°6, Editions de l’Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille, Tielt, 2006, pp. 238-249.

justifient l'élaboration d'un projet, proportionnel à aux espoirs de renaissance économique. Le centre d’affaires international Euralille apparaît dans ce contexte très précis.

Euralille, un symbole pour Lille et la métropole

Jusque dans les années soixante-dix, l’aménagement urbain était fondé sur une logique planificatrice avec la notion d’intérêt général, défini par un schéma directeur à l’échelle de l’agglomération. A cette logique planificatrice, succèdent des politiques urbaines dans lesquelles quelques opérations composent un plan plus général. Cette tendance s’oriente vers un urbanisme de projets, appuyé par les lois de décentralisation, au début des années quatre- vingt. Avec la décentralisation, la décision d’aménager, de construire ou de rénover une partie de ville revient à la municipalité. Les dirigeants proposent de nouvelles images et de nouvelles solutions pour éclairer l’avenir de leur cité, l’objectif étant d’attirer des investisseurs et de créer des emplois. Dans ce contexte, les villes entrent en concurrence les unes avec les autres, car chacune souhaite trouver les créneaux dans lesquels elle peut proposer ses services et mettre en valeur ses atouts150

. Généralement multifonctionnels, les projets urbains associent acteurs privés et publics. Leur ampleur souvent conséquente et leur gestion, qui s’étale dans le temps, appellent une conception et une administration d’ensemble. Euralille, projet de centre international imaginé par la ville de Lille en 1987 illustre parfaitement dans cette dynamique.

À cette époque, le Nord-Pas de Calais est victime du déclin de ses différents pôles industriels qui grèvent successivement son développement depuis plusieurs décennies. Seules Lille et Villeneuve d’Ascq présentent dans ce bilan sombre quelques succès. L’arrivée du TGV devient un atout pour faire passer en quelques années la région du XIXème au XXIème siècle.

Les objectifs du projet urbain porté par la municipalité lilloise sont de générer des emplois à court terme sur le chantier. À long terme, Euralille doit à la fois développer une métropole et sa région, en misant sur l’ouverture des frontières européennes et l’activité tertiaire, tout en redonnant une image valorisante au Nord-Pas de Calais et en redorant par la même occasion le blason lillois. De façon tout à fait significative, en 1988, la société d’études qui lance les études de faisabilité et place tous les rouages qui porteront la mise en œuvre de l’opération, est baptisée par la municipalité d’Euralille-Métropole.

Euralille : vue aérienne de la première phase (Euralille 1 – Plan directeur : OMA)

150 Dans les deux décennies qui achèvent le XXème siècle, fleurissent de nombreuses opérations à Nîmes, Aix-en-