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I. Les méthodes

2) Le projet comme démarche ouverte

Au cours de cette recherche, des questions concernant la position transfrontalière de la métropole lilloise et le devenir de ses espaces transfrontaliers ont été clairement posée : En quoi la frontière peut-elle devenir une figure structurante pour une grande métropole ? Peut- on établir des projets transfrontaliers ? L’espace transfrontalier, à grande échelle, peut-il constituer un « domaine de projet » ? Peut-on envisager le territoire transfrontalier comme une sorte de colonne vertébrale de la métropole, une structure ouverte à grande échelle ? Peut- on imaginer qu’à terme, l’espace transfrontalier envisagé à grande échelle créera un système cohérent dans cette métropole ? Comment adapter les méthodes de projet pour ce grand territoire ? Quels outils de construction de la ville contemporaine faudrait-il mettre en œuvre pour accompagner des projets de qualité ? En quels termes l’exercice du projet architectural et urbain devient méthodologiquement nécessaire ?

Lors de la séance de séminaire du 21 novembre 2007 « le transfrontalier à l’étude ; émergence de projets architecturaux et urbains pour une métropole ouverte », nous avons tenté de montrer que les projets architecturaux et urbains de la métropole lilloise liés à la question du transfrontalier posent aujourd’hui la question de la cohérence spatiale des espaces transfrontaliers, à grande échelle ; nous concluions sur cette idée que « si, aujourd’hui, à petite échelle, les espaces transfrontaliers peuvent faire apparaître comme “un potentiel de liberté, d’action, d’architectures”, on peut se poser la question de la cohérence future du territoire transfrontalier à grande échelle. S’il est pour l’instant de l’ordre de l’utopie d’envisager l’entre-deux transfrontalier comme structure théorique du développement futur de la métropole lilloise, on peut imaginer qu’à terme, l’espace transfrontalier envisagé à grande échelle créera un réseau cohérent dans cette métropole ouverte. »115

Démarches de projet pour une métropole ouverte

L’hypothèse est que l’espace de la métropole lilloise, de par sa structure urbaine, répond à l’idée d’ouverture, et plus précisément à l’idée d’ouverture dans le sens de la poétique de l’« œuvre ouverte » telle que l’a définie Umberto Eco. Pour mémoire, Eco a montré que cette poétique s’est particulièrement développée dans l’art du XXe siècle. La notion d’ouverture, dans le sens de l’« œuvre ouverte » d’Umberto Eco, s’est répandue dans le domaine de l’esthétique à partir des années 1960-1970, s’appliquant prioritairement à l’art contemporain, mais aussi, par extension, à l’urbanisme et à l’architecture. a métropole lilloise fait apparaître « un potentiel de liberté, d’action, d’architectures ». Cela a été dit, ou écrit, notamment à propos du projet du grand boulevard Lille-Roubaix-Tourcoing —par exemple, dans « Le grand boulevard de Lille, Roubaix, Tourcoing, 1896-1992. De l’œuvre ouverte en urbanisme »116

, Alain Demangeon fait clairement référence à cette notion d’ œuvre ouverte  : « Là où la cité n’aurait fait que manger la campagne, ses promoteurs inventaient une composition à grande échelle ». En tant qu’ « exercice sur la ville », ce tracé long de 14 km traversant 8 communes fait apparaître « un processus, un jalon historique et urbanistique qui permet la production simultanée de formes et de combinaisons. […] Il ébauche un tissu vernaculaire moderne, formé de discontinuité architecturale. Il contient l’idée d’ouverture. »117

115 Bridoux-Michel (Séverine), « le transfrontalier a l’étude ; émergence de projets architecturaux et urbains pour

une métropole ouverte », conférence pour le séminaire de recherche de « l’Architecture de la grande échelle / Inventer les futurs de la métropole lilloise : échelles, modèles et scénarios. Une métropole transfrontalière en projet (s) », 21 nov. 2007.

116 Demangeon (Alain), « Le grand boulevard de Lille, Roubaix, Tourcoing, 1896-1992. De l’œuvre ouverte en

urbanisme », dans Lille Métropole. Un siècle d’architecture et d’urbanisme, Ecole d’architecture de Lille / Agence de développement et d’urbanisme de la métropole lilloise, Paris, éd. Le Moniteur, 1993, pp. 50-55.

En ce sens, il faut comprendre que s’il apparaît comme tracé stabilisateur, ce projet permet une multitude de possibilités et ce parce qu’il constitue un réservoir capable, comme l’écrit Demangeon, « d’absorber le mouvement et la métamorphose »118

. En ce sens, Séverine Bridoux-Michel a montré dans le cadre des séances du présent programme de recherche que le territoire transfrontalier actuel de la métropole lilloise paraît pouvoir répondre à la notion d’œuvre ouverte, et même à celle d’œuvre ouverte en mouvement, en ce sens qu’une multiplicité d’approches semblent pouvoir se superposer sur cet espace à grande échelle. Pour préciser cette idée, on peut montrer ce qu’elle fait apparaître ici, aujourd’hui, dans le cas de la métropole transfrontalière de Lille : la structure urbaine de la métropole lilloise, prise dans son ensemble, prise à l’échelle de celle que Pierre Mauroy tient à qualifier aujourd’hui de « plus grande métropole transfrontalière d’Europe »119

, fonctionne peut être grâce au potentiel que présente cette ouverture dont parle Eco : l’espace transfrontalier de la métropole constitue moins un morceau urbain figé, qu’un nouveau champ de possibilités, de points de vue, de combinaisons envisageables selon la logique de multiples valeurs.

En ce sens, on peut désormais imaginer que penser le futur d’une telle métropole, c’est mener à bien des réflexions et projets tenant compte de cette poétique de l’œuvre ouverte : il ne s’agit pas d’une composition urbaine figée, mais d’une composition inachevée laissant part à des possibilités que chacun de nous, architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, peut appréhender selon des lectures multiples et variées.

Le point de vue de Bernard Reichen —architecte lauréat du concours pour la zone de l’Union de la métropole lilloise— est qu’aujourd’hui le projet donne à voir. À cette nuance près que, dans le projet, tout n’est pas donné à voir : « Les chaînes “du visible”, de la programmation et de l’action fonctionnent maintenant en parallèle et chaque projet doit être conçu comme un mode d’assemblage spécifique de ces données ». « le champ graphique qui s’ouvre n’est toutefois pas simple : dessiner une “stratégie”, un “concept”, une “matrice” urbaine » ou un “projet” sont des responsabilités différentes qui ne sont pas suffisamment clarifiées. Mais, dans un même temps, il ne s’agit pas seulement d’un déplacement des modes de représentation mais bien une transformation de la forme urbaine elle-même. Dans son travail, le vidéaste Bill Viola nous parle de l’espace “illusionniste” de la Renaissance, celui de la composition utilisant la perspective comme outil de représentation. Il oppose cette “composition statique” qui nous sépare depuis 5 siècles, à une “composition mentale” dont les racines se fondent dans les cultures anciennes de l’Asie ou du haut Moyen Age, quand les édifices se répondaient entre eux sans pour autant se voir. L’idée que des projets sachent “se répondre”, hors d’une continuité physique, est pour moi une clef de la “cohérence territoriale”. […] en termes physiques, c’est le “grand paysage” qui doit être considéré comme un projet à part entière »120. Ainsi, selon Reichen, l’idée de “composition mentale” est

fondamentale dans le projet urbain, les projets “se répondant”, « hors d’une continuité physique ». En ce sens, il semble y avoir là une sorte de réactualisation de l’œuvre ouverte : à l’image de la poétique de l’œuvre ouverte, cette idée de “composition mentale” serait, en théorie, l’idée d’une métropole transfrontalière ouverte. Avec le recul, du point de vue de la grande échelle, on peut percevoir l’espace transfrontalier comme une totalité et l’identifier en tant que tel. Ainsi, dans ce cas, derrière « l’architecture de la grande échelle », il y a ici cette question que pose la stratégie de la planification à l’échelle du territoire métropolitain.

Mais cette question se pose à l’architecte dès lors que le projet convoque de multiples échelles, en même temps que le croisement disciplinaire ; le projet d’ « architecture de la

118 Idem, p. 51.

119 termes employés par Pierre Mauroy. «  Une formidable aventure collective », conférence de rentrée, 4 octobre

2007, cf. Lille Métropole Info n° 46, novembre 2007, p. 3.

120 Reichen (Bernard), Le temps d’une “réalité utopique”, réflexions pour un urbanisme territorial” . Pour le

grande échelle » devrait inciter le concepteur à « bousculer les limites disciplinaires pour prendre le pouvoir à des échelles multiples » (Didier Rebois)121

 : « en rouvrant le jeu des échelles entrecroisées et non plus séparées, de jeunes architectes européens repensent la liaison entre architecture et urbain »122

.

L’espace transfrontalier à grande échelle : un « domaine de projet »123  ?

En réponse à la « Zwischenstadt comme domaine de projet » de Thomas Sieverts, l’idée est que l’espace transfrontalier (voire la « frontière ») peut constituer un « domaine de projet ». On peut constater que les quelques projets transfrontaliers participant à la métamorphose de la métropole lilloise répondent moins à une logique liée à la symbolique de la frontière qu’à une logique de fonctionnalité. Simon Jodogne constatait d’ailleurs (séance de séminaire du 6 février 2008) que les projets transfrontaliers de la métropole ne constituent pas de « geste de grande ampleur », il répondent plutôt à une fonction particulière. Ainsi, la métropole lilloise est actuellement ponctuée de quelques projets transfrontaliers relativement isolés et hétérogènes soulevant le problème de la cohérence spatiale du territoire transfrontalier (séance de séminaire du 21 novembre 2007) ; si la « frontière évolue dans son contenu » (Simon Jodogne, idem), il n’est pas évident qu’elle constitue un réceptacle de formes attachées à la dimension d’une métropole transfrontalière. Pourtant, au regard des projets des étudiants, voire de la jeune génération d’architectes, on peut constater qu’une richesse de projets liés au transfrontalier apparaît. La pépinière de projets transfrontaliers de la métropole lilloise font apparaître de multiples façons de penser la frontière / l’espace transfrontalier, ainsi que des typologies de formes architecturales et urbaines révélant une certaine potentialité de la métropole transfrontalière. Derrière le débat sur la dimension transfrontalière, il semble que la question de la gouvernance et de la stratégie de la planification se pose, alors que le territoire transfrontalier est un territoire encore relativement mal connu (on raisonne encore sur la ville plutôt que sur la métropole transfrontalière) et qu’il pourrait être abordé en tant que « domaine de projet » et constituer un support de projet relativement appropriable.

3) L’exercice du projet d’architecture de la grande échelle « Inventer les futurs de la