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Chapitre 5 Discussion

5.2 Discussion des résultats

5.2.1 Les constats liés à l’expérience de la migration de transit au Mexique

5.2.1.1 Les constats liés aux difficultés rencontrées

Les difficultés rapportées par les participants de cette étude concordent avec les expériences difficiles rapportées par les études présentées dans la revue de la littérature. Les principales similitudes sont liées aux nombreuses formes de violence et d’exploitation que subissent les migrants centraméricains pendant leur transit au Mexique.

5.2.1.1.1 L’expérimentation de nombreuses formes de violence en transit

Les résultats de plusieurs études ont démontré que les migrants centraméricains en transit au Mexique subissent de nombreuses formes de violence durant leur parcours. D’abord, tel qu’avancé par Sládková (2013;2014), Ortega (2015), De Basok, Bélanger, Rojas et Luz (2015), Infante, Idrovo, Sánchez-Domínguez, Vinhas et González-Vázquez (2011), Vogt (2012) et Argüelles R. (2010), les migrants expérimentent des formes de violence physique, verbale et psychologique. Les résultats de cette étude confirment l’expérimentation de tous ces types de violence par les migrants centraméricains en transit au Mexique : les agressions et les mauvais traitements physiques, les meurtres, les attaques xénophobes, les agressions verbales ainsi que la discrimination sont des exemples concrets qui ont été mentionnés par les participants. Bien que certaines études mentionnent l’expérimentation de violences psychologiques par les migrants centraméricains en transit au Mexique, les difficultés psychologiques qu’ils rencontrent ont été peu abordées par les études retenues dans la revue de la littérature. Une seule étude (Altman, Gorman, Chávez, Ramos et Fernández, 2016) fait état de certains troubles psychologiques éprouvés par les migrants. Réalisée dans plusieurs refuges localisés tout près de la frontière commune du Mexique et des États-Unis, cette étude démontre un fort taux de troubles psychologiques chez les migrants; 53% des migrants participant à l’étude souffraient d’au moins un trouble psychologique, soit la dépression majeure, la dépendance à l’alcool, les troubles de paniques ou une consommation abusive d’alcool. Bien que les résultats de la présente étude ne rapportent pas ces troubles psychologiques spécifiques, elle fait état d’autres difficultés psychologiques qu’éprouvent les migrants lorsqu’ils se situent au début de leur transit, comme la tristesse, la solitude, l’anxiété ainsi que la détresse et la souffrance psychologique. Considérant l’ensemble des difficultés rencontrées par les migrants tout au long de leur transit (voir l’ensemble des difficultés documentées dans le chapitre précédent), il est donc possible de penser qu’en fin de transit, les migrants sont plus sujets à développer des

troubles psychologiques tels que ceux rapportés par Altman, Gorman, Chávez, Ramos et Fernández (2016). Par ailleurs, le seul participant migrant de cette étude ayant fait directement référence à une souffrance et à une détresse psychologique est Alejandro, un migrant qui réalisait alors sa deuxième tentative de transit. Cette caractéristique d’Alejandro permet d’appuyer les résultats présentés par l’étude d’Altman, Gorman, Chávez, Ramos et Fernández (2016), voulant que certains troubles psychologiques se vivent de manière plus intense et récursive à chaque tentative supplémentaire de transit.

Les études de Jácome (2008), d’Izcara-Palacios (2012) et de Spellman (2014) dénoncent les nombreuses formes de violence structurelle subies par les migrants centraméricains en transit au Mexique. Ces auteurs avancent que plusieurs structures de la société mexicaine contribuent à l’expérimentation de violences par les migrants centraméricains. Les résultats de la présente étude démontrent pareillement que de nombreuses structures socio-politiques mexicaines contribuent à accentuer la vulnérabilité et l’exposition des migrants à la violence durant leur transit. Cette violence structurelle semble en fait être omniprésente durant l’intégralité de leur transit. D’une part, les résultats de cette étude démontrent que les lois, les politiques et les idéologies du gouvernement mexicain, particulièrement celles associées à son système d’immigration, sont à la source de la précarité et de la vulnérabilité des migrants, qui veulent à tout prix éviter la déportation. Les propos des participants permettent de conclure que le système d’immigration mexicain contribue à la marginalisation, à la précarité ainsi qu’à la vulnérabilité des migrants non seulement en leur déniant un statut légal, mais aussi en opérant différentes formes de contrôle et de surveillance qui limitent leur choix de trajet et de transport. À l’instar de Jácome (2008), d’Izcara-Palacios (2012) et de Spellman (2014), les résultats de cette étude démontrent qu’un statut irrégulier contribue à l’exposition des migrants aux activités des groupes criminels, puisque ce statut les contraint à emprunter des chemins isolés, souvent contrôlés par des gangs qui y opèrent des activités violentes (enlèvements, viols, meurtres et abus), mais aussi car il contraint les migrants à l’utilisation de transports dangereux et violents. L’utilisation du train la Bestia a par exemple été associée de maintes fois à des agressions violentes et à des accidents violents pouvant causer la mort. En plus, les résultats de la présente étude permettent de constater que le gouvernement mexicain est une structure permettant la commission de violences envers les migrants centraméricains en raison de son inaction et de son désintérêt envers eux. Dans cette même ligne d’idée, Jácome (2008) voit l’incapacité du gouvernement mexicain à protéger les migrants sur son territoire comme une source de violence structurelle. Par ailleurs, l’irrégularité de leur statut les rend aussi très vulnérables aux abus perpétrés principalement par les groupes criminels, les autorités et la société mexicaine (ce thème sera davantage abordé à la prochaine section), puisqu’un statut irrégulier limite grandement les possibilités qu’ils ont de faire respecter leurs droits en tant

D’autre part, les résultats de cette étude corroborent également les résultats de Jácome (2008), ainsi que ceux d’Izcara-Palacios (2012) et de Spellman (2014), en ce qui concerne les différentes formes de violence structurelle exercées par la société mexicaine. Des participants à l’étude ont par exemple fait allusion à la discrimination, aux abus et aux attaques verbales perpétrés par la société mexicaine à l’égard des migrants centraméricains. Des études comme celles d’Argüelles R. (2010) et de Vogt (2012) ont également fait état des attaques xénophobes perpétrées par la population mexicaine à l’égard des migrants centraméricains. Izcara-Palacios (2012) et Spellman (2014) qualifient également ce type de violence comme une violence culturelle. Les attitudes et les pensées xénophobes de la population locale ainsi que la montée en importance de l’insécurité, de la violence et de la criminalité des localités empruntées par les migrants sont des éléments structurels porteurs de violences selon plusieurs participants de cette étude. Certains participants ont par ailleurs mentionné la peur et la réticence de la population locale à faire confiance à un étranger étant donné le haut niveau de criminalité et de violence qui sévit dans leur communauté. D’autres participants ont enfin mentionné que l’indifférence et la perte de valeurs humaines, comme la reconnaissance, l’acceptation et le respect de l’Autre, seraient à la source de bien des difficultés et des violences subies par les migrants centraméricains en transit. La perte de valeurs humaines au sein de la société mexicaine est un résultat important de cette étude, qui ne fut pas documenté par les études exposées dans la recension des écrits.

De nombreuses études (Alemir, 2014; Spellman, 2014; Infante, Silván, Caballero et Campero, 2013; Bronfman, Leyva, Negroni et Rueda, 2002; Leyva-Flores, Infante, Servan-Mori, Quintino-Pérez et Silverman- Retana, 2015) ont démontré que la violence sexuelle est une forme de violence subie principalement par les femmes migrantes centraméricaines en transit. Les résultats de cette étude abondent dans le même sens. Les participants informateurs-clefs sont ceux ayant fait référence à ce type de violence subie par les femmes centraméricaines, alors que les participants migrants n’ont pas mentionné l’expérience de cette violence. Il est possible de penser que ces derniers n’ont pas expérimenté une forme de violence sexuelle en raison de leur genre masculin, ce qui va dans le même sens que les résultats des études de Spellman (2014) et d’Alemir (2014) concernant l’expérience de violences genrées par les migrants centraméricains en transit. Les auteurs de ces deux études avancent que les migrants sont victimes de violence genrée, c’est-à-dire qu’ils expérimentent différents types de violences selon leur genre. Cette étude présente également des résultats similaires; il a été mentionné par des participants à l’étude que les femmes centraméricaines en transit vivent des agressions à caractère sexuel et que certaines d’entre elles seraient prises au sein de réseaux clandestins de trafic sexuel, de traite de personnes et de prostitution. Quant aux hommes, les participants ont mentionné qu’ils se voient parfois obligés de transporter de la drogue ou d’entrer dans les rangs des groupes criminels sous peine de perdre la vie. Ces résultats corroborent aussi les résultats d’Izacara-Palacios (2012) concernant l’expérience de la violence post-structurelle, voulant que les migrants exercent eux-mêmes des

activités criminelles et violentes puisqu’ils y sont forcés par une violence structurelle (dans ce cas-ci, les groupes criminels), de même que les résultats de Spellman (2014) et d’Alemir (2014) concernant l’expérience d’une violence genrée. Enfin, les résultats de cette étude corroborent également ceux d’Infante, Silván, Caballero et Campero (2013), de Bronfman, Leyva, Negroni et Rueda (2002), de Leyva-Flores, Infante, Servan-Mori, Quintino-Pérez et Silverman-Retana (2015), d’Alemir (2014) et de Spellman (2014) concernant le caractère forcé des expériences sexuelles des migrantes centraméricaines en transit au Mexique. Les résultats de la présente étude démontrent que les expériences sexuelles des femmes centraméricaines lors de leur transit sont susceptibles d’être faites de manière involontaire, sous-pression ou afin de survivre, puisque les femmes centraméricaines ont été perçues par les participants comme des potentielles victimes de réseaux de trafic sexuel, de traite de personnes et de prostitution, dans lesquels la liberté d’action des femmes est plutôt limitée, voire nulle.

Enfin, les études citées dans cette partie accusent le crime organisé, les autorités mexicaines ainsi que la population locale mexicaine comme étant les principaux acteurs des violences expérimentées par les migrants. Les résultats de cette étude abondent également dans le même sens. Un participant à l’étude mentionna la brutalité des agents migratoires américains, ce qui fait également écho à l’étude d’Idrovo, Sánchez-Domínguez, Vinhas et González-Vázquez (2011), qui dénonce les mauvais traitements exécutés par les agents frontaliers américains à l’égard des migrants tentant de rejoindre irrégulièrement le territoire américain.

5.2.1.1.2 L’exploitation des migrants centraméricains en transit

Plusieurs auteurs (Silva Hernández, 2015 ; De Basok, Bélanger, Rojas et Luz, 2015; Ortega, 2015 ; Sládková, 2013 ; Izcara-Palacios, 2012 ; Argüelles R., 2010; Vogt, 2012; Altman, Gorman, Chávez, Ramos et Fernández, 2016; Servan-Mori, Leyva-Flores, Infante Xibille, Torres-Pereda et Garcia-Cerde, 2014; Spellman, 2014; Alemir, 2014) ont souligné les nombreux cas d’abus et d’exploitation vécus par les migrants irréguliers centraméricains au Mexique. Les résultats ayant émané de l’analyse des données ont également démontré l’omniprésence de l’exploitation et de l’abus des migrants lors de leur transit sur le territoire mexicain. Les participants à l’étude ont particulièrement référé aux agents du crime organisé ainsi qu’à la population locale, incluant les autorités mexicaines, comme étant les principaux acteurs d’exploitation, ce qui confirme les résultats de plusieurs études citées dans la revue de la littérature, dont De Basok, Bélanger, Rojas et Luz (2015), Servan-Mori, Leyva-Flores, Infante Xibille, Torres-Pereda et Garcia-Cerde (2014), Spellman (2014), Alemir (2014), Izcaro-Palacios (2012), Silva Hernández (2015), Ortega (2015), Sládková (2013), Argüelles R.

passage sur la Bestia, en les séquestrant pour demander rançon à leur famille ou en s’appropriant leur corps pour en faire le trafic de drogue, le trafic sexuel, le trafic d’organes et la traite de blanche. La population locale et les autorités mexicaines ont pour leur part été accusées d’abuser de la vulnérabilité des migrants principalement en gonflant le prix des biens et des services, en utilisant de manière malhonnête leur labeur, en exerçant des vols, des extorsions et en violant les femmes migrantes centraméricaines en transit. Ces cas d’exploitation ont presque tous été mentionnés dans les études présentées dans la recension des écrits, à l’exception du gonflement du prix des biens et des services ainsi que l’utilisation malhonnête de leur travail.

Les résultats de recherche concordent grandement avec ceux des études consultées, principalement avec les résultats de Vogt (2012). Vogt (2012) démontra que les migrants centraméricains en transit au Mexique sont voués à la marchandisation de leur personne, c’est-à-dire qu’ils se voient réduits à une marchandise considérée comme étant librement exploitable. Vogt (2012) mentionne également que la violence est utilisée pour mieux réaliser cette exploitation. Cette présente étude confirme ces deux constats : les migrants rencontrent comme difficulté majeure la marchandisation de leur personne par différents acteurs qui utilisent la violence pour arriver à leurs fins. En effet, les résultats de cette recherche démontrent que la migration irrégulière au Mexique représente une industrie violente, fructueuse, et florissante dans laquelle bon nombre de personnes y trouvent leur compte, notamment par l’exploitation et l’abus de la vulnérabilité des migrants. Les nombreux cas d’exploitation recensés démontrent que les migrants ne sont plus considérés comme des personnes à part entière, mais bien comme des corps dont on peut tirer profit et disposer comme bon il semble. La dignité humaine des migrants centraméricains et leurs droits fondamentaux sont alors bafoués. Alors que les participants de cette étude ont intimement lié le thème de la marchandisation des migrants avec celui de la déshumanisation de leur personne, seulement Vogt (2012) et Argüelles R. (2010) y ont fait directement référence. Ces deux thèmes ont été considérés comme d’importantes difficultés à l’expérience de la migration de transit au Mexique. En outre, les résultats de cette étude permettent d’envisager la marchandisation et la déshumanisation des migrants par les groupes criminels et la population locale comme des manifestations d’une violence structurelle certaine. L’augmentation de la pauvreté, de la violence et de la criminalité des provinces du sud du Mexique, dont la montée en puissance des organisations criminelles mexicaines, et de la perte des valeurs humaines de la population locale mexicaine sont considérées comme d’importantes sources de violence structurelle.